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Que serait un regard critique, aujourd’hui ?

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Daniel Pendanx

mercredi 21 novembre 2012

 

Que serait un regard critique, aujourd’hui ?

Daniel Pendanx

Le thème proposé pour les prochaines Assises du Carrefour National de l’Assistance Educative en Milieu Ouvert   (CNAEMO, mars 2013, Strasbourg ) – L'AEMO : entre commande publique, créativité et innovation m’a rappelé celui de ces 6ème Assises tenues à Versailles il y a maintenant  28 ans, alors intitulé : Partenaire ou paratonnerre ? Le travailleur social en Milieu ouvert au carrefour des commandes et des demandes sociales

Mais vois-tu lecteur, prenant connaissance du retour de ce questionnement, je me suis dit qu’il y avait là, en cet intitulé affadi (le signifiant paratonnerre disparaissant !), un nouveau signe, parmi tant d’autres,  de la régression de l’esprit critique qui caractérise aujourd’hui nos milieux, parfois derrière les déguisements du rebelle. Une régression qui nous maintient dans la vieille impasse positiviste : l’ impasse du psycho-juridisme 1 – laquelle reste, je n’ai cessé d’y insister, intrinsèque à la confusion des figures et des ordres de discours (juridique et non juridique) qui préside à la dite « exception française » de notre Justice des mineurs 2 .

C’est  pourtant bien cette « exception », et le brouillage associé – brouillage de l’éducatif, du thérapeutique et du juridique, renforcé par la création en 1958 de l’AEMO « judiciaire » –   que nos milieux  chérissent, sur un mode le plus souvent militant et politique, tant du côté des juges (cf. l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille) que du côté des travailleurs sociaux (cf. le CNAEMO). Que cela ait conduit à la dé-symbolisation de la figure institutionnelle du juge, et tende à l’annulation de sa fonction tierce, symbolique, nul de ceux qui mènent le bal ne s’en alertent… Tout au contraire, tous, unanimes, réclament ce juge là, requis comme la véritable incarnation du Bon Garant n’est-ce pas !

Il n’est donc guère surprenant que sous les signifiants-écrans habituels du positivisme éducatif, thérapeutique, ceux de « créativité » et « d’innovation », ces prochaines Assises du CNAEMO, enserrées dans un pot-pourri de discours (une purée de pensée ), limitent d’entrée de jeu l’horizon du questionnement critique sur la dite « commande publique », et ce qui du malaise – du malaise des tutelles – se décharge sur  les AEMO .

Et il n’y sera pas davantage question, je pense, de prendre quelque distance que ce soit avec le conformisme actuel, celui de la déconstruction indéfinie, soit disant postmoderne, ni avec les préceptes du « c’est mon choix », ceux du sujet-Roi auto-fondé dans son genre, derrière lesquels s’impose le nouveau familialisme d’Etat. Un familialisme qui n’est au fond que l’envers, ou plus exactement la face cachée de l’ancien. Je note en effet que si ce nouveau familialisme social, culturellement introduit il y a quelques décennies sous le néologisme de parentalité , a pour fondement de représentation le mythe subjectif, maternalisé, des parents symétrisés, combinés, ce mythe, préœdipien, à consonance perverse, était déjà bien là en vérité sous le couvercle de l’ancien familialisme social. J’ajoute que ce mythe, à proprement parler homoparental , regarde et implique tous les sujets, bien au-delà donc des seuls « couples de même sexe ». 3

Aveuglés par un pseudo-progressisme, le problème est que nous ne voulons rien savoir du fait qu’en venant ainsi donner légitimité de droit à l’inversion et au fantasme œdipien associé (celui du « meurtre » de l’une ou l’autre figure parentale), et cela au prétexte habituel de  « mener jusqu’au bout la lutte contre la discrimination » (formule qui était chère au futur candidat Strauss Khan), nous sommes en train d’organiser, sous l’égide de l’Etat, la mise à mal de la représentation fondatrice Mère / Père soutenue par le couple homme / femme.

Nous ne comprenons pas que sous l’argumentaire libéral, anti-normatif, nous sommes en train de faire prévaloir une toute autre normativité : celle d’un mythe parental où la différence des sexes, si tant est qu’elle apparaisse, résonne sur le mode infantile (inconscient) du phallique/castré. Un ordre de représentation où le féminin, réduit au castré et au passif, se trouve tout aussi dé-symbolisé que le viril, lui confondu au phallique, à la fonction phallique, et cela pour les deux sexes. La mère étant dès lors rabaissée à la matrice, l’enfant à l’objet partiel, et le père, le père comme tel, éliminé de l’horizon de la relation duelle. Ce qui implique et impliquera l’advenue des nouvelles ségrégations. Jusqu’à quelles échéances ?

