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Supervision : cinq monographies

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Collectif d'auteurs

lundi 19 février 2007

Formation PSYCHASOC (2004-2006)

"Formation à la supervision d’équipes de travailleurs sociaux"

On trouvera ici cinq monographies réalisées par des personnes ayant accompli un cycle de formation à la supervision d’équipes de travailleurs sociaux dans le cadre de l’Institut européen de psychanalyse et travail social de Montpellier.

L’histoire de cette formation a démarré il y a quelques années lorsque, invité par l’Association « Chemins de Traverse » de Bruxelles, à faire une conférence sur la pratique de supervision en travail social, je me suis retrouvé devant un parterre très fourni de prés de deux cents personnes, aussi passionnées les unes que les autres par cette question. Les échanges ont été vifs, très ancrés dans la pratique. On peut se reporter sur le site de Psychasoc au texte que les collègues belges ont rédigé à partir de l’enregistrement de cette conférence (« Les enjeux de la supervision dans le travail social », conférence de Joseph Rouzel, 20 février 2004, à Bruxelles). Toujours est-il que je me suis dit, dans la foulée, qu’en France nous en étions au Moyen-âge quant à la prise en compte de la formation en matière de superviseurs. Il suffirait de sortir de l’Université avec en poche un diplôme de médecin psychiatre ou un DESS de psychologie pour occuper cette place. Comme si ça allait de soi ! Eh bien non, cela ne va pas de soi. La fonction de superviseur obéit à d’autres règles, d’autres références, d’autres postures que celles enseignées à l’Université. Dans la supervision le lien à la clinique se doit d’être constant. La prise en compte de la dimension institutionnelle et du contexte social où elle s’inscrit ne saurait être négligée. Le travail social manque cruellement de professionnels formés à la supervision ou la régulation d'équipe. Les psychologues, psychiatres, voire psychosociologues ou psychanalystes qui s'y engagent, trop souvent ne connaissent pas les enjeux du travail social, la nature des interventions et des positions professionnelles, ni les réalités institutionnelles où ils s'inscrivent. Le stage qui se déroule sur quatre semaines a pour objectifs la formation de professionnels, issus du terrain, à la fonction de superviseur et régulateur d'équipe dans le champ social et médico-social, à partir du repérage de la psychanalyse. D’où l’idée de cette formation. Les contenus abordés sont les suivants :

* Histoire de la supervision . Les antécédents : travail sur les groupes à partir de S. Freud, M. Balint, W. Bion, D. Anzieu, J. Lacan, D. Sibony. Diverses expériences européennes.

* Fondements théoriques . Ce que parler veut dire; analyse de la demande; réel, imaginaire, symbolique; le transfert et son maniement; l'acte; le groupe et son vécu fantasmatique; la dynamique des groupes restreints; enjeux du travail social; notion d'institution. Apports de la psychanalyse et de l'anthropologie.

* Approche pratique . L'instance clinique; supervision et/ou régulation; analyse de la pratique; analyse institutionnelle; le contrôle et l'intervision du superviseur; supervisions spécifiques: soignants, intervenants à domicile, directions, administratifs, services généraux des établissements sociaux et médico-sociaux; supervisions individuelles; échanges institutionnels de superviseurs. La place et la position du superviseur.

* Monographie . En fin de formation est rédigée une monographie soutenue au cours d'une journée de réflexion ouverte. Il s'agit d'y articuler un point de la pratique de supervision à une réflexion théorique.

La formation débouche sur un diplôme de superviseur délivré par l'Institut Européen Psychanalyse et Travail Social (PSYCHASOC), agréé au titre de la formation professionnelle. Le diplôme n’a que valeur d’attestation de formation, en aucun cas il ne donne une autorisation à exercer, car, comme dans l’analyse, le superviseur ne s’autorise que de lui-même et… de quelques autres. Cependant, les personnes qui le souhaitent peuvent s’inscrire en ligne au registre de l’ASIE (Association des superviseurs indépendants européens. http://www.asies.org ).

Les cinq stagiaires qui ont accepté que leur texte soit diffusé sur le site font partie de la première promotion de cette formation , promotion désignées par le groupe lui-même comme « salon Bazille », du nom du peintre impressionniste Frédéric Bazille : Les locaux de Psychasoc sont en effet situés dans la maison natale de ce peintre. Voilà un patronage que nous ne renions pas ! Quant au salon, c’est à un moment privilégié de la supervision qu’il fait allusion, puisque j’y ai introduit, en référence aux salons du XVII et XVIIIème siècle, un temps de conversation.

Caroline Burgy, Rolande Cazaux-Chanu, Elisabeth Chaccour, Christine Durreiseix, Catherine Jegou se sont prêtées ici à cet exercice difficile de rendre compte, en raison et chacune selon son style, d’un point d’énigme surgit en cours de formation. Quelles en soient vivement remerciées pour la contribution précieuse qu’elles apportent ainsi à la réflexion encore toute jeune sur la pratique de supervision en travail social.

- Joseph Rouzel, directeur de Psychasoc.

Caroline Burgy

Dire ou ne pas dire, une histoire de mots ?

« Une histoire met des mots. Elle ne remplace pas la « théorie. » Les récits sont écrits avec des mots ordinaires. L’auditeur a pourtant envie de comprendre. « Et après ? »,demande l’enfant ; « pourquoi ? », demande l’adulte. Nous sommes sur un terrain familier, avec une compréhension immédiate de mots, avec une impression de « pouvoir suivre l’histoire » ; mais il y a néanmoins une mise en mouvement d’un désir de comprendre, de savoir. Si la réaction première fût d’émotion, un récit peut déclencher ensuite un travail de la pensée, un travail de la mémoire, une mise en lien, une intégration à l’histoire personnelle, avec rapprochement ou éloignement, prise de position et parfois rejet. La suite d’une histoire n’est jamais muette. »

Mireille CIFALI 1

C’est à partir de mon expérience de formatrice travaillant depuis cinq ans dans un institut de formation en travail social et animant des groupes d’analyse de la pratique auprès d’étudiants éducateurs spécialisés que j’ai construit ma réflexion. Ce dispositif qui existe au sein de l’école de travail social est un outil pédagogique, différent des cours et des stages.

Il est le fil conducteur qui accompagne les étudiants dans la construction de leur professionnalité pendant les trois ans de formation. Ces groupes d’analyse de pratiques qui ont lieu pendant les trois ans de formation, participent à une progression dans le temps, nous pouvons faire l’hypothèse qu’un processus est à l’œuvre accompagnant l’étudiant vers une approche clinique de sa pratique de plus en plus fine….

Il offre un espace de formation interactif , dans lequel l’étudiant a une place de « sujet en formation à part entière », espace vide au départ qui se construit avec lui. Espace singulier, dans lequel existe, une relation particulière entre les différentes personnes du groupe et le formateur. Relation souvent transférentielle qui s’installe entre celui qui est supposé savoir et celui qui est supposé apprendre. Entre transmission et initiation, sans le désir de celui à qui s’adresse ce temps, désir d’être initié, aucune transmission n’est possible.

C’est à partir de cette expérience, que je vais relater deux moments vécus en analyse de la pratique avec deux groupes d’étudiants différents.

Une étudiante de première année, qui participe au groupe d’analyse des pratiques que j’anime amène en fin de matinée, la question suivante : « Est ce que l’on peut tout dire ? »

Étonnée, me voulant prudente, je tente une réponse du côté de : « oui, en principe on devrait pouvoir dire, parler de tout, qu’enfin certaines choses sont plus difficiles à dire, sans doute … et d’expliquer que la parole dans un lieu autre, décalé, hors institution devrait permettre de se décentrer de la question, mais non, on ne dit jamais tout… »

Bien sûr, là n’est pas la question, j’aurais mieux fait de me taire… Importance du silence

Elle continue à essayer d’expliquer, de parler d’une situation tout en étant confuse, s’emmêlant les pédales, répétant à plusieurs reprises : « Je ne me souviens pas bien, est ce que je peux utiliser mon journal de bord ? Je vous en parlerai cette après-midi, j’ai besoin de relire mon journal de bord…. »

Son attitude est à la fois défensive et se veut rassurante à l’égard du groupe, elle nous précise que ce n’est pas grave, que vraiment on verra cette après-midi… » Sauvée par le gong, si j’ose dire, nous nous arrêtons, il est midi !

Elle n’arrivera pas à nous en dire plus.

Un peu avant le début de la reprise de l’après-midi, elle me cherche et me trouve dans un bureau pour me dire qu’elle veut me parler cinq minutes avant le redémarrage du GAP de l’après-midi. Elle dit qu’elle veut me rassurer « vraiment il n’y a rien de grave, vous verrez, je vais en parler, j’ai repris mes notes et me dit qu’il n’y a vraiment rien de terrible, et vraiment, il n’y a pas lieu de s’en faire... »

Elle tente là encore de me rassurer, dit-elle !!!

Lors de la séance de l’après-midi, elle raconte, ce qui lui est arrivé à savoir qu’elle s’est retrouvée seule dans une situation problématique, qu’elle a dû se positionner face à une mère, une jeune adolescente… ce qu’elle a fait d’ailleurs de façon juste.

Son inquiétude ? Que l’école porte un jugement sur la structure parce qu’elle était seule en responsabilité, alors qu’elle effectue son premier stage de découverte.

Quelque temps plus tard, une autre étudiante…

Suite à mon invitation à prendre la parole et de l’importance que chacun s’exprime dans le groupe, Eliane 2 en 2ème année me pose exactement la même question: « Est ce que l’on peut tout dire ? »

Là encore, hésitations, silences ponctuent cette question, face à mon étonnement et une réponse plutôt interrogative dans le sens où je précise que l’on prend un risque à parler mais lequel?

Question qui une fois posée, comme la première fois, force l’étudiante à en dire quelque chose. Avant qu’elle continue, une autre étudiante intervient se voulant rassurante, lui dit qu’elle n’a pas besoin de dire si elle ne veut pas et qu’elle comprendra... Eliane l’écoute et se lance dans son récit.

Elle décrit une situation dans laquelle il y a eu des questions, un positionnement institutionnel et son inquiétude là encore que l’école juge la décision institutionnelle prise à l’égard de la situation en question. Elle fait référence notamment au séminaire de protection de l’enfance auquel elle a participé et plus particulièrement à propos de l’intervention sur le signalement.

J’ai pu constater dans les deux cas qu’une fois, la question posée, l’étudiant réalise qu’il ne peut plus se taire. Il se rend compte qu’il a ouvert la porte aux représentations, aux fantasmes marqués par ce « tout » qui dit qu’il y aurait de l’inquiétant, du danger, de l’impossible à dire.

Est-ce que l’on PEUT tout DIRE ?

Cette question formulée à deux reprises par deux étudiantes participant à des Groupes d’Analyses de la Pratique, à quinze jours d’intervalle, m’a évidemment interpellée. Dès la première fois, mais c’est son caractère répétitif qui m’a obligé à m’y arrêter. Il me semble que dans ce « TOUT dire », une énigme se pose.

Quel est ce tout ? Que recouvre t’il ? Espace de peurs, de résistances ?

Partons des mots de la question posée :

Qu’est ce qu’un tout ? Qu’est ce qu’un dire ? Qu’est ce qu’un dit ? S’agit-il de dire tout ?

En fait de quoi s’agit-il ?

Je propose de prendre les trois expressions principales de la question et de m’y attarder :

- Du côté du « Peux t’on ? » associé au verbe pouvoir, qui signifie avoir la faculté, le droit, l’autorisation, être en état de, être capable de 3 , il y a là quelque chose de l’autorisation que l’on se donne, que l’on prend ou non à parler, ici à dire. Mais le mot Pouvoir peut aussi être associé à l’autorité, au pouvoir des mots, que se passe t’il lorsque nous prenons la parole, les mots ont-ils une influence, notamment quand ils nous échappent ?

Dès que nous attrapons un mot, plusieurs sens se dessinent, ce qui nous rapproche de ce que Ferdinand Saussure a développé à propos du signe linguistique, à savoir « qu’il serait illusoire de croire que le signe linguistique associe une chose et un nom ; le lien que le signe établit est entre un concept et une image acoustique, celle ci étant « l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens » 4

Le concept étant appelé aussi signifié et l’image acoustique, signifiant, il s’agit d’interroger leur rapport. Julia Kristeva nous indique dans son ouvrage, « que le signe est arbitraire » dans le sens où il n’y a pas de relation obligatoire entre le signifiant et le signifié, mais elle précise que « l’arbitraire du signe est pour ainsi dire normatif, absolu, valable et obligatoire pour tous les sujets parlant la même langue » 5 .

Nous pourrions continuer à jouer avec les mots, en le décomposant nous obtenons pou voir, en rajoutant une lettre nous irions vers pou(r) voir …. Là encore nous nous retrouvons avec des petits bouts de mots qui renvoie à des significations nouvelles, et participent à toute la complexité de la langue !

Significations nouvelles qui renvoient à la place, à la position occupée par le formateur école, qui est encore différente de celle d’un intervenant extérieur. Sujet à projection de la part des étudiants, une des questions qui se pose est celle de sa capacité à séparer les espaces, clarifier le cadre et son intervention dans le groupe d’analyse des pratiques.

Continuons notre cheminement autour des mots…

- Le TOUT

« Ce matin, j’étais sur le point de tout avouer à Robert. Louise, Michel, tout. TOUT ? Il m’a fallu comprendre que de ce tout, dont je ne parviens pas à me dépêtrer, il n’aurait rien compris et que ce « tout dire » n’aurait été entre nous qu’un tout détruire. » 6

L’héroïne, jeune femme juive qui a du se faire avorter durant l’occupation, s’est construit une double vie qu’elle consigne dans un journal, elle est traversée un court instant, par l’idée d’avouer à son mari, les secrets qui l’habitent, réalisant que dire ne servirait à rien. Cette citation issue du livre de Louise Lambrichs illustre, de mon point de vue la part de risque à dire, l’autorisation que l’on se donne à dire ou ne pas dire. Elle interroge également l’écart qui existe entre celui qui dit et celui qui entend ce qui est dit par l’autre mais dont le sens sera différent pour chacun.

Il ne s’agit sans doute pas de se limiter à dire et encore moins à vouloir tout dire, mais dire implique, engage celui qui s’y colle, peut avoir des conséquences, si ce n’est celle d’être entendu et interpréter de manière singulière à chaque fois.

Si nous nous référons d’une part, au propos de Charlotte Herfray qui dit que : « Certes la parole est importante. Certaines théories psychologiques nous laissent entendre que tout peut-être dit. Ce que la théorie psychanalytique nous enseigne c’est que tout ne peut pas être dit ni entendu. » 7 Et d’autre part, en lien avec des définitions qui mettent en évidence que le « TOUT » exprime d’emblée, la totalité, en cherchant des précisions dans le dictionnaire, il indique également l’important, l’essentiel, le principal, il évoque la complétude (du tout au tout), voire son contraire le rien du tout…

Nous sommes au prise avec des réflexions paradoxales, contradictoires pour le moins complexes…

- A propos de DIRE , qu’est ce que dire? Qu’est ce qu’un dit?

Premier réflexe, chercher dans le petit Robert, une ou plusieurs définitions et trouver un premier sens « émettre (les sons, les éléments signifiants d’une langue) » mais aussi « exprimer, formuler communiquer » voire « dévoiler, expliquer, révéler, confier » 8 . À nouveau une multitude de mots, d’expressions qui renvoie à la complexité, un mot en revoyant un autre, et penser que dans le dire il y a à la fois du langage, de la parole, de la langue…

Je vais m’arrêter sur un passage que j’ai beaucoup aimé, développé par Jean Oury, lorsqu’en référence à Lacan et à son expression « lalangue », il parle de ce qu’il appelle « la machine du dire ». 9

Jean Oury explique qu’à l’intérieur de chaque personne, ça parle tout le temps… Un flot continu, que nous n’entendons pas forcément, qu’il associe à l’image très poétique de ces oiseaux en cage qu’on essaie de capturer et soudain il y en a un qui s’envole. Jean Oury dit « ça fait l’énoncé. Il y a une machine de l’énonciation, laquelle est machine à capturer les oiseaux, pour faire passer de temps à autre un énoncé » 10 . Pour moi, cela évoque vraiment ces moments où quelque chose que l’on pense sans le savoir et qui passant par le langage provoque un effet de sens et permet un mouvement comme l’envol de l’oiseau vers d’autres horizons. Il précise d’ailleurs que « Pour qu’il y ait un « dit », il faut bien qu’il y ait du « dire ». À l’envers, quand on entend quelque chose, le « dit » est transformé, par une sorte d’auto énonciation intérieure, en « dire », pour que ça fasse au minimum s’envoler quelques oiseaux. » 11

Je pourrais dire du coup que le temps d’instance clinique expérimenté dans ce parcours allié aux périodes que je nommerais « l’entre deux » permettant de continuer le cheminement, ouvre de nouveaux questionnements, de nouvelles perspectives, a permis l’envol de quelques oiseaux...

La question de départ posée par les étudiantes m’a permis dans un premier temps, l’amorce d’un travail théorique, pour distinguer et différencier ce qui est du langage, à savoir « que le langage est un processus de communication d’un message entre deux sujets parlants au moins, l’un étant le destinateur ou l’émetteur, l’autre, le destinataire ou le récepteur » 12 , de la langue et de la parole.

Ce travail d’écriture me permet de faire le lien entre différentes questions et préoccupations qui traversent ma pratique depuis maintenant cinq ans. La thématique du langage est pour moi centrale, mais dire n’est simple pour personne, ni pour l’étudiant ni pour le formateur. Car comme le souligne Julia Kristeva « Parler, c’est se parler » 13 , citation qui nous rapproche de la complexité du sujet parlant car est interrogé le rapport du sujet à l’autre ainsi que la manière d’intérioriser cet autre pour s’y confondre.

