Les jeunes les plus fragiles encore une fois oubliés des politiques publiques !
Nous attendions avec impatience le « plan jeune » annoncé par le gouvernement, avec l’espoir qu’il allait être un début de solution (solution transitoire bien sûr…mais néanmoins vitale) pour certains. Ils sont une minorité dont on n’entend pas parler, Ils cumulent les exclusions.
Je m’occupe depuis plus de 20 ans de jeunes relevant de l’Aide Sociale à l’Enfance, qui, le plus souvent, ont été placés dès leur plus jeune âge, et qui, arrivés à la majorité, sont en échec d’insertion professionnelle. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Ils ont été suivis, ont commencé des stages ou formations, des emplois, qu’ils n’ont pu tenir, parce qu’ils ont des troubles du comportement, de la personnalité, des troubles psychiques, appelez les comme vous voudrez…Ils peuvent rester dans le système de protection jusqu’à leur 21 ans, dans le cadre d’un « contrat jeune majeur ». Les objectifs du contrat jeune majeur sont l’accession à l’autonomie, la mise en place d’un projet professionnel. Les Conseils Généraux ont bien évolué ces dernières années, et entendent aujourd’hui, que, pour certains, il s’agit plutôt de projet de soin, ou d’insertion sociale, plutôt que professionnelle. Parce que, on le sait, les troubles psychiques sont un handicap majeur à l’insertion. Nous travaillons sur cette période de 17 à 21 ans, ce qui permet à la plupart de prendre conscience de leurs troubles, puis d’adhérer à un projet de soin, d’accepter cette idée de « handicap » même si la désignation en est extrêmement douloureuse, et de demander une Allocation Adulte Handicapé. Ils sortent alors du dispositif avec la garantie d’un toit et d’un revenu. Mais pour quelques uns, la situation est encore plus précaire. Leurs troubles sont en évolution, ne sont pas fixés. La post-adolescence autour de la 20ème année est une période d’élection pour l’éclosion de troubles psychiques, en particulier les psychoses. Les jeunes que nous accueillons sont souvent, au moment où nous les rencontrons dans la phase prodromique de la maladie, qui se manifeste par un retrait social, des phobies, une incapacité à agir, des conduites à risque, des addictions. Mais les troubles psychiatriques des jeunes ont cette spécificité qu’ils peuvent s’avérer réversibles, sans corrélation avec la gravité des manifestations. A cet âge, les troubles du comportement peuvent être le signe d’une souffrance psychique réactionnelle, aussi bien que de l’éclosion d’une pathologie psychiatrique. On ne peut rien prédire ! Nous voyons des jeunes sortir du dispositif avec une insertion réussie, et ils nous apprennent quelques années plus tard qu’ils sont hospitalisés en psychiatrie ; ils ont décompensé après leurs 21 ans. D’autres au contraire sortent avec une Allocation Adulte Handicapé, et petit à petit leurs troubles se stabilisent, voire régressent, et ils vont vers l’insertion.
Mais laissons-leur donc un peu de temps ! Ces jeunes ne vont pouvoir compter sur aucune solidarité familiale, alors que celle-ci est habituellement fortement sollicitée au cours de cette période qu’est le passage à l’âge adulte ! Aujourd’hui quel jeune a réalisé son autonomie totale (financière, résidentielle, affective) à 21 ans ? On leur en demande plus qu’aux autres, puisqu’on leur demande de se construire seuls !
On sait que l’’évolution psychique des jeunes ayant vécu des traumatismes, des séparations, des parcours de placement est très lente. Parallèlement les dernières recherches en psychiatrie ont mis en exergue la notion de « vulnérabilité génétique ». Il y a aujourd’hui un consensus sur l’hypothèse selon laquelle la maladie est déterminée par la conjonction de plusieurs facteurs (biologiques, génétiques) mais aussi environnementaux. A une fragilité, une vulnérabilité, on va donc pouvoir répondre en termes de compensation, en renforçant les facteurs de protection.
Nous accueillons des jeunes dont les parents ont des pathologies psychiatriques avérées, qui ont amené le placement des enfants, directement ou indirectement.
Pour eux la vulnérabilité génétique va se conjuguer avec la vulnérabilité due aux traumatismes, et autant on aura travaillé, pendant leur enfance et adolescence, à renforcer les facteurs de protection, autant face à la sortie du dispositif, mis dans l’obligation d’une autonomie qu’ils ne peuvent assumer, ils vont se retrouver, dans une situation à hauts risques : risque de passage à l’acte, de décompensation, de marginalisation, d’exclusion.
Notre société se doit d’apporter une solidarité à ces jeunes. On parle de risque d’assistanat. Mais même lorsqu’ils rencontrent de multiples problèmes, les jeunes restent des personnes en construction, avec des rêves, des désirs, des ambitions pour l’avenir. Parmi les jeunes que nous suivons, très peu sont en capacité de travailler. Ils sont apragmatiques, incapables de respecter un rendez vous, incapables de ‘’tenir un projet’’…Nous n’en avons vu aucun qui soit satisfait de cette situation, et se complaise dans l’assistance. Ils vous diront tous qu’ ‘’ils n’ont pas de vie’’…Ils ont souvent des idées, des projets, simplement, ils n’y arrivent pas, malgré une évidente bonne volonté, et tout le soutien que nous pouvons leur apporter.
Alors faut-il les voir sortir pour aller grossir les rangs de l’exclusion, les envoyer en CHRS, après un long parcours dans le dispositif de protection de l’enfance ? Faut-il qu’ils fassent un passage dans la rue, pour que leurs troubles s’aggravent et qu’ils ne basculent définitivement du côté de la psychiatrie ?
Notre société n’a-t-elle pas les moyens de leur allouer une ‘’allocation d’autonomie’’ à eux qui n’ont pas le choix de se tourner vers leurs parents pour subvenir à leurs besoins essentiels, afin de leur laisser un peu de temps pour se construire, ou pour se tourner vers le dispositif handicap, si une évolution pathologique se confirme ?
Nous entendons parler depuis plusieurs années d’allocation d’autonomie, d’accès des jeunes à un équivalent de revenu minimum. Aucune mesure sérieuse n’a jamais vu le jour.
On annonce maintenant une allocation pour des jeunes qui ont déjà travaillé deux ans ; mais un jeune qui a tenu un emploi deux ans a manifestement les capacités de travailler. Pensons un peu à ceux qui ne les ont pas, fragilisés par leur histoire, fragilisés par leurs troubles, fragilisés par leur absence de soutien familial, sans avoir la crainte de les assister. Le plus gros danger n’est pas celui-là ; pour ma part, à laisser pour compte cette partie de notre jeunesse, en nombre infime il est vrai, mais qui n’en existe pas moins, je vois un danger de non-assistance à personne vulnérable.
Nicole HACCART, Infirmière Psychiatrique, Directrice ASMO, service d’accueil expérimental, Montpellier
Mail : nicole.haccart@club-internet.fr