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Peut-on envisager l’existence sans produire de valeurs ?

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François SIMONET

lundi 16 septembre 2019

Peut-on envisager l’existence sans produire de valeurs ?

François SIMONET

Gestions Hospitalières – n° 588 – Septembre 2019

En produisant des valeurs, l’humain tente de donner du sens à l’existence. Ces valeurs, que l’on trouve dans les systèmes de valeurs, répondent aux conceptions qu’a une société de son organisation et de son fonctionnement. 

Cette dynamique de détermination et de production de valeurs est intrinsèquement liée à la pratique d’évaluation. Probablement ce qui provoque une frénésie d’évaluation au sein des organisations hyper-techniciennes. 

Dans l’intention de rendre lisible et compréhensible la notion de valeur, l’auteur propose ici une réflexion qui se veut pratique, argumentant son propos d’après des caractéristiques qui définissent la valeur. 

Mots clés : valeur, évaluation, valuation, valorisation

N

ous sommes quotidiennement confrontés à des valeurs saturant tout l’espace social, qu’elles soient morales, économiques, politiques, religieuses, juridiques, culturelles, symboliques, esthétiques, scientifiques, philosophiques, imaginaires. 

De manière explicite comme implicite, elles sous-tendent toute action et décision.

Évoquées dans les discours en termes de « grands principes », ces valeurs restent cependant abstraites, au point de se demander si  tout se vaut  !

Y-a-t-il adéquation ou dissonances entre nos valeurs, nos convictions et nos actes ? 

Nos sens sont en permanence sollicités par quantité d’informations comme autant de valeurs à enregistrer, décoder, analyser et interpréter.

L’humain passe son existence à créer et à agir, dans une constante tentative de produire du sens et des valeurs pour justifier ses actes et son existence. 

Qu’est-ce qui « détermine » la valeur de l’individu, des idées, des actions, des objets ? 

A partir de quoi et d’après quels critères déterminer la valeur ? 

À l’origine, la valeur existe-t-elle ? 

Plutôt que d’appréhender un terme - qui sous-entend une idée, une action – par le critère habituel étymologique pour en saisir la substance, il semble intéressant de prendre en considération un ensemble d’aspects, non exhaustifs, qui le caractérise : 

ü L’ historicité  :il s’agit des évolutions du terme selon les contextes, les époques, les courants de pensée, adossées à l’histoire des langues d’après lesquelles il s’est construit. Le mot est attaché aux récits qui le mobilisent et que l’on trouve dans les usages.

En ce sens, envisageons une histoire – dans l’esprit d’une généalogie – sociale, politique, économique, religieuse, philosophique, scientifique, militaire… du terme ;

ü La  lexicographie  :comme étant la relation du mot à la langue. La  valeur du terme  vaut en fonction des conceptions qu’a une société de sa vision du monde. 

Rien ne prédispose à ce qu’un individu, une idée, un objet vaille plus ou moins qu’un autre si ce n’est, peut être, par rapport la place qu’il va occuper et la fonction sociale qu’il va remplir.

ü La  sémantique  :comme étant la relation du mot au sens, à la signification. Avec l’évolution de la langue, la sémantique opère des glissements, au niveau du sens propre et du sens figuré, au sein des différents champs sociaux et professionnels[1]. 

ü Les  usages  :la  valeur diffère selon qu’il s’agit du langage commun (familier) ou de la spécialisation des savoirs (savant). Ce qui se vérifie par les dictionnaires et encyclopédies.

Des usages porteurs d’intentions, de préférences, de subjectivités et de rationalités, fonction de jugements et de normes.

ü Le  graphisme  :par exemple la calligraphie, en termes de caractère, de phonétique, de résonnance du mot. La manière dont le mot peut se dessiner, prendre forme, dans un but esthétique, symbolique et imaginaire.

Nous pourrions ainsi parler d’une  imagerie de la valeur.

Autant d’aspects qui ne sont pas exclusifs les uns des autres mais bien plutôt entremêlés, tissés ensemble. 

Dans son article : « Éducation/Économie : un conflit de valeur(s) ? », Michel Lecointe[2] propose une réflexion en observant le mot  valeur d’après :

-   Le nombre d’entrées du mot dans les dictionnaires et encyclopédies

-   Les types d’entrées du mot

-   L’origine

Détermination et production de valeurs : un processus de VALUATION ?

Nos pratiques sont mobilisées et organisées  par et  d’après les caractéristiques contenues dans les systèmes de valeurs de la société. Cette formulation dit la place majeure de la valeur dans l’espace social.

