Etrange mais réelle sensation de devoir rester dans un couloir de ma vie alors que la scène se joue à coté. J’ai attendu longtemps dans la salle d’attente que l’on vienne me chercher. J’ai décidé en attendant, d’écrire ce que j’ai sur le cœur : marre d’être trisomique et marre de porter un handicap qui m’amène à ne pas décider de ma vie, à en être exclu. Marre de voir que l’on fait comme si je n’étais pas capable de penser, vouloir, connaître la vie. J’ai ma vision de la vie mais qui s’en soucie ? Est-ce qu’ils peuvent même s’imaginer que j’ai une vision de la vie ? Florian n’existe pas. Le trisomique existe bien, lui. Trisomique à 80 %, humain à 20 %. Ma vie est un calcul arithmétique où je ne suis qu’un chiffre, celui de mon Q.I., qu’un bilan, celui du psychiatre, qu’une notification, celle de ma future prison dorée. Tout tourne autour de mes compétences mais ce que je veux de ma vie importe peu. Mon projet de vie intéresse-t-il quelqu’un réellement ?
Effectivement, il m’est difficile de me projeter dans ma vie quand je n’ai connu du monde qu’une version aseptisée et réduite entre des trajets en taxi et une belle demeure remplie de feutres de couleurs. Peut-être qu’ils s’imaginent que je suis un poisson rouge dans un bocal : regarder tous ces gens s’agiter devant moi me suffit, manger me suffit, regarder la vie à travers mon bocal me suffit. On n’a qu’à me changer d’eau (ou d’institution) de temps en temps pour ne pas que je manque d’oxygène et continuer à survivre. Mon handicap ne peut me réduire à un objet qui supporte des éducateurs à humeur de journée, (et pour mon bien) qui m’oblige à en faire plus que les autres pour être reconnu, à subir orthophoniste et psychomotricien pour arriver à articuler trois mots et faire deux mètres sans zigzaguer sans pour autant satisfaire mon entourage. Je suis peut-être de travers mais je suis…. pas forcément toujours à redresser, à guider, à soutenir, à plaindre ou à montrer en exemple. Je ne suis pas une maladie qui se guérit mais une différence à cultiver, à arroser pour grandir. On n’apprécie pas trop ce qui ne pousse pas droit comme un I. Je ne demande qu’à être même si je ne suis pas en forme de I. Me laisser être ce que je suis, est-ce compliqué ?
Est-ce une demande démesurée ? Je veux du choix dans ma vie. Le choix de faire autre chose que mettre des boulons dans une boite à longueur de journée, le choix de vivre ailleurs qu’avec des gens qui me ressemblent comme le choix de me retrouver avec eux quand je le décide. Le choix de prendre le bus tout seul, d’avoir un portable, une copine, et bien d’autres choix impossibles et inimaginables pour nos adultes d’aujourd’hui. Qui aurait imaginer il y a 60 ans en arrière quand les femmes ne votaient pas encore, qu’une femme serait peut-être un jour présidente de la République française ?, qui aurait imaginer il y a 100 ans qu’une humain irait un jour sur la lune ?. Pourquoi certains adultes (parents ou professionnels) n’arrivent pas à croire et à autoriser d’autres adultes ou adolescents à faire ce choix de pouvoir prendre ou non sa place dans la société d’ aujourd’hui ? Est-ce utopique ? farfelu ? Je veux décider et arrêter que l’on décide à ma place. On pense que je ne suis pas capable de penser, décider ? Forcément, on a toujours pensé pour moi, décidé pour moi, vécu pour moi et sans moi. Je suis né différent mais qui n’est pas différent ? Ma différence est pesante et indigeste car on me persuade qu’elle est pesante et indigeste. Difficile de croire en vous quand l’autre n’y croit pas….ou si peu. Mon handicap n’est pas mon handicap.
Il est dans les yeux de l’autre, dans sa façon de me percevoir, de m’imaginer tellement diminué que je deviens minuscule dans leur tête et finalement dans la mienne. Je suis comme vous. Limité dans mes projets et mes espoirs. Mais pas plus que vous. Je ne serais jamais président de la République. Pas plus que vous. Qui êtes-vous pour décider que ma vie ne peut que se passer dans un foyer que l’on a la prétention de baptiser « de vie » Quelle vie peut-on avoir dans ce type de foyer si l’on a pas décidé soi-même d’y vivre ? Faire le tour de ces foyers ou de ces centres pour le travail tous les lundis ne me donne pas forcément le goût à aimer ma future maison ni ne suffit à me faire croire que c’est vraiment mon choix. Je suis las de devoir rester l’ombre de moi-même ne pouvant occuper ce qui m’appartient : ma vie. Il n’est pas si difficile d’être trisomique. Il est par contre difficile d’être un humain considéré un peu moins humain que les humains. Certains s’autorisent à être plus humains que d’autres et prennent ainsi le pouvoir de décider de votre existence. Combien de lois faut-il encore pour que l’on n’arrête de nous voir comme des morceaux de cerveaux endommagés, combien de générations de parents, formateurs, professionnels doit-on encore subir dans leur façon de nous regarder, de nous considérer ?
On appartient à personne qu’à nous-mêmes. Accompagné, oui, robotiser, non !!!
On est capable de dire ce que l’on veut faire de notre vie, par contre cela demande 2 choses : de nous croire capable de choisir notre vie et de tendre l’oreille finement pour le comprendre et de nous en donner les moyens. Le milieu protégé n’est pas la vie. La vie en zoo pour des animaux n’est pas la vie réelle. C’est une pâle copie. Notre cadre de vie protégé est une pâle copie de la vie réelle. Les animaux en zoo meurent parfois de cette captivité qui les rongent. Je rêve d’un monde où le milieu spécialisé deviendra ordinaire et le milieu ordinaire deviendra spécialisé. je rêve d’être accompagné par des adultes, parents ou professionnels qui ne soient plus constamment mes gardes d’ un corps qu’ils pensent incapable d’exister sans eux. Si la vie en société est violente, elle n’est pas violente que pour les trisomiques, elle l’est pour tous. Vouloir nous éviter de souffrir en nous laissant hors de la société n’est pas notre volonté. Aller au cinéma avec ma copine sans un éducateur est un grand plaisir que je n’ai encore jamais vécu aujourd’hui. Aucun éducateur n’a pensé à me demander ou est arrivé à comprendre que je pouvais avoir cette envie simple. Il ne m’est pas facile de m’exprimer ou de me faire comprendre mais il n’y a pas que le langage pour comprendre l’autre. Je dois toujours être dans la preuve de ce que je veux, de ce que je peux. Cela devient une épreuve à chaque fois avec cette impression de passer un examen à chaque demande. Des professionnels ont écrit que le déficient intellectuel n’existe pas, seul l’être humain existe. Il faut peut-être pour voir cet être, changer le regard sur la différence présente en chacun sans en faire le centre d’un monde que l’on nous refuse ou que l’on nous impose.
Florian Pontier, 18 ans, être humain
la trisomi
stephanie
lundi 04 octobre 2010