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« Liberté, égalité, fraternité ? »

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Maurice Castello

dimanche 01 juillet 2007

Controverse sur le statut de la Propriété, du Mariage, de la Religion et de l’Institution chez le Citoyen François BOISSEL (1728-1807),

auteur du Catéchisme du Genre Humain .

Evaluons la signification de la résurgence et des fondements sur le propos de cet ouvrage, dans une approche plus contemporaine de la logique symbolique de l'anthropologie structurale. Nous tacherons ainsi de dégager dans son essence avérée, une éthique de la culture politique, qui, de facto s'affiche dans l'économie de nos mœurs. Voir si en effet nous devons mettre sous caution l'aspect trouble des effets pernicieux de ce sentiment relationnel, tel que l'avait pressenti le citoyen Boissel dans ses prodigieuses prémonitions. Aussi, dans l'esquisse d'un profil plus analytique de nos rapports en société, découvrons le sens induit par ces instances dans l'engeance trop normative de nos institutions.

I / Contexte historique d’un ouvrage qualifié de « plus subversif » par Jaurès.

Marqué par des inégalités et des privilèges endémiques, la crise sociale de la France du XVIIIe est profonde. La nation monarchique française va très mal, son sort précaire empire de jour en jour. Dans les années 1780, la crispation des besoins est générale, économique, politique autant que sociale et culturelle. En avant scène de ce théâtre, sur les bancs des députés des Etats Généraux qui furent convoqués dans cette urgente nécessité d’un pouvoir aux abois, couvaient déjà les prémisses d’une inouïe turbulence. Dans l’exaspération générale et l’hallali des besoins impérieux, la Révolution Française s’annonçait indécise sous l’inédit d’un scénario tragique. Ces valeurs prônées par le siècle des Lumières, pressaient les attentes, bouleversaient les inquiètes revendications qui devaient bien s’imposer sous quelques formes, et à jamais marquer le futur de l’esprit d’une nation. C’est alors qu’un citoyen avocat issu de sa rurale province, résolument forgé à la doctrine des Oratoriens du Duché de Joyeuse, couvent de sa cité natale, voulut d’emblée imposer par les inflexions de sa verve tonitruante, les visées propres de sa conception révolutionnaire. Apostrophant dans une adresse l’assemblée houleuse qui siégeait à Versailles, ses allégations seront taxées d’hérésie et dénoncées âprement par le ci-devant Evêque de Clermont. Ce tribun formé dans l’enceinte des prétoires, qui exerçait la fonction d’avocat au parlement de Paris et devint juge de paix, fut l’archiviste et le vice-président du club des jacobins. Auteur contestataire et intempestif, d’une quinzaine d’ouvrages publiés, il signe le Catéchisme du genre Humain, édité dès avril 1789, trois mois avant le violent assaut populaire et la prise de la Bastille. Cet ouvrage d’une étonnante véhémence dénonçait tout uniment et sans complexe, la propriété, le mariage, et l’Institution pervertie par les sacrements d’une religion tout aussi spécieuse que chimérique.

Cet écrit fulminant d’une rare véhémence fut de même largement diffusé et répandu sur les bancs d’une Assemblée quelque peu stupéfaite par l’effet d’une telle arrogance ; ce qui tel un coup de semonce dressa soudain les protagonistes des différents ordres, confrontés dans un audit déjà très sulfureux. C’est ainsi que curieusement grand absent de nos manuels et de notre patrimoine historique, cet illustre inconnu qu’est devenu ce citoyen Boissel ressuscite à l’horizon d’une actualité contemporaine toujours conflictuelle, aussi tâchons d’en tester la vérédiction toujours révélée à ce jour. Le souvenir de ce singulier personnage, qui a joué un très grand rôle aux côtés de Saint-Just et Robespierre, fut depuis, récemment illustré par quelques publications, notamment par cet ami de rencontre Pierre Antoine Courouble qui lui consacra un bel hommage sous forme d’une pièce de Théâtre. Ce souvenir donc restauré par quelques passionnés en quête fiévreuse de Mémoire, fut exhumé de ce vaste dépôt de la Bibliothèque Nationale, quelque peu enfoui sous la poussière du temps, tel un testament qui, précoce pour cette époque, devait faire école chez tous ces précurseurs d’une dialectique matérialiste et de même à la « conspiration des égaux ». Aussi, penchons-nous dans un premier temps, sur l’extrait de l’ introduction à ces motions testamentaires de nature abrasive et plutôt décapante, qui dans l’entreprise hardie de ce citoyen BOISSEL, ce premier communiste en puissance de la Révolution comme le donnait à entendre Jean Jaurès lui-même, qui tentait par ses convictions singulières opiniâtres et résolues, de déstabiliser les opinions bien trop ancrées dans nos Institutions, car admises aveuglément sous l’asservissement des coutumes communes.

