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Réaction de Mme Roudinesco au « Livre noir de la psychanalyse »

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Elisabeth Roudinesco

mardi 13 septembre 2005

1 - Contenu de l'ouvrage

Le 1er septembre paraît aux Arènes un ouvrage collectif intitulé Le livre

noir de la psychanalyse. Vivre, penser et aller mieux sans Freud. Catherine

Meyer en est l'éditrice responsable avec la collaboration de Mikkel

Borch-Jacobsen, Jean Cottraux, Didier Pleux et Jacques Van Rillaer.

Dans cet ouvrage, les freudiens sont mis en accusation : ils ont, dit-on,

envahi les médias à coups de propagande et de mensonges.

Sont brocardés avec une rare violence tous les représentants du mouvement

psychanalytique depuis ses origines : Melanie Klein, Ernest Jones, Anna

Freud, Bruno Bettelheim (etc) et, pour la France, Jacques Lacan, Françoise

Dolto, leurs élèves et les principaux chefs de file de l'école française

(toutes tendances confondues, IPA et lacaniens).

Les chiffres sont faux, les affirmations inexactes, les interprétations

parfois délirantes. Les références bibliographiques sont tronquées et l'

index est un tissu d'erreurs. La France et les pays latino-américains sont

traités de pays arriérés, comme si la psychanalyse y avait trouvé refuge

pour des raisons obscures alors même qu'elle aurait été bannie de tous les

pays civilisés. Je rappelle qu'elle est solidement implantée dans 41 pays et

en voie d'expansion dans les pays de l'ancien bloc soviétique où elle avait

été interdite, ainsi que dans le monde arabe et islamique. La crise de la

psychanalyse, qui est réelle aujourd'hui, a des causes multiples qui ne sont

jamais évoquées par les auteurs, lesquels ont abandonné tout esprit critique

pour se livrer à des dénonciations extravagantes.

Freud est le plus attaqué : menteur, faussaire, plagiaire, misogyne, drogué

à la cocaïne, dissimulateur, propagandiste, père incestueux, il est présenté

comme une sorte de dictateur ayant trompé le monde entier avec une doctrine

fausse. En somme, cette doctrine n'aurait pas d'existence (elle est une

"théorie zéro") puisque l'inconscient existait avant Freud, lequel aurait

séduit une humanité crédule en se prenant pour un nouveau messie.

Freud est aussi accusé comme tous ses successeurs d'avoir laissé ses

patients dans un état de délabrement atroce et d'avoir inventé de fausses

guérisons. Tous les mouvements psychanalytiques sont dénoncés comme des

lieux de corruption et les psychanalystes sont accusés d'avoir commis des

crimes : 10.000 morts en France, parmi les toxicomanes, puisqu'ils auraient

contribué à interdire des traitements de substitution. Aucune preuve de ce

goulag imaginaire n'est apportée par les auteurs.

Les psychanalystes sont également accusés d'avoir infligé de véritables

tortures interprétatives à des parents d'enfants autistes en ignorant la

causalité organique de cette maladie.

Les responsables de ce livre noir appellent le grand public et les médias à

se méfier des traitements psychanalytiques. Le titre est d'ailleurs éloquent

: l'expression "livre noir" renvoie à l'existence de complots ou de

massacres occultés. L'idée de "penser sans Freud" signifie clairement que la

pensée freudienne ne doit pas être enseignée puisqu'elle est une fausse

science.

Dois-je rappeler qu'elle figure au programme du baccalauréat et qu'elle n'

appartient nullement à la communauté psychanalytique mais à l'histoire de la

culture occidentale?

Quant à la proposition "d'aller mieux sans Freud", elle signifie que les

patients sont invités à quitter leurs thérapeutes pour rejoindre ceux qui,

aujourd'hui, seraient les seuls à pouvoir guérir l'humanité de ses problèmes

psychiques : les thérapeutes cognitivo-comportementalistes (TCC), (532 en

France).

Cette proposition laisse entendre également que la psychanalyse serait

dénuée de tout savoir clinique. Veut-on signifier par là qu'elle ne serait

pas à sa place dans les départements des universités où l'on enseigne la

psychopathologie? On peut se le demander.

Les psychothérapeutes de toutes tendances sont accusés d'être les valets de

la fausse science freudienne et les émules de ses représentants. Ils sont

pourtant appelés à rejoindre les rangs de la véritable science (TCC) et de

se détacher des freudiens obscurantistes.