« Chaque sujet parlant étant à la fois destinateur et destinataire de son propre message, puisqu’il est capable en même temps d’émettre un message tout en le déchiffrant, et en principe n’émet rien qu’il ne puisse déchiffrer. Ainsi, le message destiné à l’autre est, en un sens, d’abord destiné au même qui parle » 14 .

La parole est éminemment individuelle, elle passe par l’individu qui en est le maître, et est intimement liée à la langue « partie sociale du langage ».

Ce qui me semble important à noter à partir de ce développement et qui a peut-être un lien avec ce qui fait énigme dans la question de départ posée par les étudiantes, ce n’est pas seulement le sujet et son rapport au langage, mais aussi la question du positionnement du formateur GAP, du cadre dans lequel il s’inscrit. J’ai noté plus haut que le formateur GAP devait être en capacité de séparer, donc clairement préciser le cadre d’intervention, mettre des mots sur son positionnement. Cela peut sembler évident, mais n’est pas toujours simple dans la réalité parce que à la fois nous expérimentons des situations sur le terrain, et aussi parce que nous ne sommes pas dans la maîtrise et que cela échappe, ce qui est pour moi important car c’est ce qui donne lieu à des interrogations dans l’après-coup.

À ce stade de la réflexion, et autrement dit, en dégageant la question du rapport du sujet au langage et à l’autorisation qu’il se donne ou pas à prendre la parole, une autre question en découle : En quoi le cadre proposé influe sur la prise de parole ?

Je pense que les espaces de formation doivent être plus clairement définis, voire concrètement pensés par moments, je vais m’expliquer à partir d’un exemple.

J’ai animé dans le cadre d’une semaine optionnelle un atelier d’écriture avec un groupe d’étudiants de 1ère et 2ème année en formation d’éducateurs et d’assistants sociaux qui avait choisi de participer à cette semaine, sauf un qui s’était inscrit dans un autre atelier ( d’écriture également) qui n’a pas eu lieu faute de participants. Cet étudiant en première année se retrouve avec moi, alors qu’il fait également partie d’un groupe d’analyse de la pratique que j’anime avec des étudiants E.S de première année. Je sens très rapidement des résistances, pas uniquement de sa part, mais de quelques autres étudiants. C’est la deuxième fois que j’anime une semaine de ce type, et d’emblée je repère une ambiance différente, nouveau groupe, autres individus. Il est vrai que l’écriture mobilise, fatigue, je sais qu’il faut du temps, nous avons cinq jours pour avancer ensemble…

Le jeudi, moment d’écriture important, l’étudiant avant de lire son texte me dit qu’il s’est lâché, au risque de nous (me) choquer, et me rappelle que je leur ai dit au cours de la semaine qu’ils pouvaient se laisser aller à l’écriture librement, la contrainte étant la consigne, j’acquiesce, il lit son texte. Regard étonné de ma part et des autres étudiants, car hormis la présence de deux gros mots qui font partie du vocabulaire et qui bien sûr on une place dans cet écrit-là, rien n’est choquant…

C’est à ce moment-là, qu’il dit sa crainte en début de semaine, parce que je suis aussi la formatrice GAP, de ce que je vais penser, imaginer, évaluer peut être…

Je retrouve le même questionnement sous-entendu, à savoir que peux-t’on dire, écrire, montrer de soi avec quelle prise de risques ?

Alors Silence ou Paroles ?

En guise de conclusion provisoire…

Cette réflexion n’est pas sans lien avec ce qui m’interroge à propos de la supervision dans le cadre de la formation, si formation il y a, ce n’est pas d’elle seule que viendra la légitimité du superviseur, légitimité qui de mon point de vue se construit à partir d’un certain nombre de préalables nécessaires et propres à chacun.

Pour ma part, j’ai pu clarifier un certain nombre de points, que j’ai mis au travail à la fois sur le plan théorique mais aussi sur le plan personnel. Cet écrit reste pour moi une ébauche qu’il reste à approfondir, deux points n’ont pas été abordés qui sont pour moi indissociables de ces espaces de paroles mais qui m’accompagnent dans ma pratique quotidienne, à savoir la notion de transfert et l’écriture.

Il me semble important de dire que cette formation a été une ouverture, à l’image d’un pont qui m’a permis de traverser d’un lieu pour aller vers un autre.

BIBLIOGRAPHIE

ALLIONE Claude, La part du rêve dans les institutions, encre marine, 2005

BATAILLE Laurence, L’ombilic du rêve , Edition Seuil, Paris, 1987

DOR Joël, Introduction à la lecture de Lacan , éditions Denoël, 1985

HERFRAY Charlotte, La psychanalyse hors les murs, Desclée de Brouwer, 1993

KRISTEVA Julia, Le langage cet inconnu, Edition du Seuil, 1981

L.LAMBRICHS Louise, Journal d’Hannah , Editions de l’Olivier, 2002

LACAN Jacques, dans Ecrits 1, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, Editions du Seuil, 1966

OURY Jean, DEPUSSE Marie, A quelle heure passe le train…, Calmann-Lévy, 2003

ROUZEL Joseph, Le transfert dans la relation éducative, Dunod, Paris, 2002

STRAUSS-RAFFY Carmen, Le saisissement de l’écriture, L’harmattan, 2004

Rolande Cazaux-Chanu

La question du temps (et des temps) en supervision

"Le temps qui ne peut séjourner mais va toujours sans se retourner"

Roman de la rose

"Un temps pour chaque chose sous les cieux ... Un temps pour chercher (réfléchir) et un temps pour perdre… Un temps pour se taire et un temps pour parler…"

Ecclésiaste 2-3

"Le temps est un joueur avide qui gagne sans tricher, à tout coup ! C’est la loi"

Charles Baudelaire

Les Fleurs du mal "L’Horloge"

"Dans la Supervison, l’accent est mis, avec une équipe, sur l’analyse de l’implication subjective des professionnels, et, l’impact en eux, de la rencontre avec la personne auprès de laquelle ils interviennent"

Daniel Coum

(Directeur Parentel-Brest)

PLAN

I - LE RECIT (ou le temps pour voir)

II - L’HYPOTHÈSE

III - DE LA CLINIQUE … à l’ÉLABORATION ... à la CONCEPTUALISATION
(ou le temps pour comprendre)
- Le concept de Temps
- Le temps d’analyse de la demande
- le temps et le groupe
- L’après coup
- La conceptualisation : dans le temps logique,
une structure temporelle

IV - Conclusion et Perspectives
(ou le temps pour conclure)

- Bibliographie

- Annales

- Remerciements

I - Le récit ou 1ère partie de l’instance clinique de la Formation ou "Le temps pour voir" (Jacques Lacan)

C’est à partir de trois vécus de – dites Supervisions – que je me suis posée la question de : qu’est-ce que c’est une supervision "exactement" et que j’ai eu le désir de faire une formation (prendre, au moins le temps, d’y réfléchir avec d’autres personnes).

Ces trois expériences sont les suivantes.

1998 -2003 (5ans)

Dans une association où je travaillais avec des juristes ; l’équipe, face à la difficulté des situations rencontrées, a demandé une instance, un moment, pour pouvoir en parler. Le superviseur était une personne "extérieure" à l’association (psychologue clinicien), mais en connaissait la Présidente et la Directrice : ce qui d’emblée, a gêné l’ensemble de l’équipe.

Par la suite, ce temps qualifié Supervision, étant de trois heures, a été découpé en deux moments : 1h30 pour ce qui était de l’information (l’ensemble des 5 services n’avaient pas d’autre réunion formelle régulière) et 1h30 pour une étude de cas. Cela a duré…3 ans… sans que l’équipe arrive à faire de la supervision !

Il y a eu, à moment donné, une séquence de …Régulation, d’une crise arrivée à son paroxysme et où le superviseur n’a – interrogé – qu’une des deux personnes prises dans le conflit, épargnant ainsi l’autre personne (à savoir la directrice).

Je fais plusieurs hypothèses pour lesquelles ce temps dit -de supervision- n’a pas marché.

→ il n’y a pas eu de temps imparti à la demande : de temps de l’analyse de la demande – (-qui ? demande ? quoi ?)

→ le contrat n’a pas vraiment été établi (pas de convention). Seule la question de l’argent a été posée, en cours d’année. En effet le Superviseur était payé en chèque, et suite à un contrôle de l’URSSAF, a demandé à être payé en tant que salarié de l’association !!

→ ce temps (de 3h) a comblé la carence d’un temps institutionnel, qui incombe à une réunion de fonctionnement (laquelle a été mise en place plus tard), et qui est du ressort de la direction ou d’un coordinateur(trice).

→ le superviseur était connu de la directrice et de la présidente de l’association et donc, la question de la confidentialité et de la neutralité n’étaient pas garantis – De ce fait, peu de personnes se sont impliquées dans les études de cas. Il importe que le Superviseur soit extérieur à la structure et payé en indépendant. La Directrice étant présente (question qui n’avait pas été abordée), défenses et réserves ont bien fonctionné.

Deux ans après mon départ le "superviseur" a mis fin à ses interventions et lors d’une dernière séance ? réunion ? régulation ? analyse de pratique ? supervision ? a fait son "mea culpa" reconnaissant, en partie de sa responsabilité, que l’équipe ne s’était pas mise au travail de supervision –

Þ Donc, le temps de

l’analyse de la demande et du contrat sont des temps indispensables et fondateurs

– ce temps n’est pas figé : il est nécessaire qu’il y ait une certaine souplesse, car, selon l’évolution du travail et du groupe, la demande peut évoluer, changer.

1999 -2003 (4ans)

Temps de – supervision ( ?) – au sein d’une équipe travaillant dans un - Point - Rencontre.

Dans ce lieu de travail, le temps de Supervision a été demandé d’emblée et au même titre que d’autres moyens (réunions de fonctionnement, formations…) pour que le lieu existe.

- La supervision a été acceptée même si "elle coûtait cher au service" (comprise dans le budget de fonctionnement) et se tenait quatre heures tous les deux mois.- l’équipe a dû insister et être très vigilante au maintien de cette instance - Ce temps était réservé seulement aux praticiens du lieu. L’objet : travailler à partir de la clinique.

Le superviseur - extérieur à l’association et facturant ses interventions -partait des situations et des questions amenées par les professionnels du lieu.

Sur les quatre ans, pendant lesquels j’ai participé à cette instance, je peux dire :

→ qu’elle a participé à la constitution et à la cohésion de l’équipe
– ( d’autant que chacun venait d’une structure différente et se retrouvait 1 samedi à deux par mois).

→ qu’elle a aidé à élaborer la pratique de ce lieu avec des références et des valeurs communes.

→ à avoir une éthique et déontologie communes.

→ qu’elle a sensibilisé les membres de l’équipe aux aspects juridiques et aux relations avec la justice.

Là aussi, du temps a été nécessaire pour qu’il y ait équipe et même si le superviseur connaissait bien les - Point - Rencontre – (pour en être à l’origine), seuls trois membres de l’équipe sur les six, se sont exposés à ramener des situations- Les trois autres avaient subi les effets destructeurs d’une pratique au sein d’une institution bien connue appelée C….G…. : des conditions optima de salariat, mais peu de soutien en matière d’accompagnement, dans un travail générant de la souffrance et renforçant, au gré des expériences, les systèmes de défenses.

Cependant le travail des uns a profité aux autres et là aussi, avec le temps, tous s’y sont mis d’une façon ou d’une autre – L’équipe toute entière, n’a pas vraiment abordé les éléments transférentiels et contre transférentiels –

Je fais, concernant cette situation, et concernant la question de cette monographie, plusieurs hypothèses :

Þ la question du temps est un paramètre essentiel dans le travail de supervision = au superviseur de repérer ce qu’il en est dans la constitution du groupe (il y a plusieurs phases/moments), de ce qu’il en est pour tout un chacun = il faut plus de temps aux uns plutôt qu’aux autres… pour s’y mettre.

Þ le temps de la Confiance est un préalable incontournable.

Þ Il faut du temps pour arriver à un travail de supervision, parfois passer par le préalable de l’analyse de la pratique ou par celui d’étapes nécessaires (citées dans cette 2ème expérience).

Þ Il ne faut (surtout) pas partir du postulat qu’il y a équipe !

2005-2006

Supervision au sein d’une équipe travaillant dans une association = Réseau Ados 81 - Espace Santé Jeunes –

Nouvelle association, nouvelle expérience, nouvelle équipe et… nouveau superviseur.

L’équipe étant constituée de vacataires, le temps de supervision était demandé comme une condition sine qua non de travail dans le lieu. C’est un moment qu’il a été nécessaire de défendre (en rassurant les membres du Bureau quant à ce qui s’y faisait… ; sans entrer dans le contenu) : l’équipe avait besoin de ce lieu moment collectif et avait une position claire = si la supervision n’était pas maintenue, les vacations n’étaient plus assurées.

Le superviseur, extérieur à l’association, a pris le temps du travail sur la demande et a posé sa conception de la supervision = on travaille sur la relation, le transfert et contre-transfert –

→ ceci ne s’est pas fait d’emblée, car il y a eu d’abord une réflexion commune sur l’éthique et la déontologie du lieu – chacune des professionnelles (vacataires) travaillant dans d’autres institutions et également en libéral – Le terrain était « vierge » : tout était à créer.

→ il s’en est suivi – le lieu étant nouveau sur la ville, un travail de régulation sur les rapports employeurs (Bureau) et salariés (directrice et vacataires).

→ une situation a ouvert une porte sur le transfert (et plutôt inter transférentiel : entre deux professionnelles) – Dans les jours qui ont suivi, cette séquence de supervision a eu des effets particuliers sur l’ensemble de l’équipe = il a été nécessaire d’en reparler lors de la supervision suivante et cela a permis d’une part de clarifier des points, et d’autre part, cela a permis une avancée dans le travail et les relations de l’équipe.

→ après « cet épisode », l’équipe a pu commencer à travailler avec les situations amenées, les éléments transférentiels

→ le superviseur, à juste titre, a signifié que cela faisait partie du travail de supervision que de travailler la question du transfert et que parfois il était "nécessaire" de "bousculer les personnes".

Cette séquence, à mon avis, a été pour moi un moment clef dans ce travail de l’équipe et a ouvert des portes par la suite.

Cette troisième expérience a été bénéfique pour moi, d’autant plus qu’elle se déroulait en même temps que la formation de supervision.

J’ai expérimenté plusieurs aspects sur la question du temps :

Þ il faut du temps pour que puisse se travailler l’aspect du transfert et contre transfert.

Þ il faut du temps et du doigté, de la part du superviseur, avec parfois la reprise de certains moments.

Þ les effets dans le temps de ce travail – souvent dans l’après coup – et sur le professionnel et sur l’équipe.

« La Supervision… un espace de rêve et de poésie…Si les institutions écartent cet espace du rêve, elles s’étiolent, se referment, et ne produisent plus les effets escomptés »

Claude Allione

II - L’hypothèse ou 2 ème partie de l’instance clinique ou Le temps pour comprendre (Jacques Lacan)

La question du Temps est en toile de fond dans les trois récits.
Cette question est omniprésente dans le travail de supervision : elle est constituée de plusieurs aspects et paramètres qui agissent et inter-agissent.

Au-delà du concept – il y a aussi tous les temps à identifier et à prendre en compte dans la Supervision :

- le temps de la demande (pour/par une équipe).

- le temps de l’analyse de la demande (pour le superviseur avec les membres du groupe)

- le temps du contrat (pour l’institution et le superviseur).

- le temps du groupe (de sa constitution et de son évolution).

- le temps individuel (ou temps subjectif).

- le temps pour le transfert et contre-transfert, essence de la supervision.

- le temps de la séparation…

Et… pour faire le lien avec la théorie :

- le temps pour voir

- le temps pour comprendre

- le temps pour conclure

(J. Lacan, Ecrits : le temps logique)

III- De la clinique, à l’élaboration … à la conceptualisation ou 2ème et 3ème temps de l’instance clinique de la formation ou "Le temps pour comprendre" (Jacques Lacan)

Le Concept de Temps

Le temps (du latin tempus) indique une mesure, une succession, un état…La multiplicité de l’utilisation de ce concept (et ce dans tous les domaines : Histoire, Religion, Philosophie, Biologie, Sociologie, Psychologie, Littérature, Mathématiques…) nous montre combien la vie de l’être humain est métaphorisée par les proverbes, adverbes, dictons et autres expressions…

Ainsi dit-on :

- Prendre le (son) Temps

- Donner de son Temps

- Avoir (ou ne pas avoir) le Temps

- Etre de son Temps

- De tout Temps

- Faire quelque chose de son Temps

- Passer son Temps

- Trouver le Temps

- Depuis le Temps que…

- En Temps utile…

… etc… etc…

Le temps intérieur propre à chacun (ou temps psychologique) est dépendant d’une participation active du S ujet qui perçoit cette notion de temps de façon subjective.

A l’origine, c’est le temps cyclique (rythme jour/nuit et rythme des saisons) qui scandait le temps.

Puis, avec le temps évolutif (évolution des espèces) l’Homme a imaginé, inventé, des tentatives pour "maîtriser" le temps.

Les Historiens, qui ont à faire avec le temps linéaire, ont retrouvé les calendriers établis par les civilisations (Mésopotamie, Egypte).

Le cadran solaire date du XIIIème siècle, et l’horloge, quant à elle, date du XVIIème siècle.(repères temporels et historiques).