Croyances, conceptions, représentations, idéologies ; mythes, rites, tabous ; lois, règles, normes et usages ; langages ; choix des objets, des outils, des techniques et de leur utilisation ; des méthodes et des procédures ; modes de communication et relations humaines hiérarchisées ; manières de faire et de penser : ces valeurs, produites selon un processus de rationalisation des relations et des modes de communication, régies par des normes et des procédures, entrent dans la « logique » de la société qui les fabrique.

Individus et idées s’inscrivent dans la dynamique d’un système de valeurs doctrinales relatives à une société, à des contextes et à des moments historiques.  Les valeurs les plus « attrayantes » étant les plus efficaces . Les valeurs des systèmes qui les contiennent définissent ainsi la société, qu’elle fabrique à son tour, conditionnent son style de vie et ses institutions, ses modes d’appréhension du monde, ses systèmes d’interprétation, ses usages et ses finalités. Elles sont la marque qu’elle applique sur l’ensemble des « objets » qui la composent, dans tout son espace.

Aussi, plutôt que de parler de  systèmes de valeurs , il serait plus précis de parler des  valeurs des systèmes auxquels elles appartiennent et ce, pour les raisons suivantes :

-   Faire état d’abord des valeurs, c’est mettre en avant ce que contiennent les systèmes. Ayant nommé ces valeurs précédemment, nous savons ainsi clairement de quoi sont composés les systèmes (organisations, fonctionnements).

-   Les valeurs  valent d’après les systèmes auxquels elles appartiennent, dans un contexte donné. Ainsi, les valeurs identifient les systèmes qui, de leur côté, caractérisent les valeurs : la manière dont elles sont définies et mises en œuvre caractérise le système à l’intérieur duquel elles agissent, apportant ainsi une indication quant à la vision du monde établie.

Loin d’apparaître un simple effet de syntaxe, et même si elle paraît plus longue, la formulation proposée met les objets et les termes à une place qui leur donne pleinement sens. 

     Les principes de  valorisation et de  dévalorisation

Pour que l’on puisse parler de valorisation, c’est-à-dire : accorder de la valeur au monde sur lequel porte notre regard, il est nécessaire d’être assuré qu’il soit valorisable – c’est un postulat de départ. C’est-à-dire : d’une part qu’il puisse avoir de la valeur, d’autre part qu’il soit possible d’exercer une action qui vise à lui en accorder[3]. 

Aussi, de même qu’il existe une graduation, comme mode de mesure, considérons qu’il existe une valuation, comme étant une répartition de valeurs d’après une échelle de valeurs. Un mouvement de balancier s’opère ainsi entre valorisation et dévalorisation, fonctionnant sur un mode binaire du type : pur-impur, bien-mal.

Ce qui est valorisant est ce qui permet d’accroître la valeur ; ce qui est dévalorisant vise non pas à supprimer de la valeur mais à la diminuer, voire à la nier.

La valorisation et la dévalorisation montrent combien la valeur est mobile, contingentée, contextualisée au monde auquel elle se rapporte.

Il y a un double mouvement d’enrichissement et d’amoindrissement de la valeur correspondant à une logique de production de valeur. 

Comment rendre lisible la notion de valeur ?

La détermination et la fabrication de valeur, ce qui fait qu’une société est ce qu’elle est avec ses caractéristiques, repose sur un ensemble de critères. 

Le principe de valorisation/dévalorisation précédemment évoqué permet de saisir en quoi la valeur relève d’une construction sociale. Les caractéristiques de ce construit n’étant pas données  a priori mais déterminées, sélectionnées, fabriquées. 

Nous faisons ainsi la proposition d’une grille de lecture visant à rendre lisible et intelligible la complexité de la réalité. 

  1. 1.   La valeur n’est pas donnée  a priori

La valeur ne préexiste pas à l’humanité : elle relève d’une production humaine.

Elle se construit, intentionnellement autant que de manière implicite, en fonction de la société qui la détermine et la fabrique. 

Il y a là toute l’identité sociale avec les caractéristiques qui la définissent. 

Par l’éducation, la formation, en nous « imbibant » de la société au sein de laquelle nous vivons, nous intégrons les valeurs qu’elle véhicule. 

  1. 2.   Le principe de  réversibilité

Bien qu’elle s’installe dans une permanence (historicité), maintenant une certaine  cohésion et  cohérence sociale, la valeur n’est pas figée. Elle n’est pas acquise ni définitive. Elle est soumise à des mouvements d’ajustement, de rééquilibrage, se rapprochant d’un idéal. 

La valeur est au cœur d’une dynamique évolutive entre production et reproduction de valeurs : dynamique de production de nouvelles valeurs et reproduction de valeurs existantes. 