C’est pourquoi je soutiens que le cours institutionnel de nos milieux et des pratiques –  un cours déjà bien symboliquement  dévertébré –  continuera de s’enkyster, à des degrés divers selon les lieux,  dans une gouvernance gestionnaire dont le principe globalisant laisse aller des séductions et une loi « maternelle » qui ne cessent de fétichiser l’enfant .

Voilà qui m’a amené à relire ma contribution d’alors, publiée dans Espace social (1986), intervention dont les réflexions, soutenues par un titre choisi,  toujours d’actualité –  Emancipation de l’AEMO : roman familial ou généalogie ? 4 –  demeurent , pour des raisons qui me sont peu à peu apparues,  circonscrites par ceux qui donnent le la .

J’ai depuis creusé le sillon, précisé bien des choses, continuant à me dégager du pastoralisme militant et de l’esprit de masse, mais le regard alors porté sur le malaise dans l’éducation – malaise qu’on ne peut disjoindre du malaise des tutelles – , était déjà, pardonne-moi lecteur, le bon.  

Ce regard – puis-je dire,   le regard du rebelle  ? –  je le revendique encore comme mien. Il m’a conduit à soutenir la politique de l’interprète comme politique du tiers neutre (Sloterdjik), une politique ni blanche ni rouge, mais couleur chair , comme en fit réponse Freud auquel on demandait de quelle couleur politique il était.

Il ne peut donc être question pour l’interprète, à la différence du militant et du fidèle, de suivre , ni davantage, de faire suivre … Ce qui, vous me l’accorderez, introduit une certaine difficulté quant à notre abord de la dite « commande » et de l’exercice de notre pouvoir sur les images d’autrui –  pouvoir normatif (≠ de normalisateur) de l’interprète dans l’exercice de sa fonction et de son dire sur la scène sociale… Cette scène sociale, qui vaut comme une fonction pour le sujet, est un théâtre dont le texte, la structure du texte – le noyau anthropologique langagier incorporé, commun au sujet et au social –, sous les divers systèmes de civilisation, et quoiqu’en veuillent nos postmodernes et autres extrémistes de la déconstruction, reste l’Œdipe, pas moins comme a pu dire un jour Lacan. Y compris dans sa perversion !

Le nouage structural (ternaire) du corps, du mot, et de l’image, inconscient compris, demeure le carcan irréductible, le fondement non négociable : le joug de la Raison , contre quoi on ne peut lutter, et à quoi même les dieux obéissent 5 .

A la question introductive de savoir ce que pourrait-être en nos milieux professionnels un regard critique, aujourd’hui, je ne vois donc d’autre réponse que celle qui nous conduit à revenir à l’essentiel, à l’essentiel de la problématique du désir et de la loi, dimension institutionnelle comprise. Ce qui ne se pourra sans revenir aux existentiaux fondamentaux (Guy Rosolato), tels que la psychanalyse, la vraie, les distinguent en rigueur, sans confondre les registres et sans verser  à son tour, ainsi que les pétitionnaires de la casse (Legendre) nous y convient, dans la perversion juridique et institutionnelle en cours du cadre structural (langagier / fictionnel) support de la dialectique identité/altérité, c’est-à-dire support du cours infini de la subjectivation, pour tous . La condition même de la clinique.

Bordeaux, le 1er nov. 2012

1 Cf. mon texte, Le juridisme gestionnaire (sur le site psychasoc, rubrique Textes).

2 Je rappelle ici le caractère « exceptionnel » du pouvoir (de l’imperium éducatif) confié par la loi aux juges des enfants. Contrairement à tout ce qui se passe dans les pays voisins il est celui d’une double compétence, civile et pénale, redoublée  au civil  d’un rôle « éducatif » pouvant s’exercer, dans des latitudes parfois inouïes, tant sur le réel des jeunes, de leurs famille que sur celui des services et institutions éducatives. Et cette double compétence s’accompagne  au pénal , a contrario du principe général de droit commun, du triple rôle de l’instruction, du jugement et de l’exécution. Cf. également mon texte, Pourquoi un juge des enfants ? sur le site psychasoc.

3 Je renvoie là le lecteur à mon intervention   Réplique à E. Roudinesco , sur le site Œdipe, forum « politique de la psychanalyse», sur le fil, HOMOPARENTALITE, le débat.

4 Je proposerai prochainement, sur ce site, une reprise ce texte ancien.

5 Cf. Argumenta et Dogmatica , Pierre Legendre, Mille et une Nuits, 2012, «  La question inéluctable : accréditer la parole  », p.38

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