Cher Jacques-Alain Miller,
il y a un peu plus d'un an j'ai publié dans les Actualités Sociales Hebdomadaires (ASH) un article très critique sur les CPCT(1). Aujourd'hui je vois que tout ce que j'y annonçais s'est réalisé, pour le pire qu'il soit. Il est grand temps de s'en apercevoir. Si à l'époque vous aviez tenu compte de mes remarques (et de celles de quelques autres) , au lieu de m'envoyer vos collègues (j'allais dire vos sbires, parce que c'était le style employé) pour me faire taire, nous n'en serions pas là. Mais il est vrai que je ne suis pas du sérail, et qu'à ce titre ma voix contait pour du beurre. Croyez bien que je suis affligé par ce qui arrive avec les CPCT et qui affecte l'ensemble des praticiens de la psychanalyse, quelles qu'en soient leurs affiliations. Cette dérive de la psychanalyse dans le champ du travail social se paie et se paiera d'une perte de confiance certaine du grand public. Combien de collègues ou d'usagers, sachant la chose, m'ont dit: mais ils font n'importe quoi!
Une petite histoire, elle nous vient des Indes. Trois aveugles avancent à tâtons dans le désert. Ils tombent sur quelque chose. L'un dit: c'est un serpent; le second: c'est un arbre et le troisième: pas du tout, c'est un rocher. Quelle est donc cette chose qui est tout à la fois serpent, arbre et rocher? Un éléphant! Le premier a touché la trompe, le second la patte et le troisième, la panse. Mais quelle est la condition pour faire apparaître l'éléphant? 1) Qu'aucun ne lâche sur sa propre perception, donc sur sa parole. 2) Qu'aucun ne lâche sur l'écoute de la perception des autres, donc sur la parole d'autrui.
Dans cette affaire - visant en quelque sorte a réaliser une OPA sur le champ analytique et à conquérir des "parts de marché" dans le champ du travail social- , c'est vrai vous n'avez pas lâché sur votre propre perception, mais à avoir lâché sur celle de ceux qui comme moi questionnaient et donc dérangeaient, vous avez laissé filer vers le pire.
Le sursaut de lucidité dont vous faites preuve est un peu tardif. Mais mieux vaut tard que jamais. J'espère que la réflexion - qu'il aurait fallu mener en amont, et non une fois la dérive avancée - vous conduira jusqu'à une rectification sérieuse. Non seulement pour l'Ecole de la Cause Freudienne, ce n'est pas mon affaire n'en faisant pas partie, mais surtout pour l'ensemble du champ analytique. L'avenir de la cause en dépend. Au-delà des clivages d'écoles ou d'association nous en portons tous la responsabilité.
Joseph Rouzel
(1) A consulter sur le site de Psychasoc