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Petite chronique de DC annoncés

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Hervé Lassale

vendredi 09 novembre 2007

La mise en place de la nouvelle réforme de la formation des éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs, éducateurs techniques, s’inscrit dorénavant dans la logique des compétences. En cela elle relaye et prolonge le discours managérial dominant, de l’entreprise et du marché, dont la pierre angulaire repose sur les notions de rendement, performance, efficacité, optimisation, quantification, certification des résultats etc…, révélation post-moderne de « l’homo economicus » dénoncé par P. Bourdieu comme « monstre anthropologique habité par une pseudo rationalité qui ramène tous les problèmes de l’existence humaine à un calcul »2. Ce nouveau dispositif de formation et la novlangue qui l’habille se veulent résolument pragmatiques. L’arborescence du triptyque « référentiel métier/référentiel d’activité/référentiel de compétences », promeut une « éthique » de la pratique essentiellement utilitariste et fonctionnaliste3. Selon ce modèle il convient de proposer une nouvelle grille d’intervention suivant laquelle les méthodes et les techniques permettent d’agir avec efficacité et rapidité pour résoudre les problématiques individuelles et sociales rencontrées. Cette nouvelle rationalité pseudo-scientifique soumet l’action (« pouvoir agir, savoir agir, vouloir agir » traduit en « pouvoir faire, savoir faire, vouloir faire ») à des objectifs lisibles et visibles, mesurables et quantifiables. L’action éducative doit désormais s’inscrire et être « finalisée » dans un projet d’action4 « scientifiquement » évaluable. Il s’agit dès lors de construire exclusivement une nouvelle pédagogie de l’action : l’agir/l’action constituant le leitmotiv de ce nouveau discours (non amoureux, il y manque hélas le « bruissement de la langue » comme l’enseignait Roland Barthes), sera accommodé à toutes les sauces plus ou moins digestes. Le discours positiviste hérité de la pensée cognitivo-comportementale constitue le trépied conceptuel (pouvoir- savoir- vouloir agir)5 sur lequel repose le triangle des Bermudes de la sacro-sainte Compétence. Comment faire pour réaliser (programmer ?) l’action ?, avec quels outils ?, selon quels objectifs…? Dans ce modèle, le « gai-savoir » adossé à la question du pourquoi (pourquoi le faire, le dire, le penser etc..) est réduit à une pluralité de « savoirs/savoir-faire » (indicateurs de compétences) qui commandent et guident l’action6. La production et l’application de ce savoir prêt à penser et à agir seront alors les seuls indicateurs garants de la « bonne pratique »). Ainsi, dans cette nouvelle réforme, chaque domaine de compétence définit les conditions objectives en terme de savoirs/savoir-faire, utiles et nécessaires (utiles parce que nécessaires et nécessaires parce que utiles) pour fonder l’exercice du futur métier d’éducateur.

Dans cette perspective, la formation éducative sera le produit de l’acquisition et de l’apprentissage d’une collection et d’un empilement de savoirs hétérogènes, souvent contradictoires qu’il conviendra de « bien » maîtriser afin de re définir la nouvelle posture du travailleur social. Cette logique conduit à définir la posture du technicien-expert en travail social qui maîtrise bien son « sujet » à partir de savoirs/savoir-faire autonomes, atomisés, composés de prescription d’énoncés transférables et prédictifs. Nous comprenons rapidement que ce modèle, exclusivement adossée à la logique techniciste simpliste et pratico/pratique du « comment faire » a pour fonction de toujours rechercher à faire taire ce qui dérange, ce qui ne tourne pas rond…de maîtriser, contrôler ce qui lui échappe de structure, c’est-à-dire le Sujet, divisé entre sa volonté et son désir, divisé dans son rapport à la jouissance et à ses objets…La finalité de ce modèle se résumant à gommer le symptôme social ou personnel au profit d’une fallacieuse normalisation de la conduite.

Pour exemple je vous propose de prendre connaissance du DC 1 (décès 1) intitulé « accompagnement social et éducatif spécialisé » et des indicateurs de compétences qui lui sont associés. Le futur professionnel doit être capable de :

-Savoir recueillir et analyser des informations et des documents concernant la commande sociale et la situation de la personne ou du groupe. 
- Savoir observer les attitudes et comportements des usagers. 
- Savoir développer une écoute attentive et créer du lien. 
- Savoir identifier et réguler son implication personnelle. 
- Savoir repérer et mobiliser les potentialités de la personne ou du groupe. 
- Savoir repérer et respecter les déficiences, incapacités et handicaps. 
- Savoir mettre en oeuvre des actions adaptées dans le respect des droits et aspirations de la personne. 
- Savoir adopter une posture éthique. 
- Savoir favoriser l’expression et la communication 
- Savoir expliciter les normes et usages sociaux. 
- Savoir aider la personne à se positionner 
- Savoir favoriser l’apprentissage des règles de vie collective. 
- Savoir se positionner auprès de la personne aidée en tant qu’adulte de référence. 
- Savoir comprendre une situation. 
- Savoir exploiter une relation d’échange. 
- Savoir affiner ses objectifs de travail. 
- Savoir instaurer une coopération avec la famille et les proches. 
- Savoir concevoir et mener des activités de groupe et rendre compte de leur budget. 
- Savoir proposer des axes d’animation. 
- Savoir prévenir et repérer les situations de maltraitance. 
- Savoir repérer, apprécier en équipe les indices inquiétants concernant la santé ou la mise en danger des personnes confiées. 
- Savoir inscrire la vie quotidienne de l’individu ou du groupe dans une dimension citoyenne. 
- Savoir contribuer à l’épanouissement de l’individu au sein du collectif. 
- Savoir utiliser les techniques de gestion des conflits