II/ Exposé en miroir du contrat social de Rousseau, des conceptions de Boissel sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (extraits du discours préliminaire du Catéchisme du Genre Humain )

Sur la cause de la division, de l’esclavage et de la destruction des hommes les uns par les autres, etc. Les hommes ni les femmes ne sont pas venus au monde avec la connaissance des règles sûres, ni pour s’éclairer, ni pour se conduire ; nous n’apportons tous, en naissant, qu’une perfectibilité à cultiver, qu’un égoïsme sans borne à dompter, et des passions qui, selon qu’elles sont bien ou mal dirigées, font le bonheur ou le malheur de notre vie. Car plus flatté de l’artificieux que du naturel, du charme de l’illusion que de la conviction du vrai ; moins satisfait dans le calme que dans l’agitation, guidé par ses penchants, sans autre lumière que les fantômes de son imagination, l’homme a pris et formé son pli, hors de la nature ; ce qui fait qu’il y a joué, qu’il y joue, et qu’il jouera sous toutes sortes de formes, de la bigarrure, d’illusions et de chimères, le rôle le plus ridicule, le plus extravagant et le plus misérable de tous les êtres, jusqu’à ce qu’il soit contraint d’y rentrer, de n’étudier qu’elle, et de ne suivre que ses leçons, sans aucun autre flambeau que celui de l’expérience.

L’égoïsme inné de l’homme se trouve à cause de sa misère réelle en contradiction radicale avec la perfectibilité tout aussi innée, qui elle tendrait essentiellement vers le bonheur commun de ses semblables. Contradiction interne de l’homme, ce qui revint à dire que l’histoire que voit Boissel pour critiquer l’ordre anti-social et aussi pour organiser les nouvelles sociétés, sont pour ainsi dire, une scène de la lutte que l’homme engage au sens de lui-même, contre lui-même. Il est ainsi convaincu que l’ordre anti-social et l’égoïsme de l’homme s’entretiennent l’un par l’autre pour s’imposer à tous les hommes. Cela est essentiel à sa vision morale de la société. Ainsi souligne-t-il, « l’ordre mercenaire, homicide et anti-social » auquel leur égoïsme les a tous assujettis et habitués, le précipite vers la déchéance, comme l’égoïsme anti-social que ces établissements (le mariage et la propriété) ont fait naître. Le social et le naturel se confondent, de là l’importance incomparable que donne Boissel à « l’éducation sociale de l’homme » pour réaliser son intention de le libérer de sa misère. « Si l’égoïsme de l’homme n’est point dompté par l’éducation » dit-il, « il en usera comme les chevaux, les lions, les tigres et les ours, qui n’auront pas été domptés, ni apprivoisés ». Il conclut : l’égoïsme de l’homme s’incarne dans son histoire sous forme de la propriété des terres, du mariage et de la religion.

Mais abordons dans le texte original de cet ouvrage révolutionnaire, l’index de ces notions très enclavées par la tradition : 1°/ de la propriété, 2°/ du mariage, 3° / de l’institution, 4°/ et de la religion. Mais dégageons également sa conception très singulière, un peu Rousseauiste, un peu Spinoziste, de l’Essence de la Nature dont l’expression très singulière, est d’après ce révolutionnaire citoyen, révélée implicitement et exclusivement chez la Femme, par le manifeste et l’authenticité de son entier dévouement, ainsi que sa tendresse viscérale dévolue aux bons soins de sa progéniture. Découvrons le propos de l’auteur sous forme de question-réponse tel qu’il nous est rapporté dans l’ouvrage.

La Propriété.

Q/- Qu’entendez-vous par la propriété

R/- Suivant les notions que les lois en donnent, c’est la liberté de disposer d’un privilège. Celui de jouir dans l’exclusivité d’un bien en privé, bannissant toute prérogative étrangère à soi-même.

Q/- Quels sont les objets sur lesquels les hommes ont établi ce droit de propriété ?

