MONOGRAPHIE POUR LA CERTIFICATION DE SUPERVISEUR
D’EQUIPES DE TRAVAILLEURS SOCIAUX
Sous la Direction de Joseph ROUZEL
INSTITUT EUROPEEN PSYCHANALYSE ET TRAVAIL SOCIAL
Grand Rue Jean Moulin
34000 MONTPELLIER
« UN PEU DE SERIEUX, S’IL-VOUS-PLAÎT »
S. DALI
Le Chemin de l’Enigme (1981)
Nicole BARRÉ
PROMOTION IX
2009-2010
Je ne peux conformer ma vie à des modèles, ni ne pourrai jamais constituer un modèle pour qui que ce soit, il est tout à fait certain en revanche que je dirigerai ma vie selon ce que je suis, advienne que pourra.
En agissant ainsi, je ne défends aucun principe, mais quelque chose de bien plus merveilleux, quelque chose qui est en nous, qui brûle du feu de la vie, qui exulte et cherche à s’échapper…
EXTRAIT de « Lettre à Gillot »
De Lou ANDREAS-SALOMÉ
In « La Sagesse d’une Psychologue »
« Pensez une histoire, écrivez une histoire, trouvez-en l’énigme », nous suggérait Joseph ROUZEL, lors de premières semaines de formation.
Des histoires, j’avais l’impression d’en avoir plein la tête : une histoire passée ? Une histoire à venir ? Quelle histoire ? L’histoire des autres ? L’histoire d’un Autre ? Mon histoire ? C’est peut-être toujours la même d’ailleurs.
Pendant les deux premières semaines de formation, ce signifiant « histoire » m’a obsédée d’autant plus qu’il faisait sans cesse écho à une autre demande – celle du Petit Prince :
« S’il-te-plaît, dessine-moi un mouton. »
Comme l’aviateur, directrice perdue au sein d’un groupe de stagiaires particuliers, en fin de carrière
« quelque chose s’était cassé dans mon moteur »
, et je me sentais « isolée comme un naufragé sur l’océan, à mille miles de toute région habitée… »
Je m’appliquais à dessiner avec des mots mon « histoire-mouton », bien construite, la plus réelle possible avec la laine des mots, les yeux brillants de la syntaxe, la finesse du sabot de l’écriture mais je savais que mon récit ne conviendrait pas.
•« Celui-ci est déjà trop malade… »
•« Celui-ci est trop vieux, il faut qu’il vive longtemps… »
Je sentais confusément que toutes les histoires que j’élaborais n’auraient pas fait l’affaire « ni faites ni à faire » mais histoire solide, histoire à fer…
Parce que l’important, et c’est d’ailleurs ce qui va ravir Le Petit Prince, c’était plus la caisse où j’allais déposer l’énigme de mon histoire, dessiner la cage, le laisser imaginer son propre mouton, à condition que cette caisse soit assez grande pour y mettre de la nourriture – nourris-tu ? Et percée de trois trous afin de laisser circuler de vitales bouffées d’air ; les escales à Montpellier auront eu ce souffle bénéfique qui m’ont ressourcée, bouffées d’oxygène salutaires à l’issue de ce parcours professionnel dense avec toutefois une certaine amertume en fin de course : les fers s’usent...
Le Petit Prince avait « pris au « sérieux » des mots sans importance et il était très malheureux » . Des mots ? Quels maux ?
Antoine de Saint-Exupéry ne disait-il pas qu’il voyait son avion comme « un instrument d’analyse » ?...
En 2008, la retraite approchant après (x) années de « bons et loyaux services » comme le signifie l’Administration, je souhaite poser un acte, à la fois pour clore quelque chose mais aussi comme un tremplin m’aidant à repartir vers d’autres horizons.
Déjà, depuis quelques temps, j’avais le projet d’utiliser le temps « vide » de la retraite pour me lancer dans l’écriture : un livre de souvenirs singuliers, sorte de « testament pédagogique » sur ma pratique, j’avais conscience aussi comme le chantait Jean FERRAT que :
« Sans que je puisse m’en défaire
Le temps met ses jambes à mon cou… »
Je ne voulais pas, je ne veux pas que de l’éventualité de la retraite s’installe une sorte de « morte saison » comme le constate Francis CABREL :
« C’est le silence
Qui se remarque le plus
Les volets roulants tous descendus
De l’herbe ancienne
Dans les bacs à fleurs
Sur les balcons
On doit être hors saison. »
Or, sait-on ?
Francis CABREL, Partition de « HORS SAISON »
Il est temps : « Il faut y mettre les mains… »
Participant depuis de longues années à des jurys d’examen pour l’obtention du diplôme d’Educateur Spécialisé, j’ai rencontré Joseph ROUZEL dans ce contexte : la lecture des mémoires des candidats…
Outre la lecture de ses écrits, ma curiosité personnelle a fait qu’il me tardait comme l’on dit de « rencontrer le bonhomme ».
Ce désir d’échanges avec Joseph ROUZEL, l’envie de transmettre -un tant soit peu- mon expérience, à savoir la clinique prenant en compte la subjectivité des personnes en difficulté et en souffrance, un exercice budgétaire 2008 fort excédentaire (permettant le financement d’une formation) furent les déterminants de mon inscription à PSYCHASOC, mais :
« Derrière les causes avouées de nos actes, il y a sans doute des causes secrètes que nous n’avouons pas mais derrière ces causes secrètes, il y en a de beaucoup plus secrètes encore puisque nous les ignorons… »
.
