DU MESSAGE POUR
PREVENIR
AUX PAROLES POUR
FAIRE SAVOIR
»
PERSPECTIVES POUR UNE LISIBILITE DES MODELES DE LA PREVENTION
INTRODUCTION :
Pendant huit ans (1992-2000) j’ai occupé un poste d’éducateur spécialisé dans un Dispositif Intercommunal de soin et de prévention de l’usage abusif de drogues. Au sein de ce dispositif mon travail était double :
- D’une part accueillir toute personne concernée par un usage abusif de drogues, accueillir leur famille, leurs proches, en contribuant au sein d’un centre spécialisé à améliorer leur état de santé, leur situation sociale, dans la visée d’une sortie de la dépendance et d’une meilleure insertion sociale et professionnelle.
- D’autre part, sur une des cinq villes (13.000 habitants) signataire d’une convention intercommunale, avec l’association pour laquelle je travaillais, j’avais la responsabilité d’élaborer, de proposer et de mettre en œuvre des actions de prévention de la « toxicomanie » dans le cadre d’un partenariat avec les membres du Conseil Communal de Prévention de la Délinquance (C.C.P.D).
L’étymologie et la polysémie du mot « prévenir » (cf. J. PICOCHE 2000 p 511)
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autorisent des interprétations dans lesquelles sont convoquées les notions « d’apprentissage » et/ou « d’éducation » : soit aux fins d’éviter des risques et/ou dans la visée de produire des changements dans les représentations d’un phénomène et/ou dans les comportements. Dans le sens où « prévenir » c’est favoriser l’appropriation de connaissances, l’agent, l’acteur, ou l’auteur d’un projet de prévention, non seulement actualise et met en œuvre sa vision du monde, mais en fonction de cela ne souscrit il pas, parfois à son insu, à des notions issues des théories de l’apprentissage ?. Tenter de répondre à cette question nous conduit aussi à faire l’hypothèse que les travaux, les réflexions, les connaissances, issus des Sciences de l’Education peuvent favoriser un enrichissement conceptuel dans un champ qui cherche encore des fondements épistémologiques et théoriques.
Partant de cette question et en prenant appui sur des expériences professionnelles que j’ai mis en œuvre, cet article, écrit au cours de ma formation universitaire dans le département des Sciences de l’Education de Lambesc (Université de Provence Aix-Marseille I), poursuit une double visée :
- celle de favoriser la connaissance et l’échange de pratiques dans un domaine, celui de la prévention, où beaucoup de choses sont encore à construire et à conceptualiser.
- celle d’ouvrir des pistes de réflexion, en tentant de « transférer » des notions issues des théories de l’apprentissage vers le champ de la prévention
QUAND PRÉVENIR C’EST INFORMER/ APPROCHE BEHAVIORISTE: Rencontre avec des publics:
Dans les années 93, la nécessité de développer des actions de prévention de l’usage abusif de drogues, devient de plus en plus prégnante sous la pression sans cesse croissante de l’épidémie liée au S.I.D.A, notamment parmi les utilisateurs de drogue par voie veineuse. A cela venait s’ajouter l’inquiétude des adultes concernant les risques pour une jeunesse en quête de repères, de recourir à des drogues pour résoudre son mal être. Faire de la prévention pouvait s’entendre, métaphoriquement, comme un vaccin symbolique. Une manière de préserver le plus grand nombre, une manière de faire « front » en informant le maximum de personnes dans un minimum de temps. Les « objectifs » consistaient : d’une part, à informer les jeunes eux mêmes sur les risques encourus et d’autre part à sensibiliser les adultes sur ce qui dans les conduites de leurs enfants devait les alerter tout en leur dispensant, sous couvert d’un discours pédagogique, des conseils pour orienter leur relation éducative. Les associations étaient donc financées pour monter des actions de prévention où ce qui présidait à leur financement consistait, le plus souvent, à en évaluer l’efficacité avec le nombre de personnes que l’action permettrait de « toucher ».