R/- Ce sont tous ceux desquels ils ont pu ou cru pouvoir s’emparer, comme les terres et les productions, les femmes, les hommes, la mer, les rivières, les fontaines, l’air, le ciel, les enfers et les dieux dont ils ont fait et font encore aujourd’hui, toutes sortes de profits et de commerce. Depuis qu’ils ont fabriqué des espèces d’or et d’argent, auxquelles ils ont attaché tant de valeur, qu’on peut acheter avec ces espèces tous les objets que l’ont vient de nommer.

Q/- En vertu de quel titre les hommes s’approprient-ils toutes ces choses ?

R/- De leur avidité naturelle, de leur égoïsme, de leurs désirs insatiables, de leur orgueil, de leur violence et de leurs impostures, dont il aurait fallu se garantir.

Q/- Les hommes se sont-ils bien trouvés de ces arrangements ?

R/- Au contraire, ils en ont été bien punis puisque, depuis et à cause de ces arrangements, ils n’ont cessé de se diviser, de se disputer, de se molester, de se dégrader, de se nuire, de s’armer et de se détruire les uns par les autres. Tous les vices, toutes les bassesses, tous les désordres, toutes les misères, qui traînent après eux l’égoïsme sous toutes ses formes des plus forts, et le stupide aveuglement des plus faibles, ainsi que cela se pratique encore aujourd’hui.

Le mariage.

Q/- Qu’entendez-vous par les mariages ?

R/- J’entends les règles, les cérémonies et toutes les moralités que les hommes ont inventées, dans les différents climats, pour l’union des deux sexes.

Q/- Quels en sont les inconvénients ?

R/- Ils en sont plus ou moins désastreux, selon que les sociétés humaines se sont plus ou moins écartées des règles établies par la nature, pour la conjonction du mâle et de la femelle, chez les animaux vivant en société.

Q/- Pourquoi les hommes se sont-ils écartés de ces règles ?

R/- C’est que les hommes, après s’être approprié et partagé la terre, ont imaginé de s’approprier et de se partager aussi les femmes, afin d’avoir des enfants à eux appartenant, pour succéder à leurs projets. Ainsi la paternité, qui a été une suite nécessaire du mariage, ou du partage des femmes, est devenu un titre et la cause d’un égoïsme sans borne, par l’intérêt désastreux et homicide, fondé sur l’intérêt naturel d’un père pour ses enfants et sa famille, de sacrifier l’univers, si faire se pouvait, à la folle et aveugle ambition de s’emparer de tout, pour le transmettre à ses enfants et à sa postérité la plus reculée.

En un mot les mariages n’ont été et ne sont encore aujourd’hui, qu’un attentat des plus formels à la liberté, surtout de la femme, qu’un divorce avec le reste du genre humain, et qu’une ligue redoutable contre ses semblables. C’est que les femmes vivaient sous l’esclavage et sous la tyrannie des hommes.

De la Religion dans sa collusion avec L’Institution.

Q/- Qu’entendez-vous par Religion ?

R/- J’entends exprimer les moyens qui ont été employés, et les institutions originairement par les esprits forts, pour commander aux esprits faibles, au nom de la divinité qu’ils ont fabriquée et fait parler comme ils ont voulu.

Q/- Quels sont ces moyens ?

R/- Ce sont les mêmes que ceux que nous appelons magiciens, sorciers, charlatans, escamoteurs, ont employés pour se faire valoir auprès de la multitude plus ignorante, plus grossière et plus crédule, dans les premiers temps, qu’aujourd’hui que la physique, la chimie et les mathématiques nous ont acquis plus d’expérience et de lumière.

Q/- Quelles sont ces institutions ?

R/- Premièrement, pour s’emparer du cœur et de l’esprit des propriétaires les plus opulents, les plus forts et les plus féroces, par tout ce qui pouvait flatter davantage leur égoïsme, ils en ont fait des dieux, et érigé en vertus sublimes tous les actes par lesquels ils avaient asservi, dégradé, accablé, massacré les plus laborieux et les plus paisibles.

Secondement, ils ont institué le dieu de la guerre ou des armées, et érigé en vertus sublimes ou héroïsme, tous les actes de violence et de fureur , par lesquels les peuples se massacraient les uns par les autres, en se tenant toujours derrière le rideau et hors des dangers, afin de jouir plus facilement des femmes, par l’absence ou la mort de la plus belle jeunesse, et de se partager les dépouilles des vainqueurs et des vaincus, dont on s’empressait de venir faire hommage à leurs dieux.

