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Quelles références pour le référent?

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Joseph Rouzel

jeudi 27 octobre 2011

 

« Quand il s'agit d'histoire ancienne, on ne peut pas faire d'histoire parce qu'on manque de références. Quand il s'agit d'histoire moderne, on ne peut pas faire d'histoire, parce qu'on regorge de références. » Charles Peguy.

Depuis plusieurs années, la notion de «référent» éducatif est entrée dans les usages de l’éducation spéciale. Que ce soit avec les enfants, les adolescents ou les adultes, en IME, MECS, ITEP, CHRS, Hébergement, AEMO... dans beaucoup de structures sociales et médico-sociales chaque usager bénéficie du suivi d’un référent. Or on n’a pas pris le temps d’en formaliser le concept, ni d’en baliser l’usage. D’où une série de questions restées en suspens qui, faute d’être abordées, en réduisent la pertinence.
- Qui choisit le référent? L’usager, la direction, l’équipe? 
- Sur quels critères? En fonction de la disponibilité? A l’affectif? 
- Existe-t-il plusieurs types de référents? Administratif? Dans le transfert?
- Quelle est la place spécifique du référent, dans l’équipe éducative et ses partenaires internes et externes, et  dans son articulation à la mission de l’établissement? 
- Quel compte-rendu fait le référent de sa pratique? A qui? Où? En synthèse? Dans le projet personnalisé? Dans divers écrits professionnels?
- Quel est son champ d’intervention (quotidien, familial, vacances, argent, au-delà...)? Situé au carrefour d’un ensemble relationnel complexe, le référent est un peu devenu “l’homme-orchestre” de l’institution, sans qu’on en détermine toujours très bien les contours de la fonction. Cette réflexion renvoie de fait au concept de «référence». A quelles valeurs, quels «signifiants-maîtres» l’institution est-elle référée? Quel est le référentiel de l’action?  Comment le référent est-il aussi le passeur de ces valeurs? Tout à la fois théorique et pratique la question du référent traverse l’institution et pose toute la complexité, soulignée par la Loi 2002-2, du suivi et de l’accompagnement au quotidien des usagers considérés comme acteurs de leur prise en charge.

Affrontement de deux références.

Le concept et la pratique du référent en établissement social ou médico-social obéit à une logique: à quoi se réfère-t-il? Ça n'a rien d'un jeu de mot à tiroir. En effet la référence au sens de ce à quoi on se réfère pour exercer une action, donne le sens même de l'action. Il permet non seulement d'en produire le projet, mais de poser les bases d'une évaluation.

Prenons un exemple bien connu tiré du film célèbre: Le cercle des poètes disparus . On y voit l'affrontement de deux références qui entrainent deux modalités pédagogiques frontalement opposées. L'une déterminée par la direction met en avant les mots d'ordre qu'elle nomme « les quatre piliers de la connaissance : tradition, honneur, discipline, excellence ». L'autre représenté par un professeur de français, un ancien élève qui a fait son propre chemin, met en avant deux principes, l'un tiré de Henry David Thoreau: «  Suce la moelle de la vie » et l'autre extrait d'un adage que l'on doit à Epicure «  Carpe diem  » (cueille le jour, donc l'instant présent). Non seulement ces deux références produisent des pédagogies et un rapport au savoir radicalement divergents, mais les emblèmes, les rituels, les dispositions de l'espace et du temps ne sont pas les mêmes. Ces deux références vont se faire jour dans un exercice. John Kiting propose aux élèves de marcher dans la cour. Les uns marchent au pas; les autres selon un rythme qui leur est propre. Répression, inhibition et aliénation d'un coté; création, libération et personnalisation de l'autre. Deux idéologies, deux références engendrent chez les élèves deux façons de marcher, dans tous les sens du terme. La référence permet un mode d'approche des questions et des événements de la vie en proposant un code de lecture et d'interprétation. Ainsi d'Hypathia d'Alexandrie, une des rares femmes philosophes de l'Antiquité. Un jour où deux de ses élèves, Alexandre et Aménabar se querellent, elle les interrompt et leur demande de lui rappeler le théorème d'Euclide: deux valeurs égales à une même troisième sont égales entre elles. Les conséquences qu'elle leur suggère d'en tirer, consistent à ce qu'ils sortent de leur duel de jeunes coqs, pour envisager un point de référence commun qui permettrait de réguler leur conflit dans une disputatio de bon aloi. Un objet de débat en position de tiers calme le jeu. On peut voir ici à l’œuvre une des premières formulations de notre « tous égaux devant la loi ». Ce qui ne signifie en rien tous pareils, mais tous différents parce que tous référés à la même loi. D’ailleurs référence et différence ont la même origine.

Pour y voir plus clair allons au dictionnaire étymologique. Celui dont je me sers depuis des lustres renvoie à « offrir », issu d'une racine indo-européenne: « bher », qui signifie : porter. Elle se décline en « phor »: phorein, phoros, comme dans méta-phore (porter au-delà), en grec, et en latin nourrit la famille nombreuse de « fere », fers, tuli, latum (radical que l'on trouve dans re-lation). Bref re-fere, origine de notre référence/référent, indique un mouvement qui consiste à porter son regard en arrière, à rapporter, recourir à, soumettre à une autorité. L'idée est lumineuse: la référence implique un point de… référence à partir duquel le référent, en tournant son regard en arrière, donc d'où il est parti comme point d'origine, peut mesurer le sens de son action.

Pour la référence, le Dictionnaire Robert ouvre pour sa part trois voies de signification: 1) Action de se situer par rapport à... 2) Action de renvoyer le lecteur à un texte, à une autorité. 3) Au pluriel, attestation de personnes auxquelles on peut se référer pour avoir des renseignements sur quelqu'un, qui postule à un emploi, propose une affaire etc

Donc l'affaire est entendue: la référence implique de se retourner vers un point de départ qui donne le sens. Encore faut-il qu'il ait été fixé!