Pour ces raisons, mais aussi du fait que la prévention de l’usage de drogues était un champ nouveau, peu investi par les professionnels du dispositif spécialisé de soins aux « toxicomanes » donc n’ayant pas donné lieu à l’élaboration de pratiques spécifiques, dans ces années là, « prévenir c’est informer ». Etaient appelées actions de prévention les « campagnes » nationales (spots télévisés, brochures, etc.), locales ( réunions publiques, information dans les lycées, etc.). La plupart de ces actions ne sont pas sans évoquer une approche cybernétique et/ou béhavioriste. Un émetteur, dont « l’objectif » repose sur l’idée que son message induira, provoquera un changement de comportement, une prise de conscience chez le récepteur. Des « professionnels » énoncent un message dans des campagnes nationales, dans des réunions d’information, dans des brochures sur les dangers de la drogue avec comme « objectifs », de modifier des comportements, d’éviter le recours à des drogues. Nous sommes là dans un modèle que la terminologie de A. GIORDAN
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(1998 p.32) qualifie de « pédagogie empirique » ou encore « frontale » ce qui « suppose seulement une relation linéaire entre un émetteur détenteur d’un savoir, …, et un récepteur mémorisant docilement les messages. ».
Si à l’époque, ce modèle, m’a permis de trouver une première légitimité pour rencontrer des partenaires et commencer à travailler avec eux à partir de préoccupations communes, très vite je me suis rendu compte que je ne pouvais pas fédérer un partenariat sur le moyen et le long terme à partir de tels projets ; Projets dont la logique « est exclusivement adaptative relativement à un référentiel normé pré défini. Le texte est déjà écrit, il est fondateur d’un sens déjà là qui doit être transmis,(…), par les Pères de l’Eglise ou par leurs substituts modernes en la figure de l’expert, …» B. DONNADIEU
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(1998 p 14). Les conséquences sur la conduite de ma mission étaient doubles. D’une part je me retrouvais avec des partenaires « désengagés, démobilisés ». Prévenir l’usage de drogues était l’affaire « de spécialistes de la toxicomanie », les messages étant élaborés à partir d’une connaissance spécifique des conduites addictives, ils ne pouvaient pas, légitimement, s’associer à leur élaboration. Faute de leur participation, non seulement les contacts avec les publics locaux se trouvaient compromis, mais la légitimité même de mon intervention sur la commune se trouvait remise en question. D’autre part la question restait posée, pour moi, concernant ce qui m’apparaissait comme une inadéquation entre l’intention induite par les discours de la prévention, à savoir transmettre les connaissances nécessaires à une prise de conscience et les méthodes mises en œuvre : Comment favoriser l’appropriation de connaissances si les messages s’adressent à un auditeur anonyme dont, on ne connaît, ni l’environnement dans lequel il évolue, ni son raisonnement, et encore moins les questions qu’il se pose concernant l’objet « drogue » ? Par ailleurs lors des réunions publiques, les personnes ne manquaient pas pour exprimer que les discours globalisants, qui s’adressaient à tous, ne recoupaient pas la singularité de leur situation, de leur expérience. A l’instar de ce que B. DONNADIEU, M. GENTHON, M. VIAL
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(1998 p 30) nous proposent en évoquant l’écart entre « le sujet de la théorie » et « le sujet de la pratique », dans les réunions d’information les messages s’adressent à un sujet « …, désincarné et intemporel. (…), il n’a ni passé ni futur, il n’a aucun projet ; il a tout juste une mémoire. Ni désir, ni complexe, ni affection. ». De plus, ma pratique professionnelle dans le champ du soin avec des personnes « toxicomanes », tout en alimentant ma réflexion, me conduisait à considérer le sujet comme « à la fois un sujet psychologique, un sujet social, un individu inscrit dans les institutions, un sujet sexué (celui de la psychanalyse),… » (ibid. p31).
QUAND PREVENIR C’EST AUSSI « CONSTRUIRE AVEC »/ APPROCHE SOCIOCONSTRUCTIVISTE : Rencontre avec des parents
A partir de ces premières réflexions et questionnements j’ai réorienté mon activité de manière à répondre à ce qui m’apparaissait, empiriquement, comme une triple nécessité :
- D’une part celle de proposer une conception de la prévention de la « toxicomanie » qui légitime la place des partenaires dans la construction des actions.