Troisièmement, pour contenir la férocité des propriétaires, de leurs enfants et des familles d’un ordre inférieur, ils ont institués les dieux des enfers, avec des récompenses éternelles pour les bons, et des châtiments éternels pour les méchants. Quant au ciel, dont ils ont fait la demeure des dieux, ils en ont gardé les places pour les personnages qu’ils avaient le plus d’intérêt de se ménager et de se concilier ; comme étaient ceux qui s’étaient emparé du droit de commander aux plus faibles, ou en faveur desquels ils en avaient, eux-mêmes, institué le pouvoir, afin de maintenir leurs désastreuses institutions, sans en avoir ni les soucis, ni les peines, ni l’embarras, ni les dangers.

Telles sont les principales institutions de toutes les religions, tant anciennes que modernes, qui ont rendu sacré le droit de propriété et du mariage ; de façon qu’il n’est permis plus d’offenser, de censurer, ni par parole, ni par action, ni par omission, l’ordre mercenaire, homicide et anti-social qui gouverne aujourd’hui les peuples les plus éclairés, ni de murmurer contre les lois établies pour son maintien, sans se rendre coupable de crime de lèse-majesté divine et humaine, d’être condamné à brûler éternellement dans les enfers de l’autre monde, après avoir été brûlé tout vif, ou marqué, ou fouetté, ou pendu, ou empalé, ou rompu vif dans les enfers et par les diables de ce monde-ci que cet ordre monstrueux n’a pu qu’engendrer.

Q/- Quels sont les inconvénients des religions ?

R/- Oui, on dit cependant que la religion catholique enseigne et commande l’exercice et la pratique des vertus les plus capables d’opérer la paix et le bonheur des hommes, mais si les ministres du fanatisme ont adopté ces maximes de sagesse et de la plus saine morale, qu’ils nous prêchent sans la pratiquer, ce ne peut être que pour dorer le poignard qu’ils ont mis dans les mains, par l’établissement de l’ordre mercenaire, homicide et anti-social, qu’ils ont rendu sacré, lequel ordre établit le plus vif intérêt de nous dégrader, de nous massacrer et de nous détruire les uns par les autres. L’inconvénient majeur c’est d’avoir fait un monstre de la divinité, sur la base des chimères, de monstruosités qui les ont armé et fait détruire les uns par les autres.

Transposons maintenant sur le registre d’une vulgate plus familière à l’esprit de l’ analyse, comme l’entend l’intitulé en tête de ces quelques réflexions, les signifiants du champ dégagé par ces considérations qui paraissent à première vue pour le moins subversives et intempestives !

III/ Re-lecture de l’œuvre de Boissel dans la perspective de la psychanalyse.

L’Institution que déplore Boissel, sacralise cet état de faits désastreux, par la récompense, le mérite (sic), le mémorial et la distinction honorifique de cet ordre « mercenaire, homicide et anti-social ». Or ne constatons-nous pas en effet, que de nos jours encore et plus que jamais, que c’est la forme juridique privilégiée par le libéralisme qui voit l’épanouissement de la libre entreprise fondée sur le libre vouloir de chacun ? Lacan disait que l’idée de liberté était un délire du moi. Ce n’était pas pour lui, nier la part du sujet, comme en atteste ses nombreuses réflexions sur le choix, le pari, l’acte. C’était pour souligner que l’idéologie de la liberté avait partie liée au délire narcissique du Moi.

Crime freudien et droit.

Si on a longtemps accusé Freud de pessimisme on est plutôt aujourd’hui enclin à célébrer sa fulgurante lucidité après les génocides du « terrible XXe siècle ». Depuis, Lacan s’est fait l’interprète de ces phénomènes avec son grand talent, lui qui s’est efforcé de dégager plus particulièrement la logique symbolique de la subjectivation anthropologique, que constituent certes les notions parlantes, un peu paraboliques, d’une topique d’essence mythologique chez Freud, je veux citer celles élaborées notamment, dans « Totem et tabou » et le « Complexe d’Œdipe ». A ce titre, Lacan, n’a pas été moins clairvoyant, lui qui a établit un lien logique entre discours de la science au temps du capitalisme et ségrégations généralisée des différences, notamment sous les effets néfastes du fétichisme de ce consumérisme aggravé. L’un et l’autre ont eu le courage de la vérité en se tenant à la hauteur d’une pratique, celle de la cure, qui confronte nécessairement au pire de l’homme, se refusant opiniâtrement à choisir dans sa parole la tendance réconfortante au bien. La règle fondamentale de la cure qui invite à « dire tout ce qui passe par la tête », expose en effet, à entendre ce à quoi d’ordinaire on reste sourd.