Le  mécanisme mental et social permet de choisir, de sélectionner les valeurs en fonction de traits caractéristiques correspondant à l’intention, à la conception de l’organisation sociale. 

En ce sens, la valeur est le produit de négociations, de consensus, de compromis. 

Ce qui s’inscrit dans ce mouvement de balancier exposé plus avant entre la valorisation et la dévalorisation.

3-  Principe de  non-universalité

Ce qui vaut pour les uns ne vaut pas pour tous. La valeur dépend des circonstances et du contexte, ce qui s’inscrit dans une logique de relativité et de non-universalisme. Il est ainsi nécessaire de traduire les valeurs entre les différentes sociétés pour la compréhension des principes respectifs qui les fondent et les gouvernent. 

Le principe de la production de valeur est universel mais pas la valeur même.

Chaque société définit pour elle-même ce qui doit être, ce qui doit se faire ainsi que la manière de procéder. 

4-  La valeur est contextualisée

Les valeurs répondent aux conceptions qu’a une société de son organisation et de son fonctionnement. 

En ce sens, la valeur dépend de son contexte de définition et d’utilisation. 

Les valeurs entrent ainsi dans la dynamique de la société qui les fabrique, fonction de caractéristiques sociales et politiques. 

En ce sens, les valeurs structurent le style de vie de la société et de ses institutions, ses modes d’appréhension du monde, ses systèmes d’interprétation, ses usages et ses finalités.

Elles correspondent à des idéaux - en termes de conception, d’organisation, de manière de faire - induisant des modes de vie. 

Ce qui génère l’idée de choix de valeurs idéologiques, en tant que production de systèmes de valeurs doctrinales, à une époque donnée.

Chaque organisation, qu’elle soit une société de manière globale, une entreprise, un club, un hôpital, se raconte par ses systèmes de valeurs. 

5-  La valeur s’inscrit dans un processus de production social et technique

Nous avons parlé des principes de valorisation et de la dévalorisation, argumentant en faveur d’un processus de construction de la valeur. 

Ce processus est à la fois technique et social. 

-   Technique en tant qu’action qui se veut rationnelle,  instrumentale , scientifique, reposant sur un ensemble de moyens et de procédés : des outils, des méthodes, des techniques, des procédures. 

-   Social par les aspects culturels, symboliques, imaginaires, philosophiques, éthiques. Cette dimension s’appuie sur le jugement de valeur qui va définir les idéaux, les modèles, en termes de repères-sociaux-types. Le jugement prend ainsi position pour délimiter, parmi un ensemble de possibles, la valeur à laquelle se référer. 

Technique comme social, et quel que soit le type de société, le processus de fabrication de valeurs est ritualisé. 

6-  La valeur est affaire d’expertise 

Quel que soit le nom que l’on peut attribuer à l’acteur concerné, eu égard au type de société auquel il appartient, la valeur est produite – et reproduite – par celui qui sait, qui peut, voire qui doit. 

Cette dynamique de détermination et de fabrication de valeur relève de l’expert et de l’institution. Celui-là étant qualifié, généralement agréé et mandaté pour agir par celle-ci.

Ce qui fait considérer que le processus de détermination et de production de valeur est inscrit dans une dimension politique qui en institue les principes. 

7-  Le principe de  hiérarchisation

Si l’on prend l’exemple de la Genèse, la hiérarchisation des valeurs est de fait dans la Création.

L’univers, la matière, les planètes, le vivant, se sont créés selon un ordre qui indique d’emblée une hiérarchisation. 

L’humain, qui veut avoir la maitrise technique du monde et qui, dans tous les cas, en a la responsabilité morale, a hiérarchisé ses modes de relations, ses conceptions, ses visions fonction de ses représentations de ce même monde, de ses croyances, de ses considérations. 

Tout se vaut-il ? et tout est-il placé sur un même niveau ? 

Cette hiérarchisation est, là encore, relative au contexte déjà évoqué

8-  La valeur comme  contrainte sociale

Par le fait de la contextualisation de sa production, par les caractéristiques sociales dont elle sature, la valeur conditionne l’humain. 

Les valeurs saturent l’habitus, structurant ce que l’on nomme habituellement les  systèmes de valeurs

L’humain est sous contrainte de l’autorité et des injonctions institutionnelles – l’organisation et le fonctionnement social. 

En ce sens, les valeurs – notamment idéologiques – relèvent d’un rapport au pouvoir. Elles sont un moyen de contrôle.