- D’autre part celle qui me dictait de partir de l’environnement et des questionnements des publics pour construire une information pertinente.
- Enfin, celle qui consistait à associer les publics à l’élaboration des messages, postulant ainsi que c’est en construisant le message qu’est favorisée sa possible appropriation.
Pendant l’année scolaire, qui à suivi, en prenant appui sur une rencontre avec des parents d’élèves en présence de certains professionnels locaux, j’ai proposé et mis en œuvre, avec les partenaires du C.C.P.D, un projet dont « l’objectif » consistait à « construire », avec les parents eux-mêmes, des messages préventifs en direction d’autres parents au plus près de leurs préoccupations. La plaquette réalisée en replaçant la nécessité de prévenir l’usage de drogues dans le cadre d’une prévention plus large, parmi d’autres questions à prendre en compte et en interaction entre elles, notamment celles concernant la santé (physique psychique, sociale), celles concernant les relations éducatives parent/enfant/adolescent, a permis à chaque partenaire de trouver un intérêt et une légitimité à sa participation.
De manière transversale, au fil des rencontres était née l’idée d’une première modalité de diffusion de « la plaquette » en proposant à l’ensemble des parents de la ville une « soirée - débat », qui s’est déroulée dans les mois qui ont suivi, dans le Centre Culturel/Cinéma. Une centaine de parents étaient présents pour visionner le film « le péril jeune », (accueillis par Monsieur le Maire et la presse) et pour participer au débat animé par une psychologue de « l’Ecole des Parents et des Educateurs » ainsi que par les membres du groupe ayant réalisé la plaquette.
Au delà de ces moments forts, qui ont ponctué l’action, la partie la plus enrichissante, voire la plus efficiente, du travail, est sans doute celle qui s’est vue le moins. Il s'agit de tous ces échanges ,débats, interrogations, présents tout au long des rencontres, et qui étaient la véritable visée de ce travail. Le « comment nous allons faire ? » pour dire ce que nous avons à dire à d’autres,. et quelle connaissance avons nous de ce dont nous allons parler, à quoi où à qui se réfère t elle ? Véritable métissage entre des moments où, comme le suggèrent B. DONNADIEU, M. GENTHON, M. VIAL (op.cit. pages 24-25) je fais l’hypothèse que « l’objet à connaître est construit par le sujet » et où à d’autres moments « l’objet construit le sujet qui le construit ».
Au terme de cette action je constatais qu’une dynamique s’était créée. Le bilan effectué avec les parents d’élèves et les professionnels pouvait en témoigner dans le sens où chacun, à différents titres, souhaitait poursuivre ensemble et construire d’autres actions de prévention.
C’est dans les rencontres qui ont suivi, dans lesquelles nous interrogions le « comment poursuivre ? » que j’ai mesuré certaines des limites de ma conceptualisation de la prévention, notamment concernant ce qui n’est pas aujourd’hui sans évoquer par certains aspects, la pensée par objectifs, à savoir qu’une fois l’objectif atteint la tâche terminée, l’objet construit, il n’y avait plus de projet. Ce que j’appelais « projet » était confondu avec « l’objectif ».En ce sens « l’objet à produire est confondu avec le projet (…) ce n’est pas par le projet que la situation s’organise mais par la fabrication de l’objet. »(M. VIAL 2000 p5)
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. Par ailleurs, si je constatais qu’il y avait bien eu « intégration » d’un certain « savoir », concernant les interactions entre santé, relations parents/enfants et usage de drogues, notamment par la restitution de ce savoir lors de nos rencontres et lors de la soirée en présence des parents de la ville, son « appropriation » n’était encore pas suffisante pour permettre aux différents acteurs de l’utiliser pour proposer de nouvelles actions. En cela « si l’intégration du savoir est en jeu dans l’apprentissage, on ne pourra dire qu’il y a eu apprentissage que si le sujet est en mesure d’utiliser ses savoirs pour agir, » (op.cit. p 27).
