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Pourquoi la méthode, pourquoi la démarche de recherche dans le cadre de la construction du mémoire D.E.E.S ?

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Hervé Copitet

lundi 22 janvier 2007

Poser le problème,

Dans le débat actuel sur les orientations prisent par la formation des éducateurs spécialisés, avec en ligne de mire la perpétuelle opposition en savoirs académiques et savoirs empiriques, je propose de poser la question de la pertinence, ou non, de la démarche de recherche dans le cadre de la construction du mémoire de fin de formation.Voilà maintenant plusieurs années qu’en qualité de formateur j’enseigne la méthodologie de recherche au sein de différentes écoles en travail social préparant les futurs éducateurs spécialisés 1 à l’obtention du D.E.E.S. C’est à partir de cette expérience et de cette position de praticien-chercheur riche d’enseignements que je propose ici de poser le débat de la démarche de recherche. Je ne cache pas non plus que mon projet s’inscrit dans une démarche plus globale visant à la sensibilisation des futurs éducateurs spécialisés à la démarche de recherche. Cette démarche est féconde au moment où éclos, tout au long des trois années de formation, les futurs éducateurs spécialisés. Trop longtemps l’éducateur spécialisé est resté rivé, et reste encore, à des savoirs empiriquement acquis. L’expérience est alors la seule source de connaissance recevable. Ces savoir-faire et savoir-être issus de l’expérience du terrain sont très souvent opposés aux savoirs académiques que l’université dispense. Il y a là un faux débat. Comme le dit fort justement S. Katz 2 : « Manquer de concepts est aussi grave que manquer de personnels compétents, d’équipements adéquats et de budgets convenables ». Donc, point de pratique sans repères conceptuels. Il n’y a rien à céder sur la place du concept dans la pratique éducative. Toute pratique se doit d’être supportée par des concepts. Fondamentalement inscrite dans le cadre d’une formation professionnalisante, et ce malgré la rupture qu’a constituée la réforme de 1990, la formation des éducateurs spécialisés doit prendre en compte la démarche de recherche issue de l’enseignement universitaire. Rigueur et méthode font souvent cruellement défaut aux praticiens de l’éducation spéciale comme peuvent en témoigner les temps de synthèse véritable paradigme du secteur socio-éducatif.

Pourquoi la méthode ?

La méthode pour ne point trop s’y perdre ! Comment entendre une telle proposition ? Le travail d’éducateur spécialisé amène à côtoyer des situations humaines et sociales, particulièrement complexes 3 -. C’est bien à partir des expériences issues de situations professionnelles que l’étudiant va bâtir son mémoire. Ces situations sont doublement rendues difficiles d’accès par la dimension institutionnelle et humaine dans laquelle elles sont prises. Là se situe la complexité des analyses que doit fournir l’éducateur spécialisé. Mais revenons à l’exercice majeur auquel tout étudiant en travail social se confronte : la rédaction d’un mémoire de fin de formation. Retenons l’idée que la méthode permet de ne pas trop se perdre dans le foisonnement des idées issues de la pratique. La méthode permet également de ne pas trop se perdre face l’abondance de la bibliographie trouvée en chemin. En effet, d’autres sont passés par-là, un mémoire n’invente rien, ne démontre rien, sauf la capacité à organiser une pensée -avec la méthode-, à argumenter, à défendre une ligne de conduite, des savoir-faire professionnels doublés de savoir-être et enfin à problématiser. Problématiser c'est-à-dire à entrer dans la complexité d’une question de départ tout en rendant un peu plus intelligible ce qui, d'emblée, paraît si opaque ou si simple. Néanmoins, celle-ci ne doit pas enfermer l’étudiant dans un "prêt à penser" où ses propres idées seraient mises de côté. La méthode, pour ne pas trop s’y perdre, fait directement écho à la complexité des situations professionnelles à partir desquelles l’étudiant problématise son sujet, pour ne pas dire son objet (bien que dans le cadre du mémoire des éducateurs spécialisés il n’y a pas passage du sujet à l’objet). C’est parce que chaque question de départ soulève –pour qui veut se démarquer des simples évidences trop souvent entendues- d’autres questions, et que ces questions en soulèvent d’autres tel un jeu de dominos où à partir d’un simple basculement tout s’enchaîne. C’est aussi à partir de ce constat qu’il faut retenir l’idée que la méthode permet de pas trop se perdre. Se perdre dans le dédale d’un questionnement sans fin, se perdre dans les idées, pour finalement ne rien produire, ne rien dire parce que, dés le début, aucune question de départ n’est venue poser les fondations du mémoire. La méthode, dans ce cas-là, fait cruellement défaut. La méthode oblige à renoncer, à faire des choix, les expliciter, les argumenter, les trier, les mettre en "ordre de bataille" pour construire une pensée cohérente permettant de répondre partiellement à une question. Elle permet également de la rendre plus lisible, tout en produisant une pensée en lien avec une pratique comme l’éducateur a à le faire sur le terrain lorsqu’il s’agit d’exposer une situation, de rédiger un rapport. Il n'y a donc pas disjonction entre l’exercice du mémoire et la pratique professionnelle comme on peut l’entendre çà et là. À quoi bon tout cela ? Tout ce travail entre en pleine résonance avec la future activité professionnelle de l’éducateur spécialisé. Il est aussi, je le crois, gage d’une certaine qualité des pratiques éducatives évitant l’écueil d’une pensée simpliste toujours réifiante, appelant des affirmations péremptoires où l’usager est prisonnier d’une analyse unilatérale comm il est souvent possible de le constater. Car n’oublions pas qu’en fonction du poste occupé la question du pouvoir sur celui ou celle que l’éducateur est amené à éduquer spécialement , sera toujours posée dans la pratique professionnelle. Mais la méthode aussi cadrante soit-elle, n’interdit pas de laisser vagabonder l’esprit. Vadabondage au gré des idées qui émergeront. Je reprendrai ici volontiers ce que J. Rouzel énonce en avant-propos de son ouvrage « Le quotidien en éducation spécialisée » : « On ne trouvera pas ici de recettes éducatives, comme certains m’incitent à en publier. Ce travail de réflexion ne doit pas faire l’économie au lecteur de construire sa propre pensée, de prendre le risque de l’élaboration, seule condition pour se maintenir en vie dans un quotidien que la modernité tend à rendre inhumain ».