Le libre arbitre, généralement évoqué pour introduire la marge de liberté de l’humain, relève d’une position critique vis-à-vis des contraintes des systèmes de valeurs. 

Ces caractéristiques ne se veulent pas exhaustives. Si elles sont présentées de manière distincte pour les expliciter ne sont pas exclusives les unes des autres. La production de valeur relève de cette forme émergeante qui se dessine de cet ensemble de caractéristiques. 

Co-production des interactions dans la relation  valeur-évaluation

Une relation de fait existe entre  valeur et  évaluation , tant sur les plans sémantique, linguistique que sur les principes.

Peut-il exister un acte d’évaluer, une démarche d’évaluation, en dehors de la valeur ? 

En procédant à la définition de valeur, évaluer pose de fait une relation à la valeur. 

Nous évaluons pour produire de la valeur, recherchant en permanence à être dans les systèmes de valeurs. 

Évaluer consiste, par différentes opérations, à mesurer, à estimer, à déterminer et à attribuer de la valeur.

En ce sens, l’évaluation se présente comme un processus de détermination, de fabrication et de production de valeurs, particulièrement significatif du fonctionnement des sociétés technocratiques[4]. 

Cette relation  valeur/évaluation s’appuie sur deux éléments :

-   D’une part le radical que contient le terme  évaluation  : valor valur ( value ), à partir duquel se construit l’idée de valeur, de quelque chose qui vaut (valoir) ; 

-   D’autre part avec le préfixe  ad ad-valuer ad-valuere , avec l’idée d’aller vers quelque chose,  de conduire à … 

Cette manière de considérer l’évaluation, non pas comme un mécanisme instrumental de contrôle, de mesure, mais plutôt comme une démarche de détermination, de fabrication et de production de valeur amène à un changement de paradigme : tout vaut, n’est pas à confondre avec le fait que tout aurait la même valeur. Là est l’impasse. Tout vaut, à des degrés divers, fonction des contextes et des époques. 

Ayant à l’esprit le monde de l’hôpital, faisons l’hypothèse que celui-ci est mis à mal par ce tiraillement opéré entre, d’une part les aspects techniques, d’autre part les aspects éthiques de l’évaluation par le fait que les valeurs se vivent différemment dans le rapport au réel. Valeurs que chacun/chacune incarne, défend, promeut. Ainsi, l’idée du « soin » apporté à l’autre vaut distinctement selon que l’on est directement en contact avec le malade (le patient), ou avec le décideur, ou encore avec le financeur. Chacun exprimera défendre l’idée de mettre l’humain au « centre » de ses préoccupations…, mais en fait à des degrés qui valent différemment fonction des logiques particulières qui le gouvernent. Logiques qui apparaissent exclusives les unes des autres, comme autant de contradictions qui ne trouvent pas de résolutions. 

En guise de conclusion

Les valeurs sont le propre de l’humanité ; elles saturent la cosmogonie. Tout récit, qu’il soit scientifique ou mythique, véhicule des valeurs qui  valent d’après le contexte dans lequel elles se situent. 

Le monde est à la fois apparent et caché. Les valeurs qui racontent ce monde sont autant exotériques qu’ésotériques. 

Par les aspects idéologiques, elles maintiennent une hiérarchisation  de valeurs entre les êtres, les créations humaines et les idées. 

Que vaut l’humanité aujourd’hui face à l’intelligence artificielle ? Que vaut le vivant face aux algorithmes ? 

L’essence de la valeur participe-t-elle d’un processus permettant à l’humanité un autre accès à la conscience ? Une conscience qui intègrerait le Tout, bien au-delà de ce que l’humain conçoit actuellement. 

L’existence reste entre nos mains. 

L’humain est le point de repère, le point de référence de ses choix et de ses décisions par le fait qu’il définit les critères de ce qui vaut. 

François SIMONET

Docteur en sciences humaines

Chargé de cours à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA)

Formateur dans le sanitaire et social

NOTES

[1] Par exemple, de  prévention hier nous passons aujourd’hui à  précaution , le  salarié s’est transformé en  collaborateurs , la  personne âgée se substitue aux  vieux,  etc.

[2] Michel Lecointe, « Éducation/Économie : un conflit de valeur(s) ? », Questions Vives, volume 3, N° 6, 2006, p. 27-38.

[3] (3) Michel Lecointe parlera du « principe de valorabilité ». In  Les enjeux de l’évaluation , Paris, L’Harmattan, DEFI Formation, 1997.

[4] François Simonet, « Évaluation : entre réalité et illusion, quelle place pour une pratique sociale humaine ? »,  Gestions hospitalières , n°464, mars 2007, pp. 197-199.

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