L’Horloge… ultime tentative pour "maîtriser" le temps et instaurer une lecture commune, lisible de quelque lieu de la planète où on se trouve et nous aidant à nous repérer malgré le … décalage horaire !

On sait bien, combien l’être humain peut être dérouté, désorienté, "dé temporalisé" quand il change de longitude, d’hémisphère, et combien l’horloge interne a besoin, de temps, pour se réadapter à l’heure locale !

→Le Temps serait-il donc une des butées du Réel ? car malgré toutes ces tentatives, il nous échappe… nous rappelant, ainsi combien il est précieux.

« Trois mille six cent fois, par heure, la Seconde

Chuchote : "Souviens-toi". Rapide avec sa voix

D’insecte, Maintenant dit : "Je suis Autrefois"

Ch. Baudelaire (l’Horloge, Les fleurs du mal )

Þ « L’inconscient n’a pas de temps » dit S. Freud ; « si ce n’est celui scandé par les séances dans la cure » répond J. Lacan ; ce à quoi J.B. Pontalis ajoute « la Psychanalyse est temps autre, un temps sans mesure où le passé-présent sont « confondues » et réapparaissent dans la remémoration et la répétition. »

Þ Les séances de supervision peuvent scander un temps institutionnel et le temps imparti à la supervision est une composante à prendre en compte par le superviseur – un temps où rentrent en scène et le temps du groupe et le temps subjectif de tait un chacun – où ouvre l’inconscient.

Þ Temps que le superviseur ne peut oublier…. Limité à la durée de la séquence, car c’est la loi !

« Souviens toi que le temps est un joueur avide

Qui gagne sans tricher : à tout coup ! c’est la loi. »

(Ch. Baudelaire : l’Horloge, Les fleurs du mal )

Le temps d’analyse de la demande

Ce temps est, me semble t-il un temps essentiel et fondateur :

Essentiel, car si l’impasse est fait sur ce moment, cela réapparaît en cours de travail et peut même aboutir à l’interruption, l’arrêt du travail commencé,lequel travail ne peut être qualifié de Supervision.

Fondateur ; au sens étymologique du terme, du mot Fonder/Fondation : ce sur quoi repose. Si les fondations d’une bâtisse sont mal faites, à plus ou moins long terme, des fissures apparaissent (ou autre chose de plus grave).

Au superviseur donc de prendre le temps nécessaire (1..2..3 rencontres) à cette analyse de la demande :

→ S’agit-il d’une demande :

- d’étude de cas ?

- d’analyse de la pratique professionnelle ?

- de régulation d’équipe ?

- de supervision ?

Auquel cas, à chaque type de demande : une réponse adaptée.

→ A qui s’adresse cette demande :

- à un psychosociologue (peut-être plus adapté à une demande de régulation d’équipe) ?

- à un professionnel qui a suivi une formation à la Supervision : éducateur, assistant social, psychologue…(pour les études de cas ou l’analyse de la pratique professionnelle) ?

- à un psychanalyste : à quoi travaille le psychanalyste ?

a un changement de position subjective.

Je cite D. Bass - "demander une supervision à un psychanalyste, c’est prendre le risque de changer de position subjective à l’égard de son travail, de perdre les enjeux narcissiques ou de pouvoir que confère une fonction située « du bon côté de la barrière », de vouloir savoir « autre chose » qui n’est pas nécessairement un savoir de connaissances, d’attraper les pensées qu’on ne voudrait pas s’avouer ou avouer, en sachant que ce sont elles qui dirigent et déterminent les prises de décision".

→ Enfin, répondre trop rapidement à la demande énoncée, c’est prendre le risque de répondre à une demande d’aide à résister au changement, et à résister au changement de position subjective –

C’est pourquoi, ce travail de l’analyse de la demande peut aider à clarifier la demande, à réorienter. Et parfois, il sera nécessaire de dire NON… à la demande !

Le Temps et le groupe (constitution et évolution)

Le Groupe est constitué de personnes qui ont chacune leur propre rapport au Temps – C’est ce qui est appelé le temps subjectif.

Le Groupe (ou l’équipe) ne constitue pas d’emblée un collectif avec des valeurs communes et des objectifs communs.

Dans son évolution, le groupe passe par plusieurs étapes : de l’illusion groupale…aux sous groupes…au groupe en période de crise…

Les échanges, les intégrations des points de vue multiple, les différences, les conflits, les impacts transférentiels, les résistances… participent avec/et dans le temps, aux processus de constitution du groupe.

Le travail de supervision d’une équipe (ou d’un groupe en formation de supervision !), ne peut être qu’un processus long et maturatif ou la temporalité de chacun ne semble pas superposable.

C’est le travail d’élaboration collectif – dans le ici et maintenant.

Qui participera à ce processus de constitution du groupe, avec les effets dans
l’après coup.

L’après coup

L’APRES-COUP… ou le sens dans l’après coup… c’est ce qui arrive souvent dans les effets du travail individuel et collectif fait en supervision.

Cette notion de – l’après coup – nous vient de S. Freud et a été reprise par J. Lacan.

En quelques mots, l’après-coup se lit dans les deux sens :

- Le passé qui organise le présent.

- Le présent qui peut modifier, remanier, réécrire le passé

C’est ce qui se passe aussi dans le travail de supervision :

→ Le récit – qui appartient au passé – est revu, revisité par le collectif (le groupe).

→ Ce récit aide celui qui l’énonce, à remanier son expérience passée, à la considérer autrement dans l’instant présent, pour avoir des effets dans le futur-

- Passé/Présent/Futur sont trois notions qui constituent le Temps.

W.BION dans – Mémoires du Futur – nous apprend que "le présent c’est aussi la façon dont on organise notre futur, et que le futur est pré inscrit dans quelque chose de notre passé". !!!

La Conceptualisation

Dans le temps logique : une Structure temporelle

Dans les Ecrits : article : le temps logique et l’assertion de certitude anticipée, J.LACAN fait état qu’il y a une logique de raisonnement qui s’inscrit dans le Temps.

A partir d’un problème de logique (cf. Ecrits, 1966, p.197), ou plus exactement d’une énigme posée (- le récit en Supervision ou dans la monographie -), il est demandé aux acteurs de l’énigme de fonder leur conclusion sur un raisonnement logique et non sur des probabilités, ou des intuitions.

Et J. LACAN de mettre en exergue que ce raisonnement de logique s’inscrit dans une structure temporelle.

Il distinguera ainsi trois temps, qu’il nommera :

– Le temps du regard

– Le temps pour comprendre

– Le moment de conclure

Ces trois temps se succèdent

Dans la monographie :

→ Le temps du regard correspondrait au récit?

→ Le temps pour comprendre correspondrait à l’hypothèse et à l’élaboration puis à la conceptualisation?

→ Le temps pour conclure, c’est ce qui est appelé conclusion et perspectives.

Dans l’instance clinique :

→ Le temps du regard est le temps correspondant au récit (à l’énigme), c'est-à-dire, au premier moment, où une personne expose la situation –

→ Le temps pour comprendre correspond au 2ème moment, où chaque participant énonce ce qu’il pense de la situation énoncée ; et également au 3ème moment : le temps de la conversation où "un signifiant renvoie à un autre signifiant" permettant ainsi que petit à petit des idées s’élaborent…et puissent se conceptualiser.

→ Puis vient le moment de conclure et de mettre un terme à la supervision.

Ces 3 temps se succèdent, dit-il, non pas tant dans un ordre chronologique, que dans l’importance de saisir, "dans la modulation du temps, la fonction même par où chacun de ces moments, dans le passage au suivant, s’y résolve, seul subsistant le dernier qui les absorbe"

Ainsi, de la même façon que chaque temps précède celui qui suit, le raisonnement qui y a lieu prépare le raisonnement du temps suivant, tout en "laissant tomber" celui du temps qui précède.

Dans l’énigme posée (cf. Ecrits ), les éléments qui vont participer au raisonnement et tendre à la conclusion sont de l’ordre du scopique (du regard, de l’observation, de ce qui est donné à voir) et de l’ordre du raisonnement subjectif.

J. LACAN, toujours à partir de l’énigme posée, met en évidence la fonction et le sens de la scansion.

La scansion - encore un terme qui appartient au Temps- et plus précisément en premier lieu au rythme musical : le tempo = le temps qu’il y a entre 2 mesures.

La scansion, dans l’énigme, c’est le moment de pause, sans paroles, où prime le regard = ce qui est observé et auquel le sujet donne du sens (et le sens qui lui est propre) –

Temps de pause qui donne lieu a de l’hésitation, du doute, de la réflexion –

Temps d’arrêt, de pause, qui pourrait être assimilé dans le travail de supervision au silence et aux silences ?... qui sont "habités" et ont du sens ?

«Il y a un temps pour penser… un temps pour parler… Et un temps pour se taire»

(Ecclésiaste)

IV- Conclusion et Perspectives ou "Le temps pour conclure" (Jacques Lacan)

En conclusion…

Cette monographie n’est que l’ébauche d’un travail qui ouvre sur d’autres pistes.

Le temps de lire et de réfléchir sur ce sujet, en est à ses prémices et peut se poursuivre en s’étayant sur d’autres lectures.

En perspective, donc :

- Denis Vasse : le temps du désir

- Odile Desonia de Taus : le temps et l’être : rapports suspects

- Alain Didier Weill : les trois temps de la loi

- Eugénie Lemoine-Luccioni : l’entrée dans le temps

- Sylvie Le Poulichet : l’œuvre du temps ou psychnalyse

- Ricoeur : Temps et récit

- Jacques Lacan : la Topologie et le Temps

(merci Joseph Rouzel !)

Et aussi,

- Krzysztof Pomian : L’ordre du temps

- David S. Lanes : L’heure qu’il est

Et puis,

Il est là, concernant la monographie : le temps pour conclure ; car il y a un terme à mettre à ce travail, tout comme il y a un terme au temps de supervision et un terme également à ce temps de formation !

C’est aussi le temps de la Séparation !

Mais ce qui importe avant tout = c’est le temps du désir.

"Le désir est indestructible, il fait tomber toutes les barrières" disait Freud.

Et l’expérience de ne jamais démentir.

"Le désir d’une équipe de faire de la supervision…est désir, au-delà, d’un vouloir faire tous ensemble une supervision. L’expérience montre que toutes les barrières tombent, que ce soit celles du budget, de l’organisation matérielle, de la mise en place, du déplacement…

Que ces barrières tombent vaut comme - acte pour une demande = premier temps du désir d’entreprendre !! (Arlette Pelé : les 3 temps du désir).

BIBLIOGRAPHIE

Jacques LACAN - Ecrits : le temps logique p.197 à p.213.

Articles de :

Joseph ROUZEL :

- Discussion autour de la supervision.

- Les enjeux de la supervision dans le travail social.

- Conférence du 20.02.2004 à Bruxelles.

- Le transfert et son maniement dans les pratiques sociales

Claude SIBONY :

Pratiques de l’analyse des pratiques sociales

Journal Psychologues et psychologies n° 176-177-178

Supervision et régulation d’équipes n°179

Groupe d’analyses de la Pratique en services de Gériartrie (D. Bass et de H. de Calvel)

Les recherches du Grape : Au fil de la parole : des Groupes pour dire

Simone URWAND = Supervision de groupes en groupes

Poème : l’Horloge

Bible : Ancien Testament : Ecclésiaste 2-3 "Un temps pour chaque chose"

Le roman de la Rose : Poème didactique (1ère partie)

Joseph Rouzel : Psychanalyse pour le temps présent - éd. érès

Claude Allione : La part du rêve dans les institutions : régulation, supervision,

Analyse des Pratiques - éd. Encre marine

Remerciements

A Joseph Rouzel et aux formateurs.

Aux personnes de ce premier groupe de formation dont les échanges ont constitué une richesse indéniable et qui ont participé indirectement à ce début de travail/recherche.

A mon amie (et collègue professionnelle) Elisabeth, sans qui, je n’aurai pas participé à cette formation.

A Nicole D., qui a pris le temps et le soin de dactylographier ces quelques notes.

Annales

- Charles Baudelaire : Poème : L’Horloge ( Les fleurs du mal )
- Ecclésiaste 2-3 : Un temps pour chaque chose
- Georges Moustaki : Il est trop tard
- Léo Férré : Avec le temps
- Texte Irlandais : Prends ton temps

L’horloge - Baudelaire

H orloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,

Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !

Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi

Se planteront bientôt comme dans une cible ;

Le plaisir vaporeux fuira vers l’horizon

Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;

Chaque instant te dévore un morceau du délice

A chaque homme accordé pour toute saison.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde

Chuchote : Souviens-toi ! – Rapide, avec sa voix

D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,

Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor

(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)

Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues

Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !

Souviens-toi que le Temps est joueur avide

Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.

Le jour décroît ; la nuit augmente, Souviens-toi !

Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,

Où l’auguste Vertu, ton épouse encore vierge,

Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),

Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »

Un temps pour chaque chose - Ecclésiaste 2-3

Il y a un temps pour tout. Il y a un moment pour chaque chose sous les cieux :

Il y a un temps pour naître, et un temps pour mourir ;

Un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant ;

Un temps pour tuer, et temps pour guérir ;

Un temps pour démolir, et un temps pour bâtir ;

Un temps pour pleurer, et un temps pour rire ;

Un temps pour gémir, et un temps pour danser ;

Un temps pour jeter des pierres, et un temps pour les ramasser ;

Un temps pour embrasser, et un temps pour s’abstenir ;

Un temps pour chercher, et un temps pour perdre ;

Un temps pour garder, et un temps pour jeter ;

Un temps pour déchirer, et un temps pour recoudre ;

Un temps pour se taire, et un temps pour parler ;

Un temps pour aimer, et un temps pour haïr ;

Un temps pour la guerre, et un temps pour la paix ;

Quel profit celui qui besogne retire-t-il de son travail ?

J’ai considéré le labeur que Dieu impose aux hommes : toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes en leur temps.

Il a mis encore dans leur cœur l’ignorance* pour que nul ne puisse comprendre l’œuvre divine d’un bout à l’autre.

Aussi ai-je constaté qu’il n’y a rien de meilleur pour l’homme que de se réjouir et de se procurer du bien-être durant sa vie ;

Et que manger, boire et jouir du fruit de son travail, c’est un don de Dieu.

J’ai reconnu que tout ce que Dieu fait subsistera toujours, sans qu’on y puisse rien ajouter, ni en retrancher.
Dieu agit de façon qu’on le craigne*

Ce qui est, existait déjà, et ce qui sera, a déjà été ;

Dieu rappelle ce qui a fui.

*L’ignorance : cette traduction est préférable à celle que l’on rencontre le plus souvent : la durée, la suite des temps.

*Dieu agit en suprême indépendance : l’homme n’a pas de prise sur lui.

Il est trop tard - Georges Moustaki

Pendant que je dormais, pendant que je rêvais

Les aiguilles ont tourné,

il est trop tard

Mon enfance est si loin, il est déjà demain

Passe, passe le temps, il n’y en a plus pour très longtemps

Pendant que je t’aimais, pendant que je t’avais

L’amour s’en est allé

Il est trop tard

Tu étais si jolie, je suis seul dans mon lit

Passe, passe le temps, il n’y en a plus pour très longtemps

Pendant que je chantais ma chère liberté

D’autres l’on enchaîné,

Il est trop tard

Certains se sont battus, moi je n’ai jamais su

Passe, passe le temps, il n’y en a plus pour très longtemps

Pourtant je vis toujours, pourtant je fais l’amour

M’arrive même de chanter

Sur ma guitare,

Pour l’enfant que j’étais, pour l’enfant que j’ai fait

Passe, passe le temps, il n’y en a plus pour très longtemps

Pendant que je chantais, pendant que je t’aimais

Pendant que je rêvais

Il était encore temps

Avec le temps – Léo Férré

Avec le temps…

Avec le temps, va, tout s’en va

On oublie le visage et l’on oublie la voix

Le cœur quand ça bat plus ce n’est pas la peine d’aller

Chercher plus loin, il faut laisser faire et c’est très bien

Avec le temps…

Avec le temps, va, tout s’en va

L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie

L’autre qu’on devinait au détour d’un regard

Entre les mots, entre les lignes et sous le fard

D’un serment maquillé, qui s’en va faire sa nuit

Avec le temps tout s’évanouit

Avec le temps…

Avec le temps, va, tout s’en va

Mêm’ les plus chouett’s souvenirs ça t’a un’de ces gueules

A la Gal’rie j’farfouille dans les rayons d’la mort

Le samedi soir lorsque la tendresse s’en va tout’seule

Avec le temps…

Avec le temps, va, tout s’en va

L’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien

L’autre à qui l’on donnait du vent et des bijoux

Pour qui l’on eût vendu son âme pour quelques sous

Devant quoi l’on s’traînait comme traînent les chiens

Avec le temps, va, tout va bien

Avec le temps…

Avec le temps, va, tout s’en va

On oublie les passions et on oublie les voix

Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens

Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid

Avec le temps…

Avec le temps, va, tout s’en va

Et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu

Et l’on se sent glacé comme dans un lit de hasard

Et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard

Et l’on se sent floué par les années perdues

Alors vraiment

Avec le temps on n’aime plus.

Un problème de logique.

Le directeur de la prison fait comparaître trois détenus de choix et leur communique l’avis suivant :

« Pour des raisons que je n’ai pas à vous rapporter maintenant, messieurs, je dois libérer un d’entre vous. Pour décider lequel, j’en remets le sort à une épreuve que vous allez courir, s’il vous agrée.