PRÉVENIR C’EST,… PARFOIS EN « JACHÈRE »
Constat que je faisais aussi à mon égard. En effet face au souhait de ces parents de poursuivre, mais aussi face au souhait des responsables du C.C.P.D, qui me demandaient de proposer et une continuité, et un élargissement à d’autres publics de cette action, à l’instar de mes partenaires et à l’instar des parents d’élèves, je n’avais pas plus d’autre action immédiate à proposer. Avant d’être en capacité de proposer une continuité il a fallu un temps de transition : Temps de « jachère » au sens du développement que nous propose J. ROUZEL
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(1995 pages 65 à 73) ) et dans lequel en se référant au psychanalyste Masud KHAN il précise que la jachère « n’est pas un état d’inertie, de nonchalante vacance ou d’oisive tranquillité d’esprit, (…). » mais plutôt un temps de « gribouillage de l’inconscient qui prend son rythme de l’association libre des pensées ». Gribouillage, que j’entends, comme métaphore des différentes tentatives de mise en forme, tentatives pour conceptualiser, tentatives d’énonciation du sens et l’association libre des pensées comme modalité de passage du sensible à l’intelligible.
PRAXIS ÉDUCATIVE « PAR ET AVEC LA PAROLE »: Rencontre avec une parole qui « fait-savoir »
Pendant toute l’année suivante, les rencontres avec le groupe qui avait réalisé la plaquette se sont poursuivies ; Rencontres au cours desquelles « ce qui fait que le projet travaille c’est que les acteurs parlent sur le projet. » (M. VIAL op.cit. p18 et 20). Pour ma part, à partir de ces rencontres, au fil du temps, je faisais de plus en plus de liens entre ma pratique d’éducateur auprès de personnes qui abusent de drogues et ma pratique dans le champ du « prévenir ». Ces liens m’ont conduit à préciser et à expliciter le sens de mon « engagement » dans le projet qui se construisait avec d’autres, et à y transférer ce que j’apprenais de ma pratique et de mes rencontres avec des « toxicomanes ». La majorité des personnes dont je me suis occupé, au cours des entretiens réguliers que nous avions, et à partir desquels nous cherchions ensemble une sortie possible de la dépendance, associaient leur consommation de drogue (s) à des situations où ils étaient différents après en avoir pris qu’avant d’en prendre. Pour chacun cela se déclinait de manière singulière. Par exemple, pour telles personnes l’objet drogue leur permettait de « passer » de l’introversion à l’extraversion, pour telles autres elle leur permettait de parler en société, pour telles autres, encore elle leur permettait l’accès à une image, d’eux mêmes, conforme à leur représentation de ce qu’est être un homme, une femme, de ce qu’est être « normal ». Par ailleurs ces déclinaisons issues de situations prises dans le vif de la vie quotidienne immédiate, au terme d’un « suivi » de plusieurs années, arrivaient parfois à être associées à des moments de leur histoire où ils avaient fait l’expérience que quelque chose, ou que quelqu’un manquait. Moments de rupture, de séparation, de deuil, de mutation, et qui ré-interrogeaient radicalement la relation qu’ils avaient jusqu’alors avec les autres et avec le monde, interrogations qui n’avaient pas trouvé, dans les réponses apportées par l’entourage, les repères « nécessaires » pour leur donner accès à une ré-élaboration de leur vision d’eux mêmes et d’eux dans le monde. En quelque sorte ces interrogations étaient restées « en souffrance », « en jachère », et la drogue avait pour fonction, de par l’apaisement « réel » des affects qui leur étaient associés, d’y apporter une réponse. Il y avait une réponse ; l’usage de drogue, qui certes posait des problèmes, mais qui maintenait à distance « la question de la souffrance ». En cela la drogue le plus souvent n’est pas « le problème », bien au contraire : « c’est la solution » et la plus part du temps les usagers ne visent pas à ce que nous leur proposions des « réponses » mais bien plus que nous les aidions à se poser la ou les « bonnes questions ». Au fil du temps, au fil des entretiens, au fil de leur parcours fait de tentatives, de rechutes , de répétitions, c’est par la « parole » qu’ils apprenaient quelque chose d’eux mêmes et de ce qui fondait leur rapport aux drogues, donc aux autres, et au monde. Au fil du temps, c’est dans le cadre d’une « coopération herméneutique » B. DONNADIEU(1998, op.cit.) qui prend comme un texte le discours des sujets, que se révélait la question du sens que recouvrait pour chacun d’eux le rapport singulier qu’ils entretenaient avec« l’objet » drogue. C’est en prenant appui sur ce que je trouvais dans le cadre de cette praxis éducative d’inspiration psychanalytique, que j’ai alimenté la continuité du projet dans le champ de la prévention de l’usage de drogues.