Le devoir d’écrire une monographie n’était-il pas un clin d’œil à mon désir d’écrire « mes mémoires » ?
« Chacun de nous a son histoire,
Et dans notre cœur à l’affût
Le va-et-vient de la mémoire
Ouvre et déchire ce qu’il fut… »
Le nombre d’écrits, de projets, de comptes-rendus, de rapports, de notes de synthèses, etc… que j’ai pu fournir ne m’a jamais beaucoup angoissée mais ici, il s’agit d’autre chose parce que, comme l’exprime Marguerite DUMAS :
« Ecrire, c’est l’inconnu qu’on porte en soi »…
Pour réaliser ce travail, sorte de gestation ou de gesticulation, j’ai beaucoup lu bien sûr, de nouveaux ouvrages, mais aussi relu, discuté, échangé et surtout écouté autrement, tenant compte que :
« Ce que cette structure de la chaîne signifiante découvre, c’est la possibilité que j’ai, justement dans la mesure où sa langue m’est commune avec d’autres sujets, c’est-à-dire cette langue existe, de m’en servir pour signifier
tout autre chose
que ce qu’elle dit. Fonction plus digne d’être soulignée dans la parole que celle de déguiser la pensée (le plus souvent indéfinissable) du Sujet : à savoir celle d’indiquer
la Place du Sujet
(c’est moi qui souligne) dans la recherche du vrai »
.
Longue gestation où j’avais aussi besoin de musique, de chansons, de poésie dont des extraits jalonneront mon écrit, reflets parallèles à ma réflexion. Peut-être conviendrait-il de les chanter ? Je ne sais où sera leur place dans la présentation, « présents » à tous ?
Ecoutez l’histoire
C’est au cours d’un temps d’instance clinique, en ce beau jour du mardi 9 septembre 2009, que tout arriva…
J’avais accepté de jouer le rôle de superviseur, en prenant la place -à savoir la chaise- réservée habituellement à Joseph ROUZEL : il convient d’endosser symboliquement la fonction tout de même…
J’énonce la question rituelle : « Qui veut raconter une histoire ? »
« Le Souffle des Marquises » : quatuor féminin sous la Direction de Jean-Charles RICHARD
Evelyne prend la parole :
« Il s’agit d’une jeune femme que je reçois en entretien. Après un séjour au Maroc où elle devait rencontrer sa famille, elle rentre en m’offrant des cadeaux : une robe et une paire de chaussures… »
Evelyne exprime son embarras : c’est un cadeau trop personnalisé, elle est gênée…
Lors du deuxième temps de l’instance clinique, les questions fusent autour de la féminité, de la place de la femme, de la taille des chaussures ou de la robe…
Des fous-rires-les fous rirent s’installent qui me laissent pantoise… Que faire ? Moi, ayant une fonction de directrice, je ne contrôle plus rien…
Je m’entends énoncer d’une voix autoritaire et sèche :
« Mesdames, Messieurs, un peu de sérieux, s’il-vous-plaît ! »
Cette parole fait effet d’un coup de poing sur la table : point d’arrêt, silence puis les échanges reprennent…
La séance s’achève mais me laisse très déstabilisée, d’autant plus que lors du troisième temps, Joseph ROUZEL fait remarquer que pour calmer cette hilarité, j’avais adopté la place du Maître, que Sophie m’énonce qu’elle s’était calmée subitement parce que mon propos l’avait sidérée, avait fait point d’arrêt à son délire - des rires…
L’ENIGME
Cette séquence m’a -comme on dit familièrement- « pris la tête » :
•Pourquoi suis-je aussi troublée ?
•Pourquoi ai-je adopté spontanément cette fonction de « père fouettard », cette position d’autorité ?
•Est-ce le contenu de l’histoire qui m’a interpellée : la rigolade autour des attributs féminins ?
Illustration : Maquette du livre de François LELOND : « Les Contes d’un Psychiatre ordinaire, Editions Odile JACOB
•Est-ce la remarque de Joseph ROUZEL ? de Sophie ?
•Est-ce le manque de sérieux des collègues ?
•Est-ce le malaise que cette histoire avait déclenché dans le groupe : malaise se traduisant par ces fous-rires incontrôlables ?
•Avais-je bien défini le cadre qui « permet de traiter tout manquement ou dérapage en terme d’acting-out » ?
•La place du maître est-elle la place du superviseur ? Et l’extériorité du superviseur ?
•Mon intervention dans le deuxième temps de l’instance clinique ne risquait-elle pas de pervertir les retours de chacun des membres du groupe ?
•Qu’en est-il du maniement du transfert dans cette situation ?
Ces questionnements m’ont « parasitée » durant cette semaine de stage, je me sentais moins disponible, d’autant plus qu’une petite phrase de Marie-Noël (au restaurant) : « Pourquoi défends-tu toujours les directeurs ? » avait fait écho à certaines de mes questions.
Retour en région parisienne avec ma valise pleine de points d’interrogation dans l’après-coup de cette séance…
Dans les établissements que je dirige, les options théoriques du projet institutionnel sont en référence à la psychanalyse, les instances d’élaboration en équipe fonctionnent, permettant aux uns ou aux autres de travailler sur la relation à l’enfant-non « usagé » ; sur la prise en compte de la nécessaire distance à établir, sur le partage des hypothèses de travail, sachant cependant combien il faut être humble dans ce domaine.