Philippe Douste-Blazy (prédécesseur de Xavier Bertrand) est brocardé pour

avoir retiré le rapport de l'INSERM du site du Ministère de la Santé. Il est

accusé d'avoir "prémédité" son geste - on emploie d'ordinaire ce terme pour

un crime ou un délit - avec la complicité de lacaniens fanatiques et

intellectualisés, adeptes d'un maître qui aurait poussé au suicide toute une

population de patients.

Les épreuves du livre ont circulé avant publication dans les médias et à l'

INSERM. Les familles d'enfants autistes ont été appelées à saisir le Comité

d'éthique, non pas contre des charlatans dont ils auraient été les victimes

réelles mais contre une discipline (la psychanalyse) et contre ses

traitements désignés comme nocifs. On fait donc le procès de Freud et de la

psychanalyse et non pas de personnes privées présumées coupables d'abus.

Jean Cottraux est l'un des rédacteurs du rapport de l'INSERM. Il se présente

volontiers, sur son site et dans la presse, sans en apporter la preuve,

comme un interlocuteur privilégié du Cabinet du Ministre de la Santé.

Information démentie par le Ministère.

Dans un sous-chapitre du Livre noir intitulé "Chronique d'une génération.

Comment la psychanalyse a pris le pouvoir en France", Jean Cottraux parle de

lui-même. Il raconte que lorsqu'il poursuivait ses études de psychiatrie à

Lyon à la fin des années 1960, il fut l'innocente victime de la

contamination freudienne. Il fut, dit-il, le témoin de choses abominables

dans sa bonne ville, en assistant, notamment, à trois scènes atroces : une

invasion de "visiteurs", comme il le dit.

Il vit arriver un jour à la gare de Lyon-Perrache, un monstre du nom de

Jacques Lacan reçu par un étrange professeur de philosophie, un peu

ridicule, nommé Gilles Deleuze. Et tenez-vous bien, les deux hommes se sont

dit des sottises : "Ah mon cher maître, quel plaisir etc." Un autre jour, il

vit venir un autre visiteur aussi suspect, une dame, un peu bébête, du nom

de Françoise Dolto, et il conserva de cette visite un souvenir effrayant :

"elle avait poussé un peu loin le bouchon". Le troisième visiteur qui

inquiéta Jean Cottraux était un ogre, un imbécile, une brute, du nom de

Bruno Bettelheim.

Après avoir été ainsi visité, Jean Cottraux passa quatre ans sur un divan.

Au terme de ce calvaire, il "a jeté aux orties le froc analytique" et

maintenant il est un homme heureux. Voilà donc ce qu'est pour lui l'histoire

de la psychanalyse en France, sa fameuse face cachée. Elle se résume à l'

autofiction d'un humble psychiatre de province (c'est ainsi qu'il se

désigne) qui a été la proie de grands méchants loups et qui maintenant a

découvert enfin, avec les TCC, la solution à ses problèmes

Président de plusieurs associations privées qui délivrent des formations en

TCC, Jean Cottraux s'est donc remis de ses émotions de jeunesse : il dirige

un DU de TCC tout en étant le responsable d'une unité de traitement de l'

anxiété dans un centre hospitalier de neurologie.

Un autre psychiatre, Patrick Légeron, a été lui aussi terrifié autrefois par

la contamination freudienne en France. Et du coup, il livre une nouvelle

version de "la face cachée" de son histoire. Ses praticiens, dit-il en

substance, ont été dans leur ensemble si nuls et si peu compétents qu'ils

sont responsables collectivement d'un formidable délit : la surconsommation

de prozac en France. Il s'agit là, on l'aura compris, d'une admirable

méthodologie historique - fondée sur la notion de causalité unique et d'

explication à l'emporte-pièce - digne de Monsieur Homais, et dont les

historiens auraient dû se soucier. Pour sortir de cet "effet pervers",

Patrick Légeron appelle les malheureux patients, victimes des cures

analytiques, à quitter leur divan, à cesser de prendre des antidépresseurs

et à faire confiance aux TCC qui leur apporteront enfin une solution à leurs

problèmes.

L'ouvrage est rédigé par quarante auteurs et composé de quatre parties. La

tonalité générale est celle d'un réquisitoire qui vise à réduire l'individu

à la somme de ses comportements et à dénoncer toute tentative d'explorer l'

inconscient. Une violente diatribe contre la religion, et notamment contre

le catholicisme, auquel Lacan et Dolto sont rattachés, permet aux auteurs de

se situer, en France, à gauche de l'échiquier politique et de jouer la carte

du progrès contre l'obscurantisme.