Pierre Legendre dans son petit ouvrage qui reprend le commentaire du film éponyme La fabrique de l'homme occidental , précise que la référence peut se présenter sous la forme d'une « interrogation immémoriale: au nom de quoi peut-on vivre? C'est-à-dire pourquoi vivre? ». Et il précise qu'« il n'est au pouvoir d'aucune société de congédier le « pourquoi? », d'abolir la marque de l'humain. »  On m'objectera que c'est aller pécher bien loin une raison logique à l'exercice du référent. Ce serait oublier bien vite que les travailleurs sociaux à qui l'on confie cette fonction, ne sauraient eux-mêmes l'exercer sans se référer à une conception de l'humain et des processus d'humanisation, autrement dit à une éthique d'où découlent des principes et des valeurs. Pas d'extraction de la valeur d'une action, au sens premier d'évaluation, sans le point d'appui d'une référence.

Pour les linguistes, notamment Ferdinand de Saussure, la référence désigne la chose à laquelle sont référés signifiant et signifié, chose qui évidemment n'existe pas, puisque l'homme étant un être parlant, il se trouve de fait exclus de la nature et n'y a accès que par la médiation du langage.

A quoi on se réfère... en ciel?

Quelle représentation de l'être humain fait référence comme guide de l'action sociale? Voici la mienne, que je partage avec quelques uns. Du fait de son appareillage à l'ordre de la parole -Freud parle de Spracheapparat , appareil-à-parler - la fabrique de l'humain obéit à certains invariants. C'est un animal qui étrangement nait deux fois, d'abord comme ses grands cousins biologiques, les primates, et ensuite comme humain. La naissance comme humain implique qu'il nait/n'est pas fini. C'est proprement cette incomplétude de structure qui impose sa marque de fabrique. Pourquoi cela? Parce que la structure même du langage humain est telle que sa spécificité réside principalement dans la capacité des hommes à représenter l'absence dans un symbole ; et non à communiquer, comme on le susurre trop souvent. Il suffit d'ouvrir un tant soi peu les oreilles pour constater que pour ce qui est de la communication entre humains, comme disent les enfants: ça le fait pas! Cette appareillage, cet « apparolage », pour reprendre une belle invention de Jacques Lacan, implique en matière d'éducation d'imposer au petit d'homme une perte, un manque, une extraction, une soustraction de ce qui le précipite d'emblée dans la jouissance de la vie. Les mères sont avant-postes de ce processus d'extraction de jouissance. En faisant des va-et-vient entre leur enfant et un ailleurs, un autre, quelle qu'en soit la figure, même si le plus souvent c'est un homme qui occupe la place, elles mettent leur petit devant une nécessité logique de se représenter la raison de leur absence. Représentation qui exige la mise en œuvre de processus symboliques que Lacan ramasse sous le terme de Nom-du-Père ou métaphore paternelle, autrement dit la capacité de représenter l'absence qui enracine les principes mêmes de la nomination.

On peut ainsi penser que le noyau anthropologique dur de l'humanisation consiste de fait en un «Non à la jouissance ». A partir de là les humains vont s'associer en communautés, tribus, nations etc et s'imposer dans les lois (pas forcément écrites), les règles, les coutumes cette perte de jouissance. La famille se présente alors comme lieu non seulement de la reproduction biologique, mais de l'engendrement de l'humain, à partir d'une déclinaison de cette perte de jouissance qui prend la figure de l'interdit de l'inceste. Et tout cela pour quoi si ce n'est pour l'avènement d'un sujet unique au monde qui ne trouve son chemin qu'à partir de cet assujettissement à l'ordre symbolique. Processus que les psychanalystes désignent comme : castration.

Évidemment on voit bien que ce montage symbolique obéit à une nécessité qui trouve sa source dans la question de Legendre: au nom de quoi? Au nom de quoi des parents, des éducateurs, des enseignants, des juges etc peuvent-ils imposer cette perte de jouissance? Depuis tout temps ce « au nom de quoi? » a trouvé divers modes de réponse. L'incomplétude structurale de l'humain a été bordée par des inventions géniales, que les anciens philosophes ramassaient sous le terme de transcendance. L'invention de grandes entités, grands «  d'hommesticateurs » ou « grands sujets », comme dit le philosophe Dany-Robert Dufour, a accompagné tout un cortège de dogmes, de croyances, d'emblèmes et blasons, de grands récits et de mythologies, d’organisations sociales issus d’une... référence. Ce à quoi on se réfère … en ciel. C'est ainsi qu'au fil de l'histoire nous y avons logé des Esprits animaux ou des éléments, des dieux multiples et variés, jusqu'à l'invention récente en occident d'un dieu unique. Invention que l'on doit à un pharaon qui accède au trône sous le nom d'Amenothep IV. Il décide alors de faire marteler sur toutes les stèles d'Égypte le nom de tous les dieux sauf celui d'Aton dont il se déclare le serviteur (Akhenaton) et dans la foulée il fait également marteler le nom de son père. Au passage notons qu'on entrevoit bien ici ce qu'il en est d'un système symbolique qui fait référence : c’est un organisateur, si j’ose dire, du haut jusqu’en bas : de Dieu le père au père de famille. Ce qui engendre une Référence unique qui prend la forme logique du Patriarcat. Sa transformation implique une organisation sociale complètement différente. On y repère ce que Michel Foucault désignait comme « rupture épistémologique » qui induit un changement radical des paramètres qui organisent les références comme les référents. Ensuite les hébreux en captivité en Égypte ont sans doute capté cette invention qui a fait flores sous tous les avatars du monothéisme, avec le succès qu'on sait.