« L’homme est un Loup pour l’Homme », chez Boissel. L’Homme est aussi un Loup pour Lui-même chez Freud. C’est lors ces considérations, qu’apparaît inéluctablement, sous le masque civilisé, cette figure que Freud a dit être le cœur de l’homme, et vers quoi il glisserait fatalement s’il suivait sa propre pente qui est « de satisfaire son besoin d’agression aux dépends de son prochain, d’exploiter son travail sans ménagements, de s’approprier ses biens, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer ». Dans certaines circonstances, le masque tombe et libère la « bête sauvage » que chacun recèle en lui-même. Ce n’est que sous les effets de la contrainte organisée par les hommes, pour contenir en chacun et en tous, l’empire de la pulsion, afin de simplement pouvoir vivre ensemble. D’où le « Malaise dans la Civilisation, - PUF 1971- inéliminable car atavique, et comme tel sans cesse alimenté par l’émergence du désir. Aussi tout naturellement nous essayons d’aborder l’esquisse pragmatique et analytique de ce phénomène du désir tel qu’il s’inscrit dans les échanges humains, dans l’impérieuse nécessité de l’échange et sous cette incidence foncière du lien à l’Autre.

« Cet obscur objet du désir. »

Il n’est pas seulement difficile de saisir l’objet de notre amour ou de notre désir, car l’objet structure et donne l’illusion de la complétude dans la privation, et il n’est d’objet que sur fond de manque. Pour Lacan le sujet ne se lance à sa recherche que du fait d’un manque premier. C’est ce manque en tant que tel qui constitue le ressort propre, l’efficace de l’objet. Mais il y a nécessairement un au-delà de la demande, car le manque - qui nous l’avons dit est le propre de l’objet - prend valeur dans le lien à l’Autre. Tout objet prend valeur d’échange à l’intérieur d’une logique du « Don » comme l’avait montré Marcel Mauss dans son essai d’ethnologie générale. - Cela ne(me) convient pas, cela ne (te) convient pas ; ce don est-il vraiment ce que tu veux ? Est-ce bien là ce que tu désires ? Le « désir » c’est cette question qui interroge ce que l’autre « veut » au-delà de ce qu’il montre, au-delà de ce qu’il dit, ou plutôt dans ses mots mêmes, mais comment savoir vraiment ce qu’ils signifient ? Cette énigme est celle du désir de l’Autre (avec un grand A chez Lacan précisément pour souligner cette énigme) et c’est elle qui va orienter la quête de l’Objet. La quête du manque, dans le symbole de cette instance phallique aux dépens des effets de l’apparente castration. C’est là le manifeste flagrant de l’objet du désir qui s’inscrit nécessairement dans la relation à l’Autre. Ce que traduit Lacan qui définit sa proposition par cette analyse« l’Inconscient c’est le discours de l’Autre ». D’ailleurs nous fait-il remarquer que l’observation des plus jeunes enfants montre que les objets n’ont un attrait irrésistible pour eux, dans la mesure de l’intérêt qu’y porte autrui. Ces mêmes objets sont dès lors délaissés dès que l’autre n’y fait plus cas. Ainsi ce n’est pas l’objet en tant que tel qui est désirable, c’est l’objet du désir de l’Autre. Ce désir en tant qu’énigme, c’est ce qui donne statut à l’Autre, comme tel.

L’objet, la jouissance, le réel.

