L’enfant qui s’est arrêté au seuil du
LANGAGE / COMPRENDRE L’AUTISME,
Henri REY-FLAUD – Ed. Aubier, Coll.
La psychanalyse prise au mot, 2008
Voilà un discours salutaire sur l’autisme !
« Comprendre l’autisme » est un rigoureux ouvrage sur la question énigmatique de cette maladie de l’âme, qu’Henri Rey-Flaud introduit ainsi : « Il existe des enfants dotés d’une peau si transparente qu’on dirait des enfants fées. Leur visage de cire vierge, sur lequel aucun événement heureux ou malheureux ne paraît avoir laissé de trace, semble signifier qu’ils n’attendent rien, non plus, de l’avenir… »
Le style fait l’homme. Le poète nous arrache à la mécanique animalière. Ce pari sur la poésie est donc d’abord et avant tout un pari sur l’humanisation. « L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage », s’engage, courageusement, sur le fil fragile du « parlêtre » pour pointer ce qui fait défaut à ces enfants qu’on dit autistes : la possibilité de faire métaphore.
Le premier mérite du livre est d’affirmer, à partir d’une expérience clinique référée à la psychanalyse, que, si l’étiologie reste une énigme, si les causes sont, à l’évidence, multiples, l’enfant autiste est notre prochain. Nous renvoyant les résonances de notre propre vécu originaire de cruauté, cet « ancien- autre- nous-même » nous fait peur. Stigmatisé par sa dénomination, il est, aujourd’hui, l’objet d’une ségrégation efficace de la part de tout ce qui se fonde du lien, groupe, institution, famille, société, au nom du bien de l’autre parfois même, de l’intégration et du processus d’individualisation !
Nos défenses relationnelles que la technique rend de plus en plus puissantes, en font un handicapé, victime de son destin génétique et relevant, exclusivement, d’une rééducation qui vise à en faire un robot assagi.
Pour Henri Rey-Flaud, l’autisme, cette énigme des « enfants-fées », n’est pas une fatalité. Sa rencontre constitue une exigence humaine essentielle, singulière, sensible, voire douloureuse. Elle ne nous laisse pas indemne et nous convoque à l’humanité. La douleur qu’elle implique, dont les polémiques actuelles passionnelles et stériles sont, à coup sûr, l’expression malheureuse, forme l’obstacle majeur à ce que Freud appelait « le travail de la civilisation ».
Henri Rey-Flaud le sait qui aborde, avec délicatesse, le « malentendu Bettelheim ». La pensée de ce grand psychanalyste américain, d’origine juive autrichienne, qui a connu les camps de la mort, marque une étape dans l’accueil, l’écoute et la compréhension des enfants en déshérence psychique. Mais celui-ci a eu le malheur d’écrire que « la maladie de l’enfant répond au désir de mort décliné ou refoulé, des parents », faisant l’erreur d’exprimer en public et sans précaution, les arcanes de l’inconscient. Maladresse funeste qui a nourri le rejet de l’approche freudienne et repoussé de nombreux parents vers des thèses organicistes, rassurantes par leur apparente maîtrise de la situation.
En réalité, cette référence systématique au discours scientiste progressiste, soutenue par des médias soumis au spectacle, contribue à leur faire perdre la foi dans leur propre enfant, caché derrière ses difficultés. Le déficit ainsi annoncé, renforçant les défenses, constitue un verdict de fatalité biologique qui les dépossède de leur responsabilité. Or, « S’opposant à cette forme d’invalidation et d’exclusion, la psychanalyse a maintenu la volonté d’appréhender la position subjective comme une figure à part entière de l’humaine condition ».
Tout en respectant les familles, Henri Rey-Flaud affirme que l’autisme n’est pas une fatalité. La dynamique vers laquelle nous entraînent ses propos se soutient de la conviction que ces enfants, en panne de communication, sont des êtres parlants. Les respecter c’est entendre leur appel d’humanité.
Aussi, nous appartient-il d’écouter leurs symptômes, et de créer les conditions d’une réponse précédent leurs questions. C’est la condition première d’une humanisation permettant une rencontre de visage buriné à visage de cire vierge, avec la stricte exigence de ne pas confondre imaginaire et symbolique. On ne parle pas pour communiquer mais pour reconnaître et être reconnu. C’est à cela qu’il faut faire place. Tosquelles écrivait : «
L’homme souffrant, ira toujours à la recherche d’un lieu où il puisse parler, voire dissimuler sa souffrance psychique. Et ces lieux seront toujours –hors de soi et à l’intérieur de soi- des lieux institutionnalisés, c'est-à-dire des lieux plus ou moins rituels de rencontre et de parole entretenus avec les autres »
(1)
Ces lieux ne peuvent donc être que des « lieux pour dire » accueillant la défaillance ou le ratage du symptôme comme parole et protégeant l’enfant « du séisme continuel de brisures, de morcellements, d’émiettement, de déchiquetage » (2)
Si Rey-Flaud ne le dit pas ainsi, du moins, il le suggère : L’exigence de soin individuel ne peut se concevoir sans un fond commun, suscitant un sentiment d’appartenance, et sur lequel surgissent des événements faisant l’objet d’une élaboration narrative constante et permettant à tout un chacun de trouver sa place parmi les autres, dans un jeu d’aller-retour entre le mal à dire et la parole.
Sans cela, dans un contexte de déchirure du tissu symbolique, quand l’emportent les techniques d’individualisation de masse et de standardisation anti-subjective, l’autisme, par sa mise en échec de l’opération fondatrice de la psyché, pourrait bien devenir l’avenir de l’homme
Henri Rey-Flaud ouvre, quant à lui, les perspectives d’une humanisation. Donnant la priorité au respect de ceux qu’on dit autistes, « l’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage » contribue, par sa rigueur, sa sensibilité et son élévation de pensée, au « travail de la civilisation
15 mai 2008
(1) François Tosquelles – Soins Psychiatrie, n° 9, mai 1981
(2) Henri Michaux cité par Henri Rey Flaud
Sur le livre de rey-flaud
Le Moko
jeudi 27 août 2009