Après avoir été traitée de science juive et bolchevique par les nazis, de

science bourgeoise par les staliniens, d'obscénité par l'Eglise catholique,

de science boche par les Français, de science latine par les Nordiques, la

psychanalyse est donc devenue une science chrétienne pour les nouveaux

scientistes.

Dans les deux premières parties, "La face cachée de l'histoire freudienne"

et "Pourquoi la psychanalyse a eu tant de succès", sont rassemblés des

textes et des entretiens d'historiens majoritairement anglophones et connus

pour leurs positions dites "révisionnistes" : c'est ainsi qu'ils se sont

eux-mêmes désignés, il y a vingt ans, en prétendant réviser les mythes

fondateurs de l'imposture freudienne. On les appelle aujourd'hui aux USA

les "destructeurs de Freud". Ils sont minoritaires et ont fini, à cause de

leurs excès, par être marginalisés après avoir voulu faire interdire, en

1996, la tenue de la grande exposition Freud de Washington, jugée (à juste

titre d'ailleurs) trop "orthodoxe". Mais est-il raisonnable de lutter contre

l'orthodoxie d'une discipline par des mesures d'interdiction? Certainement

pas. Et c'est pourquoi, à cette époque, J'avais pris l'initiative avec

Philippe Garnier d'une pétition internationale contre ce type de censure.

Ces historiens révisionnistes détournent l'oeuvre d'Henri Ellenberger

(dont j'ai la responsabilité en France et dont les archives ont été déposées

à la SIHPP) en faisant de lui un anti-freudien radical qui aurait été le

premier à démasquer les impostures freudiennes. Ils s'approprient donc l'

historiographie savante, celle dont je me réclame - et qui est issue à la

fois d'Ellenberger, de Canguilhem et de Foucault - pour la mêler à une

entreprise de dénonciation qui n'a plus rien à voir, ni avec l'étude

critique, même sévère, des textes théoriques, ni avec la nécessaire mise à

jour de l'histoire du mouvement psychanalytique : de ses moeurs souvent

compassées, de ses crises, de ses errances, de sa propension à l'adulation

des maîtres, de son dogmatisme, de son jargon et de ses véritables années

noires (collaboration avec le nazisme ou les dictatures), évoquées en une

ligne de manière ambiguë.

Rien de tout cela n'est abordé dans ce livre, écrit dans une langue

dénonciatrice, et truffée d'une terminologie évoquant les procès en

sorcellerie : mystification, imposture, possession, préméditation,

assassinats, meurtres, complots, etc. Tel est le vocabulaire qui revient

sans cesse sous la plume acerbe de ceux qui se présentent comme de grands

spécialistes de l'histoire des sciences, de la médecine, de la psychiatrie,

etc, et qui n'ont comme vision de l'histoire que l'axe du bien et du mal :

le mal, c'est Freud, ses suppôts, ses curés, ses idolâtres, le bien c'est l'

armée vengeresse de ses détracteurs, attachés à une médecine des pauvres et

qui partent en croisade contre l'arrogance médiatique et intellectuelle des

méchants psychanalystes dont ils imaginent qu'ils ont étendu leur empire sur

la planète entière à coups de protocoles et de mensonges.

Je ne fais pas partie de ceux qui ont contribué à la psychologisation de

notre société. Je désapprouve la manière dont les psychanalystes et les

psychiatres de toutes tendances s'appuient sur la doctrine freudienne pour

prononcer, dans les grands médias, des diagnostics foudroyants à l'encontre

de tel ou tel homme politique, comme ce fut le cas récemment dans l'

hebdomadaire Marianne (434, 13-19 août) : "Les psys analysent le cas

Sarkozy". Soucieux d'en découdre avec un ministre détesté, la patron de ce

journal a fait appel aux "psys" pour qu'ils déclarent, au nom de Freud, de

la psychanalyse et des classifications de la psychiatrie, que le Ministre de

l'intérieur était un psychopathe dangereux incapable de gouverner la France.

Que la psychanalyse puisse être invoquée, par ses praticiens même, pour

servir à un tel abaissement du débat politique, a quelque chose de

révoltant.