En ce sens la méthode n’est pas une recette, mais plutôt un guide permettant de ne pas trop se perdre !

Pourquoi la démarche de recherche ?

Dans la même veine que la question précédente, ce questionnement ne va pas de soi dans le cadre de la formation des éducateurs spécialisés. Alors la démarche de recherche pourquoi ? Tout d’abord je me garderai bien de dire que le travail du mémoire en travail social consiste en un travail de recherche. Il s’agit ici, avant tout, d’appréhender une démarche mais non de produire une recherche et encore moins de prouver quoi que ce soit comme j’ai pu le lire ça et là. C’est la démarche qui compte, non les pseudos-résultats trouvés. Ici encore cette démarche rencontre le futur exercice professionnel. En effet, un mémoire ne démontre rien. Il ne prouve rien non plus. Il rend seulement un peu plus lisible la question de départ posée. Le projet est déjà, en soi, ambitieux. Les réunions de synthèse sont, dans notre secteur, érigées en paradigme de tout cadre de réflexion et constituent le moment fort de la pensée devant ramasser en une heure plusieurs mois de travail, parfois une année. Trop souvent celles-ci se font sur la base d’énonciations rapides, du « je l’ai vu », « cela c’est passé comme cela », « c’est donc que… ». Trop souvent ces analyses font fî d’une véritable démarche permettant d’entrer dans la complexité des situations évoquées. Appréhender l’idée de la recherche c’est avant tout apprendre à penser au travers d’une démarche mais aussi et surtout d’un état d’esprit : celui qui consiste à être convaincu que tout est toujours à refaire, à redire, à remettre au travail en fonction des résultats obtenus. 4 L’éducateur spécialisé cotoie des populations présentant des problématiques multiples, variées, rendues toujours un peu plus complexes parce que liant social et psychique où l’un et l’autre s’entremêlent. Elles ont toutes un point commun : ce sont des hommes, des femmes, des enfants, des adolescents en souffrance, des sujets articulant la plupart du temps difficultés sociales et psychiques. En un mot, de l’humain. Face à cette complexité, comment raisonner, comment penser pour bâtir une action éducative qui n’enfermera pas l’analyse et par voie de conséquence l’action éducative en direction de l’usager-citoyen dans des certitudes ? Eh bien, je pense que la démarche de recherche vient ici trouver tout son sens. Elle peut être une aide, parce qu’elle permet de relativiser, d’entrer dans la complexité, de penser par tâtonnements, de revenir sur ce qui a été dit, de revoir sa ou ses positions. Elle peut être garante d’une pensée non aliéante, non réifiante, parce que perpétuellement en mouvement et prête à admettre que ce qui a été envisagé il y a quelques semaines ou quelques mois n’est plus valide aujourd'hui. Je prendrai volontiers comme exemple l'un des plus grands chercheurs que le XXe siècle ait connu : S. Freud. Si Freud a bâti une œuvre permettant de penser les conduites humaines à travers le prisme de l’insconscient, il a aussi été un chercheur- et cela est moins dit- perpétellement dans le doute de ses trouvailles. Constamment à la recherche de ce qui pouvait contredire ses résultats, il n’a pas hésité à reprendre, plusieurs années plus tard, ce qu’il avait pu écrire. Le meilleur exemple étant le passage de la première à la seconde topique ou l’abandon de la Neurotica. Le doute, voilà bien, ce qui ne doit jamais quitter la pensée. Non pas le doute qui paralyse, empêche d’agir, mais celui garant d’une pensée en mouvement capable de se régénérer au fil du temps et des nouvelles explorations que la pensée produira à partir de l’action éducative. Car c’est toujours à partir d’une pensée que doit se produire l’action éducative pour le mieux être de celui dont l’éducateur a « la prise en charge » ou la « prise en compte » pour reprendre S.Karsz 5 . Dans notre profession plus que toute autre il est nécessaire que la pensée précède l’action. Si ce n'est pas le cas, alors les plus grands dangers sont à craindre, et le passage à l’acte n’est pas loin. Dans ce cas-là, la pensée succède à l’action. Elle peut être également féconde pour autant que l’action ait été supportée dans et au travers un projet suffisamment clair et souple en tant que cadre permettant l’expression de l’individualité et qu’elle soit reprise dans l’après-coup au travers d’une analyse de la pratique.