« Vous êtes trois ici présents. Voici cinq disques qui ne diffèrent que par leur couleur : trois sont blancs, et deux sont noirs. Sans lui faire connaître duquel j’aurai fait choix, je vais fixer à chacun de vous un de ces disques entre les deux épaules, c'est-à-dire hors de la portée directe de son regard, toute possibilité indirecte d’y atteindre par la vue étant également exclue par l’absence ici d’aucun moyen de se mirer.

Dès lors, tout loisir vous sera laissé de considérer vos compagnons et les disques dont chacun d’eux se montrera porteur, sans qu’il vous soit permis, bien entendu, de vous communiquer l’un à l’autre le résultat de votre inspection. Car c’est le premier à pouvoir en conclure sa propre couleur qui doit bénéficier de la mesure libératoire dont nous disposons.

Encore faudra-t-il que sa conclusion soit fondée sur des motifs de logique, et on seulement de probabilité. A cet effet, il est convenu que, dès que l’un d’entre vous sera prêt à en formuler une telle, il franchira cette porte afin que, pris à part, il soit jugé sur sa réponse. »

Ce propos accepté, on pare nos trois sujets chacun d’un disque blanc, sans utiliser les noirs, dont on ne disposait, rappelons-le, qu’au nombre de deux.

Comment les sujets peuvent-ils résoudre le problème ?

La solution parfaite.

Après s’être considérés entre eux un certain temps, les trois sujets font ensemble quelques pas qui les mènent de front à franchir la porte. Séparément, chacun fournit alors une réponse semblable qui s’exprime ainsi :

« Je suis un blanc, et voici comment je le sais. Etant donné que mes compagnons étaient des blancs, j’ai pensé que, si j’étais un noir, chacun d’eux eût pu en inférer ceci : « Si j’étais un noir moi aussi, l’autre, y devant reconnaître immédiatement qu’il est un blanc, serait sorti aussitôt, donc je ne suis pas noir. » Et tous deux seraient sortis ensemble, convaincus d’être des blancs. S’ils n’en faisaient rien, c’est que j’étais un blanc comme eux. Sur quoi, j’ai pris la porte, pour faire ma connaître ma conclusion. »

C’est ainsi que tous trois sont sortis simultanément forts des mêmes raisons de conclure.

Jacques LACAN (Les Ecrits ) : Le temps logique.

Elisabeth CHACCOUR

"De la conversation..."

PLAN

I - RECIT ECRIT D'UN MOMENT DE PRATIQUE

II - DES BOUTS DE LA CONVERSATION

III - "CECI N'EST PAS UNE CONCLUSION "

IV - BIBLIOGRAPHIE

RECIT ECRIT D'UN MOMENT DE PRATIQUE

Je partirai de la formulation qui est à l'origine d'un travail de supervision : la pratique de supervision démarre de l'embêtement, d'être embêté par quelque chose, en l'occurence par une situation puisqu'il s'agit de travail social. Et d'exposer cet embêtement donc de s'exposer.

Je pensais que mon "embêtement" datait de la troisième semaine de formation où chacun devant dire sur quoi il voulait travailler, je réponds que je pensais travailler sur le chaos mais sans pouvoir en dire plus. La même semaine à Pierre LE ROY qui nous demandait ce qu'était pour nous la supervision, je réponds : "du blanc, pas du vide, du blanc, avec un petit texte en hiéroglyphes, dans un coin".

Début août, je réussis à envoyer à Joseph ROUZEL un début d'écrit sur la monographie. Je le reprends ici:

* Décembre 2005 je discute ave des collègues "superviseurs". Je parle de la formation que je suis. Ces collègues connaissent les travaux de Joseph ROUZEL, et me disent : "alors il faut que tu nous expliques ce qu'est ce 3ième temps dont il parle, le temps de conversation". Je n'ai pas de réponse. Je m' en tire en disant que c'est le sujet de la 3ième semaine de formation, que je pourrais leur en parler après.

* Mars 2006 : la troisième semaine ne m'apporte pas La Réponse ! Mais la question était bel et bien posée et pas question de la laisser reposer, puisqu'elle revient sous la formulation d'un travail sur le chaos dont je ne peux rien dire alors.

- to chaos : ouverture béante, gouffre, espace immense, masse confuse des éléments répondus dans l'espace.

- ê ataxia : abandon de son rang ou de son poste, désordre, confusion.

"in a.bailly" dictionnaire grec français, Hachette, Paris 1963".

A partir de ces nominations du chaos, un besoin de mettre de l'ordre dans ce qui me travaillait s'est imposé. Il a fallu que j'en passe par le Grec, langue dite morte, pour retrouver ma langue. L'avoir sur le bout de la langue, mais par quel bout le prendre, puisque l'on sait grâce à Raymond DEVOS qu'il y a toujours deux bouts à un bout !

Je vais donc repartir du bout de conversation, le pousser à bout et faire un bout d'essai.

1 - Développement

- Qu'est- ce que ce 3ème temps : la conversation?

- Cà sert à quoi ? Est-ce que cela a à voir avec le troisième temps des temps logiques de Lacan?

- Que fait le superviseur?

- Faire avoir une place ou être une place, l'orientation psychanalytique.

- Peut être : Que serait-ce d'être un superviseur indépendant?.

Je reçois peu de temps après la réponse de Joseph ROUZEL.

" Vous n'avez pas lâché votre point de questionnement. Reste à l'ouvrir. Sur le chaos, le début de la théogonie d'Hésiode en dit long, pas en quantité, en qualité. Juste avant la séparation, la création de Gaïa, puis d'Ouranos, et sa castration qui abouti à la naissance d'Aphrodite. Si l'on remonte le mythe à l'envers, Chaos est le point d'origine où ça se déchire, où ça ne peut pas se dire, l'ombilic du mythe, en quelque sorte, le lieu d'exclusion. Reste à construire le mot, pour l'élever au niveau du concept, c'est à dire l'articuler à un réseau de signifiants (est-ce du côté du réel de Lacan, de l'Unheimlich, de Freud, etc...?) et d'en tirer un outil qui soulève la pratique de supervision. Bon courage. "

Sa réponse me replonge dans le chaos. Si lui tient la barre d'être responsable de la formation et donc de rappeler le contrat de la monographie, il tient aussi la barre d'être ce que l'on pourrait appeler Directeur de mémoire et donc d'aider à orienter les recherches du travail. D'où ses notes sur le chaos, qui m'y replonge donc à chercher de ce côté là.

Cela ne donne rien à part une construction d'un discours universitaire, où le savoir occupe une place dominante. L'escamotage du sujet, à la fois réduction et mise hors jeu, est la condition de ce discours.

C'est ce qui se passe. Ce que je lis et ce que j'écris ne me dis rien.

Donc, si le chaos pour moi n'est pas le point d'origine de la question c'est un effet de la question.

Si je ne peux pas parler du chaos c'est que je ne peux pas l'élaborer, l'articuler à un réseau de signifiants.

Je n'arrive pas à écrire sur le chaos : je me dis que je suis dedans.

Et puis en tournant autour, en n'essayant plus de l'articuler du côté de la connaissance, je laisse "couler" comme dit Balint.

J'ai bel et bien parlé de hiéroglyphes; on a pu déchiffrer les hiéroglyphes quand Champollion a démontré que le système utilisait à la fois idéogrammes, et phonogrammes : les caractères représentent des idées, mais aussi des sons.

Je remonte au prologue : face à l'injonction du "il faut que" j'écris: "je m'en tire", seule possibilité que je trouve face à la déclinaison du tu... nous...il.

Fixation des places:

- tu : non pas tu es mais tu as à faire ça.

- nous : identité collective, identité de masse? Nous nous en sommes, des superviseurs, nous savons ce que nous faisons.

- il : différent de nous ; qui fait de la conversation.

Je cite Lacan : " ces phénomènes de stérilisation, bien plus patents encore de l'intérieur, ne peuvent être sans rapports avec les effets d'identification imaginaire dont Freud a révélé l'existence fondamentale dans les masses et dans les groupements. Le moins qu'on en puisse dire c'est que ces effets ne sont pas favorables à la discussion, principe de tout progrès scientifique. L'identification à l'image qui donne au groupement son idéal, ici celle de la suffisance incarnée, fonde certes comme Freud l'a montré en un schéma décisif la communion du groupe, mais c'est précisément aux dépens de toute communication articulée. La tension hostile y est même constituante de la relation d'individu à individu. C'est là ce que l'euphuïsme en usage dans le milieu, reconnaît tout à fait valablement sous le terme de narcissisme des petites différences, que nous traduiront en termes plus directs, par ; terreur conformiste . " (1)

Citation de Freud : " il est toujours possible d'unir dans l'amour pour autrui un plus grand nombre d'hommes tant qu'il en reste d'autres pour extérioriser l'agression ". (2)

"Je m'en tire" du nous de cette situation où il n'est question que de place assignée (tu), de place confirmée (nous), de place enviée (il), en disant que je leur en parlerai après, et là, je "mentir à nous" parce que je sais je ne les reverrais pas de sitôt et que leur opinion sur la conversation est déjà faite, opinion péjorative.

Et "je m'en tire" en faisant un transfert de travail à Joseph ROUZEL; il va me dire ce que c'est que ce temps de conversation en troisième semaine, il va me faire faire l'économie du travail, je transfère sur lui le poids de ce travail tout en disant que c'est le chaos qui m'interpelle alors que je suis KO, dans l'ataxia, abandon de poste, que je me suis mise à la place du tu exclu de la situation de rivalité, concurrence, agressivité qui s'expose sous mes yeux.

Pas de choix pour je qui se trouve donc dans l'ataxia: abandon de poste et définition du Larousse : absence ou difficultés de coordination des mouvements volontaires.

Cet abandon de poste, cette absence de mouvements volontaires, c'est bien là le premier temps d'une supervision où le sujet se trouve exclu d'une situation , il se trouve en place de spectateur et il ne peut rien dire.

(1) in les Ecrits page 489, situation de la Psychanalyse en 1956". (Euphüisme: littéralement: style, langage précieux, en vogue à la Cour d'Angleterre sous Elisabeth 1ère. De Euphues, roman de l'anglais J. Lyly).

(2) malaise dans la civilisation, page 69, P.U.F. 1971).

3 - Enigme : qu'est-ce qui m'a plongée dans l'abandon de poste ?

La phrase "il faut que..." ouvre pour moi la question de que serait une supervision qui ne serait pas produire du savoir (discours universitaire) ou qui serait se retrouver face à un discours du Maître.

Comment éviter cela? Comment éviter ces situations que j'ai connues, où le superviseur se pose en maître, et délivre un savoir sur "l'embêtement" de la personne qui expose. Ce qui se passait généralement après ces supervisions, où le superviseur avait répondu, c'est que face à une nouvelle situation qui "embêtait", l'équipe se disait: "mais vite qu'est-ce qu'il nous avait dit de faire, comment il avait dit de faire "parce que évidemment c'était oublié.

Ce moment de KO c'était donc bien l'abandon de poste, l'évanouissement du sujet devant un choix, peut être pas la bourse ou la vie, quoique, du moins choisir son camp en sachant qu'il y aurait donc une façon de faire de la supervision qui serait la bonne, qui serait faire quelque chose et une autre forme de supervision où viendrait en troisième temps la conversation mais la conversation ce serait ne rien faire.

Alors pour des collègues, collègues psychanalystes (j'aurais du écrire ; je discute avec des collègues psychanalystes qui font de la supervision, elles sont collègues dans la fonction de psychanalyste mais moi, je ne suis pas collègue avec elles en tant que superviseur pour le moment) alors pour des collègues psychanalystes, parler de ne rien faire c'est ahurissant. Je me retrouve KO, ahurie.

" Que fait l'analyste avec son patient ? (demande à Freud son interlocuteur imaginaire) - Ils causent... - rien de plus ? des mots, des mots, des mots, comme dit le Prince Hamlet - La parole, répond Freud est un instrument puissant... la parole est un acte magique. " (1)

Le choix que j'ai c'est reprendre mon poste, celui fixé par le contrat de la formation, c'est à dire écrire une monographie.

Il me reste donc à faire ex-ister quelque chose, à la faire sortir du KO ; et quoi si ce n'est un dire, dire que la conversation c'est faire quelque chose ou dire que peut être la conversation ce n'est pas faire, mais ça fait des effets.

Et puis passer du "il faut que tu nous dises ce qu'il sait à un "tu peux savoir-scilicet" où, comment exclu de la scène dans un premier temps, le sujet peut y faire retour.

(1) La théorie comme fiction de Maud Mannoni, page 60.

4 - "Des bouts de la conversation" - Qu'est-ce que la conversation ?

D'après le Robert, (Dictionnaire culturel de la Langue Française, Oct. 2005) le mot est emprunté au latin conversatio, qui veut dire fréquenter, d'où la définition: échange d'idées et de discours, codifiée socialement, parfois considérée comme une pratique esthétique (l'art de la conversation).

" Il y a égalité dans la conversation, quand chacun à son tour voit qu'il attire de manière égale et favorable l'attention des autres ". Citation de Stendhal.

C'est dans le Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle de Larousse, à l'article conversation qu'il y a tout un développement historique, sur la place de celle ci dans la société et la formation d'un certain type de lien social.

L'étymologie latine: cum-versari: se trouver-avec.

D'où la définition donnée dans ce dictionnaire: vivre, être en rapport de société. Se mettre en rapport, en communauté d'idées.

Du développement historique de la conversation, je ne retiendrais que trois points :

- Au XVIIème siècle : la conversation avait eu de l'influence "sur les mœurs et sur la langue"

- Au XVIIIème siècle, "qui fut son apogée, elle en eut sur les idées (confère la diffusion de l'Encyclopédie dans les salons; les salons, le lieu de la conversation).

- Après la Révolution, "les discussions remplacent les conversations".

Donc d'emblée, il y a une indication de ce que la conversation n'est pas. Elle n'est pas une discussion.

Retour au Robert, (Dictionnaire Culturel de la Langue Française), le mot discussion vient du latin discussio qui signifie secousse et la définition qu'en donne ce dictionnaire est "examen attentif, contradiction; idée de confronter les opinions, échange d'argument, de vive contradiction; débat.

L'axe principal de la conversation c'est se mettre en rapport et même vivre. Ce qui peut s'énoncer comme: l'être humain est un "parle- être" ou un "être pour la parole".

5 - A deux siècles d'intervalle , voilà ce que disent de la conversation deux auteurs différents.

- Fin XVIIIème siècle ; définition de Mme DE STAËL: " la parole est chez les Français un instrument dont on aime à jouer, et qui ranime les esprits, comme la musique chez certains peuples, et les liqueurs fortes chez quelques autres ".

- Fin XXème siècle Lydie SALVAYRE, fait s'exprimer ainsi le personnage principal de son roman qui se met en tête de renouer avec l'art de la conversation.

" Converser est une spécialité éminemment française... ce trait qui nous distingue et qui fut longtemps élevé au rang de vertu nationale fit le prestige de la France...

Converser est pure délectation. S'en priver est une grande faute.

Quelques uns dont je m'honore d'être ont gardé cette bizarrerie d'un autre siècle qui est de se réjouir grâce aux conversations, de voir aiguisées, fouettées, fortifiées, rénovées, rafraîchies, ragaillardies, aiguillonnées, élargies et redressées les potentialités de leur intelligence, et les ressources cachées de leur corazon...

« L'homme content parce qu'il converse Est moins méchant que l'homme mécontent. » (1)

Il est donc possible de cerner un peu plus d'après tout ce qui vient d'être écrit plus haut ce que peut être une conversation.

1 ère idée : Mettre en rapport, établir des échanges, des échanges d'idées.

2 ème idée : Vivre, ranimer les esprits.

3 ème idée : Des règles de conversation, une codification "sociale"

4 ème idée : Un art.

(1) Lydie SALVAIRE La conférence de Cintegabelle

Qu'est-ce que la conversation a à faire avec la supervision ?

Comme elle arrive dans un 3ème temps, elle est déterminée par les deux premiers.

Il y aurait donc dans une forme de supervision particulière, un ordre logique qui subvertit l'ordre logique traditionnel. L'ordre logique traditionnel, que je schématiserais comme : on commence par les échanges d'idées, les à-côtés, avant de se mettre à travailler...; On s'assure d'abord que l'autre n'est pas un loup, une bête féroce, avant de pouvoir parler.

La conversation en 3ème temps, vient au terme d'un travail, d'un travail de parole.

Les temps de la supervision :

Le premier temps

Installation d'un lieu, dans lequel va se déployer un dire.

Je reprends l'énoncé: "il faut que tu nous dises".

Le "il faut" est la règle collective de la supervision; c'est la contrainte imposée par l'acte même de la supervision. C'est une contrainte ou plutôt un pousse à la parole.

Du côté de celui qui va rapporter son "embêtement", le "il faut que..." est aussi le message qu'il s'adresse à lui même: "le locuteur reçoit de l'Autre son message sous forme inversée. ".

Le "tu" se dit il faut que je m'y mettes.

Qu'est-ce que c'est que de dire je?...

" Je" est un terme verbal, dont l'usage est appris en une certaine référence à l'autre, qui est une référence parlée. Le je naît en référence au tu.... L'enfant répète la phrase qu'on lui dit avec le tu, au lieu de l'inversion avec le je... et le je se constitue d'abord dans une expérience de langage en référence au tu, et ce dans une relation où l'autre lui manifeste, quoi ? - des ordres, des désirs, qu'il doit reconnaître, de son père, de sa mère, de ses éducateurs, ou de ses pairs et camarades ". (1)

"Il faut que tu nous dises" : passage à un "je" social.

(1) Jacques LACAN, Les écrits techniques de Freud. Page 188-189).