Revenons maintenant au Livre noir. En réalité, les textes rassemblés par l'

éditrice dans ces deux chapitres sont des résumés de livres déjà publiés en

anglais, en allemand ou en français et donc parfaitement connus des

spécialistes de l'historiographie freudienne. Ils sont pourtant présentés

comme révélateurs d'une vérité cachée .

Dans la troisième partie, "La psychanalyse et ses impasses", celle-ci est

désignée comme une fausse science. Et c'est Van Rillaer qui se charge d'

instruire le procès en reproduisant presque mot pour mot le contenu d'un

ouvrage déjà publié sur le même thème. Oedipe est un mensonge, Lacan un

bavard, la psychanalyse un délire ou une illusion, Elisabeth Roudinesco un

auteur qui écrit en jargon et qui a oublié de dire que certains freudiens

avaient été nazis et que les fondateurs des TCC étaient juifs. Freud est

qualifié de truqueur de résultats, les psychanalystes français de nouveaux

jdanoviens.

A noter que plus aucune allusion n'est faite au livre de Jacques Bénesteau,

Mensonges freudiens, dont on connaît le destin. Deux auteurs du Livre noir

(Cottraux et van Rillaer) en avaient fait l'éloge à plusieurs reprises.

Enfin, dans la quatrième partie, sont rassemblées des histoires de victimes

: Tausk, suicidé par Freud, Anna Freud détruite par son père incestueux,

Marilyn Monroe, suicidée par ses psychanalystes. Suivent ensuite des

témoignages de mères d'autistes et de patients victimes de charlatans.

Parmi les autres victimes figurent tous les enfants de France. C'est à

Didier Pleux, psychologue et directeur d'une Association de TCC, et

spécialiste de la chasse à Dolto, que l'on doit cette stupéfiante

révélation, occultée par les historiens officiels - je suis visée - et selon

laquelle la terrible visiteuse de Lyon (Dolto) serait responsable de la

crise de la famille occidentale. Elle aurait rendu tyranniques et

impossibles à éduquer la totalité des enfants d'aujourd'hui. Ses héritiers -

Caroline Eliacheff, Claude Halmos, Marcel Rufo, etc - ne seraient, selon le

quatrième auteur du Livre noir, que les complices médiatiques de ce grand

ratage éducatif dont seules les TCC pourraient venir à bout. Notons que le

nom de ma mère, Jenny Aubry, ne figure pas dans cette liste noire.

Le livre fait la une du Nouvel Observateur (en couverture), le 1er septembre

2005, avec bonnes feuilles, vignettes et extraits sur les impostures de

Freud. A l'intérieur du numéro, un "débat" a été orchestré par Ursula

Gauthier - responsable du dossier, favorable de longue date aux TCC - entre

"celui qui croit" en la psychanalyse" (Alain de Mijolla), comme révélation

divine, et "celui qui n'y croit pas" ou plutôt qui a cessé d'y croire après

avoir été un fanatique lacanien "déconverti" (Van Rillaer). C'est à Ursula

Gauthier qu'a été confié l'article dit de "synthèse" destiné à ouvrir enfin

un grand débat en France sur les vérités cachées, etc, etc...

On oppose ainsi, dans un prétendu débat objectif (dans le genre pour ou

contre la rotation de la terre), le représentant d'une religion

obscurantiste à un véritable savant qui, après être descendu dans l'enfer d

'une secte, en est enfin revenu pour célébrer les bienfaits de la science et

d'un traitement nouveau testé et évalué et qui prétend, par exemple, guérir

la phobie des araignées en dix séances en proposant à des patients de se

confronter d'abord à une araignée, puis à un troupeau d'araignées : la main,

le bras, le corps entier. En lisant de telles choses, on se dit qu'il

faudrait suggérer au propagateur de ce fabuleux traitement de le tester sur

lui-même lors d'une émission de télé-réalité, en direct et en présence d'une

armée d'évaluateurs.

Le débat du pour et du contre a d'ailleurs été organisé, ici comme ailleurs,

pendant le mois d'août, avec des psychanalystes qui, après avoir été

interrogés selon cet axe, ont pris la défense de la psychanalyse sans avoir

lu le livre. Certains n'avaient eu connaissance que de quelques articles

(sur épreuves). Ainsi la revue Psychologies magazine (septembre 2005)

a-t-elle déjà lancé le "débat" à la une en opposant les pour et les contre

sur le thème : "La guerre des psys : pourquoi tant de haine?", ce qui laisse

entendre que ce sont les "psys" qui se haïssent entre eux et non pas les

auteurs d'un brûlot qui haïssent Freud et la psychanalyse. La nuance est de

taille car elle permet à ceux qui sont favorables au livre de le valoriser

en ayant l'air de conserver une "objectivité".