Sensibilisée à cette pratique, il n’en demeure pas moins que ce « travail sur soi » s’inscrit autrement et d’ailleurs, il n’est pas question que l’Autre ment.
COMPRENDRE L’ENIGME ?
Puisque, selon Lacan, « l’inconscient est structuré comme un langage », j’ai essayé de dégager les signifiants-maîtres de cette séance, maîtres (comme le discours) dans le sens où ils me renvoyaient à des questions subjectives qui m’ont toujours taraudée - t’as rôdé où ?
•La place ; la fonction ; le rôle ; le sérieux ;
•La femme ; la féminité ; le féminisme ;
•l’autorité ; le pouvoir ; la décision.
Questions subjectives que je vais tenter d’aborder dans ce travail dans la mesure où elles sont le fil rouge de mes réflexions, de ma position de sujet : elles s’enchevêtrent, se tressent, se défont, se cognent, sorte d’énigme comme :
« L’énigme, c’est quelque chose qui me presse de répondre au titre d’un danger mortel ».
Aînée d’une famille de cinq enfants (dont deux décédés), ma place me fut signifiée très tôt : « tu es l’aînée, tu es la plus grande, tu dois montrer l’exemple, il faut que tu sois sérieuse… »
« Papa, il a une grosse voix
Tu crois qu’on saura parler comme ça ?
J’en sais rien, viens donne-moi la main.
Tu crois qu’il nous aime ? … »
Qu’est-ce qu’une place ?
«Sur la place où tout est tranquille
Une fille s’est mise à chanter
Et son chant plane sur la ville
Hymne d’amour et de bonté
Mais sur la ville il fait trop chaud
Et, pour ne point entendre son chant
Les hommes ferment les carreaux
Comme une porte entre morts et vivants »
Issu du latin populaire, « PLATTEA » signifiait « rue large ». Ce mot apparaît à la fin du XIème siècle, le dictionnaire le définit comme :
« espace, endroit occupé par une chose, une personne ».
Pour montrer combien la notion de place imprègne nos propos, la langue française, par de nombreux proverbes et adages populaires, fait preuve d’imagination débordante et cela me va bien.
Si la psychanalyse est « une pratique de bavardage » , amusons-nous :
•De place en place : j’en ai occupé plusieurs
•Sur place : je préfère me déplacer, me transférer
•Ne pas tenir en place : cela m’arrive parfois
•Ranger quelque chose à sa place : j’applique cela trop souvent, me renvoie mon entourage
•Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place : j’entends encore ma grand-mère…
•
« Mémé, elle rit souvent
Tu crois qu’elle est toujours contente ?
J’en sais rien, viens donne-moi la main… »
•Gain de place : toujours mon côté obsessionnel
•Prendre place : oui, s’installer mais pas s’enkyster
•Sur la place publique : aux yeux de tous : oui, j’assume
•Avoir du crédit sur la place : cela m’arrive parfois
•Les places fortes et les places d’armes : je n’apprécie guère même s’il faut souvent résister
•Occuper la place d’honneur : pour quoi faire ?
•Ne donner sa place pour rien au monde : bien évidemment, sinon où serais-je ?
•Être en place : position sociale mais qui peut être précaire
•La place des mots dans la phrase : est-elle immuable ?
« Belle marquise, vos beaux yeux… »
•Perdre sa place : le drame pour un être humain
•Les grands’places des villes : où je me sens bien : la Bastille, la Nation, points de départs ou d’arrivées des cortèges des mécontents
•La Place de la Comédie à Montpellier, théâtre de mes cogitations ou de dégustation de tapas…
•La Place « Stare Orloj » à Prague où plane l’ombre de Mozart et toutes les autres, lieux de rencontres, d’échanges, de solitude aussi :
« On s’est connus
On s’est reconnus
On s’est perdus de vue
On s’est r’perdus de vue
On s’est retrouvés
On s’est réchauffés
Puis on s’est séparés
Chacun est reparti dans le tourbillon de la vie… ».
« Un peu de sérieux, s’il-vous-plaît ».
Oui, un peu de sérieux, au-delà de la jubilation des jeux de mots, bilons-nous un peu.
Pourquoi ce malaise dès qu’il s’agit d’occuper -ou non- la place, d’avoir ou non une place.
Je suis toujours très gênée si je reçois quelqu’un, de lui dire : « prenez place ! » Est-ce moi qui le positionne quelque part, à un endroit que je choisis ou lui qui prend place, sa place ?
Dans un dîner, quand les convives sont placés autoritairement, parfois « étiquetés » à leur place selon telle ou telle convenance, l’insatisfaction souvent s’installe.
Dans les institutions, cette notion de place est récurrente tant au niveau des enfants que des professionnels.
J’observe, inquiète, certains jeunes de l’ITEP qui passent leur temps à courir autour de l’établissement, incapables de se poser, de trouver une place, interpellant bruyamment les uns et les autres pour leur signifier qu’ils existent : c’est alors tout un travail institutionnel de « décodage », essayer de comprendre ce que cet enfant ne peut pas dire mais nous montre avec son corps.