Je tenterai donc de répondre à la question « pourquoi la démarche de recherche » en esquissant cette proposition : La démarche de recherche pour ne pas sombrer dans le "prêt à penser", pour rendre plus lisible avec l’aide de concepts une réalité complexe. Je rajouterai, pour apprendre à penser par hypothèses de compréhension et non par affirmations péremptoires ou certitudes. Car il faut être convaincu que la réalité n’est jamais celle que l’on pense, celle qui se donne à voir. Elle est toujours à côté de, en marge de, construite, formée et déformée par les représentations -sociales, psychiques- par l’état affectif, émotionnel dans lequel l’éducateur se trouve au moment où elle se déploie ou, plus simplement, par les effets que produisent sur le professionnel la réalité. C’est bien ce morçeau de réalité que la démarche de recherche, en tant que démarche réflexive adossée à une méthode aide à saisir par le jeu de la question, de la problématique, du concept, de l’hypothèse de compréhension, des axes de travail et de la discussion des résultats produit.

C’est à partir de cette démarche que peut se forger une opinion, des convictions, des lignes de conduite susceptibles d’être à tout moment remisent en question. En un mot : une éthique de travail. La démarche de recherche constitue alors l'un des éléments d’une éthique entendue ici comme : ensemble de règles de conduite auxquelles l’on adhère au moment où la pratique se déploie.

Proposition pour une méthode à la construction d’un mémoire D.E.E.S 6 .

1. Constat de départ né des questions et des constats issus de l’expérience de terrain.

2. Question départ : ses principales qualités sont la concision, la précision, la clarté, la faisabilité (avez-vous les moyens de répondre à la question ?). Elle est issue du ou des constats de départs. Elle sera partielle.

3. Revue de littérature ou bibliographie : recherche livresque en lien avec la question de départ. Qu’est-ce qui a déjà été écrit sur votre sujet ?

4. Mots-clefs : vocabulaire en lien avec la question de départ. Issu de la littérature spécialisée.

5. Concepts : mots-clefs amenés vers l’abstraction, poussés vers l’analyse en référence à champ disciplinaire reconnu. L’idée toute abstraction faite de la chose ou de la situation.

6. Problématique : ensemble des questions, des problèmes soulevés par la question de départ et mis en lien avec des concepts. C’est le travail le plus difficile à réaliser.

7. Hypothèse de compréhension-axes de travail : formulation des propositions de travail et/ou des propositions de réponses apportées à la question de départ.

8. Implication et analyse : Confrontation de l’hypothèse de compréhension ou axe de travail avec la pratique éducative de terrain.

9. Discussion, bilan, analyse, synthèse.

Bibliographie :

· S.Kartz –2005- Pourquoi le travail social. Dunod.

· J. Rouzel -2004- Le quotidien en éducation spécialisée.

Hervé COPITET

Formateur

1 Tout au long de l’ouvrage éducateur spécialisé est à entendre en tant que titre générique sans distinction de sexe.

2 S.Kartz in Pourquoi le travail social ?

3 Est complexe une situation nécessitant pour son analyse la prise en compte de plusieurs facteurs et l’aléatoire qui, réunis entre-eux, forme le problème posé.

4 Il faudrait ouvrir le débat sur la notion de résultats obtenus !

5 S.Kartz in Pourquoi le travail social. Dunod. 2005.

6 Comme toute méthode, celle-ci nécessite une explicitation orale qui ne peut, ici, être réalisée.

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