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Poussin Noir

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Bernard Montaclair

dimanche 24 mai 2009

Réflexions sur le livre pour enfants « POUSSIN NOIR » de Rascal illustré par Peter Elliott Ed. Pastel Ecole des loisirs Paris 1997

Ce petit livre est d’un aspect attrayant. On est frappé par le dessin et la couleur des innombrables poussins jaunes sur la face et le dos de la couverture cartonnée. Un seul poussin noir émerge.

Les pages de garde sont noires.

Les deux premières pages sont remplies de poussins jaunes qui, si on y regarde de près, sont tous différents par un infime détail. Un poussin noir, comme sur la couverture, émerge de la foule.

On explique qu’ils proviennent tous de la couveuse des fermiers où ils ont éclos ce matin.

99 jaunes, et un noir.

Ils ont choisi les fermiers pour parents.

Mais Poussin Noir a une autre position. « Ce ne sont pas mes parents. Je veux trouver une vraie famille ». Il part alors à la recherche de ses parents, et rencontre, dans son périple, différents animaux qui refusent tous d’être ses parents.

Sauf les derniers… Ceux-ci, un couple, « l’attendent ». Loups ou renards, leur aspect peu sympathique, le fait qu’ils soient attablés en pique-nique devant leur assiette vide et qu’ils brandissent avec avidité leur couteau et leur fourchette, laisse augurer d’une fin tragique pour Poussin Noir.

Un roman noir pour enfants ? Avec au final, un dénouement ambigu…

Questions soulevées à propos de ce livre par les adultes rencontrés.

Il fait beaucoup parler. La fin, supposée tragique, choque et scandalise.

Le propos des auteurs paraît polysémique.

1 / A un premier niveau, on songe à une mise en garde contre la sortie imprudente du territoire familial, danger de la pédophilie, du rapt d’enfants etc… Un argument sécuritaire bien dans les préoccupations actuelles.

2/ On peut aussi voir la problématique identitaire et une illustration du « roman familial » freudien. Recherche de ses origines etc.

3/ Illustration du racisme ? Certes, la différence de Poussin Noir avec ses congénères est criante, par la couleur. Mais on a remarqué que les poussins jaunes sont aussi, en fait, tous différents.

4/ Questions relatives à l’adoption ?. On remarquera que tous les poussins sont orphelins et, ce n’est pas habituel, « choisissent » leurs parents, les fermiers, qui deviendront « Papa Coq et Maman Poule » Seul, Poussin Noir les refuse et part à la recherche de ses vrais parents.

5/ La question de la parentalité et les interrogations sur les origines et l’identité. Etre « identique », semblable, conforme et « parentalisé », « reconnu » par des adultes bien référenciés est un besoin fondamental.

Poussin Noir pourtant refuse la conformisation, ou souffre de la différence qu’il perçoit. L’histoire ne dit pas d’ailleurs que les autres poussins ses frères se sont moqués de sa couleur.

Ils ont « choisi » leurs parents. Semblent heureux de leur sort et font confiance aux fermiers.

Poussin Noir, lui, les rejette, ne s’aligne pas sur la position de ses frères. Il prend le risque de chercher ses vrais parents

Cette démarche courageuse ressemble à d’autres sagas de la littérature fantastique où un faible, un petit Poucet, se met en marche héroïquement à la recherche de la vérité d’un Saint Graal. Quand il ne devient pas un héros sauveur de ses parents ou de son maître.

6/ La dernière scène est, à première vue, insoutenable. Poussin Noir aurait donc fait tout ce périple, au cours duquel il s’est fait chaque fois rejeter poliment mais fermement par la famille qu’il voulait choisir, pour tomber dans la gueule des loups ?

Le cynisme des deux parents tombe comme un couperet :

« VIENS VITE MON POUSSIN, NOUS T’ATTENDIONS… »

Le couvert est mis, les loups se pourlèchent les babines d’avance.

7/ La formule est à double sens. Poussin Noir est, pour le coup, reconnu, et attendu.

Les auteurs semblent vouloir jouer sur l’ambiguité de la formulation :

Les termes affectueux employés par tous les parents, « mon poussin », « mon lapin », etc… ne sont-ils pas révélateurs, sur le plan psychanalytique, du caractère archaïque, pulsionnel de la relation parentale à l’enfant ? L’oralité, qui est en œuvre dans l’allaitement, infiltre l’amour parental.

« Il est mignon à croquer … ». Ne parle-t-on pas d’amour dévorant ? Le baiser n’est-il pas sous-tendu de pulsions orales, succion, morsure et dévoration ?

8/ Sur le plan de la parentalité, du désir d’enfant, la phrase d’accueil aussi est ambigüe :

« Nous t’attendions ». Se trouve posée la question du désir d’enfant. De ce qui sous-tend « Attendre une enfant ».

Ou plutôt de la distinction entre besoin (d’enfant) et désir.

La question du manque, pour les parents et pour l’enfant, est ainsi avancée.

9/ On remarquera aussi que « les familles » que Poussin Noir rencontre tour à tour pour poser sa candidature à l’adoption sont monoparentales. Un chien et ses chiots, une chatte et ses chatons, un porc et ses porcelets, une chèvre et ses chevreaux, une cane et ses canetons.