« J’ai pas trouvé les mots pour expliquer l’inexplicable
J’ai pas trouvé les mots pour consoler l’inconsolable…
J’ai pas les phrases-miracle qui pourraient soulager ta peine
Aucune formule magique, parmi ces mots qui saignent
Je n’ai trouvé que ma présence pour t’aider à souffrir… »
Illustration : Affiche pour le spectacle « BABEL France » de la Compagnie FLASH MARIONNETTES
Je pense à A., pré-adolescente refusant systématiquement toutes les propositions scolaires. A. grandissant, l’inquiétude des éducateurs croissait, craignant une éventuelle débilisation de cette jeune fille, pourtant performante. Un beau matin - l’était-il vraiment ? – pour moi certainement A. vient me trouver : « J’ai toujours ma place à l’école ? » A ma réponse positive, A. est retournée en classe : elle a appris à lire en 6 mois. Que s’est-il passé ? Malgré toutes les hypothèses, c’est elle qui a décidé de sa place d’écolière et s’y est tenue, peut-être parce que son non-désir d’être élève avait été entendu : « je ne suis pas prête, c’est trop tôt » répétait-elle souvent, cette attente fut un temps d’élaboration qui lui permit de construire autre chose que de se conformer à ce que nous aurions pu attendre d’elle ?
Cette démarche d’élaboration des éducateurs leur a permis « de mettre à distance ce qui les affecte dans la relation engagée que ce soit avec les usagers ou dans l’équipe elle-même ».
Quelles auraient été les conséquences si A. avait été mise à la place d’élève sans qu’elle le désire ?
C’est pour avoir été, dans mon enfance, désignée à une place que je ne voulais pas, que cette question me fait réagir, voire me rebeller.
Plutôt bonne élève à l’Ecole élémentaire, mais petite fille de blanchisseuse et fille d’ouvriers, les portes du Lycée (dès la 6ème à l’époque) me furent fermées… La place d’une élève de « ma condition » était le Cours Complémentaire : à savoir scolarité jusqu’à la 3ème puis mise au travail. C’était compter sans mon désir et ma curiosité intellectuelle, heureusement soutenus par le projet parental, après un concours sélectif pour l’entrée en seconde, j’ai pu retrouver la « voie royale » des études classiques.
Cette position enfermante et imbécile des enseignants de la société des années 60 m’a fait prendre conscience très tôt que nul ne pourrait m’imposer une place.
« Ils ont tout ramassé
Des beignes et des pavés
Ils ont gueulé si fort
Qu’ils peuv’nt gueuler encore
Ils ont le cœur devant
Et leurs rêves au mitan
Et puis l’âme toute rongée
Par des foutues idées. »
Il ne s’agissait pas d’une vengeance stérile mais déjà une position de Sujet. A l’époque, je ne savais pas que cette prise de position s’appelait ainsi.
« Je viens de là où dès 20 ans, la tentation te fait des appels
Je viens de là où il est trop facile de prendre la mauvaise route…
Je viens de là où l’on devient sportif, artiste chanteur mais aussi avocat, fonctionnaire et cadre supérieur
Surtout ne te trompe pas, j’ai encore plein de métiers sur ma liste…
Je viens de là où comme partout quand on dort, on fait des rêves…
J’aurais pu vivre autre chose ailleurs, c’est tant pis ou tant mieux
C’est ici que j’ai grandi, que je me suis construit
Je viens de la banlieue… »
La totalité de ce souvenir m’est revenu - rêve nu - lors de ce travail, en partie refoulé sans aucun doute.
« Le refoulement est une sorte d’oubli qui se distingue des autres par la difficulté avec laquelle le souvenir est évoqué, même au prix des sollicitations extérieures les plus impérieuses, comme si une résistance interne s’opposait à cette reviviscence »
.
Tout ce travail autour de la place du superviseur, quel chamboulement ! Quel chant bouleversant ! Quel camp bouleversé ? Faut-il accepter la place qui nous est donnée ? Faut-il prendre sa place (ou la laisser parfois) ? Mais aussi la place de la femme, du directeur et quand le directeur est une femme ?
Arrivèrent les vacances 2009 :
« C’est le mois d’Août
Le mois où moi j’doute
De toi, de moi, de nous
Le mois où moi j’doute
De tout. »
Et le sérieux dans l’histoire ?
Essayons de nous en amuser.
•Selon Milan KUNDERA qui se pose la question :
« Qu’est-ce que d’être sérieux ?
C’est celui qui croit à ce qu’il fait, croire aux autres ».
Là, j’ai eu tout bon lors de l’instance clinique…
•Pour Erasme :
« Rien n’est plus sot que de traiter avec sérieux des choses frivoles, mais rien n’est plus spirituel que de faire servir les frivolités à des choses sérieuses. »
« A Serious Man , affiche du film des Frères COHEN, 2010
La parole de l’Autre n’est pas chose frivole me semble-t-il.
•Montesquieu, lui insiste :
« …La France, laissez-lui faire des choses frivoles sérieusement et gaiement les choses sérieuses. »
Entre frivolité et sérieux…
•Paul Valéry, lui, me donne à réfléchir :
« Un homme sérieux a peu d’idées.
Un homme à idées n’est jamais sérieux. »
Et une femme ? Quel macho ! C’est au prochain chapitre…
Je terminerai notre badinage par une citation de Iris MURDOCH :
« Les affaires humaines ne sont pas sérieuses mais on doit les prendre au sérieux. »
Sincèrement, il doit avoir raison, la formation ne nous dit pas autre chose.