7 - " Comment l'autre, m'entend-il quand même? Pour répondre à ces problèmes LACAN propose une théorie du lien social. Il part du fait que les rapports humains ne sont pas réglés par l'instinct. Les humains tiennent ensembles parce qu'ils parlent : parler implique un interlocuteur et le langage lui-même... Les sujets s'inscrivent dans le lien social - quel que soit le malentendu entre eux - parce que le signifiant s'articule. D'où le terme de discours pour dire le lien social ". (1)

Premier temps, entrée dans le discours de l'hystérique. Ce n'est pas un discours prononcé par un ou une hystérique, c'est une forme de lien social, dans lequel tout sujet peut se trouver impliqué: l'hystérisation est provoquée par la règle de tout dire. Dans cette forme de discours la position dominante c'est à dire celle de l'agent (d'où parle t-on?) est occupée par le Sujet divisé. Ce discours est tenu par celui qui cherche le chemin de la connaissance.

Donc discours tenu, mais adressé à qui?

Le transfert c'est la répétition d'une demande adressée au lieu de l'Autre, le retour d'une demande passée.

" Aussi dès qu'un sujet s'adresse à un autre sujet d'une parole pleine et authentique, alors il y a transfert, transfert symbolique pour qu'il soit reconnu au point même où il ne le fut pas, page blanche, chapitre censuré, fragment rejeté de son histoire.... Symbolique donc cette répétition et appel à la nomination. Le ressort de ces transferts est non pas tant les sentiments éprouvés mais bien plutôt le crédit fait à l'Autre ."(2)

L'Autre comme adresse, l'Autre comme lieu où déposer sa parole, transfert de charge.

Crédit et confiance dans l'Autre qui "ordonne" ce lieu ; ainsi personne d'autre que le rapporteur ne parle.

(1) In LACAN Le retour à Freud, Michel LAPEYRE, Marie-Jean SAURET, page 30

(2) LACAN Séminaire Livre I, page 127

8 - Le deuxième temps

Ecoute de nouveaux énoncés grâce au fait de se dessaisir de son texte en s'adressant à d'autres personnes qui en font un retour.

Il faut que tu nous dises : déplacement - transfert du "il faut " du "tu" à "nous". Nous devons dire aussi, c'est la règle. Le "il faut " s'adresse là à tous, il y a une élaboration forcée.

Mais nous est à entendre ici comme la première personne du pluriel : un pluriel de un, un par un. Le nous est ici un ensemble c'est à dire "une collection d'éléments dont chaque élément est bien déterminé et ne peut se confondre avec les autres éléments". Donc dans ce temps, installation de cet ensemble.

Dans ce deuxième temps, cet espace temps se caractérise par des mouvements.

Déplacement du rapporteur de sa place de sujet de l'énoncé.

Changement de perspective dans le tableau du premier temps.

Déplacement, transfert de charge, dans le sens où chacun se charge de donner son point de vue sur la situation.

Ce que René Kaes a appelé "diffraction du transfert".

" Dans le dispositif groupal, les membres sont là, présents, dans un effet de co-présence, qui mobilise immédiatement, c'est à dire sans médiation, la diffraction du transfert qui se dépose sur plusieurs autres.

Toutes les facettes identificatoires du sujet s'y déploient à son insu, c'est à dire inconsciemment sur tous les autres, y déposant - c'est ce que j'ai appelé le transfert par dépôt, (Vacheret, 2004) - une partie, un aspect de lui même dont chacun est porteur potentiellement. C’est le processus le plus étonnant et peut être le plus dérangeant dans un groupe, en tout cas celui qui surprend le plus les membres du groupe, quand ils repèrent que l'un des membres est susceptible de restituer au sujet une parole qui fait sens pour lui.... l'autre parle de moi, à son insu, parce que j'ai déposé en lui, à mon insu, une partie de ma réalité psychique, et de mes groupes internes, qu'il met en mots, et en représentations, inconsciemment. Cette part déposée à l'autre revient au sujet "détoxiquée", nommée, affectée, et réappropriable. Chacun peut reprendre à son compte la part qui lui revient... C'est parce que le transfert est diffracté sur la pluralité des potentialités identificatoires qu'offrent les autres, que la chaîne associative se déploie, sans aléa, ni hasard, mais dans la continuité des signifiants. " (1)

(1) Claudine Vacheret, in Les configurations du lien... page 114)

9 - Ce deuxième temps est un lieu d'intersubjectivité où chacun est capable de dire non pas ce que cela signifie mais ce que pour lui ça signifie. Donc il ne s'agit pas d'interpréter, d'une interprétation de ce qu'a dit le rapporteur mais plutôt d'une traduction : un premier texte est proposé, une autre version est proposée, d'autres versions sont proposées.

L'effet qui se propage de ces différentes traduction-lectures n'est pas de communication mais de déplacement.

" Parler ou écrire c'est nécessairement exposer le mot que l'on articule, à toute une série d'avatars, qui va du mal entendu, à l'insondable compréhension de toutes les bonnes volontés" (1)

Mais ce qui fait retour au rapporteur, ce qui lui est renvoyé par les autres se sont des images de lui, des images partielles, ce que LACAN a appelé "imago du corps morcelé", celle d'avant le stade du miroir. Le démembrement du texte du rapporteur est comme le démembrement de son corps propre.

Les images du corps morcelé précèdent l'image du corps propre qui est lié au stade du miroir. Stade du miroir par l'assomption de son image (c'est à dire qu'il assume l'image de son propre corps): rassembler les morceaux de son corps grâce à l'Autre qui le nomme comme : ça c'est toi. A partir de cette image spéculaire le moi du sujet va se trouver face aux images des autres en relation de rivalité, voire d'agressivité ; dans la mesure où ils entrent dans le champ de vision de l'Autre, en l'occurence à ce stade là, la mère.

Dans ce deuxième temps la position du superviseur comme Autre, est toujours le lieu d'une adresse voire le lieu d'une demande. Mais il ne répond pas.

Il ne parle pas : il n'assure aucun autre d'une quelconque reconnaissance - préférence.

Le deuxième temps se termine donc sur la question que se pose le rapporteur: "est-ce ça c'est moi? Est-ce que l'image qui m'est renvoyée, c'est moi? Est-ce que, c'est ce que j'ai dit?

D'où l'importance du troisième temps.

(1) In Serge LECLAIRE - Démasquer le Réel, page 71

10 – Le troisième temps - Le temps de la conversation

Le cum-versari, se trouver avec, concerne d'abord le rapporteur. Il s'agirait pour lui de se trouver avec ses morceaux éparpillés, avec ses membres disjoints, de s'y retrouver avec çà, de les remettre ensemble.

Il s'agit pour lui de faire un travail de liaison.

La première visée de la conversation a une visée de pacification pour le rapporteur.

Le terme de "communication articulée" de LACAN me semble tout à fait adaptée, pour prendre la conversation par un autre bout. Il y a l'articulation entre les membres du groupe, l'articulation des énoncés entre eux, et l'articulation du fait que la parole s'articule, et que les signifiants sont articulés entre eux, ce que l'on appelle l'articulation signifiante.

" Le langage a une dimension irréductible qui non seulement s'institue de la distance où elle se rejette du réel, (c'est à dire ce qui est impossible à dire) mais qui ne se compose du dedans d'elle même que d'éléments différentiels qu'elle n'a jamais fini de réarticuler entre eux" .

Pour prendre la conversation encore par un autre bout, je ferai un détour par l'art du collage. Je pars d'un article sur l'art du collage et de l'assemblage lu sur Internet.

" Même si la composition dans le collage passe nécessairement par la décomposition de l'avant collage, il ne s'agit plus pour le collagiste de coller pour coller, de fabriquer des rencontres iconoclastes pour le plaisir des rencontres, ni de figer pour figer mais bien de composer....

Le double "Je" du collage tient au double jeu de l'assemblage : en utilisant pour peindre notre poétique les objets, ou l'iconographie, en leur donnant une nouvelle lecture nous contribuons à l'effacement de ce qu'ils furent réellement pour en faire émerger une autre histoire qui n'est plus la leur mais la nôtre.

L'acte du collage contribue à l'effacement de leur identité et figé par la colle, c'est le mouvement même de cet effacement qui reste figé : le collage n'immortalise que la mise à mort des iconographies qu'il emploie et leur "ailleurs-jadis" en devenant un "présent-maintenant" perpétue la vie au travers de la mise à mort qui est le signe ultime de la preuve significative de la vie.

11 - L'art du collage , de destruction en reconstruction, de décomposition en composition, par le déplacement d'un matériau ou d'une image dans un autre contexte, dans un autre lieu, une autre syntaxe, multiplie par ce dialogue avec l'inconnu et le hasard réfléchi, tous les possibles de l'identité de ses éléments, objets ou images". (1)

Donc comme dans le collage, ce qui se produit dans la conversation c'est une créativité commune, dans un espace que l'on pourrait appeler transitionnel. A entendre dans le sens de Winnicott:

" l'objet et les phénomènes transitionnels apportent dès le départ à tout être humain, quelque chose qui sera toujours important pour lui, à savoir une aire neutre d'expérience qui ne sera pas contestée... cette aire intermédiaire d'expérience est en continuité directe avec l'aire de jeu du petit enfant perdu dans son jeu... (2) là où se rencontrent confiance et fiabilité, il y a un espace potentiel, espace qui peut devenir une aire infinie de séparation, espace que le bébé, l'enfant, l'adolescent, l'adulte peuvent remplir créativement, ce qui deviendra ultérieurement l'utilisation heureuse de l'héritage culturel. " (3)

Cette aire intermédiaire d'expérience a principalement comme rôle :

- de soulager des tensions trop fortes,

- d'expérimenter de nouvelles manières d'être au monde et comme but d'ouvrir à la créativité : la créativité comme pacification, sublimation des pulsions, façon de faire avec.

(1) Article sur le collage - Internet

(2) Winnicott Jeu et réalité page 22

(3) Winnicott Jeu et réalité page 150

12 - Dans la conversation faite dans la supervision, il y a création d'un lieu particulier. De la même façon que la conversation au XVIIème et XVIIIème siècle se passait dans les Salons, dans un lieu bien identifié, et bien particulier voire singulier puisque chaque Salon avait son style.

Chaque salon avait son style particulier. Je citerai pour exemple celui de l'Hôtel de Rambouillet, celui de Melle de Scudéry, celui de Me Scarron (future Mme de Maintenon)...

De la même façon, je pense que c'est le superviseur qui va donner son style à la conversation, à la fois un style propre à sa personne, et un style qui dépend de la fonction sociale qu'il occupe (éducateur, psychanalyste, psychologue etc...).

Dans une conversation orientée par la psychanalyse, il ne s'agit pas de recomposer ou de reconstruire le texte initial, il ne s'agit pas de faire de l'exégèse (faire sortir un autre texte d'un texte), il s'agit de faire circuler la parole, il s'agit comme dans le collage, de réunir des éléments distincts ; dans la conversation chacun doit s'y mettre, s'y coller.

Mais à quoi ?

"C 'est à savoir que s'ils faisaient leur collage, d'une façon moins soucieuse de raccord, moins tempérée, ils auraient quelques chances d'aboutir au même résultat, à quoi vise le collage, d'évoquer proprement ce manque qui fait toute la valeur de l'oeuvre figurative elle même quand elle est réussie bien entendu. Par cette voie, ils arriveraient à rejoindre l'effet propre de ce qui est justement un enseignement" (LACAN Séminaire sur l'Angoisse).

La conversation comme enseignement: pas un enseignement immédiat mais un enseignement après coup.

Pas immédiat parce que le superviseur ne prend pas une position de Maître en troisième temps, ne délivre pas un savoir sur comment faire avec la situation rapportée, ne fait pas l'oracle, et veille à ce que la conversation ne bascule pas dans les interprétations des uns ou des autres.

13 - Enseignement

Lieu de production individuelle dans le collectif. Le collectif comme collage c'est à dire une façon de tenir ensemble, un "soutien transférentiel", et non une univocité de la pensée et un remplissage de sens.

La visée n'est pas le savoir, mais le travail. C'est bien à partir de ce qui "nous travaille" que se décide une supervision. Le but est le transfert au travail.

Le travail est ici reconnu comme ce qui anime le « parlêtre » et non comme ce qui lui pèse.

Travail de pensées qui circulent, mise en circulation des questions et des idées.

Pensée au sens Heidegger: " il dénonce le succès éclatant et de plus en plus menaçant de la "pensée calculante" au détriment de la "pensée méditante": Cette dernière étant seule capable d'introduire au mode d'être de l'humain. Mode qui n'est pas celui de la réalité des choses, mais le mode d'être de la possibilité. C'est donc pourquoi Heidegger définira la pensée comme la rencontre avec ce qui sans cesse échappe, avec le non maîtrisabl e". (1)

C'est la part d'impensable qui pousse à penser autour.

" Notre tête est ronde, pour permettre à la pensée de changer de direction ". (Francis Picabia )

Enseignement : le mot suppose la présence d'un maître. Mais pas celui du discours du Maître.

C'est pourquoi dans son ouvrage, J.B. PATURET oppose deux figures du maître : celui qui abrutit et celui qui émancipe ; avec comme référence Rousseau et Socrate.

Le maître rousseauiste comme figure de forclusion du sujet et le maître socratique comme figure de disclusion du sujet: " un maître qui disclos le sujet: terme repris de l'anglais disclosure qui signifie révélation" . (2)

" Le maître socratique... sera par conséquent celui qui renvoie le sujet à son propre manque, à son propre vide, comme le fait Socrate pour Alcidiade, car il n'y a de maître que créateur d'espace pour que, dans la frustration advienne le sujet du désir ". (3)

ou selon LACAN :

" Un vrai Maître ne désire rien savoir du tout. Il désire que ça march e" (l'envers de la psychanalyse, 26/11/69)

(1) J.B. PATURET Le discours du Maître en question page 11

(2) J.B. PATURET Le discours du Maître en question page 20

(3) J.B. PATURET Le discours du Maître en question page 144

14 - "Ceci n’est pas une conclusion "

La conversation, pour parler, pas pour faire, n'est pas parler pour ne rien dire.

J'écris pour que la conversation soit "un lieu commun ".

J'écris pour, de la même façon qu'un rapporteur prend sa responsabilité de sujet en disant ce qui l'embête, je, prétendant à la fonction de superviseur, prend aussi ma responsabilité d'essayer de dire ce qui est pour moi une supervision, c'est à dire comment je l'oriente, et quel cap je vais garder avec l'aide de quelle boussole.

Je termine par les dernières phrases du livre de Lydie SALVAYRE :

" Et entrez au Café des Ormes. Avec ou sans vos morts. Je vous y attends. Pour converser. C'est la seule façon de résister. A tout de suite"

BIBLIOGRAPHIE

- Article sur le collage : www.artducollage.com-rubrique: signez le manifeste art du collage

- S. FREUD: Malaise dans la Civilisation. Puf 1971

- J. LACAN : Ecrits - Seuil 1966

- J. LACAN : Séminaire - Livre I - Les écrits techniques de Freud - Seuil 1975

- M. LAPEYRE - M.J. SAURET - LACAN : Le retour à Freud - Les essentiels N° 171, Edition Milan 2000

- S. LECLAIRE : Démasquer le réel - Points Seuil N° 148

- M. MANNONI : La théorie comme fiction - Seuil 1971

- J.B. PATURET : De Magistro - Le discours du Maître en question, Edition Eres 1997

- L. SALVAYRE : La conférence de Cintegabelle - Seuil /Verticales 1999

- C. VACHERET : Les configurations du lien, la chaine associatrive groupale et la diffraction du tranfert - Revue de Psychothérapie psychanalytique de groupe N°45 Editeur Eres - 2006

- DW. WINNICOTT : Jeu et Réalité N.R.F. Ed Gallimard – 1975

Christine DUREYSSEIX

Chemin faisant…

"Joue le jeu. (…). Ne sois pas le personnage principal. Cherche la confrontation. Mais n'aie pas d'intention. Evite les arrières-pensées. Ne tais rien. Sois doux et fort. Sois malin, interviens et méprise la victoire. N'observe pas, n'examine pas, mais reste prêt pour les signes, vigilant. Sois ébranlable, montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l'espace et considère chacun dans son image. Ne décide qu'enthousiasmé. Echoue avec tranquillité. Surtout aie du temps et fais des détours. Laisse-toi distraire. Mets toi pour ainsi dire en congé. Ne néglige la voix d'aucun arbre, d'aucune eau. Entre où tu as envie et accorde-toi le soleil. Oublie ta famille donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n'y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit et que le bruit des feuilles devienne doux. Passe par les villages, je te suis. (…)

Peter Handke

Edits Gallimard, coll. "Le manteau d'Arlequin", 1983

Parce qu'écrire c'est mettre en mots. Parce que mettre en mots, c'est élaborer sa pensée. Parce que penser et élaborer sa pensée, c'est devenir sujet. Parce que devenir sujet c'est approcher la liberté. Approcher de la liberté c'est quelque part s'approcher du ciel, me voilà en train d'écrire, " La seule liberté qu'on ait est de repérer à quoi on est assujetti, ce qui donne une certaine marge de manœuvre." 16 . Il faut toujours mettre un terme . Finir ce qu'on a commencé ou que l'on vous a permis de commencer. Ici s'approprier une formation. Pas au sens de posséder, mais au sens de se laisser traverser, trans-former. De laisser le chaos se poser dans les mots pour que se crée une forme, autre. Un autre ordre du réel.

Dans cet écrit, je vais développer deux parties. L'une retracera mon cheminement jusqu'à l'écriture. Je l'émaillerai de mises en liens avec des concepts de la psychanalyse, même si je n'emploierai pas le langage d'initié, comme il est habituel de le faire quand "on parle psychanalyse".