On note que, chaque fois, une atmosphère chaleureuse se dégage de ces « familles » qui refusent l’adoption du poussin noir..

Seul, le couple de la fin est composé d’un mâle et d’une femelle. Mais ils n’inspirent pas la sympathie.

10/ Il ne faut pas oublier le couple de départ : les fermiers . N’est-on pas en droit de faire un rapprochement entre les deux couples ?

Les intentions du couple final semblent assez claires.

Mais quid du projet du couple de fermiers dont les poussins et le lecteur, ne voient que les pieds? Dans les deux situations, les poussins, jaunes ou noir, une fois élevés, sont destinés à finir dans une assiette.

Le projet du couple, fusse-t-il adoptant, est une question qui ne peut être évitée.

A quelles fins attend-on, et élève-t-on, un enfant ? Pour sa propre satisfaction ou pour lancer dans l’humanité un nouvel être ?

Et pour l’enfant, être adopté par des parents biologiques ou de substitution, et en corollaire, les adopter, n’est-ce pas une démarche de recherche angoissante ? Cette démarche n’est-elle pas celle d’une quête initiatique, une construction, avec le risque d’être bouffé ou simplement de tomber d’un extrême à l’autre, ou rester dans un vide jamais comblé ?

11/ La question de la destinée et celle des origines, en bref le thème de la vie et de la mort, sont ainsi suggérés dans ce texte. Ainsi que l’interrogation sur « être différent »

12/ Une autre lecture, politique celle là, peut-être faite. Ces poussins tous jaunes, soumis à des « exploitants » agricoles font penser aux moutons dont parle Dany-Robert Dufour dans son livre « Le Divin Marché » 1 . Après avoir consommé ce qu’il faut pour qu’ils grossissent, ils vont « librement » à l’abattoir. Le destin des êtres serait de manger pour être mangé. La question du prix à payer pour échapper à cette destinée, le risque d’être mangé quand-même, reste posée.

13/ Est-il judicieux de mettre ce livre entre les mains de jeunes enfants ? Quelles réactions, quelles interrogations a-t-il générés ? C’est aux enfants qu’il convient de poser la question . Si angoissante qu’elle suscite pour les adultes, la lecture par les enfants ne semble pas provoquer de traumatismes. Comme devant la chute inattendue d’une bonne BD d’humour noir, Gaspard, huit ans, me dit, sans autre commentaire : « Ouais ! Bien vu! ». J’aurais aimé qu’il en dise plus…

Pourvu qu’elle soit accompagnée par les adultes, la lecture de ce petit livre peut donc aider les enfants à parler des questions qu’ils se posent et n’osent pas toujours poser.

14/ Il n’est pas interdit d’imaginer une autre fin que celle qui saute aux yeux au lecteur adulte (pourquoi d’ailleurs l’issue tragique paraît-elle si évidente ?).

Rien ne dit que Poussin Noir va tomber dans le piège et dans les assiettes. Astucieux, il avait peut-être flairé le destin que les fermiers lui réservaient avec ses frères, et évité à temps cette adaptation-adoption mortifère. Il va peut-être éviter la rencontre avec le couple dévorant. En ce cas, ce qui va advenir reste à imaginer.

15/ L’Association des Groupes de Soutien au Soutien 2 , fondée par Jacques Lévine, promeut et préconise des « ateliers philosophiques » à l’école maternelle 3 . Ces expériences de partage de parole par des enfants lorsque l’adulte les invite à s’exprimer librement sur les grands problèmes métaphysiques qui les habitent révèlent une « intelligence philosophique » surprenante. De nombreux psychothérapeutes d’enfants connaissent bien les ressources de l’imaginaire enfantin.

Nous proposons de recueillir leur avis et, s’ils ont mis ce livre entre les mains des enfants, de recueillir et communiquer leurs réactions ainsi que celles des parents, des enseignants, . Un échange avec les auteurs est souhaité. Une interlocutrice de la maison d’édition a aimablement proposé d’acheminer les présentes réactions.

Bernard MONTACLAIR

25/04/09

02-31-94-49-54

DUFOUR (Dany-Robert) « Le Divin Marché » Ed Denoël 2007

AGSAS 10 rue aux loups 76810 LUNERAY

LEVINE (J), CHAMBARD (G), FILLAM (M) « L’enfant Philosophe, avenir de l’Humanité » ESF 2008

PS.

Les travailleurs sociaux et principalement les éducateurs spécialisés en internat pourront réfléchir sur le sens de la fugue, thème principal de leurs exaspérations quotidiennes. Le besoin de survie psychique pour échapper à l’insupportable est ainsi illustré. Mais Victor Hugo, à propos des évasions de Jean Valjean, décrivait déjà fort bien la compulsion à fuir, comme besoin irraisonné et irrésistible d’échapper au malheur. Ce sont pas les bonnes intentions ni les bons soins des éducateurs que les enfants fuient, mais une situation mal comprise, source d’angoisse dont les éducateurs sont, malgré eux, l’incarnation.

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