ETRE UNE FEMME, QUELLE PLACE ?
Depuis des décennies (voire des siècles), cette lancinante question pose problème : pour qui ? Il ne me semble pas que la place de l’homme –hormis dans l’univers- interroge autant la société.
La place de la femme dans l’histoire ? En politique ? Dans le monde du travail ? Dans la société ? Dans la famille ? Dans le mariage ? Dans la publicité ? Dans le cinéma ? Dans la nature ? Dans la poésie ? Dans la psychanalyse ?
Je vais arrêter cette énumération qui m’interroge. Devant une telle problématique « et si la femme n’avait pas de place ? » puisque nos biens-penseurs ne savent pas, en fait, où la situer ?
Reprenons nos bavardages d’un ton léger, badinons, badinons.
Le dictionnaire de l’Académie Française signale que le mot « femme » (qui se prononce fame) apparaît en France au Xè siècle, issu du latin « femina » (femme-femelle), sa définition éclaire
la place de la femme
.
« C’est un être humain défini par ses caractères sexuels qui lui permettent de concevoir et de mettre au monde des enfants. »
Définition par la fonction de conception, « un être humain » cependant…
Les synonymes proposés laissent un certain malaise quant à la représentation de la place de la femme :
- bonne
- compagne
- courtisane
- créature
-duègne
- gonzesse
- légitime
- mégère
- moitié (!!!)
- nana
- poule
- régulière
- rombière
- servante
- soubrette
- vamp…
Non, ce n’est pas une plaisanterie, le crayon m’en tombe des mains.
Quant aux locutions où la femme apparaît, rien n’est très glorieux :
•« une femme coquette, mûre, légère, charmante, facile voire fatale
•« une femme de ménage, de chambre, de service, de charge, de journée
•« une maîtresse-femme, une bonne femme, une femme publique, une femme-vampire, une femme-objet ».
Et que dire des contes ou des remèdes de bonnes femmes…
Seules les « Saintes femmes » des Ecritures, qui portèrent aux Apôtres l’annonce de la Résurrection du Christ, semblent avoir quelque intérêt auprès des membres de l’Académie.
Un peu de sérieux, s’il-vous-plaît.
Même les proverbes de toutes les cultures, reflets du bon sens populaire -dit-on- ne me rassurent pas :
•Associé avec une femme, le démon lui-même perd la partie (Proverbe français)
•Bats ta femme tous les matins, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait (Proverbe arabe)
•La femme est comme une marmite : tout ce que l’on y met peut bouillir (Proverbe russe)
•Non ne veut pas toujours dire « non » dans la bouche d’une femme (Proverbe danois)
•Un cheveu de femme est assez fort pour tenir en laisse un éléphant (Proverbe japonais)
•Où la femme règne, le diable est premier ministre (Proverbe allemand).
Durant tant de péjorativité, terminons par quelques paroles de femmes inattendues et surprenantes :
Marguerite Yourcenar :
« Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin ».
Françoise Sagan :
« Nous sommes peu à penser trop, trop à penser peu… »
George Eliot :
« Il n’est jamais trop tard pour devenir ce que nous aurions pu être ».
Virginia WOOLF (La Promenade au Phare) :
« Ne gâtons-nous pas les choses en les exprimant ? »
Post-soixante-huitarde –pas complètement attardée- je me réjouis d’avoir connu cette époque où la créativité, la réflexion, la parole étaient libérées, où tout pouvait être évoqué, remis en question, discuté loin d’un politiquement correct stérile qui pourrait nous transformer en robot uniquement dépensant.
La remise en question de la place de la femme symbolisée par ce petit quatrain chanté lors des manifestations des années 70 :
« Oui papa
Oui patron
Oui chéri
C’est fini ! »
N’a jamais quitté ma mémoire.
Autrefois, c’était simple, la femme -comme dans les proverbes- c’était la bonniche, enfermée dans sa cuisine :
« De servante n’ai pas besoin
Et, du ménage et de tes soins
Je te dispense… »
Depuis la nuit des temps (Eve, qu’as-tu fait ?), il existe des préjugés à propos des femmes qui ont conduit à une discrimination de celles-ci.
Sans vouloir faire un historique pointu de la place de la femme, rappelons-nous quelques faits :
Au cours de la préhistoire, la femme était plus honorée que l’homme en raison de sa fécondité et peut-être aussi du cycle menstruel comme en confessent les statuettes des « déesses-mères ».
Lors des premières civilisations (Vè millénaire avant JC), la prééminence masculine se manifeste tant dans la gouvernance des sociétés que du « Panthéon divin » où les mâles prennent le pouvoir (Râ ; Zeus ; Jupiter).
Les religions monothéistes n’arrangent rien ; citons SIRACIDE :
« L’origine de l’erreur est la femme et nous mourrons tous par sa faute. »
Ou Paul (Ier siècle) :
« Le mari est le chef de la femme comme le Christ est le Chef de l’Eglise ».
Et
: « L’homme n’a pas été créé à cause de la femme mais c’est la femme qui a été créée à cause de l’homme. »
Ou le Prophète Mahomet :
« Les femmes n’ont pas de statut légal, elles doivent rester soumises à la volonté de leur père ou de leur époux…
Dans l’Ancien Testament, la femme fait partie des biens de l’homme,… un être secondaire et dérivé dont la mission est d’enfanter pour la transmission des générations ».