Mais aujourd'hui, en ces temps sombres, le ciel est vide. Il est vide, et pourtant comme aime à le dire le psychanalyste Jean-Pierre Lebrun, il est toujours au-dessus de nos têtes. L'homme ne peut pas vivre sans référence. Or nous n'avons pas vu venir que ce qui fait référence actuelle, c'est l'avènement d'un nouveau dieu, ou plutôt le revival d'un ancien, le Moloch des carthaginois, auquel on sacrifiait des enfants vivants. Ce nouveau dieu est issu en droite ligne des philosophes anglais du XVIIe siècle, Adam Smith, Jeremy Bentham, Bernard Mandeville et consorts … les pères du libéralisme. Sa pointe la plus avancée, le néolibéralisme qui a peu à peu envahi la planète, vise à réduire tout ce qu'il y a sur terre à l'état de marchandise. Ce nouveau dieu Dany-Robert Dufour dans un ouvrage récent lui donne son vrai nom: « le Divin Marché », nouvelle religion qui réduit les humains à l'état de « consommé » lorsqu'ils s'adonnent frénétiquement à la consommation. Croyant consommer, ils se consument.

C'est donc dans ce monde là, où s'affrontent encore, heureusement, ces deux références, le Marché et ce qu'Emmanuel Kant estimait devoir lui soustraire, à savoir la dignité humaine, que les travailleurs sociaux exercent leur art. La déclinaison en matière de référence est alors patente. A qui vont-il désormais se référer pour fondeur leurs actes? Comme on peut le constater dans ce bref aperçu où je ne fais qu'esquisser une anthropologie de la référence, qui exigerait de plus amples développements, la question s'avère complexe. La notion de référence est située au carrefour de la mythologie, des religions, de la sociologie, de la linguistique, de la psychanalyse etc

Quelles retombées pouvons-nous envisager de ses applications dans le champ du travail social, notamment en ce qui concerne la pratique de référent?

L'invention du référent.

La première occurrence du concept de référence dans le champ social, avant même de voyager, comme le souligne Jean-Yves Barreyre , dans le champ de la linguistique, de la thérapie familiale systémique, apparait en Hongrie à la pouponnière de Loczy, institution fondée en 1946 par Emmi Pikler, et inspiré, au sens large, par la psychanalyse. Les accompagnatrices des enfants repèrent d’emblée que leur présence chaleureuse collective constitue un maillage environnemental, mais que cela ne suffit pas. Assez rapidement on en vient à l'idée d'assurer une permanence dans le lien, à partir d'un système de référentes qui en garantissent la continuité. On nomme une référente pour cinq à six bébés. «  Instaurer une personne de référence, c'était permettre des liens sécurisants pour l'enfant en l'absence de ses parents, et contenir les débordements d'affects. La personne de référence est un interlocuteur privilégié à l'intérieur d'un collectif, qui représente pour l'enfant l'extérieur à la famille. On pourrait dire que la personne référente s'offre à l'enfant comme support d'investissement dans un milieu plus socialisé » De fait la référente s'est trouvée placée au cœur du dispositif d'accueil et d'accompagnement. Elle s'est sentie responsabilisée et valorisée dans son investissement. Cependant assez rapidement une difficulté a surgi: cet accompagnement au plus intime ne laisse pas indifférentes les référentes: elles en sont affectées et le risque est gros de se trouver débordé par un attachement trop fort, ou de vivre péniblement les séparations inhérentes au placement. Bref la pratique de référent, et à Loczy on met le doigt dessus dès le départ, ne va pas sans transfert. D'où l'importance de penser des lieux d'élaboration de ce qui travaille les professionnelles dans la relation engagée. Premières prémisses des analyses des pratiques, supervisions, régulations d'équipe... « Poser un regard sur l'enfant, c'est savoir d'emblée que l'on est impliqué dans une relation avec lui que l'on regarde, et qu'il y répond à sa façon... Le savoir vient non seulement du voir, mais du regarder et du ressentir »

Arrivé tardivement dans le champ de « l'éducation spéciale » , le terme de référent présente un véritable fourre-tout, qui souffre d'imprécision autant dans sa définition que dans son usage. Ceci d'autant plus que le terme a petit à petit envahit le champ social et semble se décliner dans les situations les plus variées. On parle ainsi de référent social, de référent institutionnel, puis d'enseignant référent, d'infirmier référent, de médecin référent et plus récemment de policier référent. Une chatte n'y retrouverait pas ses petits! Yves Barreyre propose d’en serrer les application dans « l'éducation spéciale » selon des critères simples: il s'agit « d'un travailleur social qui exerce le suivi éducatif et l'accompagnement d'un jeune et de sa famille en collaboration avec d'autres partenaires sociaux et les structures d'accueil sollicitées pour la prise en charge de l'enfant ou du jeune ». Notons au passage que le terme a aujourd'hui une application plus large, puisqu'il s'étend également aux adultes (en CHRS, Foyer d'hébergement, ESAT etc). La place de réfèrent se constitue de fait en position de médiation entre les différents interlocuteurs de l'usager. Le référent veille à la cohérence du placement et du suivi, et à ce titre est garant du projet individuel, lequel s'articule à la mission confiée à l'établissement et au projet institutionnel. Il est responsable des écrits présentant l'évolution du projet de prise en charge dont il rend compte à qui de droit, sous couvert de la direction (Juge d'enfant, inspecteur ASE etc)

Objectifs

On peut se représenter la référence comme une poupée gigogne qui s'organise en des emboitements hiérarchisés de cercles concentriques. Je nommerai l'ensemble : EPIC. Partons du cercle extérieur qui est ouvert. J'y placerai ce que j'ai décrit au début de ce texte comme le lieu de l'éthique (E), car c'est en fonction des représentations que l'on se fait de l'humain, du social et de la façon dont on s'y réfère que les autres cercles s'animent et prennent consistance. Descendons d'un cran, le cercle des politiques sociales (P) qui est une déclinaison des valeurs et principes du premier cercle; puis vient le cercle institutionnel (I) et le cercle de la clinique (C). Si le réfèrent agit dans un cadre clinique, que j'ai toujours considéré comme un clinique de la rencontre humaine, il se réfère, pour soutenir son acte, aux trois autres cercles : éthique, politique et institutionnel.