QUAND PRÉVENIR C’EST AUSSI, FAVORISER DES SITUATIONS D’APPROPRIATION DE CONNAISSANCES, C’EST FONDER DES LIENS DE SIGNIFICATION : Rencontre avec des « sujets » et le « désir d’apprendre »
Pendant les deux années suivantes, j’ai invité les adultes de la ville (enseignants, travailleurs sociaux, professionnels de la culture, parents, habitants, etc.) à faire vivre un lieu de parole dans une maison de quartier autour de leurs préoccupations liées à la prévention de l’usage de drogues et à l’éducation. Les séances étaient ponctuées une fois par trimestre par la présence d’une personnalité ( anthropologue, psychanalyste, philosophe, …) qui venait s’interroger avec nous à partir de son expérience sur des thématiques en rapport avec les préoccupations des participants (la famille, la parentalité, l’éducation,…). Ce lieu a favorisé la rencontre d’enseignants, de travailleurs sociaux, de professionnels du champ de la culture, et des parents des habitants, des militants associatifs, etc. J’y soutenais la métaphore de « l’atelier ». Un atelier étant un lieu où des artisans, des ouvriers, travaillent ensemble et où chacun selon son expérience, son savoir, ses compétences, ses capacités, contribue à une production. Le matériel mis au travail étaient les situations, les questionnements, les théories implicites ou explicites, que chaque participant amenait et qui témoignaient d’une rencontre avec d’autres (les enfants, les jeunes, les parents, les pairs, etc.) et qui étaient source de préoccupations, d’incompréhension, et parfois de souffrance. Les outils étaient, le langage, la parole, les mots ; Outils dont chacun se sert quotidiennement pour rendre compte, pour « réguler », pour transformer, changer, le rapport à soi, le rapport avec les autres, le rapport avec le monde. Atelier où chacun pouvait y trouver « des mots pour prévenir et des paroles pour faire-savoir » et donc contribuer de sa place à favoriser dans sa relation avec les enfants, les jeunes une prévention de l’usage de drogues. La parole, parler à quelqu’un est, à mon sens, une des conditions possibles pour qu’une dialectique s’instaure, entre ce que l’un dit et ce que l’autre entend,. entre le nécessaire et le possible, entre le latent et le manifeste, entre le dedans et le dehors, entre le « visée » et le « programmatique » (J. ARDOINO 1986)
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. Dans une telle conceptualisation, « prévenir » devient un processus complexe dans le sens où les mots les paroles mis en énoncés, en messages, en communication, n’appartiennent pas à un seul, ils sont pour une part à celui qui les énonce et pour une autre part à celui qui les entend. C’est dans les transferts, dans les liens de signification, entre ce que l’un veut dire et ce que l’autre entend, c’est dans la dialectique entre les mots et les choses, dans le fait que « les mots » deviennent « Autre chose » que les choses qu’ils sont sensés représenter et que cette autre chose « ça
me
parle », que les mots qui veulent prévenir passent parfois à des paroles qui font savoir.