L'autre concernera une des nombreuses questions qui me restent, cette formation finie. "Si la réponse est la mort de la question", que vivent donc les questions.

Chemin faisant… ou "On ne tire pas sur les fleurs pour les faire pousser." 17

Me revoilà dans le vide de l'après formation. En décalage. Tous mes compagnons d'aventure ont écrit. L'épreuve est derrière eux.

Je n'ai pas pu écrire en temps et en heure, pas pu rendre "conte" dans les délais prévus par le cadre . Cadre qui avait, préliminairement, été défini dans le descriptif de la formation. Celle ci devait aboutir sur un écrit. Jusque là, pas de problème, j'avais bien entendu qu'il fallait écrire et je m'en étais ré-jouie. Ecrire, jouer avec les mots me régale.

Des paroles prononcées en début de formation, la forme créative des exercices pour nous faire sortir de nos retranchements, de nos peurs, m'ont laissée supposer que nous allions avoir toute latitude quant à notre production. Pouvoir écrire 2 ou 10 pages, plus si besoin, sur un thème totalement libre, même s'il se devait de rester en rapport avec l'objet de la formation, en adoptant la forme désirée.

Dans ce petit paragraphe, on peut pressentir deux objets de réflexion, cette dernière pouvant aussi être considérée dans son sens de reflet.

Le premier serait le cadre et la jouissance. Le deuxième serait celui de la parole.

- Le cadre : c'est un mot très galvaudé devant l'impuissance que nous avons à gérer des situations sociales qui nous reviennent de plus en plus souvent en boomerang, du fait du déclin de la figure paternelle. Alors, le cadre est invoqué comme nous évoquerions une divinité qui par magie nous tirerait de l'ornière.

Où quelque chose (quoi?) se tient dans la tension entre ce qui est interdit (empêché) et ce qui est permis. Le cadre, communément carré ou rectangulaire, vient mettre une limite et empêcher de tourner en rond. Il définit un espace cerné, bordé et repérable de tous. De plus, il est valable pour tous et met chacun objectivement à égalité. C'est lui qui fait autorité. Il est le lieu jusqu'où on peut aller trop loin sans se perdre, sans se mettre à mal, ni en principe en faire aux autres.

Il est un principe de réalité qui vient mettre un terme, au sens de limite, à la pulsion de jouissance, sans cesse recherchée par l'être humain. Le cadre se trouve être là pour rappeler à l'ordre. A l'ordre social ou moral qui permet le maintien de l'espèce et créer la dynamique de la culture, c-a-d de ces éléments, de ces objets qui sont partagés ensemble et sur lesquels sont sublimées les pulsions.

Sans lui, c'est le chaos qui guette, le haut lieu de la confusion, l'espace maternel de l' un-dé-finissable. Le lieu dans lequel on peut jouir de soi-même en toute quiétude dans l'indifférenciation de l'imaginaire. Le lieu de l'unicité sans partage. Par le cadre, nous sommes empêchés de jouissance totale. Jouissance totale qui nous mènerait à une mort assurée mais pas assumée.

Dans son œuvre, Freud montre comment l'homme est toujours en recherche de retourner vers un état premier et dernier: la mort: "… la fin vers laquelle tend toute vie est la mort; et inversement: le non-vivant est antérieur au vivant". Particulièrement dans son essai intitulé "au-delà du principe de plaisir", il met en évidence, que la vie ne fait que tendre vers la mort que ce soit au travers des instincts de vie ou des instincts de mort. La mort est recherchée comme un état d'homéostasie, sans tension, de paix, de "nirvana": "Cette fin vers laquelle tendrait tout ce qui est organique se laisse d'ailleurs deviner (…). Cette fin doit plutôt être représentée par un état ancien, un état de départ que la vie a jadis abandonné vers lequel elle tend à retourner par tous les détours de l'évolution". 18

Dans la même veine, il nous rappelle : " Nous nous tournons de ce fait vers la question moins exigeante de savoir ce que les hommes eux - même permettent, par leur comportement, de reconnaître comme finalité et dessein de leur vie, ce qu'ils exigent comme finalité, ce qu'ils veulent atteindre en elle. Il n'est guère possible de se tromper dans la réponse ; ils aspirent au bonheur, ils veulent devenir heureux et le rester (…) Qu'y a-t-il de plus naturel que de persévérer à chercher le bonheur sur la voie même où nous l'avons trouvée pour la première fois ?" 19 . En effet, ne nous parvenons jamais à faire le deuil de cet état d'enfance dans le quel nous avons baigné de longs mois, voir années, cet état d'amour essentiel à la survie du petit d'homme. Il naît incapable de se nourrir, de se mouvoir, de s'exprimer et vit dans une dépendance totale qui dure plusieurs années voir décennies. Etat de fusion entre une mère et son enfant dont on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une relation puisque de part et d'autre, il n'y a que du moi. Serge Leclair dans son livre " On tue un enfant" développe comment sans cesse, tout au long de la vie, nous nous laissons reprendre par la fascination du grand Autre.

Mais revenons en au cadre …Il symbolise la loi du père qui vient couper, inter - rompre cette idylle entre la mère et l'enfant. Freud montre comment "l'amour inhibé quant au but" 20 est fondateur. L'enfant se voit dans l'obligation de faire partage de cette mère "toute" avec le père pour trouver sa propre voie, si toutefois la mère accepte symboliquement de porter, d'introduire ce tiers dans sa relation à l'enfant. Une autre voie que la mère. Une autre voie que la totalité et le sentiment de toute-puissance inévitable. C'est ainsi que nous sommes sans cesse des enfants et qu'il nous faut sans cesse, tout au long de la vie tuer cet enfant qui cherche sans cesse à refaire surface pour retrouver l'Eden, le paradis perdu, dont il ne fera jamais le deuil et restera à jamais sa part manquante.

Alors, empêché de jouissance totale, empêché d'inceste! Le cadre vient mettre non seulement un empêchement à l'indistinction fusionnelle, mais par-là même créer un vide, une brèche, une absence dans laquelle va pouvoir se construire l'élaboration du sujet. Ainsi nous passerons aussi nos vies à chercher des moyens pour combler le manque d'une façon ou d'une autre…Qui par l'alimentation, qui par le militantisme, qui par le savoir…qui par la psychanalyse, qui par la religion! Cette recherche poussée vers ses extrêmes devient un "culte d'une origine impossible à perdre"…

C'est bien le manque, premièrement physiologique, qui engage pour l'enfant la relation à la mère et l'oblige à trouver des moyens pour qu'elle réponde à son besoin de nourriture. Et c'est bien dans cette béance, dans cette dépendance que va s'inscrire la toute première demande. Mais l'enfant en tant qu'être humain est d'emblée, inféodé à l'ordre du langage avant même d'avoir eu à formuler cette demande au sujet parlant qu'est sa mère, et c'est dans cet ordre que s'inscrit sa demande. C'est dans cet autre cadre, encore, que s'exprime la demande. Car le langage vient aussi faire cadre, et vient aussi créer du vide…Non pas créer le vide mais mettre en exergue son existence dans la création de lui-même que le sujet réalise tout au long de son expression.

La parole, qui devrait à priori nous permettre de nous exprimer et nous manifester comme sujet est bien trompeuse à plusieurs titres.

Ø Chaque mot est un signifiant adressé. Il part d'une personne vers une autre personne ou vers un Autre…ou vers un ailleurs. Or chaque mot, chaque signifiant peut avoir plusieurs sens, plusieurs signifiés. "Le langage renvoie à un éclatement de sens" 21 . Les homonymies sont fréquentes et peuvent non seulement totalement déformer le sens d'une phrase pour celui qui reçoit la parole adressée mais encore "derrière" la parole, pouvons-nous, représenter des choses qui échappent à notre conscience et gardent un sens caché pour les autres, parfois surtout pour nous-mêmes.

Ø "Le signifiant" comme le dit Lacan" est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant". Or, l'ordre de la parole, en nous représentant, fige dans une symbolisation ce qui en nous n'a de sens que dans le mouvement de l'inspiration et/ou de l'expiration qui l'a produit et qui par ailleurs nous fait advenir comme sujet (de sub jectum: jeté dessous, soumis à la parole) et nous découvrir nous même au fil de notre ex-pression. Nous sommes sans cesse dans la tension entre libérer "les oiseaux de la parole" en sachant que la cage toujours les enserrera.

Ø Notre discours est adressé à un autre, à un autre signifiant. Et si "notre désir est le désir du désir de l'autre" 22 ou désir d'être désiré, la tour de Babel n'est pas loin…Qu'est-ce que j'entends quand l'autre me parle et qu'est-ce que je lui dis lorsque je lui parle et inversement ? Et l'autre que fait-il de la parole prononcée à sa destination ? Lorsqu'il s'en saisit avec quoi s'en saisit-il? De quoi se saisit-il? L'autre passe forcément cette parole reçue au filtre ou au fil de son histoire, de son passé, de ses attentes, de ses inquiétudes, pour tout dire de son imaginaire, si ce n'est de son désir… Alors qui de lui ou de son inconscient l'a entendue cette parole, nous ne le saurons jamais.

Toujours nous sommes renvoyés à une incertitude, à une impossibilité de savoir véritablement, en vérité, de saisir le réel au-delà de la réalité, de la notre, de celle de l'autre. Nous sommes sans cesse dans la question de l'au-delà. Nous sommes renvoyés à l'impossible réponse, à l'impossible saisissement de l'origine du sujet si ce n'est dans ce qui est le plus souvent "raté". "Achoppement, défaillance, fêlure. Dans une phrase prononcée, écrite, quelque chose vient à trébucher" 23 .

Bref, je me saisis de cette parole, et presque instantanément, dès la première session, se dessine dans ma tête, un écrit, son plan, ses références… Une véritable musique! Ecrire sur la supervision…Oui, pouvoir dire comment je suis séduite par la forme de travail proposée, ce qui m'intéresse parce que ça correspond à mes valeurs…Je vois déjà comment dérouler la question du groupe, ce qu'il permet…Bref une vraie lune de miel avec moi-même, ce que je pense déjà, ce que je porte déjà en moi.

Pourquoi "avec moi-même"? Eh bien, parce que, sous une autre forme, j'ai déjà largement travaillé cette question et me retrouve là en terrain connu. Un terrain sur lequel, je vais tranquillement pouvoir jouir de mes valeurs, de ce dans quoi je me reconnais. Oh! Narcisse, se reconnaître dans son image et en jouir tranquillement…au risque de s'y noyer. Glisser aussi vers l'évitement de la tension. Dans le principe de plaisir, le principe de la réduction des tensions. Etonnamment, le principe de réalité va venir casser tout ce bel arrangement, sans doute parce que c'est l'enjeu d'une formation. Comme toutes les formations, celle-ci nous a engagés vers l'intégration de nouvelles données, vers une ré - forme de nos idées, vers la construction de nouveaux repères… Comprendre que c'est par la confrontation et le vide qu'elle laisse, que nous pouvons nous transformer et reprendre la route vers le "soi" en sortant du "moi".

Le voilà donc qui rapplique… (le principe de réalité)…

Soudain, j'entends, dans l'après coup, autre chose. J'entends qu'il faut bien écrire en rapport avec la question de la supervision mais en partant d'une situation vécue, soit exposée au cours d'une "instance clinique" par l'un ou l'autre des participants à la formation, soit à partir d'une situation vécue dans un autre cadre. Une situation, une anecdote, une remarque qui fait question et vient traverser le sujet de la supervision. ...et puis il est nécessaire de produire au moins 10 pages. Et mon château de cartes ou en Espagne s'écroule! Après avoir cru le tout possible, après avoir senti la jouissance monter en moi, la chute est difficile. Alors tout n'est pas permis, alors la "grande mère" m'abandonne, alors le sein n'est pas pour moi et n'est pas moi non plus. Il y a un bon et un mauvais sein et même si j'ai halluciné, me voilà dans le deuil. Le détour qui m'est imposé n'est pas de mon goût. La contrainte me renvoie "dans mes buts"… Peut-être me renvoie-t-elle surtout à mes buts si je veux bien l'entendre!

Je ne suis pas au bout de mes peines dans ce chemin faisant, défaisant, malfaisant, se faisant, me faisant…

Lors de la deuxième session, je me lance dans l'instance clinique. Et me voilà descendue dans l'arène, à exposer, à m'exposer. Moi qui croyais trouver compréhension, moi qui croyais pouvoir tout dire (encore mon imaginaire trompeur… tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil"… qu'est-ce que veut dire tout dire?), je m'expose dans une situation que je sais critiquable, mais qu'importe, je fais confiance (à qui, à quoi, pourquoi?)! Je peux prendre le risque d'être authentique parce que, croyais-je dans ce genre de formation, tout le monde est déjà adulte (parce qu'il y aurait un stade où l'on ne serait plus soumis à la force de ses pulsions ??) alors il me semble que l'on pourra en toute quiétude, dégagés de l'imaginaire, élaborer autour de la question qui me taraude : comment remettre de l'autorité là où il n'y en a plus, comment restaurer le nom du père là où il est mis à mal?

On peut cependant se poser la question de savoir au-delà de ça, ce qui explique que je sois allée me mettre dans la gueule du loup. "L'homme est un loup pour l'homme".

On pourrait encore écrire long de temps, sur cette idée illusoire, que l'on pourrait à certains endroits, avec certaines personnes, être accueillie en toute attention, en toute quiétude, en toute tolérance comme par une mère. Et voilà qu'il faut tuer l'enfant qui refait surface.

Et les choses ne se passent pas du tout comme je l'avais imaginé. L'autre n'est jamais comme je l'imagine…Ne se trouve jamais là où je l'attends… La violence de ce qui m'est renvoyé confine à l'insupportable… "Tu t'es placée à la place du sujet supposé savoir…"

C'est tout ce dont je me rappelle, enfin presque. Tout le reste en enfilade s'est dé - filer pour sombrer pêle-mêle grâce au mécanisme du refoulement au fin fond des limbes de mon inconscient… Il ne me reste maintenant, qu'une impression vague mais au combien violente, d'oppression, de liquéfaction, de vouloir être ailleurs… Dès lors se dessine en moi la question suivante jusqu'où peut-on laisser dire? Comment récupère-t-on quelqu'un qui vient de s'exposer et de se ramasser? Qui donc est le coupable de cette infâme dé/band/ade? "Assomption de la castration"… Mais pas encore de la "responsabilité."

Puis, vient le moment de choisir une problématique. Deux sujets qui me trottent dans la tête:

- Tout au long de la formation, de mes lectures j'ai remarqué que tout va par trois – je, tu, il – l'enfant, le père, la mère – les trois temps de la supervision – les trois instances des topiques de Freud – "nous sommes des êtres ternaires", etc.…

- Et la question ci-dessus citée que je formule à ce moment là de la façon suivante: jusqu'où peut-on laisser dire les participants à la supervision ? Comment gérer l'imaginaire, les fantasmes et les projections de ceux qui s'expriment ?

Je suis encore sous le coup, sous le joug de mon expérience, difficile de théoriser!

Le thème de la Trinité est séduisant mais il ne me convainc pas. Après avoir lu un "pavé" y afférant, je commence à me poser la question : " Vais-je écrire ?". Je me sens dans une tension difficile à supporter. Un écœurement certain m'envahit. J'avais beaucoup misé sur cette formation et le fait qu'elle soit portée par les valeurs de la psychanalyse. Je me sens flouée, déprimée…Comme dans toutes les pertes, les deuils…

Pour avoir vécu de bout en bout l'aventure de la psychanalyse, avoir expérimenté le sentiment de liberté qu'elle peut procurer lorsque le travail opère, s'opère, après avoir découvert l'ouverture, la tolérance qu'il permet de développer, la reconnaissance des autres et de soi, etc... etc… Je ne dis pas que cette rencontre est facile, loin de là, mais elle engage des effets indubitables qui permettent de regarder l'aventure humaine du coté de sa lumière et de sa création même si on ne peut oublier qu'il n'y a pas de lumière sans ténèbres. C'est aussi cette aventure qui m'a, secondairement, engagée vers une recherche spirituelle (pas religieuse). Or, tout au long de cette formation, mes choix sont questionnés, vilipendés. Plusieurs intervenants me paraissent clos sur leurs convictions, s'il y a une vérité, elle ne peut être que de la leur, pour certains, que de la psychanalyse, pour d'autres.

Plus le temps passe, plus mon sujet semble en-taire-é. Aussi, la Trinité se passe…Pourquoi ce sujet? Pour faire un exercice intellectuel? Ai-je encore quelque chose à prouver? Faire un exercice pour l'exercice? Ai-je encore besoin de faire plaisir ? Ai-je besoin de plaire ? Faire l'exercice pour faire comme les autres? Me couler dans le moule parce que c'est plus facile, plus sûr?

Mon surmoi me trahirait-il? Vous savez ce petit Jiminy Cricket(Pinocchio) individuel et portatif, que nous traînons longtemps, pour ne pas dire toujours, sur notre épaule…Résisterai-je à sa voix impérative ou bien serait-ce la "personna" qui se prend à vouloir jeter bas le masque?

Je décide me mettre en jeûne, jeûne de livres, jeûne de pensées, jeûne de bonnes ou mauvaises raisons, durant plusieurs mois, auquel durant l'été, je rajoute un jeûne physique et relationnel durant quelques jours. De ces sortes de retraite qui vous mettent en vide, mais pas le vide de l'absence, non juste vider le trop plein, vider le débordement, vider l'écœurement…Marquer un coup d'arrêt. Un deux, trois, soleil, si tu bouges t'as perdu. Un arrêt sur image-inaire.

