Ma dynamique de l’envie
Il y a bientôt 6 ans je mettais pour la première fois un pied au Reynard.
Ils sont nombreux, il va falloir que je me souvienne de leur prénom et lui, ha mais il bave.
Le pire c’est que je ne sais pas lesquels sont les éducateurs dans le lot. Je ne suis pas sur d’avoir bien choisi. Tant pis j’ai appris à faire les choses correctement, et puis ce n’est que pour 15 jours autant jouer le jeu.
« On est quel jour ? » et merde voilà qu’il y en a une qui me parle et personne autour de moi pour s’en occuper.
« On est lundi il me semble. »
« Demain c’est mardi ? » mais dis donc c’est qu’elle est perspicace !
Et me voilà plongé dans l’univers institutionnel à pied joint.
A ce moment là j’étais loin d’imaginer à quelle fréquence j’allais devoir répondre à ce genre de questions…
Me voilà quelques années plus tard, je mets le pied dans la cour, le décor a un peu changé, le bâtiment se construit, moi aussi je me construis. Je les connais mieux je crois, eux aussi me connaissent, et j’ai toujours le droit à leur question ! Je me dirige lentement vers la salle du personnel et je pense à cette journée des institutions que je dois préparer et à cette dynamique de vie.
Hier déjà j’y pensais…
Alors que j’essaye de comprendre, je veux faire passer un message mais je n’y arrive pas, quel est ce message, je finis par ne plus savoir. J’écris, j’efface, m’interroge.
Je tourne mon ordinateur, fais autre chose, je reprends, … Mais rien ne vient, comment expliquer la dynamique si moi-même je ne peux me mettre en action…
Perdu dans mes pensées je l’entends à peine…
« Qui c’est qui fait marche mardi ? »
…
« Qui c’est qui fait marche mardi ? »
« Je ne sais pas je ne connais pas le planning par cœur. »
« - Ha.
- Mais qui c’est qui fait marche mardi ? »
« Je viens de te répondre ! »
Mais avec qui je vais être mardi, c’est quand mardi déjà, c’est bientôt. J’ai peur je ne sais pas qui va m’accompagner, je devrais lui demander pour être sur. « C’est qui qui fait marche mardi ? » « C’est bon je t’ai dis dix fois que je ne savais pas. »
« Ha. »
« Mais ya personne mardi ? Et je fais quoi si ya personne mardi ? Tu sais qui c’est qui fait marche mardi ? »
« Allé ça suffit, laisse moi travailler j’ai du boulot. »
Et voilà je n’y suis plus, j’ai déjà du mal à m’y mettre mais si en plus elle s’en mêle.
« J’ai du boulot » Allé je vais faire autre chose je la supporte plus. Ce n’est quand même pas compliqué de comprendre que je ne sais pas !
« C’est qui qui fait marche mardi ? »
Encore ! Je pense qu’elle se fout de moi ce coup ci ! Je vais faire autre chose c’est insupportable…
Allé voilà je peux déjà revenir sur une phrase que l’on dit facilement : « laisse moi travailler j’ai du boulot » ou tout autres phrases se rapprochant.
Je cherche ce que peut être la dynamique de vie dans mon travail voilà ce n’est pas si loin, c’est cette phrase, ce genre de phrases, enfin très exactement l’inverse.
Voilà ce que peux être la dynamique de vie et ce qu’est la dynamique de l’envie dans mon quotidien d’éducateur.
C’est le moment où quand tout devient insupportable, lorsque les angoisses de l’autre viennent entacher les miennes, c’est ce fameux moment où j’ai le choix entre botter en touche ou faire mon travail pour de vrai. C’est le moment où l’on s’assoit où l’on regarde le planning ensemble, que l’on écrit sur un bout de papier, dans un agenda, c’est le moment où l’on combat les angoisses ensemble…
« Au fait c’est qui qui fait marche mardi ? »
Bon me voilà dans la salle, c’est parti pour 3 heures et je n’ai pas bien avancé…
La dynamique de vie…
Le lendemain, de permanence je me promène entre les différents ateliers et j’entrouvre les portes de l’atelier créatif…
Et il était là, modelant un bout d’argile entre ses mains, le contact de ses paumes avec la terre humide était une sensation nouvelle pour lui, mais étrangement agréable. Autour de lui, il n’y avait plus personne, plus de bruits, juste lui et cette terre entrain de prendre une forme. Il l’imaginait déjà, voyait ce qu’il souhaitait obtenir. Son bloc de terre existait déjà dans son imaginaire.