Dans le fameux DECALOGUE (Exode 20-17), la femme n’est d’ailleurs citée dans les « biens » qu’après la maison et avant le serviteur et… le bœuf.
Un concile a, même au VIè siècle, discuté de l’existence d’une âme chez la femme – comme chez les Indiens (dans la controverse de Valladolid).
Si au Moyen-Âge, la place de la femme s’améliore avec l’amour dit courtois. Merci RONSARD !
« Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil. »
La rigueur de la Contre-Réforme catholique éloigne cette période plutôt faste mais Molière ironise sur les femmes qui voudraient s’approprier le savoir :
« Nos pères, sur ce point, étaient gens sensés
Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse
A connaître un pourpoint d’avec un haut-de-chausse… »
Si au XVIIIè siècle, les femmes tiennent place dans les salons, la reconnaissance citoyenne ne leur est pas accordée. Il s’agit de la Déclaration des Droits de l’Homme », celle d’Olympe de Gouges « Déclaration des Droits de la Femme » n’est pas reconnue.
Elle en perdra la tête d’ailleurs…
Seul CONDORCET tenta de s’élever contre cette situation :
« Je crois que la Loi ne devrait exclure les femme d’aucune place. Songez qu’il s’agit des droits de la moitié du genre humain ».
Fondant sur le manque d’instruction l’inégalité de la position des femmes, il ouvrit la voie aux féministes du XIXè siècle.
Illustration pour TESTIMONY (témoignages) du Poète Charles RESNIKOFF,
Diversité et Violence de la Société Américaine entre 1885 et 1915
Pays des droits de l’homme (pas de la femme), la France sera l’un des derniers pays occidentaux à accorder le droit de vote aux femmes en 1944 (avec un premier scrutin en 1945) ainsi que l’Egalité des Droits des Hommes et des Femmes (1946).
Etrange ! : c’est l’année où j’ai décidé de naître.
Il faudra attendre 1967, avec la Loi NEUWIRTH sur la contraception et 1974 la Loi Simone WEIL pour considérer que la place de la femme sur le plan individuel a plutôt bien progressé, résultats de nos luttes des années 1970.
Quant à la place des femmes en politique, nous sommes les derniers de la liste en Europe, même la Loi sur la parité du 6 juin 2000 n’a guère eu de retombées (11 % de députées et 5,9 % de sénatrices).
Quelle tristesse et quelle honte de constater qu’en 2010, le seul lieu où la place de la femme soit prééminente - objet de fantasmes stimulés par des allusions ou réduite à un corps, instrument de séduction ou objet de désir - soit la publicité !
Ainsi donc,
la place
de la femme est un problème complexe où l’héritage religieux a eu une influence plus ou moins marquée sur l’évolution des mœurs, même en dehors de la pratique des cultes.
La conception « discriminatoire » se perpétue, se traduisant autrement de nos jours par une « marchandisation » de l’objet femme : la prostitution, depuis toujours hélas, et aujourd’hui « les mères porteuses ».
En 2010, le constat mondial de négation des droits de la femme me donne envie de hurler :
•Dans 8 pays au moins, les femmes n’ont pas le droit de vote.
•Chaque année, 4 millions de filles sont vendues à un mari, un proxénète ou autres…
•5.000 femmes sont tuées pour « crime d’honneur » parce qu’elles ont été violées ?
•Qu’un tiers des femmes sont battues ou violées et la plupart par leur conjoint.
•130 millions de filles sont mutilées sexuellement.
•60 millions de filles sont tuées par le seul fait d’être des filles ou meurent des suites d’avortement dangereux.
En France, persistent les inégalités en matière d’écarts salariaux, de sous-représentations des femmes dans certaines professions, d’accès difficiles des femmes à des postes de responsabilité.
« Noir, c’est noir
Il me reste l’espoir
Si un mot peut tout changer
Je le trouverai. »
La véritable égalité ne pourra s’appliquer que par une « reconnaissance mutuelle » et elle n’existera pas tant qu’elle ne sera pas fondamentalement acceptée par tous les hommes :
« Le problème de la reconnaissance de la Femme a toujours été un problème d’homme. »
La femme est peut-être « l’avenir de l’homme » dixit le poète. Je n’y crois plus. Que la femme soit son avenir, celui de ses filles et de ses fils par une éducation où la reconnaissance de chacun(e), en tant qu’être humain, reconnu dans
sa place
de Sujet.
« Un peu de sérieux, s’il-vous-plaît ».
Remettons nos montres à l’heure.
« Cent fois sur le métier
Remettez votre ouvrage… »
« La Dentellière »
Tableau de Johannes VERMEER
2
ème
moitié du XVI è siècle, Musée du Louvre.
Tisserande et brodeuse à mes heures perdues, j’ai toujours été fascinée par cette métaphore retenue par LACAN pour évoquer le travail d’élaboration psychique.
Liliane FAINSILBER nous rappelle comment LACAN a redonné vie à ce proverbe pour expliquer le travail analytique, tresser, nouer les fils entrecroisés de la trame et de la chaîne, des « nœuds borroméens » dit-elle.