Et puis aussi me récupérer, j'ai du mal à sortir de la dé-narcissisation produite à la suite de mon "exposition" en instance clinique… J'ai besoin de me reprendre ou plutôt de me dé-prendre de ce que les autres m'ont renvoyé. Ramener la remise en question à sa juste mesure ou plutôt à sa mesure juste. J'ai besoin de me questionner sur ce que je garde comme mien et ce que j'écoute comme de l'autre. C'est comme de la sauce béchamel, il faut la sortir du feu pour pouvoir y intégrer le surplus de farine. Si on va trop vite ça gru-mot-e et tout est à refaire? Si on ne met pas assez de farine, c'est trop liquide, le plat est insipide. Si on met trop de farine, ça prend un vilain goût ou bien ça prend en masse.

C'est tout un art de trouver le moyen de mettre (à) bas la résistance qu'occasionne une confrontation trop violente. Trouver l'alchimie qui va permettre à l'œuvre au blanc de se réaliser, sachant que des desseins bien noirs parfois se font et se défont en nos intérieurs bien secrets et qui plus est à notre insu.

La résistance, une sorte de maîtrise qui s'oppose à la possibilité de prendre conscience, quelque chose qui obstrue la possibilité de changer, d'intégrer du nouveau, de l'étrange, de l'étranger d'étranger au moi : "Il se pourrait que la grande trouvaille de Freud tienne dans cette mauvaise nouvelle qu'il a apportée aux humains : l'homme est porté par quelque chose de lui qui lui est étranger; il n'est pas intégré à lui-même ; et ce à cause d'un écart intrinsèque qui s'appelle "inconscient"." 24 Et il s'agit donc pas seulement d'intégrer quelque chose d'étranger mais en plus de le reconnaître comme nous appartenant déjà. C'est douloureux quand on refuse de se reconnaître dedans quelque chose et que cependant, on y est obligé.

Sur la question de la résistance, Freud en distingue cinq genres pouvant relever d'instance topique différente. Mais celles qui me semblent y référer sont les deux dernières: "le quatrième genre de résistances – celle du ça – nous l'avons rendue responsable de la nécessité de "bûcher ". La cinquième résistance, celle du surmoi, qui a été connue la dernière, qui est la plus obscure, mais qui n'est pas toujours la plus faible, paraît dériver de la conscience de la faute ou du besoin de châtiment. Elle s'oppose à toute réussite et par la suite à toute guérison par la psychanalyse" 25 .

Bref. Bref… Le jugement dernier approche. Faute de sujet, décision, il faut prendre. Je décide que je ne rendrai pas l'écrit… Du moins pas en temps et en heure au risque que cela me coûte de perdre le bénéfice de cette formation, au risque du regard, du rejet de mes pairs, de la perte d'amour… Au risque de vivre. Existe-t-il une vie sans risque?

Alors seulement, à la veille de la dernière semaine de formation le voile semble vouloir se déchirer… Il me revient une situation exposée par R., qui se fait insistante. C'est l'histoire d'une femme qui, malgré les mains tendues de ceux qui l'entourent, va, inexorablement, vers une mort assurée. L'emprise. Ca pourrait s'appeler " l'emprise, le sujet sous influence". Un bon sujet…

Et puis, il y a la dernière semaine de formation. Je suis invitée à mettre en paroles, tout ce cheminement. Au-delà de mes illusions perdues, je me suis sentie accueillie malgré mon positionnement. Accueillie dans ma différence. Puis, je me suis sentie entendue dans mes possibles, mes impossibles et mon sujet s'est transformé en " Qu'est-ce qui fait autorité dans la supervision" ou bien "La supervision pour ne pas mourir". Je sens que ce n'est encore qu'une des circonvolutions qui me mènera vers mon véritable sujet. De ces passages inévitables pour se transformer petit à petit et se surprendre où il y a du sujet.

Toutes ces pérégrinations accomplies, je peux enfin boucler la boucle et revenir au sujet, à la problématique qui m'a émue, à ce qui m'a mis en émoi, à ce qui a véritablement fait question durant cette formation. Je peux reconsidérer ma question sans plus me laisser guider par un règlement de compte : " le deuxième temps de la supervision nécessite lui aussi un cadre plus formel."

Pour clôturer toute cette histoire et avant de me pencher sur ma problématique, je souhaite rapporter un rêve que j'ai eu durant la dernière nuit avant la fin de la formation. Il ne nécessite aucun commentaire, si ce n'est que c'est un beau point final à une histoire qui n'est pas seulement la mienne.

"Je suis dans un espace vert, une sorte de parc avec d'autres personnes et nous nous avançons ensemble vers une sorte d'église. Je ne vois pas exactement la forme de cette église, mais j'explique au groupe que j'ai fait une grande partie des travaux seule à l'intérieur.

Puis, nous entrons dans ce qui est le chœur de l'église. En fait, elle n'est composée que d'un chœur, carré en bas et ensuite rond qui monte en pointe en haut. Au fond un couloir sombre qui s'enfonce sur le coté gauche (coté du cœur et du passé…) Un homme est assis derrière un petit comptoir en bois, carré lui aussi, comme il y en avait avant dans les musées, il veille.

Je lève les yeux et là, oh! Surprise, il y a bien tout ce que j'ai fait, mais alors que je n'avais pas fini de décorer le haut de l'édifice, je m'aperçois que tout est terminé. Manifestement ce sont les autres, ceux qui m'accompagnent, qui ont fini. Du coup, je me sens un peu prise dans ce que j'avais annoncé et aussi un peu culpabilisée. Je rectifie donc ce que j'ai dit auparavant, en ajoutant que j'ai fait l'essentiel mais que d'autres ont aussi travaillé et que leur travail est en train de sécher. Cela s'est fait à mon insu. Mais il y a au moins une chose que j'ai fait totalement, seule, c'est le carrelage. Le carrelage est composé de tomettes carrées. L'homme derrière son comptoir se lève pour jauger s'il est bien fait, c'est à dire si l'alignement est parfait. Il confirme que l'alignement est bon et que c'est bien moi qui l'ai fait toute seule."

" LE DEUXIEME TEMPS : ouverture ou renforcement des résistances."

Je vais essayer de vous faire voyager avec moi dans le cheminement de ma pensée… Mais il me faut préciser plus avant, les trois temps préconisés pour une supervision et parler particulièrement du deuxième temps.

La supervision se déroule en trois temps que l'on pourrait qualifier ainsi :

- Le temps pour refléter: "C'est à chacun dans le groupe, un par un d'exposer ce que cette parole singulière a produit pour lui." 27 Les membres du groupe, donnent leur ressenti par rapport à ce qui a été exposé précédemment, s'expriment, parlent de ce qu'ils en ont entendu, retenu.

- Le temps pour échanger : l'ensemble des personnes présentes converse, échangent sur la situation exposée. "Il n'a pas d'objet particulier si ce n'est la circulation de la parole". 28

Ceci étant fait, je peux revenir à notre voyage.

Je me suis demandée : qu'est-ce que ce deuxième temps et à quelles conditions peut-il porter ses fruits?

Pour en parler, il me semble important de se le représenter dans toutes ses dimensions. Important de voir ce que ces dimensions peuvent provoquer dans la production du groupe puisque c'est un moment de groupe spécifique en ce sens que deux des personnes présentes ne s'expriment pas, à savoir le superviseur et la personne qui vient d'exposer. Les personnes qui prennent la parole, la prennent à tour de rôle et la laissent. Il n'y a donc, sur un plan objectif, aucune interaction, si ce ne sont les différents transferts, on pourrait même dire les différents contre-transferts inévitablement en action.

Pour examiner les effets et les potentialités du second temps, il me faut tout d'abord revenir sur le premier temps pour le caractériser et montrer en quoi au-delà de la mise en langage, il soumet l'exposant à une fragilisation qui peut être déterminante dans sa façon d'appréhender le deuxième temps.

Du premier temps :

1. Un espace topographique :

Lors de la formation, nous étions assis autour de tables, disposées en rectangle et comportant, au centre un grand espace, un grand trou ! C'est, dira-t-on, évident…Plus facile, plus pratique, plus…, toute chose raisonnante pour expliquer cette conformation de l'espace. Cependant, je ne pense pas que le choix de la disposition des tables, de l'occupation de l'espace soit indifférent à ce qui se passe dans le groupe qui l'occupe. D'ailleurs dans l'exposé que je fais précédemment de mon cheminement; au moment où je parle de l'exposé que j'ai eu à faire, je dis: "je descends dans l'arène". C'est ce qui l'habite, qui l'entoure qui crée de l'espace physique mais aussi symbolique, comme la parole crée le sujet. Bref, l'espace occupé autrement, déterminerait certainement des échanges différents.

Par ailleurs, c'est d'abord par et dans notre corps que nous sommes saisis par ce qui nous arrive. Dans son livre "La dimension cachée", E.T. Hall nous révèle toute l'importance des distances entre les personnes, distances qui varient d'une culture à une autre, l'importance des structurations de l'espace sur le comportement des êtres humains, etc.…

"… c'est ce qu'on peut y accomplir qui détermine la façon dont un espace est vécu" 29 .

Que peut-on y accomplir quand rien ne se déroulera qui ressorte de la dimension physique, objective, objectivable?

Dans un temps de formation, où les personnes sont sensément là pour recevoir un certain enseignement, la dimension subjective est gommée. Il ne leur est pas demandé de se positionner, de s'engager personnellement. Mais dans un temps formatif, comme celui qui nous occupe, au cours duquel, au contraire, il est demandé aux personnes de s'investir personnellement, de se mettre en jeu, l'espace dans lequel elles se trouvent prend une autre valeur, une autre dimension.

L'espace vide, trouée centrale, renvoie, à un déplacement impossible, ni déplacement vers, ni déplacement outre. Matérialisation symbolique de ce qui va se passer dans "la scène du deux", où chacun parle de sa place, immobile.

Il me semble repérer un paradoxe : lorsque j'expose, si je suis confronté au vide qu'il y a devant moi (qui rappelle celui, infini, inestimable qu'il y a en moi), mais je suis aussi confrontée à la proximité des personnes qui se trouvent à mes cotés. La distance entre les personnes est fixe et elle relève de deux types de distance culturelle, telles que les définit Hall, à savoir la distance personnelle et la distance sociale. Nul choix possible. Or ces distances ne sont pas sans conséquence sur le vécu de la personne qui expose.

Les distances personnelles avec les personnes qui sont à mes cotés, peuvent être assimilées à une distance sociale, car ces personnes ne sont pas dans mon champ de vision. Cependant, elles peuvent selon le sentiment que j'ai à leur égard ou celui que j'imagine qu'elles ont au mien, être ressenties comme des plus intrusives dans mon espace personnel, ma bulle.

Cependant sur ce point, si ce n'est d'en prendre conscience je ne vois guère comment il est possible d'y remédier. Il intervient comme un élément de la réalité et de réalité.

2. Espace scopique :

Exposer (lat. exponere avec influence de poser) 1. Mettre des objets en vue, les présenter aux regards (Grand Larousse)

Lorsque j'expose, que je pose à l'extérieur, ce qui était à l'intérieur, je me trouve être soumise "totalement" au regard des autres. Ils voient à travers comme on voit à travers une scopie. Puis, lorsque j'ai exposé et que je ne suis pas dégagée de ce cela a pu occasionner pour moi, je me trouve encore, au moins fantasmatiquement, soumise au regard de ces mêmes autres : "- il (le regard) laisse le sujet dans ce qu'il y a au-delà de l'apparence -". Tous témoins de ce que j'ai montré que je ne connaissais pas, de ce que je ne voulais pas forcément dire mais qui m'a échappé sous l'effet de la pulsion, de ce que je ne veux pas reconnaître comme mien.

Tous contre un…" …- je ne vois que d'un point" dit Lacan "mais dans mon existence je suis regardé de partout…nous sommes des êtres regardés dans le spectacle du monde". 30

Celui qui expose est seul, détaché du groupe par sa parole, sorti du giron du groupe. Il en est même, pour un moment, exclu, au moins par le regard, mais pas que. Il y a une mise en tension entre lui et les autres. Mise en tension complétée par : "Le regard ne se présente à nous que sous la forme d'une étrange contingence, symbolique de ce nous trouvons à l'horizon et comme butée de notre expérience, à savoir le manque constitutif de l'angoisse de castration" 31 .

Alors bien sûr, il n'y a jamais qu'un revers à la médaille, il y a un autre coté. Le coté où il peut y avoir du plaisir et où ce plaisir peut en partie soutenir la personne dans son exposition." N'y a-t-il pas satisfaction à être sous ce regard… qui nous cerne, ce qui fait d'abord de nous des êtres regardés, mais sans qu'on nous le montre" 32 .

Alors : être sous le regard et devoir en découdre mais être sous le regard et y trouver du plaisir…

Chacun des membres du groupe est toujours, qu'il le veuille ou non sous le regard d'au moins, selon sa place, la plus grande majorité de ses pairs. Cela me rappelle ce jour, où ayant exposé, je me trouvais en situation de fragilité comme on sait. Or je me trouvais dans le champ de vision direct d'une personne qui ne cessait de me dévisager. J'étais moi-même sous l'emprise d'un sentiment de persécution : que me veut-elle? Voir si je me remets, si je vais m'en sortir? Me voir m'effondrer? Profiter sadiquement de mon désarroi? M'apporter une aide? … Dont à ce moment là je n'avais que faire et que je prenais comme de la pitié pour quelqu'un qui a été défait

Nous pourrons voir plus loin avec Winnicott, l'impact du manque de confiance créer par un manque de holding et les éléments persécutifs qu'il peut engendrer.

De l'espace scopique et du sentiment mêlé et paradoxal qu'il peut engendrer, le pas est facile à franchir jusqu'à l'espace topique.

Du deuxième temps

1. Un espace topique :

"Plume déjeunait au restaurant quand le maître d'hôtel s'approcha, le regarda sévèrement et lui dit d'une voix basse et mystérieuse: " Ce que vous avez dans votre assiette ne figure pas à la carte". H. Michaux

"L'œil était dans la tombe et regardait Caïn". Victor Hugo

Le deuxième temps voit s'exprimer les "autres" du groupe, hors le superviseur. "Sujet supposé savoir", dont le discours reste en creux, tendant ainsi à engager le discours de chacun. Or, qui sont ces personnes, d'où s'autorisent-elles pour intervenir, si ce n'est d'un cadre qui leur donne toute licence, sans contrainte, sans limite objective pour le faire, si ce n'est d'un superviseur qui peut même être garant d'un laisser faire?

A ce moment, la parole s'exprime à partir d'un premier décalage. Une personne a parlé. Elle a parlé d'une situation passée : t. D'un temps révolu. En parlant, elle a déjà effectué un premier décalage: t+1. D'autres parlent de ce dont elle a parlé et produisent un deuxième décalage: t+2. Le premier temps est un temps de la représentation de ce qui s'est passé, le deuxième temps t+2 n'est qu'additif s'il ne vient pas questionner l'ici et maintenant. Si " le locuteur reçoit de l'autre son message inversé" comme le dit Lacan, qu'en est-il de ceux qui s'expriment en deuxième temps?

Avant de commencer ce propos, je veux revenir sur le sens des mots : exposer, exposition. Exposer vient du mot latin exponere: mettre hors, mettre en vue – exposer à: livrer à la merci de. (Gaffiot)

Il est évident que la personne qui raconte (nous avons pu le vérifier au long des situations exposées) vient mettre au grand jour, ex-poser : poser à l'extérieur, un moment, des circonstances, une position, une posture qui lui pose question, la plupart du temps parce qu'elle s'est sentie défaillante, parce ses pulsions ont pris le dessus pour une raison ou pour une autre ou/et impuissante révélant sa propre castration – qu'elle a le sentiment vague ou précis ou vague et en même temps précis, qu'elle n'a pas fait ce qu'elle aurait du faire pour correspondre à son moi idéal. Le choix de cette situation plutôt que d'une autre est révélateur en lui-même du repérage conscient ou inconscient d'un disfonctionnement, ou pour le moins, de quelque chose qui échappe, échappe à la compréhension.

Par ailleurs, l'exposant, pris qu'il est dans le langage, se trouve coincé. Il est coincé, premièrement, dans le rappel qu'il fait d'une situation qui appartient au passé, deuxièmement dans une expression qui se fige avec la ponctuation qu'il en fait. Sur laquelle, il lui est impossible (du moins tout le temps où ses pairs s'expriment à tour de rôle) de revenir. De laquelle, il lui est tout aussi impossible de se défendre.

"Ne s'agit-il pas d'une frustration qui serait inhérente au discours même du sujet. Le sujet ne s'y engage-t-il pas dans une dépossession toujours plus grande de cet être de lui-même, dont, à force de peintures sincères qui n'en laissent pas moins incohérente l'idée, de rectifications qui n'atteignent pas à dégager son essence, d'étais et de défenses qui n'empêchent pas de vaciller sa statue, d'étreintes narcissiques qui se font souffle à l'animer, il finit par reconnaître que cet être n'a jamais été que son œuvre et que cette œuvre déçoit en lui toute certitude. Car dans ce travail qu'il fait de la reconstruire pour un autre , il retrouve l'aliénation fondamentale qui la lui a fait construire comme une autre , et qui l'a toujours destiné à lui être dérobée par un autre ". 33

C'est, comme on dit en ce moment : "un grand moment de solitude" en tant que c'est un moment de castration toute symbolique…Interdit de parole, pendant que d'autres s'expriment à partir de son expérience…Ce qu'il aurait fallu.. Ce qui n'a pas été fait…Ce qui a été mal fait…mal dit…Ce qui devrait…Et je ne peux m'empêcher de voir se profiler à l'horizon de cette phase, de cette étape, ce que Freud a nommé dans sa dernière topique, le surmoi. Le discours des uns et des autres, le plus souvent, ressemble beaucoup plus à un surmoi qui juge, qui met en défaut, tant sur le registre du social que sur celui du pédagogique… qu'à une élaboration pré-consciente (première topique de Freud) qui, elle pourrait accompagner l'évolution de celui qui s'est exprimé.