L'engament éthique et clinique du référent lui permet d'occuper une place de passeur, de transmetteur des valeurs fondatrices du lien social. Il accompagne l'usager dans son inscription et son insertion dans ces cercles de référence, du plus proche au plus lointain ou comme l'écrit le poète Blaise Cendrars du cœur du monde au monde entier, aller et retour. En tant que tiers médiateur, il assure la régulation des échanges symboliques à l'intérieur et à extérieur de l'institution. Il maintient les liens, mais aussi les écarts entre les divers interlocuteurs de l'usager, de telle sorte qu'au ne fasse de l'usager son objet, de soin, de préoccupation etc. On ne saurait donc le penser dés-impliqué de la relation dans toutes ses ramifications.

Quels objectifs peut-on fixer à cette fonction? Il me semble que dans cette place privilégiée, il s'agit de faire émerger une parole singulière chez un usager, que ce soit un enfant, un adolescent ou un adulte, avec une difficulté certaine lorsqu'on a à faire à un usager démuni de l'usage de la parole. Mais chacun sait que les éducateurs savent faire preuve d'ingéniosité pour entrer en lien malgré lorsque surgit cette difficulté. Cette démarche prend en compte: l'histoire d'un sujet, telle qu'il la raconte, la vit, l'investit, voire l'invente, sans la rabattre immédiatement sur une certaine forme réifiante d'objectivité. L'accompagnement du référent vise le soutien à l'expression des désirs. Notons au passage l'usage abusif dans le champ du travail social, de ce terme emprunté à la psychanalyse et distinguons d'emblée ce qui relève de l'envie et du désir. Je dirai même qu'il s'agit de deux opposés: on n'a pas envie de ce que l'on désire et vis versa. Soutenir le désir d'un sujet n'a rien à voir avec le fait de faire tous ses caprices, de lui faire plaisir, et encore moins de se faire plaisir, bien au contraire. Entendons le désir comme ce qui motive un sujet, l'anime, le pousse en avant. Il s'agit donc de l'éclairer dans la référence, pour qu'il agisse et choisisse en connaissance de cause? Mais chacun sait, dans la foulée du film de Luis Bunuel, que l'objet du désir est frappé d'obscurité. D'autre part il s'agit d'accueillir, de valoriser, de soutenir les « bricolages », les savoir-faire d'un sujet dans ses tentatives de trouver sa place dans le lien social; autrement dit de respecter ses modes d'insertion sociale et d'en favoriser l'inscription selon la façon la plus vivable pour lui et son entourage. Ce point est primordial. Je pense à un référent, poussé par l'équipe, qui s'était pris de pitié pour un SDF qui logeait sous un pont. Le référent s'est mis en quatre pour trouver un studio, a même pris sur son temps personnel pour faire les peintures et l'aménager. Le SDF, sans doute pour faire plaisir au référent, est allé dormir une nuit dans ce studio, après quoi il a regagné son « domicile », sous le pont! Le superviseur que j'étais leur a juste conseiller d'aller passer une nuit de temps en temps près de ce SDF, pour voir s'il formulait ou non une demande d'aide.

Moyens

De quels moyens dispose le référent pour mener à bien sa mission? Tout d'abord, cela semble une évidence, mais ça ne fait pas de mal de le rappeler, sa capacité d'entrer en relation dans une attitude d'accueil chaleureuse, engagée, mais aussi située à la bonne distance. Cela implique une bonne capacité d'écoute, débarrassée de tout jugement et préjugé, mais sans perdre de vue l'exigence de la mission. L'engagement dans la relation ne va pas, nous l'avons vu à Loczy, sans transfert. Ce n'est que de ce lieu que l'on peut penser une forme « d'observation participante » du référent. En effet les difficultés à vivre d'un sujet, ses embrouilles familiales et sociales, ses débordements de jouissance, ne se voient pas de l'extérieur. Il faut une relation transférentielle suffisamment forte pour qu'à travers ce qui saisit le travailleur social dans ce transfert, il en enseigne quelque chose au référent. Le transfert, comme Freud et Lacan nous l'ont appris, met en branle un sujet supposé savoir (SSS). Celui à qui je suppose un savoir sur mon manque, qui se profile en travail social comme difficultés à vivre parmi les autres, celui-là je l'aime. Mais avec une version qui constitue l'autre face de la même médaille, je peux aussi le haïr. La « mise sous transfert » de la relation au référent entraine deux remarques: d'abord que ce n'est pas forcément avec le référent désigné par l'institution, voire choisi par l'usager, que le transfert s'engage. Il faut donc imaginer qu'il puisse exister un référent institutionnel, garant du placement et du projet et un référent dans le transfert. C'est parfois, et même souvent la même personne qui assume les deux, mais pas toujours. Il me souvient ici d'un jeune psychotique qui, comme le disait Boris Vian à propos de Sartre, était un véritable « agité du bocal »: il ne tenait pas en place et épuisait tous les professionnels. J'avais été nommé référent. Un soir il ne se présenta pas au repas. Je proposais aux enfants d'aller chercher les plats à la cuisine et là quelle ne fut pas mon étonnement de le trouver assis épluchant calmement des carottes en face du cuisinier. Évidemment nous avons dans l’équipe sauté sur l'occasion, qui, c'est bien connu, fait le larron, et bricolé un pré-stage de pré-formation de pré... (le bonheur est dans le pré!) pour l'inscrire pendant plusieurs mois auprès du cuisinier, le référent élu du transfert. Le cuisinier de fait, de sa place, sans déborder de sa fonction, occupait la place de référent dans le transfert. Ainsi en va-t-il des miracles et surprises que nous impose le petit dieu Eros! Évidemment c'eut été une catastrophe que de briser le lien qui s'était noué entre ce jeune et le cuisinier, tant il est vrai que l'amour déplace les montagnes. Notons qu'il participait aussi aux réunions d'équipe et partageait ses observations tout à fait précieuses. L'autre point à soulever c'est que, si transfert il y a, c'est à prendre au sérieux. Souvenons-nous de ces deux remarques, une que l'on doit à Freud, et l'autre au docteur Jean Oury, médecin-chef de la Clinique de Laborde.