2 - Note sur le statut juridique de l'ouvrage

Contrairement au Livre noir du communisme (Laffont, 1997) qui était un livre

collectif réalisé par six auteurs (qui furent ensuite en désaccord), Le

livre noir de la psychanalyse n'est pas un livre d'auteurs mais un livre d'

éditeur comme l'indique son titre et le nom qui figure sur la couverture. Il

est l'oeuvre de Catherine Meyer qui l'a réalisé pour les éditions des

Arènes. Cette éditrice n'est en rien une spécialiste de l'histoire de la

psychanalyse. Pour réaliser ce livre, elle s'est entourée de trois

collaborateurs (Borch-Jacobsen, Van Rillaer, Cottraux) dont les positions

violemment anti-freudiennes sont parfaitement connues. Deux d'entre eux (Van

Rillaert et Cottraux) n'ont aucune compétence en matière d'histoire du

freudisme. Le troisième fait partie de l'école révisionniste américaine

(dite des "destructeurs de Freud").

Le but de cette opération éditoriale est d'une part de nuire à une

discipline et à ses représentants - dans un contexte de crise qui fait

suite, en France, au vote d'une loi sur le statut des psychothérapeutes -

et, de l'autre, de faire une opération classique de commercialisation.

L'éditrice a ensuite demandé à de nombreux auteurs de donner des

contributions à cet ensemble. La plupart d'entre eux - comme d'ailleurs les

trois collaborateurs - ont donné des textes ou des entretiens, certes

inédits, mais qui sont en général un résumé de leurs propres ouvrages ou la

reprise d'articles déjà publiés et à peine remaniés pour le présent ouvrage.

Certains d'entre eux ont donné des articles parus en anglais dans d'autres

ouvrages collectifs. Le livre noir est donc un montage ou un collage

éditorial de différents articles qui, pour la moitié d'entre eux, n'ont

aucun rapport avec ce qui est énoncé dans le titre, dans la préface de l'

éditrice ou dans les déclarations des trois collaborateurs.

Parmi les nombreux auteurs qui ont donné leur accord à ce livre d'éditeur,

on constate que le contenu de leurs textes ne correspond en rien à l'annonce

faite par Catherine Meyer. Freud n'y est pas traité de mystificateur ou de

plagiaire et la psychanalyse n'y est pas assimilée à une discipline

criminelle comme c'est le cas pour une dizaine d'autres articles ou

entretiens.

Ainsi les articles de Joëlle Proust (sur les relations de la psychanalyse et

des neurosciences), de Patrick Mahony (sur les relations de Freud avec sa

fille Anna) et de Philippe Pignarre (sur les antidépresseurs) - et dont le

contenu était déjà connu avant le présent ouvrage - ne participent guère à

une quelconque dénonciation des prétendus mensonges de Freud.

Autrement dit, même si ces auteurs ont donné leur accord pour figurer dans

ce livre noir, rien ne permet de dire que le contenu de leurs articles soit

l'expression de la volonté destructrice affirmée par l'éditrice et par ses

trois collaborateurs.

Ajoutons que si l'on peut parler des crimes commis au nom du communisme ou

des crimes perpétrés par le colonialisme, ou encore des complots orchestrés

par des services secrets, il est difficile d'imputer à la psychanalyse en

tant que telle et à ses représentants un génocide, des massacres, des crimes

ou des complots. Ou alors il faut le prouver.

En revanche, si des abus ont été commis au nom de cette discipline - et l'on

sait qu'ils existent - alors les victimes ont le devoir de porter plainte

devant la justice contre leurs abuseurs. Car dans un Etat de droit, on ne

peut pas faire le procès d'une discipline ou de ses représentants à titre

collectif, sauf à ouvrir une chasse aux sorcières. On ne peut que porter

plainte contre des personnes.

3 - Diffamations

Dans un article intitulé "Freud était-il un menteur", on trouve la phrase

suivante sous la plume de Frank Cioffi : "La vérité c'est que le mouvement

psychanalytique dans son ensemble est l'un des mouvements intellectuels les

plus corrompus de l'histoire. Il est corrompu par des considérations

politiques, par des opinions indéfendables qui continuent à être répétées

uniquement à cause de relations personnelles et de considérations de

carrière."

