Note de lecture: Joseph ROUZEL,
À bâtons rompus, Poèmes, 1965-2005,
Nîmes, Champ Social Éditions, 2007, 102 pages, 10 €.
Un ami respectable vous demande de dire sur un livre. Au vu de la connaissance qu’on a de l’auteur, on a le désir de fréquenter le poète. On répond oui, puis on prend le livre. On va vers la fin. On revient. On se met le titre en bouche : « À bâtons rompus ». Comme on fait toujours pour un livre essentiel, on le met en attente. Arrive le moment d’écrire. Alors là, on tremble un peu. Devant une œuvre de vérité, il ne s’agit pas de faire le malin, mais plutôt de la lire en apprenti.
Ce livre est un parcours. Joseph Rouzel enchevêtre les époques. On apprécie que l’homme, dans son effort de vie, en 40 ans de poésie, ne prenne pas de haut. le jeune homme des années soixante Accessoirement, une vie n’étant pas un chemin linéaire, ce choix permet d’en saisir la permanence... Pour un homme de bonne volonté, chaque expérience, métier aide l’exercice du métier d’homme. Ici le poète artisan est celui qui prend la main pour chacun. Pour commencer, on est invité à investir la fonction du scribe. L’auteur étant aussi, notamment dans cette revue, un formateur en travail social et un psychanalyste reconnu, on mentionnera les réflexions de Jean Oury à ce sujet que le numéro 4 de Culture et Société vient de nous remettre en mémoire.
Mais puisqu’on lit le poète, on ne peut que s’arrêter sur ce choix fondateur. Le scribe qui nous est proposé est celui de la Haute Egypte. Rappelons nous. C’est une des plus hautes fonctions. Elle peut être royale. Pharaon peut quitter son costume d'apparat pour enfiler le pagne qui caractérise la modeste tenue des scribes. En fait, Joseph Rouzel nous installe dans le projet orgueilleux du poète. Le scribe, nous dit le poète par la voix de Rimbaud, « est un chargé d’humanité, des animaux même ». Le poète veut être le scribe de son poème qui doit être
le
poème, car il habite le « silence noir, bruissant de la parole des autres C’est d’abord une position d’attente.« Assis éveillé. Même dans le sommeil, éveillé ». Cette attente n’est pas une attitude molle, mais « une inépuisable flèche tendue par l’arc du désir ». Une position de solitude : « J’entends la voix qui berce le paysage intérieur ».Mais pour que le scribe inscrive, pour que le poème advienne, il faut être non seulement un homme parmi les hommes, mais être avec eux parmi les hommes qui marchent : « Des gens d’ailleurs qui ont laissé ici traces et gésines, vieux habits et bâtisses d’être. Des gens qui vont leurs chemins. Et nous le nôtre.
Alors viendra le temps du lapidaire ; Pour le poète, le diamant à travailler est tranchant, « c’est par la souffrance qu’il fait son entrée au monde » et sa « sale besogne » est en conscience : « ce que je ramène dans mon sac, c’est une énigme, une petite pierre brillante de tous ses feux, un mystère, une faille, une césure, un rien ». Il faut voisiner avec l’atroce, puisque « l’atroce a partie liée avec la mort et l’indicible ». Attention lecteurs, ce n’est pas une position nihiliste ni une position désespérée mais bien la fonction d’exigence du poète qui est à l’œuvre. Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, le lapidaire se permet une injonction : « Tiens toi au bord de l’horizon, en partance, toujours ; La vie t’a soulevé dans sa marée ; la noce danse aux portes du temple ».
C’est une injonction qui fait penser à celles de René Char et qui est l’occasion ici, de noter combien les grands inserts, du poète Rouzel, sont présentés, non pas en dévotion de disciple, ou pire pour se mettre en valeur, mais en exergue, au milieu, ou bien en commentaires poétiques, comme les rencontres nécessaires dans un chemin de vérité. Ce chemin de vérité, le scribe et le lapidaire le continueront pour une renaissance. Pour renaître ; le poète n’a qu’un outil, l’écriture. Mais il doit la réinventer, c’est le sang du poète : « Pour échapper à l’autodestruction qui le ferait s’inscrire à même le corps, à fleur de peu, les affres de la mort, le poète, dans un déplacement qui n’en finit pas de faire couler l’encre au lieu du sang , invente l’écriture ».
Partout ce livre nous dit qu’à chaque instant il est l’heure de vivre. Il y a même un art de vivre nous dit le poète. Auparavant, on est remonté vers le père, on a gardé les traces et non les preuves d’amour, on a séparé, ce n’est pas négligeable, savoir et connaissance, et on a constaté que « la vie ne se donne qu’en désespérant en nous ce qui la voudrait capturer pour notre propre compte ». Nous avons sorti cette sentence car elle est exemplaire de la démarche du poète. Chacun peut la méditer comme il l’entend. Pour l’heure nous la prenons comme la façon éminemment vive, qu’il nous propose, de désespérer le désespoir.
Tout le livre est, à cette hauteur, de cette force. En nous révélant, sa, vérité, seule façon pour le poète de dire la vérité, c’est l’autre en lui que Joseph Rouzel cherche. C’est une exigence. C’est une fraternité. On l’a indiqué plut haut, le poète ne renie pas le jeune homme qu’il a été. On a aimé qu’il lui donne le mot de la fin. Ce qu’il fait en en chanson dans un envoi titré, la voix, la voie : « J’entends une voix qui dit : « Couche moi sur le papier »………..Je me tiens à la frontière entre elle et le monde, entre le dedans et le dehors.
Voilà un livre-atelier- d’écriture qui contient son poids d’authenticité. On peut le mettre sur sa bibliothèque, le laisser nous guetter du coin de l’œil. On peut le mettre dans sa poche, car le poème du scribe,peut être un compagnon de route. Dans tous les cas, c’est un livre de garde autant qu’un livre, j’allais dire un lieu, à vivre.