«  Il est faux que le transfert soit dans une analyse plus intense, plus excessif qu'en dehors  d'elle. Dans les établissements où les nerveux ne sont pas traités par les méthodes psychanalytiques, on observe des transferts revêtant les formes les plus étranges et les plus exaltées, allant parfois jusqu'à la sujétion la plus complète », écrit Sigmund Freud dans La technique psychanalytique . Jean Oury pour sa part racontait un jour qu'il existe un compteur Geiger que l'on doit apporter avec soi quand on entre dans une institution – vous savez, cet appareil à mesurer les radiations atomiques - cet appareil tient en une question: est-ce que dans cette institution on prend au sérieux la question du transfert ? Si la réponse est négative, mieux vaut fuir à toutes jambes. En effet le transfert qui n'est pas travaillé dans la parole rejaillit dans le réel et souvent sous sa forme plus brutale. Combien d'exclusions d'institutions résultent ainsi de cette non-prise en compte du transfert.

Il s'agit donc de disposer de lieux adéquats – supervision analyse de la pratique, instance clinique etc - pour ce travail d'élaboration et d'éclaircissement de ce que le référent joue de soi, de son histoire, de ses émotions, de ses représentations, dans le transfert. Car dans le transfert, dans un premier temps, on y est pris et il s'agit de s'en déprendre pour d'une part trouver la bonne distance dans la relation et d'autre part, ce travail étant la plupart du temps effectué en équipe, dégager du transfert un savoir utile à tous ses membres. Il s'agit bien dans cet espace singulier qu'offre la supervision d'extraire un savoir du transfert et non sur le transfert. Une approche intellectuelle n'offre aucun intérêt, au contraire, elle fait obstacle à ce travail du transfert dont, pris dans l'inconscient qu'il est, nous n'avons pas la maîtrise. Travailler ce qui le travaille en relation présente bien pour le référent un des moyens-clés pour mener à bien le suivi et accompagnement d'un usager.

Autre moyen, qui fait d'ailleurs la spécificité des éducateurs, l'invention permanente d'espaces de médiation. En effet les observations, les interprétations, les hypothèses opérationnelles, les projets concernant un usager n'adviennent que dans des activités partagées. La mise en œuvre de médiations individuelles, outre les activités de groupe, ouvre un espace de projection où le sujet enseigne et renseigne sur ce qui lui arrive. Les entretiens individuels ont évidemment cette fonction mais je conseille de ne pas trop s'y cantonner. En effet un certain nombre d'usagers, je pense surtout aux jeunes, ne répondent pas aux invitations à venir parler dans un espace clos de ce qui leur arrive, où bien s'ils s'y rendent, parfois sous la contrainte, ils se perdent en des banalités telles qu'on en peut rien faire. C'est souvent plus efficace de proposer une partie de ping-pong et d'y attraper au vol ce qui s'y dépose. Ou d'animer une partie de pèche, un atelier poterie, une soirée cinéma... Ces temps partagés collectifs et/ou individuels présentent l'avantage de ne pas figer la pratique du référent et lui laisse carte blanche pour la création et l'invention. Pour se laisser surprendre. Les activités sportives, culturelles, scolaires etc se présentent comme autant d'espaces de médiation. Ce qui fait de l'institution un véritable théâtre de gestes et de paroles, un espace de projection, où l'usager, à sa façon, selon son style, et pas toujours là où on l'attend, projette au regard de tous ce qui l'agite. Au référent d'en recueillir la substantifique moelle, comme disait Rabelais et d'en tirer les conséquences.

Conditions de l'exercice

Pour investir cet espace relationnel particulier le référent doit pouvoir disposer d'une marge de manœuvre suffisante. Il y a lieu d'en définir les contours et éventuellement que la direction en souligne les limites d'intervention et les délégations afférentes. Ceci posé, une fois cerné le cadre de l'intervention, le référent ne peut exercer sa fonction en toute sérénité et efficacité que s'il se dégage d'une position d'allégeance ou de dépendance vis à vis des parents, de la famille, des collègues intra ou extra institutionnels, des partenaires, et même de... l'usager. On voit qu'occuper la place de référent exige une souplesse jamais acquise, toujours a remettre sur le métier. Faute de quoi cette place se trouve gravement instrumentalisée et ne permet pas de réaliser les objectifs que pour ma part j'ai décrit plus haut, et qui visent peu ou prou à l'acquisition pour un usager d'une autonomie physique, psychique et sociale, autant que faire se peut. Comment soutenir un usager dans la réalisation de soi, si l'on est soi-même enchainé comme professionnel? La position ne va pas de soi et implique des questionnements permanents, à la fois sur la place occupée au sein d'un organigramme et au regard de la mission de l'établissement, mais aussi en fonction du style que développe le référent et sur lequel, tout en ayant cette marge d'invention, il doit rendre compte. Cela ne va pas sans une certaine forme de saine disputatio qui peut trouver à se déployer dans une régulation d'équipe, mais aussi en synthèse, réunion de fonctionnement etc Il s'agit bien, comme on le disait jadis à l'armée, de tenir la position et ceci tout en faisant grand cas des remarques, critiques et suggestions des collègues de l'équipe.