Ce phénomène de logique première, dans cette dialectique qui met en évidence l’intersubjectivité qui se joue entre Sujet et Objet dans ce phénomène princeps d’une jouissance et du désir. Car notons le bien, c’est là l’aspect névralgique de ce problème qui démange tant l’humeur ulcérée d Boissel, lui, nous l’avons déjà noté, s’acharne plus souvent sur l’égoïsme foncier de l’Homme. Rapportons u ci nommé citoyen Boissel et qui cause problème dans cet ordre « mercenaire, homicide et anti-social ». Car dans ce nœud Borroméen, qui traduit à merveille dans sa topologie, la lucidité de ce concept Lacanien, qui définit que « l’image de Soi est avant tout tributaire de la place symbolique que l’on occupe dans l’Autre ». Le Réel, le Symbolique et l’ Imaginaire (R.S.I.) s’entrelacent, de telle sorte que l’un des fils ne peut être séparé sans rompre l’ensemble. en défaisant le nœud. Ce qui déchaîne un syndrome autiste et psychotique notamment chez l’enfant. Aussi voyons comment Lacan dans sa subtile analyse démêle l’observation que nous rapporte Saint Augustin en personne.

C’est ainsi que pour illustrer cette distinction nous nous appuierons sur ce récit extrait des « confessions » de Saint Augustin, maintes fois commenté par Lacan. La scène est la suivante : « J’ai vu de mes yeux et j’ai bien connu un tout petit en proie à la jalousie. Il ne parlait pas encore, et déjà il contemplait, tout pâle et d’un regard empoisonné son frère de lait ». Remarquable de concision, ce tableau répartit différents éléments : un sujet dont la pâleur signe l’affect, un semblable (un frère) et un objet, le sein, que donne un Autre (la mère ou la nourrice). Ajoutons le regard « empoisonné », qui est celui du sujet. La jalousie, selon l’interprétation d’Augustin, est causée par le spectacle d’un autre enfant jouissant de ce que lui donne sa mère.

On ne peut réduire ce récit à la manifestation de l’agressivité inhérente à la relation imaginaire entre « frères de lait ». Car il n’y a pas ici seulement deux protagonistes, il y a un troisième terme, qui est l’enjeu de la violence fratricide. Au-delà de la rivalité mortifère du miroir (c’est lui ou c’est moi), il y a un objet dont la possession rend le couple asymétrique, puisque l’un se sent privé de ce que l’autre possède. A travers le spectacle qui inclut l’autre « naît la première appréhension de l’objet en tant que le sujet en est privé ».

La dimension imaginaire est ici prévalente, car c’est l’image de l’autre qui permet au sujet de le supposer satisfait, il semble ne faire qu’un avec le sein donné par la mère. C’est une satisfaction imaginaire qui se fie exclusivement aux apparences, c’est de ce qu’il voit qu’il tient sa certitude. Et c’est le spectacle de la complétude imaginaire dont le sujet se sent exclu qui produit un objet, dont la possession est supposée apporter la satisfaction.

Cette scène a une dimension structurale que l’on peut repérer dans le lien social. On la retrouve, par exemple, au principe de nombreuses campagnes publicitaires dont le scénario présente un semblable(quelqu’un dans lequel le spectateur se reconnaît), comblé par un objet qui peut être acheté. La publicité réussit à montrer au sujet ce qui lui manque, en lui offrant le spectacle d’un autre dont le monde semble littéralement enchanté par la simple possession d’un paquet de lessive. La niaiserie du propos n’empêche pas son efficace logique, qu’atteste la répétition du procédé : un seul objet a le pouvoir magique de réaliser la plénitude de la satisfaction (le paradis d’une vie comblée), du simple fait que l’image d’un autre en témoigne. Bien évidemment cela ne marche pas, et la complétude promise ne sera pas au rendez-vous, mais il n’empêche que, pour un temps, le spectateur aura pu croire, par la seule vertu de la scène, que l’objet n’était pas à l’avance irrémédiablement voué à décevoir son attente.

La valeur structurante de la scène décrite par Saint Augustin tient au fait qu’à travers son opération, le sujet se sent désormais affecté d’un manque à cause d’un semblable, par le simple spectacle de la complétude qu’il montre. Si c’est structurellement que l’objet est affecté d’un manque, par cette opération le voici causé par un autre qui en prive le sujet. Alors que je ne parviens jamais à trouver un objet qui puisse combler mon désir, voici qu’un autre se présente repu, comblé parce que nanti, qu’il me nargue de sa jouissance.