A propos de cette continuité, il y a beaucoup à dire, tant elle a eu pour effets de remettre radicalement en question les repères habituels concernant la relation d’aide, mais aussi les fondements du savoir sur lesquels elle repose, l’ordre même de ce savoir et les modalités de sa possible transmission. Par ailleurs elle a ouvert à une modalité de rencontre avec des publics en difficulté davantage fondée sur leur « désir d’apprendre », je dirais même désir « délibéré » d’apprendre, d’eux mêmes et des autres, que sur la proposition de résoudre leurs problèmes. Mais s’appuyer sur le premier ne permet-il pas, de surcroît, de résoudre les seconds ? Les participants n’étaient pas là au « titre » de personnes en difficulté, et dans un tel cadre le « titre » des professionnel n’a pas toujours suffi à donner de la légitimité, du sens, de l’autorité au discours. Renvoyant chacun à la nécessité de trouver pour soi et en soi une manière de suffisamment bien dire ce qu’il a à dire, de son expérience, de ce qu’il sait (et à qui ou à quoi il se réfère) pour que quelque chose se passe, se transmette, change. Au fil des rencontres, de nombreuses questions se sont posées autour des fonctions parentales, de la transmission des valeurs, des comportements actuels de la jeunesse et des adultes qui les entourent, de comment parler aux jeunes, etc. Mais se sont posées aussi des questions liées à des situations concrètes, vécues avec leurs enfants ou dont les participants avaient été les témoins, ou encore qui leur avaient été confiées par un(e) ami(e), un voisin, un collègue de travail et qui laissait entendre une demande. Demandes d’aide faites dans le quotidien, dans la vie de tous les jours par des adultes, qui engagés dans une relation singulière avec un « autre » se sentent en devoir de répondre et qui avaient le « désir d’apprendre » comment trouver la possibilité de le faire.
CONCLUSION OU PERSPECTIVES ?:
En commençant à écrire cet article mon intention était de favoriser la connaissance et l’échange de pratiques, et tenter d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion. Pour ce faire , j’ai pris le parti de ré-interroger des projets professionnels, que j’ai élaboré et mis en œuvre, en proposant une conception de la prévention qui se donne pour visée de favoriser l’appropriation de connaissances. En situant la « prévention » dans le champ de l’éducation et de l’apprentissage j’ai essayé de démontrer, comment et en quoi les Sciences de l’Education peuvent contribuer à en conceptualiser les pratiques. Notamment en m’appuyant sur des notions qui se référent aux approches « béhavioristes », « socio-constructivistes », mais aussi à la « pédagogie par objectifs » ou à la « pensée par projets ». Par ailleurs et de manière transversale j’ai essayé de démontrer, aussi, que loin de se résumer à une simple transmission mécanique « d’information », « prévenir » relève d’un « processus de communication complexe » au sens du développement qu’en fait J. ARDOINO
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.(1999, p.1-20)
Arrivé, au terme de ce que je me proposais de faire dans cet article, l’usage appelle à ponctuer ce travail par un point de conclusion. Or au moment de conclure, une autre perspective apparaît qui appelle à ponctuer la fin de cet article par des points de suspension,…
En effet la classification la plus répandue et sans doute la plus partagée en matière de prévention consiste encore aujourd’hui à la qualifier de : primaire, secondaire et tertiaire. C’est cette terminologie qui permet, la plupart du temps, de discriminer la finalité des actions, le ou les publics qu’elles se proposent de toucher mais aussi la légitimité et la posture des acteurs qui les mettent en œuvre.
Les Sciences de l’Education n’ouvrent elles pas une double perspective : celle d’une lisibilité, non seulement des pratiques de prévention comme j’ai essayé de le démontrer dans cet article mais aussi celle de conceptualiser des « modèles de la prévention » ?
Santiago OLARIA
Educateur Spécialisé,
Etudiant en Licence Sciences de l’Education
1
PICOCHE, J
.,
« Dictionnaire Etymologique du français »,
Le Robert, Coll. « les usuels », 2000
2
GIORDAN, A
.,
« Apprendre ! »,
Belin, 1998
3
DONNADIEU, B
.,
« La formation par alternance, coopération herméneutique »,
Université de Provence Aix-Marseille 1, Département Sciences de l’Education, En question, Titresn°2,1998
4
DONNADIEU, B. GENTHON, M. VIAL
, M., «
Les théories de l’apprentissage. Quel usage pour les cadres de santé ?
», Paris, Masson 1998
5
VIAL, M
.,
« La pensée par projets dans les formations professionnelles »
, Aix en Provence, Les cahiers d’Aix N°32, 2000
6
ROUZEL, J
.,
« Parole d’éduc ». Educateur spécialisé au quotidien
, Érès, 1995
7
ARDOINO, J
.
« Finalement, il n’est jamais de pédagogie sans projet »,
Education permanente, n° 87, 1986 p. 153-158.
8
ARDOINO, J
.
« Education et Politique »
, Paris, Anthropos, (2èmè édition), 1999, p 1 à 20.