La lecture de cette longue liste de compétences révèle la simplification à l’extrême de questions qui ne vont pourtant pas de soi et nous plonge dans l’embarras épistémique. Ainsi, - Savoir observer les attitudes et comportements des usagers. - Savoir développer une écoute attentive et créer du lien. - Savoir identifier et réguler son implication personnelle-savoir adopter une posture éthique ne saurait constituer une pétition de principe. Non seulement « ça » ne se décrète pas à coup de savoirs/savoir-faire, vouloir/vouloir faire, mais ça nécessite d’identifier le lieu théorique et idéologique que ces prescriptions surmoïques sous tendent. Cette rhétorique langagière n’est pas neutre. Dans ce dispositif l’éducateur - homme du regard - observe, inventorie, classe des attitudes, des comportements, les réfère à une norme, il maîtrise la situation et l’usager (sic). « Armé » de tous ses savoirs, l’éducateur, se doit d’écouter, de contribuer à l’épanouissement de l’usager, à lever les « freins » de son inadaptation etc….(Lire, à ce propos la communication de Philippe Chavaroche parue sur le site « PSYCHASOC » et dans le n° 854 de la revue « Lien Social » intitulée : « Critique d’une triste réforme »).

Pour ce faire, l’éducateur se doit d’identifier et réguler son implication personnelle (prendre du recul ! faire passer le message puisqu’il aura appris à « bien » communiquer !). Quant à savoir adopter une posture éthique...quelle tautologie ! En effet, comment penser la question éthique (lieu de l’incertitude et de l’altérité) en l’articulant à une logique de l’apprentissage et de l’action ?

Et nous pourrions poursuivre ce travail de déconstruction pour chaque « domaine de compétence »…

Dans cette idéologie du « yakafauxcon » - permettez-moi ce néologisme -, où l’idéal de savoir règne en maître et en maîtrise, comment encore penser la question du sujet, de sa place dans son rapport à l’Autre ? comment entendre ce qui le/nous dérange, l’/nous embarrasse, le/nous fait souffrir, comment articuler la question de la demande et du désir de l’Autre dans le transfert?7 quid du symptôme et de la vérité qu’il recèle ?...Encore faudrait-il accepter et admettre que l’impossible troue le savoir en le dé/totalisant. Nous le savons, le pas-tout dire/faire/être est incompatible avec l’emboîtement (souvent contradictoire) des modèles cognitiviste/comportementaliste/communicationnel/holiste/systémique qui sous-tendent les référentiels théoriques sur lesquels s’appuient cette nouvelle réforme.

En fin de compte, cette logique des DC ne signe-telle pas la mort de la clinique éducative ?

Contrairement à ce que pourrait laisser penser l’idéologie de la réforme, il n’existe pas de pratique de l’évidence…, dans la formation des travailleurs sociaux, il est fondamental, comme le démontre Saül Karz8, d’inviter chaque étudiant (e) à effectuer le travail de déconstruction de ses représentations (savoirs/savoir-faire/savoir-être) pour en comprendre les fondements et les enjeux.

Que penser de la place/fonction/articulation entre les Centres de formations et les « Sites qualifiants »? Cette nouvelle dénomination utilisée pour remplacer celle de « Terrain de stage » doit-être ici interrogée...Site qualifiant : kesaco ? est-ce en référence à la novlangue informatique, est-ce la nouvelle AOC (appellation d’origine contrôlée) qui qualifie et certifie dorénavant la « bonne pratique »? allons-nous évaluer/certifier l’acte éducatif à l’aune de la norme ISO ?