Il se voyait déjà à 17h, ramener avec lui son œuvre, sa création. Mais, c’est pendant que son imagination permettait à sa création d’avoir des formes, qu’il ne songeait même pas pouvoir lui donner, qu’il eut un brusque retour à la réalité, son œuvre n’était qu’un bout de terre. Elle ne tenait pas, trop molle, trop humide, trop malaxée peut-être, le fait est qu’elle ressemblait à un monticule de glaise et non pas à tout ce qu’il avait pu imaginer...
Il s’obstina, ce n’était pas fini mais bien avancé, et puis elle lui avait dit qu’il pourrait continuer la prochaine fois.
J’étais intrigué par cet atelier et décidait d’y revenir une autre fois. Et je revins une autre fois, mais ce n’étais plus le même support.
Il s’autorisa soudain à prendre possession d’un bout de feuille, elle était grande, angoissante. Il se surprit à penser à ce qu’il pourrait y mettre. Il avait envie de participer à cette œuvre collective.
La peinture n’était pas quelque chose d’habituel. Il avait choisi d’y tremper sa main, le contact humide le rassurait. La matière entourait ses doigts, sa paume. Son premier geste fut hésitant puis rapidement l’enchevêtrement des couleurs lui permit d’imaginer ce qu’il voulait obtenir, d’un geste plus sur il passait ses doigts sur la feuille. Il était envahi de sensations plus différentes les unes que les autres.
Mais brusquement ce moment de découverte se transforma en souffrance, il venait de peindre sur son morceau, le sien, celui qu’il s’était réserver. Sa frustration était d’autant plus grande qu’il avait choisi un angle, une toute petite partie de la feuille. Il ne voulait pas partager mais il y était contraint, pourquoi devoir partager cela avec les autres...
Encore une fois j’étais surpris, lorsque je prêtais attention je voyais de nouvelles de choses. C’est peut-être ça la dynamique de vie, prêter attention et voir.
Alors un jour j’ai regardé et j’ai vu…
J’ai vu une palette d’angoisse
Toutes les couleurs étalées formaient mélangées
Quelque chose qui m’aurait fait pensé à de la mélasse.
Collante, gluante, avec un arrière goût sucré.
Ma pensée entreprenante ne c’est pas arrêtée là
Et tel un maître en couleur
J’ai poussé l’observation jusqu’à voir apparaitre de la douleur.
Douleur dissimulée, difficile à trouver.
C’est une douleur qui semble fuir le regard comme si elle ne voulait pas être vue
Mais mon regard au combien tenace c’est accroché à cette mélasse et je l’ai rattrapé
Et là, alors que mon regard plein de tristesse contemplait cette triste toile
J’ai vu en surbrillance de ce spectacle, une pointe de bonheur.
Bonheur coloré, difficile a identifié mais bien présent
Associé à celui-ci au-delà d’un œil absent un bien-être au présent
Et au milieu, l’humour folichon agrémenta la toile avec une jolie couleur,
De celle-ci j’ai pu voir un gros soupçon.
Ce tableau au quotidien, c’est le leur, c’est le mien, c’est un tableau peu ordinaire où a trop le regarder on ne voit plus que de la poussière, des sentiments peu attrayants nous envahissent.
Alors ce tableau il faut le secouer, mélanger les couleurs, en penchant la tête voir les nuances, au-delà de la souffrance, c’est d’autres choses que l’on voit, ces choses qui embellissent ce tableau. Et ce tableau ne l’oublions pas c’est leur quotidien.
Et voilà, on peut donner vie à des lignes mais comment donner vie à un thème, peut-être s’inspirer des autres, s’inspirer de ce que l’on à déjà lu, de se que l’on a observé ou entendu…
Chacun voit les choses à sa manière, chacun lit, entend, s’empare de choses et d’autres et c’est ainsi qu’elles prennent vie… Finalement la dynamique de vie c’est peut-être ça, c’est lorsqu’on allie plusieurs choses entre elles, qu’on compose avec différents facteurs pour arriver à créer…
Antoine PASSERAT, moniteur éducateur au foyer le Reynard en formation d’éducateur spécialisé à l’ARFRIPS.
Texte rédigé pour être lu lors de la journée des institutions organisé par le foyer le Reynard le 27 janvier 2011.