Les limites, les risques

Le risque principal en position de référent est un risque d'appropriation de la relation par le professionnel ou l'usager. Combien de fois ai-je entendu ces mots: « mon référent, avec quelques variantes très drôles, telles que « mon révérend! » ou encore « mon préférant ». Quant au professionnel qui commet des « mon jeune » ou des « ma famille » cela ne vaut guère mieux et témoigne d'une proximité de mauvais aloi, qui ne permet pas le travail. Un autre risque, qui avait été observé dès le départ chez les référentes de la pouponnière de Loczy, c'est celui de se laisser déborder par les affects. Il est vrai que l'on ne peut rester indifférent devant un enfant massacré par ses parents, une famille qui part à vau l'eau, ou encore les crises clastiques d'un psychotique. Il est des histoires de vie qui prennent aux tripes. Si l'empathie assure la relation dans un premier temps il s'agit bien de ne pas s'y enfermer. La référence, du fait du transfert engagé, se déploie en deux temps: un temps pour se laisser prendre, se laisser toucher, se laisser « avoir », et un temps pour se déprendre. Ce que Freud désigne comme « maniement du transfert » que Lacan reprend comme « manœuvre du transfert ». Enfin je vois poindre un dernier risque. Les autres membres de l'équipe, voire plus largement de l'institution peuvent en venir à un sous investissement de l'usager, du fait d’un surinvestissement par le référent. Il y a lieu là aussi de trouver un équilibre, précaire, jamais totalement réalisé, pour qu'on ne perde pas de vue l'accompagnement de tel ou tel usager, et qu'on ne laisse pas livré à lui-même le référent. Là encore l'outil de la régulation d'équipe permet ce travail d'équilibrage. Il s'agit que la relation usager-référent ne se referme pas sur l'entre-soi.

Contre-pouvoirs et garde-fous.

Pour se prémunir des ces débordements, excès et positions déplacées, il y a lieu de développer un ensemble de protections. Tout d'abord, j'y reviens, le référent est lui-même référé à ce qui le dépasse: mes fameux trois cercles de l'éthique, du politique et de l'institutionnel. Cela ne fait pas de mal de remettre sur le métier régulièrement les implications de ces références « transcendantales ». Le questionnement, jamais achevé sur le versant de l'éthique qui s'ouvre dans la question « qu'est-ce que je fous là ? » telle que François Tosquelles nous en a transmis le tranchant, l'étude régulière des textes qui bordent les politiques sociales, l'attention portée au projet associatif ou aux directives des collectivités territoriales ou des ministères, aux missions et agréments de l'établissement, au projet institutionnel, à la hiérarchie des places et de leurs articulations, la logique du contrat de travail et des fiches de poste, l'exigence du rendre-compte et des évaluations... autant d'éléments qui permettent au référent d'arrimer sa place en raison et de limiter les pentes faciles de la toute-puissance et du renfermement sur soi.

Évidemment en matière de garde-fou la médiation de l'équipe est fondamentale. Il y va de la responsabilité de chacun de ne pas laisser un collègue, sous prétexte de référence, s'enfermer dans une relation exclusive. On sait d'expérience que cela finit mal et produit des dysfonctionnements tout a fait dommageables pour les usagers. Je pense à un exemple récent: le référent étant absent pour congé de maladie, un enfant s'est vu privé d'argent de poche pendant 15 jours. Il faudrait poser d'emblée que la fonction de référent, et c'est vrai de toute fonction, n'appartient pas à celui qui l'occupe, elle est le bien, si j'ose dire, de l'institution. D'où la nécessite d'envisager des relais, des doublures et à tout prendre de se laisser guider par le bon sens, ce que Georges Orwell désignait comme « common decency ». D'où l'importance que le référent rende compte en équipe de l'avancée du projet de l'usager dont on lui a confié l'accompagnent. Il est logé à l'avant-poste des synthèses où il défend son suivi, tout en prêtant attention aux observations des pairs comme des collègues exerçant d'autres fonctions (psychologues, instituteurs, assistants de service social, chef de service, directeur...). En préparant les synthèses sur le plan éducatif il favorise l'émergence de positions qui tout en pouvant se révéler divergentes, voire antagonistes, n'en nourrissent pas moins la compréhension complexe d'un usager et fondent en raison la construction d'un projet qui a du sens.

Les rencontres avec les différents partenaires, de l'institution ou extérieurs, je pense ici par exemple à l'école, la justice, les services de tutelle... font également limite à l'exclusive de la relation. Il s'agit bien de recueillir les morceaux d'un puzzle d'observations, des ressentis, d'éprouvés et de les réunir progressivement en un tableau qui prend sens. Enfin, je n'y reviens pas, le travail sur le transfert engagé avec un usager, en supervision, offre une possibilité permanente de travail sur soi. La parole dans de tels espaces fait limite à la jouissance que le transfert ne manque pas de déclencher pour chacun. Et qu'on le veuille on non, on n'en aura jamais fini avec le « traitement », chez les usagers comme chez les professionnels, d'une forme de toute puissance que Lacan cerne sous le terme de « jouissance » , que Freud nomme l'Enfant ( Das Kind ) qui est en nous et que le psychanalyste Serge Leclaire désigne comme  « l'enfant merveilleux »: « Qui ne fait et refait ce deuil de l'enfant merveilleux qu'il aurait été, reste dans les limbes et la clarté laiteuse d'une attente sans ombre et sans espoir; mais qui croit avoir, une fois pour toutes, réglé son compte à la figure du tyran, s'exile de sources de son génie, et se tient pour un esprit fort devant le règne de la jouissance »

Référent et institution.