Une telle affirmation est diffamatoire. Certes, elle ne vise pas une

association psychanalytique en tant que telle mais l'ensemble du mouvement

psychanalytique toutes tendances confondues, c'est-à-dire toutes les

associations qui se réclament historiquement de la psychanalyse et de son

mouvement. En conséquence, toutes les associations mondiales ou locales qui

se réclament de la psychanalyse, de Freud ou de son héritage - freudiens,

annafreudiens, kleiniens, lacaniens ou Ego Psychology - seraient en droit de

se grouper ou d'agir à titre individuel pour porter plainte contre ladite

affirmation. Celle-ci vise non seulement les membres des associations qui

composent le mouvement (la carrière et les relations personnelles) mais

aussi les associations elles-mêmes et la discipline dont elles se réclament.

De nombreux passages de ce livre sont également diffamatoires et pourraient

faire l'objet d'une expertise par des avocats. Il serait sans doute

préférable d'en rire tant la farce est énorme. Mais, de nos jours, plus la

ficelle est grosse et plus la croyance est forte. N'oublions pas l'impact

que peuvent avoir dans l'opinion publique les livres qui dénoncent de

prétendues conspirations.

4- Les Arènes

Maison d'édition spécialisée dans la dénonciation des dossiers noirs de

tout. Parmi les publications, on trouve notamment :

Noir Chirac (violente accusation contre le Président de la République

accusé d'avoir construit par carriérisme une République occulte et d'avoir

couvert les basses oeuvres de chefs d'Etat africains pour préserver les

secrets d'Etat de la France).

Noir procès (réquisitoire identique orchestré par Jacques Vergès dans lequel

trois chefs d'Etat africains se plaignent, "au péril de leur vie" des

complots de "Françafrique", c'est-à-dire de la politique de Jacques Chirac.

Négrophobie (même thématique).

D'autres thèmes, conspirationnistes sont abordés : l'inavouable, les

affaires atomiques, etc.

5 - Commentaire

Je ne fais partie d'aucune association psychanalytique et je n'ai pas l'

intention de me mêler de la conduite de leurs affaires. Mais je déplore que

depuis tant d'années les psychanalystes se soient retranchés de la vie

publique et de tout engagement politique. Ils invoquent volontiers pour

expliquer ce retrait le fait qu'ils se concentrent sur leur travail

clinique, douloureux et difficile. Cette attitude est respectable et

compréhensible. Elle prouve en tout cas que la grande majorité des

psychanalystes sont d'excellents cliniciens, et notamment les plus anonymes

qui ne font jamais parler d'eux dans les médias.

Mais cette attitude de retrait a fini par être néfaste. Car en refusant de s

'engager dans des questions de société, et en laissant la place à ceux qui

déshonorent la discipline par des diagnostics foudroyants ou des propos

ridicules sur les transformations de la famille, les moeurs et les nouvelles

pratiques sexuelles, ils n'ont pas contribué à la nécessaire critique de

leur propre doctrine, préférant se disputer sur la scène publique dans des

querelles interminables. Après avoir, du moins en France, méprisé les

psychothérapeutes relationnels, issus d'ailleurs de leurs divans, les voilà

désormais confrontés eux-mêmes à ce qu'ils avaient cru pouvoir éviter.

Je souhaite que la nouvelle génération psychanalytique ne se trompe pas sur

la signification de ce Livre noir qui connaîtra le sort de tous les brûlots

de ce genre, au même titre que les Impostures intellectuelles de Sokal et

Bricmont ou que L'effroyable imposture de Thierry Meyssan. Mais quoiqu'il en

soit, et compte tenu de l'impact qu'il aura sur l'opinion publique, et

notamment sur les patients en souffrance, il nuira à l'ensemble de la

communauté psychanalytique, si celle-ci persévère à méconnaître les

querelles historiographiques et les débats de société qui se sont

développés, dans le monde entier, depuis vingt ans et qui, d'ailleurs, ne

touchent pas seulement leur discipline.

En effet, l'idéologie de la révision systématique est l'un des éléments

majeurs de cette pulsion évaluatrice généralisée qui a envahi les sociétés

libérales et qui réduit l'homme à une chose et le sujet à une marchandise,

tout en prétendant obéir aux principes d'un nouvel humanisme scientifique.

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