Permettez-moi de préférer l’ancienne formulation de « Terrain de stage » : on y pense avec les pieds, son corps, sa tête, on s’y déplace sur des chemins de traverse sans trop savoir où l’on va, on s’y embourbe, on revient sur ses pas, on se colle-tine au soc du réel…c’est certainement moins « clean », mais plus proche de la glaise, de l’humus qui rappelle la fragilité de l’humain…Quelle pertinence accorder à un modèle qui laisserait penser que seuls les « Sites qualifiants » seraient désormais identifiés comme les lieux de stage garants et fondateurs de la Vérité de la pratique et de la Compétence…Pourquoi ne pas reconnaître qu’ils sont traversés, eux aussi, par des modèles idéologiques et qu’ils construisent et orientent leurs interventions à partir de références théoriques multiples et contradictoires ?…la pratique vécue, expérimentée, construite sur les Terrains de stage n’est formatrice que si les données de l’expérience sont dialectisées, mises en tension avec les savoirs théoriques (dans les instances d’analyse de la pratique, lors de la rédaction de la monographie et du mémoire, dans les ateliers techniques etc.) Car ainsi, les étudiants peuvent construire/élaborer dans un souci éthique, les outils théoriques et techniques qui les aident à mieux s’orienter et avec esprit critique dans leur future pratique professionnelle. Seule une pédagogie de l’écart, de l’entre-deux et de la surprise peut amener à une véritable construction de la praxis…elle n’est pas synonyme d’accumulation de savoirs segmentés…, elle s’inscrit résolument dans une temporalité non linéaire faite d’allers/retours, de reprises..., elle doit toujours laisser place à l’insu, à l’erreur…

Dans cette perspective, il ne s’agit pas de « coller » à la demande des « Sites qualifiants », ni de se conformer à la tyrannie du modèle scolaire, ni d’ « instrumentaliser » les savoirs/savoir-faire pour les loger dans les tiroirs du modèle de la compétence; il s’agit de co-construire des espaces de relation et de production, de mettre au travail la subjectivité de chacun pour donner cohérence, sens, implication mesurée, à l’acte du futur travailleur social.

Vous aurez sans doute compris que la posture pédagogique proposée ici est résolument socratique et copernicienne, qu’elle est avant tout une pédagogie de la question. Les formateurs des Centres de formation n’ont pas attendu la nouvelle réforme pour que l’étudiant soit acteur/producteur de sa formation, « co-constructeur de son parcours de formation »). Eradiquer dans la formation le « pourquoi » au profit d’une logique du comment savoir-agir/pouvoir-agir/vouloir-agir conduirait à renier les valeurs humanistes qui fondent et orientent nos pratiques professionnelles .

A la suite de Primo Lévi et de Hanna Arendt, Pierre Legendre9, juriste et psychanalyste nous indique que rejeter l’altérité supportée par la question ne peut déboucher que sur une conception « bouchère de l’humanité ». 



1Domaines de compétences

2Vincent De Gaulejac, « La société malade de la gestion » Paris, Ed. Seuil, 2005 p.49

3Michel Chauvière, « Ce social que l’on enseigne…les enjeux de la formation » in : « Informations Sociales », n° 135, octobre 2006 : pp.8-9 « …Au plan cognitif, la tension est forte entre épistémologie positiviste ou utilitariste et épistémologie clinique ou analytique, du fait notamment de « l’extension du domaine de la lutte » (crise économique et forte demande sociale; croissance de l’ingénierie et des fonctions d’expertise par suite de la décentralisation) et de la domination du « managérialisme » (ou hypertrophie de la raison gestionnaire avec son double « démocratique » : l’idéologie de la participation. Dans ces nouvelles conditions externes et internes, sur quelles bases (valeurs, théories, modèles) peut-on (re)fonder une pratique de formation, alors même que le travail social reste toujours aussi difficile à délimiter… »

4Michel Autes, « Les Paradoxes du travail social » Paris, Ed. Dunod, 1999, p. 250 : « l’action correspond à des séquences d’actes agencés dans les stratégies qui les organisent, les finalisent. » Elle est à différencier de l’acte. « On appelle acte, l’engagement de la personne, l’acte posé à un moment (par quelqu’un, par une institution), le fait, la décision qui modifie toute situation. Après l’acte les choses, les gens ne sont plus comme avant. »

5Vincent De Gaulejac, op.cit, p.58 : « Primat de l’action, de la mesure, de l’objectivité, de l’utilité, la pensée gestionnaire est l’incarnation caricaturale de la pensée occidentale … »

6Guy Le Boterf, « Compétence et navigation professionnelles », Paris, Ed. d’Organisation, 1997.

7Joseph Rouzel, « Le transfert dans la relation éducative. Psychanalyse et travail social », Paris, Ed. Dunod, 2000

8Saül Karsz, « Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique », Paris, Ed. Dunod, 2004

9Pierre Legendre « L a fabrique de l’homme occidental »,Ed. Mille et une nuits/Arte,1996, p.7 : « Il n’est au pouvoir d’aucune société de congédier « le pourquoi », d’abolir cette marque de l’humain. Et pourtant…L’effondrement du questionnement, en cet occident trop sûr de lui-même, est aussi impressionnant que ses victoires scientifiques et techniques. La peur de penser en dehors des consignes a fait de la liberté, si chèrement conquise, une prison, du discours sur l’homme et la société, un langage de plomb ».

Hervé Lassalle, Formateur à l’ Institut du Travail Social Pierre Bourdieu de Pau, Psychanalyste

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