La position de référent offre aussi une part dynamique et active à l'endroit de l'institution. Notons ici la distinction que nous enseigna Tosquelles entre établissement et institution. L'établissement, disait-il, c'est l'établi, là où l'on pose ses outils. Pour ce qui nous concerne: les textes, les agréments, les missions, l'organigramme, le budget, l'organisation du temps, la distribution des espaces et de la circulation entre eux etc. font l'établi, le socle sur lequel peut se déployer une institution. L'institution n'existe que du fait des sujets qui y vivent et y travaillent, donc autant les professionnels que les usagers. L'institution est une création permanente, comme Trotsky prônait la révolution permanente. L'institution est fabriquée dans les lieux où l'on se rencontre, où l'on fait des choses ensemble, où l'on se parle. A se tenir au plus près du sujet, le référent (ré)interroge les agencements institutionnels dans ses fondamentaux, ses valeurs, ses principes, qui bien souvent lorsqu'on a, comme on dit, le nez dans le guidon, se perdent de vue. Le questionnement critique, au bon sens du terme – c'est un mot qui vient du grec crinein , choisir, trier, que l'on trouve également dans la composition du mot « crible » qui permet de trier le bon grain de l’ivraie -, introduit par le référent porte également sur le cadre et les places institutionnelles, sur les remaniements collectifs et le rappel incessant que l'institution est au service des usagers, et pas le contraire. C'est un lieu d'impulsion de projets et de dispositifs en phase avec ce qu'exige d'invention la réalité vécue des usagers, dans un monde en profonde mutation. Autrement dit, de sa place le référent, introduit ce poil à gratter, qui fait que, comme l'énonce souvent Jean Oury, rien ne va jamais de soi, tout est matière à discussion. La référence, du fait de son enracinement dans la clinique, se profile alors comme un des lieux où sont soulevées les forces d'inertie inhérentes à tout établissement, où sont levés les lièvres des petits arrangements entre amis, les passe-droits, les rivalités imaginaires, les petites jouissances mortifères du quotidien... S'il tient la position, ce qui exige une sacrée dose de détermination, le référent, participe à soigner l'institution, première obligation d'une authentique « psychothérapie institutionnelle » digne de ce nom.

Ce faisant il participe à la construction permanente d'un réseau, d'un maillage institutionnel en intra et à l'extérieur. Réseau dont Michel Serres dans un beau texte, donne à lire les coordonnées à l'enseigne d' Hermès, figure tutélaire dont pourrait s'inspirer les référents, dieu des portes et des passages, des chemins et des carrefours, des messages et des marchands, mais aussi dieu des... voleurs: « A revenir sur terre ou plonger dans le courant du sens, communiquer, c'est voyager, traduire, échanger: passer au site de l'Autre, assumer sa parole comme version, moins subversive que transverse, faire commerce réciproque d'objets gagés.» Le réseau que le référent tisse et retisse au regard de tel suivi singulier, et qui comme l'ouvrage de Pénélope se démaille régulièrement, tient en deux points qui se croisent en une dialectique subtile: un repérage de la différence des places, ce que Michel Serres nomme « les sommets » articulés entre eux par une pluralité de ramifications, nommé « chemins ». La mise en réseau à laquelle participe activement le référent se caractérise « … par la pluralité et la complexité des voies de médiation »

C'est bien le tissage permanent de ce réseau de lien social qui produit pour les professionnels, comme pour les usagers, le filet de sécurité sans lequel on ne saurait s'avancer dans des actes éducatifs, pédagogiques ou thérapeutiques. A ce titre la place de référence est logée aux avant-postes de cette construction collective. Fonction d'entre-deux, de passeur, elle met bien en œuvre ce que Freud indiquait comme visée médiane, voie du milieu, de toute éducation: «  Il faut donc que l'éducation inhibe, interdise, réprime et elle y a d'ailleurs largement veillé en tout temps. Mais l'analyse nous a appris que c'est précisément cette répression des pulsions qui entraîne le danger d'une maladie névrotique... L'éducation doit donc chercher son chemin entre le Scylla du laisser-faire et le Charybde de la frustration.»

Ainsi peut-on penser un « réfère-en-ciel » loin des sirènes de la gouvernance et du managent industriel débridé qui agite de ses soubresauts le secteur social, une référence qui consiste à prendre soin, de soi et des autres. Le référent, situé au carrefour de ces multiples implications qui trament la clinique de l'éthique, se doit de se tenir éveillé, car à ce carrefour les bolides défilent à grande vitesse sous forme d'injonctions, de pressions et dépressions, d'exigences multiples et (a)variées, de mots-d'ordre et de désordre, de préjugés et de prédictions dont il s'agit de se tenir à l'écart s'il ne veut pas se faire écraser.

Joseph Rouzel, psychanalyste, responsable de l’Institut européen psychanalyse et travail social (PSYCHASOC) de Montpellier.

Deux derniers ouvrages parus :

  • La supervision d’équipes en question (Sous, la dir. J. Rouzel), Psychasoc Editions, 2010.
  • Travail social : actes de résistance ? (Sous la dir.), Psychasoc Editions, 2011

Bibliographie :

Romuald Avet, « Le notion de référent : quelle position éthique ? », Lien Social n°77, mai 1990.

Jean-Yves Barreyre et Brigitte Bouquet, (sous la dir.), Nouveau dictionnaire critique de l’action sociale, Bayard, 2006.

Anne-Sophie Bonvin et Sandra Jakob, Une personne de référence pour l’enfant, est-ce bien nécessaire ? Travail présenté à l’EESP, Lausanne, 2001.

Carme Compagnoni, La référence éducative, une position symbolique du lien d’accompagnement, Mémoire de DEES, IFRAMES, Rezé, 2003.

Sylviane Giampino, «  Personne de référence et suivi des enfants dans les lieux d’accueil », La Lettre du GRAPE n°37, ères, 1999.

