« On comprend que les petits fonctionnaires et tout spécialement ceux d’entre eux qui sont chargés de remplir les fonctions dites « sociales », c’est-à-dire de compenser, sans disposer de tous les moyens nécessaires, les effets et les carences les plus intolérables de la logique du marché, policiers et magistrats subalternes, assistantes sociales, éducateurs et même de plus en plus instituteurs et professeurs, aient le sentiment d’être abandonnés, sinon désavoués, dans leur effort pour affronter la misère matérielle et morale qui est la seule conséquence certaine de la Realpolitik économiquement légitimée. Ils vivent les contradictions d’un Etat dont la main droite ne sait plus, ou pire, ne veut plus savoir ce que fait la main gauche, sous la forme de doubles contraintes de plus en plus douloureuses : comment ne pas voir, par exemple, que l’exaltation du rendement, de la productivité, de la compétitivité ou plus simplement du profit, tend à ruiner le fondement même de fonctions qui ne vont pas sans un certain désintéressement professionnel associé, bien souvent, au dévouement militant »
Pierre Bourdieu,
La misère du monde
, Le Seuil, 1993.
Au-delà des constats criants du célèbre sociologue, au-delà des plaintes, au-delà des appels adressés à un Etat inscrit aux abonnés absents, alors que l’on touche du doigt ce que Lacan énonçait dans les années 60, à savoir que l’Autre n’existe pas, qu’il n’y a pas dans le monde un Autre qui puisse nous faire faire l’économie de penser et d’agir en notre propre nom, à découvert, sans le battle-dress des idéologies prêtes-à-penser, dans cet au-delà d’aujourd’hui, celui de la grande solitude humaine, il est temps de se rendre compte qu’aucun d’entre nous n’est tout seul à être seul, ce qui implique face aux stratégies managériales qui poussent à l’individualisme, à réagir en collectif. Ce que Mao nommait « La grande alliance ». Le temps est venu face à la misère du monde de faire alliance, de faire corps, de se tenir les coudes, d’unir des forces qui peuvent dans leur essence s’avérer disparates, mais qu’un front commun peut souder autour d’un : ça ne peut plus durer ! Je souhaite que l’année qui s’avance soit celle de cette prise non pas de conscience, comme on le dit souvent, mais d’inconscient. Une prise d’inconscient, c’est bien là qu’il s’agit de se brancher pour mettre en perce les forces vives du désir.
Je rappelle les dernières initiatives en la matière que nous avons menées à notre niveau avec Psychasoc:
- animation de formations éclairées par la psychanalyse en direction des travailleurs sociaux, afin de permettre aux professionnels de reprendre souffle et de retrouver raison de se battre au quotidien. Nous avons le souci d’y articuler : clinique, institution et politique. Le catalogue des formations 2006 se trouve sur le site ; on peut aussi le demander à Psychasoc.
- Création d’un site : (psychasoc.com) avec Forum, Textes de collègues, Kiosque sur les parutions récentes d’ouvrages ou de revues…
- Création d’une association (ASIE : association des superviseurs indépendants européens) et d’un site (asies.org), consacrés aux questions de supervision, analyse des pratiques…
- Mise en œuvre d’un Congrès « Travail social et psychanalyse », dont le premier a eu lieu en 2004. Nous travaillons actuellement à une deuxième édition qui se déroulera du 8 au 10 octobre 2007 au Corum de Montpellier. Thème retenu : « Malaises dans le social : actes cliniques, institutionnels, politiques ». Dès maintenant vous pouvez retenir vos places. Lors du premier Congrès nous avions dû refuser près de 300 personnes. Vous pouvez aussi proposer une intervention à partir de votre pratique quotidienne.
- Dernière idée en date : la constitution de groupes régionaux de travailleurs sociaux autour de questions cliniques, institutionnelles et politiques, à leur libre initiative, quant à la forme et aux thèmes de travail. Psychasoc se propose de regrouper, mettre en contact, faire circuler ces initiatives. Il y a déjà diverses propositions qui circulent sur le Forum, reste à les mettre en place. Personnellement je pense animer à partir d’octobre 2006 un séminaire autour de « Psychanalyse et travail social » qui se déroulera à raison d’un fois par mois dans nos locaux. Les personnes intéressées peuvent déjà s’y inscrire.
Pour toutes ces raisons, de vivre et de se battre, nous vous souhaitons, Psychasoc, les formateurs et moi-même, une bonne et heureuse année 2006.