Me voici dans un lien social, dans un lien à l’autre potentiellement destructeur car il ne vise pas tant l’objet que la satisfaction qu’il est supposé procurer. C’est pourquoi Lacan rectifie Saint Augustin et parle non pas de jalousie mais d’envie, mot qui vient du latin invidia et dérive de videre , regarder. L’objet de l’envie s’avère fondamentalement décevant et inconsistant, car ce n’est pas l’objet qui est en cause mais la jouissance qu’il est supposé apporter à l’autre. Plus qu’un désir de posséder, c’est de la haine de l’autre en tant qu’il semble jouir qu’il s’agit. Haine qui porte sur la jouissance de l’autre, sa jalouissance selon le néologisme forgé par Lacan. Jalousie de la jouissance supposée chez l’autre, mais aussi jouissance de cette jalousie, dont on pressent qu’elle a une dimension mortifère, une dimension a-sociale. Il peut y avoir une haine tenace qui prend pour cible l’autre en tant qu’il jouirait, et cette haine est elle même jouissance à laquelle le sujet entend ne pas renoncer. La récrimination à l’encontre d’autrui qui jouit de quelque chose dont le sujet se sent privé comporte un plaisir en excès qui semble se nourrir de sa propre insatisfaction.

IV/ La loi, l’éthique et le politique : Quelle conclusion ?

« Cette grande conquête culturelle serait donc la récompense d’un renoncement pulsionnel », écrit Freud en 1930 dans Malaise dans la Culture . De cette nature psychique, cette Loi naturelle qui devait s’imposer aux yeux du citoyen Boissel, est avant tout, constitutive d’une logique symbolique du fantasme dans l’anthropologie structurale, avérée dans la jouissance paroxystique dans ses effets subjectifs qui nous l’avons vu définie par Lacan, échappe de façon radicale au lien social, car toute entière vouée à la jouissance du corps, en se réclamant exclusivement particulière et privée, de par l’objet qui n’est qu’un besoin fictif, souvent imaginaire et fantasmatique, rencontre néanmoins l’autre, paradoxe notoire, comme obstacle. Ainsi si d’un côté la jouissance est ce qui échappe au lien social, qui s’enkyste dans un égoïsme intime, mieux solipsiste, elle se révèle envers et contre tout bon sens, pourtant ce qui constitue et se nourrit de ce lien à l’autre. Dans cette envie non satisfaite qui génère ce phénomène où transite notre profond mépris de l’Autre, dans cette satisfaction béate que l’on croit discerner chez lui et dont on se sent cruellement privée, voire même dépossédé par lui. « L’enfer c’est les Autres » en quelque sorte. C’est l’amour de la vérité qui a conduit Freud et Lacan à affronter cette part monstrueuse, cette part maudite, cette dé-pense que stigmatise Georges Bataille, cet attrait terrifiant de l’homme pour la jouissance. L’histoire récente en vérifie la justesse jusqu’à la nausée.

Quelles conclusions peut-on tirer sur la valeur d’une Ethique politique si controversée dans l’opinion révolutionnaire du citoyen Boissel, ce visionnaire qui en pressentait étrangement toute l’ambiguïté préjudiciable, et dont une approche analytique nous dévoile la vraie problématique dans sa théorie et sa pratique ?

C’est Alors que la question qui en découle, et ce un peu en regard même des thèses très intuitives de cet honoré citoyen Boissel qui le dénonce avec véhémence et conviction, inlassablement dans son Catéchisme du Genre Humain se résume à ceci : S’il s’agit de faire face à cette part maudite de la jouissance, est-il sain de s’en tenir dans l’exclusivité à une éthique des biens qui n’a de cesse de la dénier ? Est-il concevable que la psychanalyse qui nous en révèle les pièges mortels en reste à cette philosophie classique depuis Aristote, selon laquelle l’homme recherche ce qui est le bien reconnu de tous, ou encore – version utilitaire – ce qui est bien pour son usage optimisé. Or, s’il y a effectivement un « au-delà du principe de plaisir », si le sujet ne vise pas seulement son bien au sens de l’idéal partageable, c’est-à-dire si sa vie peut se trouver orientée par un mouvement foncièrement a-social, foncièrement hostile pour l’Autre, alors une pratique qui tente de situer au plus près de la vérité devrait pour sûr se soutenir d’une autre éthique, une éthique de la psychanalyse. Quand l’Utopie n’est pas à bout d’arguments… Ou comment donner raison de la déraison ?

Maurice Castello. Juin 2007.

Entre-vues et réflexions croisées au carrefour de la psychanalyse, suite à la lecture du « Catéchisme du genre humain » du citoyen François Boissel publié en Avril 1789. Article paru dans le site psychasoc - Institut Européen de Psychanalyse et de travail Social.

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