Lacan s’inspirait de la règle X du traité de DECARTES (« De bonnes règles pour la direction de l’esprit ») :
« Comme tous les esprits ne sont pas également portés à découvrir spontanément les choses par leurs propres forces, cette règle, celle qui s’énonce, apprend qu’il ne faut pas s’occuper tout de suite des choses les plus difficiles et ardues, mais qu’il faut approfondir tout d’abord les moins importants et les plus simples, ceux surtout où l’ordre règne davantage comme ceux des artisans de la toile et des tapis ou des femmes qui brodent et font de la dentelle, ainsi que toutes les combinaisons de nombre et toutes les opérations qui se rapportent à l’arithmétique et autres choses semblables. »
Lacan commentait ce propos : « Il n’y a pas le moindre soupçon qu’en disant ces choses, Descartes eût le sentiment qu’il y a un rapport entre l’arithmétique et le fait que les femmes font de la dentelle… »
Ainsi donc, la femme aurait une place particulière… dans la psychanalyse.
L. FAINSILBER suggère que « cette psychanalyse en dentelle » mais pas en « jupon » soit réinventée par des femmes, redessinant par ce travail de dentellière « les fils entrecroisés de nos destins d’êtres humains. »
Dès les années 1972-1973, Lacan lui donnait déjà une place particulière.
Dans son séminaire ENCORE, Lacan la dit « barrée » _ oh ! la la ! Rappelez-moi votre nom ? signifiant ainsi que, en plaçant la barre sur le LA – il écrit « L/a femme » - elle n’est pas toute, que « rien ne peut se dire de la femme.
Le « la » dit-il, « est un article défini pour désigner l’universel. »
L/a femme n’est pas toute, inappropriée en son désir, ce désir –ailleurs que dans le rapport sexuel retenu – « Ignorée de tenants en tenants du signifiant, Lacan l’écrit « nia-nia » - est l’objet d’un grand nia-nia d’où « une femme rencontre l’homme dans la psychose ». Ainsi, le ciel qui lui échoit lui laisse jouissance « au-delà du phallus » alors que les chaînes de ses désirs, quoique affaire de féminité, demeure lieu du mignon pouvoir d’où « ou la dit femme, on la diffâme. »
Ces conclusions découlent du travail de Lacan à partir de Mars 1972, à savoir la construction d’un mathème de l’identité sexuelle.
Quatre propositions le composent :
•L’universelle affirmative : « tous les hommes ont le phallus » : Pour tout (x) la propriété Ø s’applique à (x).
•L’universelle négative : « Aucune femme n’a le phallus » : Pour tout (x) la propriété Ø ne s’applique pas à (x).
Ces deux formules s’appliquant à désigner l’identité féminine et masculine ne devraient être dans un rapport de complémentarité. Or, il existe une différence, Lacan la nommait donc « le lieu d’une impasse ».
Deux autres propositions vont alors corriger cette impasse.
•La particulière négative en corrélation avec la théorie freudienne de la Horde primitive : tous les hommes sont soumis à la castration sauf le Père symbolique de la horde (hommoinzin = (au moins 1) dont la position particulière lui permettait d’ordonner le lieu de l’interdit (inceste).
•La particulière doublement négative traduisait l’énoncé : « il n’existait pas un (x) qui fasse exception à la fonction phallique.
Il s’agit, souligne LACAN, du principe, dans l’inconscient, d’une dissymétrie radicale entre l’identité sexuelle féminine et masculine.
Pour les femmes, disait-il, il n’existe pas de limite à la jouissance. En conséquence,
la
femme au seins de l’universel ou de la « nature féminine » n’existe pas.
Il ne définit la jouissance féminine que « supplémentaire ».
Cette absence de complémentarité entre ces deux identités se traduira par la formule désormais célèbre : « Il n’y a pas de rapport sexuel ».
Madeleine Laroche-Parent reprenant les propos de Lacan, ajoute : « Elle n’est pas toute là où elle n’a pas accès à tout son être, par le fait de son essence-même » ; ainsi la femme est doublement niée » ; au niveau de la forclusion mais aussi « au lieu des discours d’autorité ».
Il semblerait que les femmes ne seraient admises que comme supports de lieux d’autorité, n’étant pas accomplies au même titre qu’Une(femme) « mise au travail de l’UN l’est ».
Elles n’auraient donc pas accès au système de renvoi d’autorité autrement que comme « subalternes… ».
L’auteur conclue que « cette mise en place de femmes ayant fonction d’étendre le pouvoir phallique sans jamais avoir accès aux secrets qu’il supporte est comparable au montage d’un tricot nommé « jersey » : une maille à l’envers, une maille à l’endroit, une autre à… ; terminez le rang par une maille à l’envers suivi d’un rang entier – Une envers – Répétez ces deux rangs jusqu’à la fin…
C’est de ce rang à l’endroit que se tiennent en surface les actes d’autorité supportant monde et choses… »
Travaux de dentelles, de tricotage, d’enchevêtrement de fils, métaphores textiles… dans ces actes de restitution, « une femme peut trouver sa place ».
« Tire, tire, tire l’aiguille ma fille
Ta robe doit être finie
Sous tes doigts naissent des fleurs
Faites de paillettes de diamants. »
Lorsque LACAN dit : « L/a femme », il semble aussi que cette réduction soit l’objet d’une possibilité d’ouvertures au pouvoir d’autorité, ce « la » voilà ce qui occupe « l’ordre phallique ».
