Les psychanalystes, la psychiatrie et Mai 68 *
Chacun a vécu et participé à Mai 1968 depuis sa place. La mienne était d'être interne et d’assister au séminaire de Lacan
L'acte psychanalytique.
Séminaire interrompu début mai. Lacan proposait alors d'aller dans la rue. Quelques jours plus tard une grande rencontre avec les psychanalystes était organisée à la Nouvelle fac, rue des Saints Pères. Je me souviens particulièrement de la brillante et enthousiasmante prise de parole de François Perrier devant un grand amphi comble.
Ensuite, ce fut l'hôpital et, à la rentrée, la reprise, en novembre 1968, du Séminaire de Lacan
D’un Autre à l’autre
et la "psychanalyse à Vincennes" dans des bâtiments préfabriqués qui venaient d’être édifiés en urgence dans le bois. L’effervescence, venue de la psychanalyse, s’est alors déplacée vers les services hospitaliers et vers la Faculté de Médecine pour obtenir la séparation entre la neurologie et la psychiatrie. La plupart des acteurs de cette séparation étaient des psychanalystes. influents auprès d’Edgard Faure, ministre de l’Education Nationale. Sa femme et sa fille Sylvie Faure-Lisfranc étaient affiliées à l’IPA. Cette dernière a été nommée auprès du ministre des Affaires Sociales pour préparer et gérer cette séparation. Des lacaniens comme Jean Ayme, président du Cadre des médecins des hôpitaux psychiatriques, et des internes, psychanalystes en formation maintenaient la pression. L’autonomie de la psychiatrie à l’égard de la neurologie a été acquise le 30 décembre 1968.
Se présente alors la question : qui va enseigner la psychiatrie sans neurologie ? Tous les professeurs étaient plus neurologues que psychiatres. Néanmoins une dizaine d’entre eux choisit la psychiatrie. Mais aussi bien pour les étudiants en CES que pour les internes en psychiatrie, la neurologie avait été le goulot d’étranglement pour obtenir la qualification en neuropsychiatrie. Tous refusaient que les patrons des CHU qui exerçaient une sélection répressive et avaient une pratique dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas aient le pouvoir. Leur projet individuel était la psychothérapie et /ou la psychanalyse, et pour ceux qui envisageaient les hôpitaux publics, le Secteur de Santé mentale.
Pour la transmission de la Psychiatrie, deux voies se présentaient alors. Dans l’élan de Mai, s’était inventée une formation « sur le tas » représentée par les Collèges de Psychiatrie nés un peu partout mais très actifs à Nantes, à Toulouse et à Bordeaux par exemple appuyée par l’exemple de la psychothérapie institutionnelle. L’autre orientation, de compromis, était de d’accepter la voie que proposait le ministère d’Edgard Faure. Il aurait souhaité nommer un grand nombre d’agrégés, choisis parmi les psychanalystes tels que Green, Leclaire, Perrier, Faure à Montpellier, et d’autres. Le débat sur le mode formation, pour ou contre l’agrégation en psychiatrie, ou « sur le tas » avec tous ceux à qui était reconnu un potentiel enseignant et formateur aura été riche, mais pour finalement s’enliser. Le moment politique était passé. La psychanalyse n’avait plus qu’une place marginale. Le compromis n’était plus sur les personnes mais sur l’aménagement du modèle universitaire.
Une Commission Nationale de Psychiatrie était instaurée par arrêté le 6 juin 1969. Elle regroupait 7 professeurs autour de Deniker, Guyotat, Sutter et Kammerer. La trace de cette défiance à l’égard des professeurs des CHU apparaît dans la désignation des 3 professeurs de psychiatrie exerçant à l’étranger, Ajuriaguerra, Collomb et Sivadon. Un peu avant, un décret du 2 avril 1969, avait crée des « commissions pour développer la psychiatrie ». Ces Commissions de Psychiatrie ont été mises en place dans les principales Universités pour pallier la pénurie d’enseignants et faire la jonction avec le terrain.
Une première année probatoire a été crée avec deux séminaires cliniques, en plus des stages et des enseignements théoriques. A Paris, à la Salpétrière, sous l’autorité des professeurs L. Michaux, puis de D.J.Duché, puis de M.Basquin, ces séminaires cliniques ont été institués sous la forme de supervisions cliniques. Avec Ph. Rappard et quelques autres, nous les avons soutenues, pendant onze ans Les promotions de psychiatres sont devenues nombreuses. Ainsi, celle de la Salpétrière a écouté en supervision collective environ 500 psychiatres dans une orientation psychanalytique.
Puis, la formation des psychiatres est redevenue proche de celle qui prévalait avant Mai 68. La psychanalyse n’a dès lors plus été transmise que dans les Facultés de Lettres et par la psychothérapie institutionnelle, née avec Fr.Tosquelles à Saint Alban.
Dans les services de psychiatrie, la psychanalyse alors s’est fortifiée et enracinée en relançant l’attractivité de certains lieux d’hospitalisation et de prises en charge en ambulatoire, en particulier en infanto-juvénile. Les services où la psychothérapie institutionnelle s’est développée ont pris un nouvel éclat. On peut citer à Sainte Anne, le service H.Rousselle tranformé par l’action de G. Daumézon, le secteur du 13
ème
arrondissement avec Ph. Paumelle, ainsi que les cliniques institutionnelles de la Loire avec J. Oury à La Borde et Cl. Jeangirard à Chailles. Il faudrait aussi citer
La Nouvelle Forge
à Senlis avec Cl. Poncin et
La Criée
à Reims, avec P. Chemla (qui organise sa 38
ème
rencontre début Juin 2018) et de nombreux autre encore.
La psychanalyse a eu en 1968 et pendant quelques années après une belle et féconde efflorescence, mais ses 100 fleurs se sont maintenant raréfiées. Y aura-t-il un jour une autre floraison ?
Alain DENIAU
* Extrait de Oedipe.org