Bernard Gouraud, La notion de référence éducative en internat éducatif, http://www.travail-social.com:spip.php?article46

Serge Kenyinda, Complice ou usurpateur qui est-il donc l’éducateur de référence ?  , Mémoire d’éducateur spécialisé, Fribourg, Suisse, 2006.

Jean-Pierre Lebrun et Elisabeth Volckrick (sous la dir.), Avons-nous encore besoin d’un tiers ? ères, 2000.

Joseph Rouzel, Le transfert dans la relation éducative , Dunod, 2002

Joseph Rouzel, La supervision d’équipes en travail social , Dunod, 2007.

Jacques Tremintin et Guy Benloulou, «  Le référent : professionnel ressource ou substitut parental ? » Lien Social n° 340, février 1996.

Jean-Marie Vauchez, Théorie et pratique du référent , Document interne, Psychasoc, 2011.

Bernard Voizot, «  La fonction de référence : une réponse à la problématique des enfants déficitaires dysharmoniques » Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence n°7, 2000.

Bernard Voizot, «  La fonction de référent, une inscription des la tiercéité dans la vie institutionnelle », Revue française de psychanalyse , 2006.

Hypathia d'Alexandrie (370-415), enseigne en philosophie Platon et Aristote. Elle est également mathématicienne et astronome. Ses travaux ont brûlé avec la bibliothèque d'Alexandrie. On n'en connait que peu de choses. Elle fut prise entre trois grandes Références: les derniers sursauts des cultes égyptiens, la secte montante des chrétiens et la Raison héritée des grecs. Elle fut lapidée par la secte chrétienne jalouse de sa renommée et opposée à l'usage de la raison, en mars 415, à l'age de 45 ans. Ses restes furent mises en pièces , trainés dans les rues et brûlés.

Jacqueline Picoche, Dictionnaire étymologique , Hachette-Tchou, 1971.

Pierre Legendre, La fabrique de l'homme occidental , Mille et Une nuits, 2000.

Jean-Pierre Lebrun, Fonction maternelle, fonction paternelle , Editions Fabert/yapaka, 2011.

Dany-Robert Dufour, On achève bien les hommes , Denoël, 2005.

Arlette Pellé, Ce que nous enseignent les ruptures majeures , L'Harmattan, 2011.

Moloch est dans la tradition biblique le nom du dieu auquel les Ammonites, une ethnie cananéenne, sacrifiaient leurs premiers-nés en les jetant dans un brasier.

D'après des découvertes récentes à Carthage, le mot désignerait en fait le sacrifice lui-même, molk , et non une divinité, qui aurait été inventée pour traduire l'expression.

Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale , La Découverte, 2009.

Jean-Yves Barreyre et Brigitte Bouquet (sous la dir.), Nouveau dictionnaire critique d'action sociale, Bayard, 2006.

Myriam David et Geneviève Appell, Loczy ou le maternage insolite , érès, 2008.

Sylviane Giampino, « Personne de référence et suivi des enfants », in Enfants et professionnels, des histoires d'amour? La lettre du GRAPE , n° 37, 1999.

Sylviane Giampino, ibidem.

Je reprends ici le terme princeps employé par le médecin Itard à propos de Victor de l'Aveyron, en 1826, dans sa « Lettre aux rédacteurs des archives sur les sourds-muets qui entendent et qui parlent ».

Joseph Rouzel, « Ce que parler veut dire », in Le Sociographe , n°37, janvier 2012.

L'observation participante (dite aussi méthode de l'observateur participant ; en anglais participant-observer ) est une méthode d'étude ethnologique ainsi que sociologique introduite par Bronislaw Malinowski au début du XX e  siècle en s'immergeant plusieurs années dans des sociétés mélanésiennes. Pour Alain Touraine, il s'agit de "la compréhension de l’autre dans le partage d’une condition commune". Cette approche fonde autant la sociologie d'intervention telle que Rémi Hess l'envisage, qu'une approche vivante de l'ethnologie comme on peut la voir à l'œuvre chez Jeanne Favret-Saada, dans son enquête sur la sorcellerie du Boccage et dont elle résume la méthodologie dans l'expression « être affectée » (Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts , Gallimard/Folio, 1985.). La clinique éducative gagnerait à s'en inspirer.

Joseph Rouzel, Le transfert dans la relation éducative , Dunod, 2002

Marc Ledoux, Qu’est-ce que je fous là ? Psychothérapie institutionnelle en résistance et dialogue avec psychiatrie de qualité, Litérarte, Belgique, 2005.

«  Jouissance: comme dans le droit, c'est « ce qui ne sert à rien ». Elle se présente comme plaisir nocif, pulsion de destruction (pulsion de mort, pour Freud), ou encore comme satisfaction paradoxale ou impossible (substance négative, pour Lacan). Défaut, manque, faute (péché originel), elle est le cœur même du sujet qui ne peut s'affirmer sans la prendre en charge. (Marie-Jean Sauret, Lacan. Le retour à Freud , Milan, 2000.

Sigmund Freud, préface à l'ouvrage d'August Aïchhorn, Jeunes en souffrance , Champ Social, 2000.

Serge Leclaire, On tue un enfant , Seuil, 1975.

Jean Oury et Marie Depussé, A quelle heure passe le train… Conversations sur la folie , Calman-Levy, 2003.

Michel Serres, Hermès I. La communication , Minuit, 1969.

Commentaires

referent

je pense que le référent est celui qui s'interiorise (je ne sais pas si c'est francais)l'autre ses desirs, souffrance..

souvent, au moins au foyer, c'est le tout bpuissant qui décide, qui gere l'argent des tutelles, qui dit bleu, meme si c'est rouge.
lisez sur le rézo, projet alternatif. je travaille sur le projet

 

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