Liliane FAINSILBER évoque combien Lacan rappelait l’importance des femmes dans la société grecque qui « exigeaient des hommes leur dû et n’hésitaient pas à les attaquer pour en obtenir satisfaction » bien loin donc de la prétendue passivité féminine. « Elles y avaient pour vraie place…qu’elles avaient ce rôle pour nous voilé, mais pourtant très éminent simplement le rôle actif… ».
L’auteure conclut « quand les femmes jouent un rôle actif en réclamant leur dû, elles ne sont pas dans la revendication. Elles expriment, au contraire, la dimension de leur désir et assument donc leur privation phallique.
Alors une autre place, une vraie place ?
C’est vrai mais récent et nouveau dans notre société : les femmes aspirent à occuper des places de pouvoir.
Dans le passé, reines, courtisanes ou maîtresses royales influencèrent peu ou prou le pouvoir mais les peuples n’attendaient rien d’elles en tant que femmes ; elles n’étaient qu’ »objets » royaux, princiers ou autre.
Le constat, peut-être ( ?) différent aujourd’hui, s’énonce autrement ; on attend quelque chose d’elles parce que ce sont des femmes même si cette pensée s’exprime confusément comme telle : le fait de la candidature d’une femme à la magistrature suprême fut édifiant dans ce sens…
Alors une femme en position d’autorité, de pouvoir, de direction ?
C’est l’histoire du chapitre suivant…
« Un peu de sérieux, s’il-vous-plaît ».
Aussi lointain que je me souvienne de ma petite enfance, j’ai toujours eu un certain goût pour « commander » (dixit ma famille) ; lors des séances du « jouer à la maîtresse », voisin(e)s ; copines ou cousines ne bronchaient pas et lorsque les garçons -vaillants cowboys- voulaient « m’attacher au poteau de torture », il leur fallait déchanter…
Est-ce la place d’aînée –signifiée maintes fois dans le discours paternel- mais acceptée cependant parce qu’entraînant de petits bénéfices secondaires que tout « naturellement » je décidais d’endosser la fonction de direction sachant qu’à certains moments, j’en ai eu « plein le dos ».
« Être l’aîné signifie en effet se percevoir comme plus mûr que les plus jeunes ou, en tout cas assez mûr pour ne pas être jaloux, assez mûr pour dominer son agressivité tout comme pendant l’enfance.
A l’âge adulte, l’aîné continue de se considérer comme le chef, comme une figure parentale sur laquelle les autres peuvent toujours compter (…) mais être le chef signifie également assumer la responsabilité de ceux qui naissent plus tard, veiller sur eux et être toujours disponible pour eux. »
Après une formation de direction plutôt administrative dans le sérail de l’Education Nationale, j’acceptais donc, dans les années 80, d’être « mise à la disposition » de l’Association Gestionnaire d’un I.M.E. sur un poste de direction.
La « mise à la disposition » -statut bien particulier, quelle mise ? Quelle position ? disponible ? En fait, tout à la fois mais surtout : en fonction de direction.
•Fonction, étymologiquement emprunté au latin « functio » signifie : accomplissement.
Enfin, j’allais connaître l’accomplissement du devoir accompli ! De voir quoi ?
•Au fil du temps, la fonction mot français devient « un élément d’un ensemble » n’est-ce pas le rôle de la direction : élément de l’ensemble institutionnel ? puis l’utilisation du terme en mathématiques le place comme « une relation entre deux quantités liées ensemble par des variations possibles. »
Le relationnel et la gestion des variations ne me paraissaient pas chose impossible.
Malgré certaines appréhensions, j’attendais ma nomination officielle à cette fonction particulière. Je rencontrais l’Inspecteur –« mon supérieur hiérarchique » qui me reçut plutôt chaleureusement mais m’encourageant à accepter ce poste, il me glissa dans l’oreille : « vous savez, il va vous falloir, dans cet I.M.E., nettoyer les écuries d’Augias ».
Faisant appel à mes lointaines connaissance mythologiques, j’envisageais un travail important de remise en route d’une structure malmenée par plusieurs directions successives, je n’imaginais pas qu’il s’agirait d’un « travail d’Hercule ».
L’écriture de cette monographie m’a amenée à revisiter ce mythe.
Augias, fils d’Hélios (fils d’un titan) était l’homme le plus riche de la terre, par le nombre de bêtes de son cheptel (taureaux – chevaux) ; ses écuries étaient immenses mais d’une saleté si repoussante et jamais nettoyées depuis longtemps qu’il régnait sur tout le Péloponnèse une odeur pestilentielle. De même les pâturages de la vallée étaient couverts d’une couche tellement épaisse de boue et de crottin que rien ne pouvait y pousser.
Heracles proposa donc de curer les box en une journée en échange d’un dixième du troupeau. La tâche étant impossible à réaliser, le marché est conclu.
Heracles, fils de Zeus, « maître de l’Idée » utilise la ruse au service de l’intelligence au lieu de s’épuiser à un travail inhumain : il ouvre deux fentes dans l’enceinte des écuries puis dévie le cours de deux fleuves coulant en amont : les immondices sont emportés, les pâturages redeviennent fertiles.
L’analyse de ce mythe nous montre qu’en nettoyant les déchets, Heracles prépare la terre pour semer à nouveau, gère le fumier qui devient engrais permettant la germination.
Au-delà, c’est un double questionnement.