"Le surmoi tourmente le moi avec les sensations d'angoisse et guette les occasions de le faire punir par le monde extérieur" 34 dit Freud.

A l'inconfortable position de recherche d'un moi idéal, à l'inévitable position surmoïque qui lui fait écho ou à laquelle elle fait écho au niveau personnel, viennent s'ajouter les positions des personnes du groupe renforçant le sentiment de ratage. Positions que l'on pourrait apparenter à des opinions, pour autant qu'il n'y ait pas de temps, ni de moyens imposés (posés cette fois de l'intérieur, à savoir de l'intérieur du cadre) en vue d'une prise de recul.

En effet, c'est un élément de réalité, nous avons tous à faire avec ce surmoi "instance inférée par nous", avec cette autorité qui garantit du "plaisir-désir d'agression", mais on peut se demander s'il est nécessaire de le redoubler dans l'acte de supervision ?

Tout ce qui est rigide, pour autant que cela protège, enferme et inhibe la créativité si cela devient trop prégnant.

Ce n'est pas parce que dans le groupe les personnes sont devenues des frères d'avoir tuer le père, qu'ils ont ainsi accédé à la culture, qu'ils ont soumis leurs pulsions d'agression. Sur le métier sans cesse, il nous faut remettre notre ouvrage…"Il faut que la culture mette tout en œuvre pour assigner des limites aux pulsions d'agression des hommes, pour tenir en soumission leurs manifestations par des formations réactionnelles psychiques"3.

Quelle culture ou quel cadre pour assigner des limites à l'expression des personnes du groupe ? D'ailleurs s'agit-il assigner des limites, je n'en suis pas sûre. Mais Comment mettre en mouvement les représentations des personnes qui s'expriment avant qu'elles enferment leur dire dans le langage ?

Enfin, le superviseur, durant cette étape est muet. Muet, mais bien présent, et il tient sa place… vide, sans renvoi, sans retour, sans approbation, ni dénégation. Et chacun de se confronter, l'exposant au premier chef, au risque de la perte d'amour. De la perte d'amour du grand Autre. A jamais perdu mais toujours en creux, donc actif. Rapport à l'amour/rapport à la loi.

Comment maintenir du tiers et soutenir de l'être ?

2. Un espace d'expression :

Je me suis reprise car je voulais titrer ce paragraphe "espace d'expression et de communication", mais reprenant l'étymologie du mot "communication", je me rends compte qu'en fait, il ne s'agit pas, dans ce deuxième temps, de communiquer mais bien de s'exprimer. Il ne s'établit pas d'inter relations objectivables, puisque chacun prend la parole à tour de rôle et que toute réaction est prohibée. Les seules choses qui soit commune aux uns et aux autres est l'espace aménagé pour s'exprimer et le partage d'une même formation.

Il s'agit que s'exposent différents points de vue, sur ce qui a été dit. [En écrivant cette dernière phrase, il me venait les mots: différents points de mire. La signification des mots mire et mirer laisse à penser. J'ai trouvé ces deux choses : point de mire = point que l'on veut atteindre en tirant avec une arme à feu ; personne ou chose sur laquelle se dirigent les regards, les convoitises. Mirer du drap = le regarder à contre-jour pour en voir les défauts…]. En ce sens, il y a une sortie de l'"un" vers une altérité potentielle, qui n'est pour l'heure qu'en devenir. C'est seulement une promesse. Il s'agit seulement d'un passage du un à un autre un, puis encore à un autre un et ainsi de suite jusqu'à ce que le tour de rôle soit épuisé…

A tour de rôle, chacun se trouve pris dans les rais du langage mais cette fois dans une position d'extériorité, pour tenter de faire retour, de sa place sur ce qui a été précédemment narré.

Après avoir été réceptacle, contenant de l'histoire émotionnelle originaire, le groupe devient le réceptacle, le contenant de chacune des histoires qui n'est toujours qu'originaire si ce n'est la compulsion à répétition qui toujours nous hante, que nous soyons émetteurs ou récepteurs.

Pourtant, il n'existe pas de parole sans quelqu'un pour l'entendre. On se parle à soi, à Dieu, à l'autre, toujours quelque part à l'Autre. La parole est toujours adressée sinon elle n'existe pas ; ou elle est folle. Elle ne peut prendre de sens que dans la mesure où quelqu'un est là. Quelqu'un dont on imagine qu'il accueille cette parole et qu'à travers elle, il nous accueille.

Dans ce temps, à tour de rôle chacun va se saisir d'un événement qui ne lui appartient pas pour le ramener à soi et y laisser sa trace de langage. Chacun se pose comme sujet en construction, comme sujet en recherche de sa propre vérité, à la recherche de l'expression de son désir. La notion de communication n'est pas importante ou du moins ne semble pas l'être, et pourtant… Elle n'est pas là pour susciter un retour.

Quand Joseph Rouzel dit: "C'est tellement dérangeant d'écouter l'autre parler que très rapidement, on est dans des processus d'analyse, de structuration, de compréhension, on essaye d'araser le relief de subjectivité que produit justement la parole…" Je suis d'accord avec lui sur l'effet de la parole de l'autre, l'effet de la mise en langage effectuée par l'autre qui n'est pas moi et qui vient me déranger.

L'élaboration produite par l'autre vient éclairer d'une autre lumière mon propre vécu, pour peu que je sois capable de l'entendre, que je sois capable d'en refaire quelque chose de le "trouver" et de le "créer" (cf. Winnicott).

3. Un espace de reflet, de réflexion :

3.1. Espace de reflet :

Ø Le corps morcelé, le chaos :

A voir s'exprimer ainsi à tour de rôle chacun de ses pairs, la personne se trouve renvoyée au désordre. Déjà son dés-ordre s'était donné à voir, malgré toute la rationalisation opérée par le moi, mais il lui faut maintenant s'y confronter doublement dans le désordre que va occasionner l'expression plurielle.

Par ailleurs, dans cette expression plurielle, chacun ne va retenir qu'une partie de ce qui s'est dit, que la partie qui fait écho à sa propre histoire et voilà que non seulement son discours est morcelé mais de plus il est détourné, changé de place, changé d'ordre, changé de forme, changé de sens. L'imago du corps morcelé dont parle Lacan comme d'une structure inhérente à l'être humain, comme les fantasmes les plus archaïques, qui nous animent, se trouvent dés lors réactivés. Est-il possible de faire autrement que déconstruire pour pouvoir reconstruire ensuite ? A quel prix peut-il dans le stade du miroir "assumer une image" ?

Ø Le miroir selon Lacan :

Dans la conception du stade du miroir introduite par Lacan, à l'imago du corps morcelé succède l'imago du corps propre qui se construit à travers l'image spéculaire renvoyée par le miroir. Ce ne peut être que la cohésion de l'entité groupale, "une unité supérieure à chaque individu et à laquelle chaque individu participe" 35 dit Anzieu qui permette à la personne de se retrouvée rassemblée. Ceci présuppose donc que l'entité groupale s'est crée en amont de la mise en situation de supervision. Sinon cette étape qui procède à l'apparition du "je" ne pourra prendre effet et laissera le sujet dans le chaos de l'indéterminé, le renvoyant à la recherche du "giron maternel" et à l'angoisse que cela peut engendrer, au lieu de l'aider à assumer sa fonction, sa place de sujet.

Ø Le miroir selon Dolto :

Dolto vient, ce me semble, ajouter à la conception du stade du miroir de Lacan, une dimension inter subjective qui me paraît essentielle. "A rien ne sert si le sujet est confronté au manque d'un miroir de son être dans l'autre . Car c'est cela qui est important.

Ce qui est dramatique c'est qu'un enfant auquel fait défaut la présence de sa mère ou d'un autre vivant, qui se reflète avec lui, en vienne à se "perdre" dans le miroir"2. Winnicott est très proche des conceptions de Dolto quant au miroir même s'il ne le formule pas de la même façon.

En quoi me paraît-elle essentielle ?

A ce stade du travail de supervision, comme je le disais précédemment pour que la personne soit en mesure de refaire son unité, en mesure d'assumer une image, de reconnaître comme siennes les parts morcelées qui lui ont été renvoyées et ainsi être en mesure de les intégrer, de les reconnaître comme siennes, elle a besoin d'être soutenue par le désir d'un autre de la voir s'assumer, par le désir d'un autre de s'assumer lui-même en tant que sujet. Si le terme de superviseur peut trouver une raison d'être, on pourrait dire que c'est ici, assumant la place de la mère ou d'un "autre vivant" qui regarde et qui voit , l'enfant se refléter dans le miroir. Assurant une place qui lui permette d'assumer l'incongruité de cette image nouvelle, l'accueillant dans cette incongruité, lui permettant dans cet accueil de se constituer comme différent d'elle.

Ce n'est pas rien d'être déchu d'une place toujours "narcissisée", pas rien de devoir faire face à cet étranger représenté par les signifiants de l'autre…"Alors ça… Ce serait moi ??? !!!"

Miroir, mon beau miroir qui donc est la plus belle … La reine du conte de Grimm se trouve d'un seul coup détrônée de sa position de toute beauté et sa seule pensée c'est d'éliminer ce qui la dérange. Quant à Blanche Neige, porteuse, passeuse du soi… ce sont les sept nains qui vont faire le holding nécessaire au soutien de sa position.

3.2. Un espace de réflexion :

La définition donnée par le Grand Larousse pourrait se suffire à elle-même pour ce paragraphe :

-" Action de réfléchir, d'arrêter sa pensée sur quelque chose pour l'examiner en détails."

Il s'exerce bien un travail de la pensée mais surtout une nécessité d'arrêter la pensée pour porter de l'attention sur "l'objet" de la réflexion. Investir de l'attention sur un objet pour le cerner, pour lui faire "rendre l'âme" dirais-je. Je vous livre ces associations comme elles me viennent, mais je pense qu'il s'agit de quelque chose comme cela, c'est à dire ne pas rester sur l'apparence de la chose mais accéder à quelque chose de son essence. Toucher l'insaisissable en sachant que cela le restera…

- "Qualité de quelqu'un qui évite la hâte, la précipitation dans ses jugements et ses décisions".

Eviter la hâte, la précipitation qui nous renvoient beaucoup plus vite que nous le pensons, ne le voudrions, sur nos schémas de répétition, nos histoires de jouissance, bref dans nos ornières inconnues et même celles connues où souvent nous retombons même à vouloir nous en séparer.

- "Pensées, considérations et conclusions auxquels conduit cette activité de l'esprit."

Cette définition me ramène à l'"attention flottante" du psychanalyste. Cette sorte d'attention non contrainte qui mêle et emmêle les fils qui se présentent à elle, pour tisser une sorte de texture vague et lâche, cette espèce d'entre-deux ni construit, ni délié dans lequel un sens apparaît, se fait jour, plus qu'il ne s'impose.

- "Observations adressées à quelqu'un pour le critiquer":

De cette définition j'ai déjà parlé plus haut, je ne m'y attarderai donc pas à nouveau.

Pour moi, ce deuxième temps de la supervision doit si l'on veut préserver son sens tel que je l'ai entendu, faire partie, dans la dynamique des "temps logiques" de Lacan, du temps premier, le temps pour voir. Au travers de la pluralité des expressions, il s'opère un travail de complexification de la situation exposée. Un travail d'exploration, de découverte, d'enrichissement. Un travail dans lequel il n'y a pas de choix à faire. Toutefois, il engage forcément la remise en question, la reconsidération de ce qui pouvait être tenu pour acquis. Jours différents, positions singulières, signifiants d'autres.

4. Un espace transitionnel :

Le groupe peut potentiellement représenter un espace transitionnel. En ce temps deux, par son intervention plurielle, il peut permettre à l'exposant de prendre de la distance, par rapport à ce qui l'a affecté de la situation qu'il a exposée. D'entendre le jeu possible entre la parole qu'il a déposée et celles qui auraient pu être posées. La parole de l'autre vient me décoller de la mienne, vient me décoller de mon histoire, me décoller de mes pulsions, de mes répétitions, de mes projections. Elle vient mettre un espace de respiration. Je le disais aussi précédemment dans l'idée de complexification, ce temps peut être considéré comme un endroit de jeu, de création.

Mais quid du refoulement, quid des résistances, quid de la blessure si la confrontation est trop violente avec ce désir caché qui m'anime mais que je ne sais pas…sans tomber dans la soumission à l'environnement s'il est vécu comme menaçant, sans tomber dans l'attraction du masque… C'est la blessure, elle existe déjà mais est-il nécessaire d'y aller patauger?

Il me semble que Winnicott ouvre une porte sur la façon de soutenir le désir en supervision et surtout aider la personne à soutenir son désir, même s'il doit lui faire traverser l'épreuve de la castration. L'aider à devenir sujet.

Ce deuxième temps est un temps de décentration, une sorte de passe, "un espace paradoxal par essence qui n'est ni dedans ni dehors et pourtant qui n'est pas véritablement entre, où ce qui se joue est à la fois vrai et faux" 36 .

Winnicott dans son livre "Jeu et réalité" définit trois aires d'existence pour l'individu qu'il nomme le dedans, le dehors et une troisième aire qu'il nomme l'espace potentiel. Cette aire est une aire de médiation entre le dedans et le dehors, une aire "où se situe l'expérience culturelle et le jeu créatif". "Cet espace potentiel se situe entre le domaine où il n'y a rien, sinon moi, et le domaine où il y a des objets et des phénomènes qui échappent au contrôle omnipotent" 37 . Cet espace subjectif est différent de l'un à l'autre, dans sa souplesse et sa "superficie", car il dépend des expériences de vie vécue par chacun. Une de ses caractéristiques est d'être profondément lié à la relation de confiance que l'enfant a pu instaurer avec sa mère. "L'espace potentiel entre le bébé et la mère, entre l'enfant et la famille, entre l'individu et la société ou le monde, dépend de l'expérience qui conduit à la confiance. On peut le considérer comme sacré pour l'individu dans la mesure où celui-ci fait, dans cet espace même, l'expérience de la vie créatrice" 38 .

L'autre porte possible qui vient compléter cette première dans le schéma de Winnicott, c'est Claude Allione qui en fait état dans son intervention sur la supervision à partir de son livre "La part du rêve dans les institutions". Cette autre porte c'est le holding . Le groupe, le superviseur par une écoute bienveillante et attentive mais non attentionnée mais aussi par leur pensée de la pensée vont permettre à la personne d'entendre quelque chose d'elle-même qui lui revient audible, "entendable" parce que détoxiquée : "il faut des personnes qui prennent les éléments de tension du bébé pour les lui restituer détoxiqués sous une forme qui lui soit supportable". Ceci permet au bébé donc à la personne de se développer à partir de ce qui est dit de lui de ce qui "est mis en récit". "Je te pense pour que tu puisses penser, je peux penser parce que je suis pensé".

Pour terminer sur ces considérations, je voudrais reprendre à mon tour une citation de F. Plaut dont Winnicott fait état dans "Jeu et réalité" : "La capacité de former des images et de les réutiliser de façon constructive par la recombinaison en de nouveaux schémas dépend - à la différence des rêves ou des fantasmes – de la capacité qu'a un individu de faire confiance". "A l'opposé, l'exploitation de cette aire conduit à une condition pathologique où l'individu est littéralement encombré par d'éléments persécutifs dont il n'arrive pas à se débarrasser".

Or la confiance en soi n'est certainement pas le bien le mieux partagé? Les d'individus ne sont pas nés avec, dans leur berceau, sous la houlette d'une fée bienveillante, la confiance en bandoulière…

5. Un espace de ressenti :

"Je demande à chacun dans le groupe présent, chaque-un, un par un, d'y aller de sa parole propre, de dire, de faire retour au collègue qui a exposé et qui s'est exposé, de ce que ça lui fait ." 39 .

Pour avoir longtemps travaillé avec du public en insertion et en parcours d'orientation et avoir utilisé les méthodes de formation expérientielle, très prisées par les Canadiens dans la question de l'élaboration du projet professionnel, j'ai souvent constaté que, quand ce type de consigne est donné, elle est rarement respectée d'emblée. L'émotion, le sentiment, sont rarement conscients et l'on a immédiatement tendance à mentaliser ? Cette résistance à entrer en contact avec nous-mêmes fait que le vocabulaire pour exprimer un ressenti est naturellement pauvre parce que jamais utilisé. Nous vivons dans une société où l'expression du ressenti, de l'émotionnel n'est pas de bon ton, trop intime. Estampillage de faiblesse… L'émotion dévoile, l'aveu d'émotion dévoile doublement…

En écrivant cela, j'associe sur Lacan qui, à un moment de sa vie, a acquis un tableau de Courbet qui s'appelle "L'origine du monde". En fait, il n'a jamais exposé ce tableau chez lui et il a même fait fabriquer tout un mécanisme permettant de le cacher mais pas n'importe comment, d'une façon particulièrement élaborée. Ce tableau gardait ainsi toute sa présence malgré son absence aux regards…

On peut penser que l'émotion, le ressenti viennent retoucher à ce qu'il y a de plus caché en nous. Peut-être de plus proche de notre être, de ce que nous sommes, de ce sujet qu'on pourrait dire "contenu" dans l'inconscient, si tant est que l'inconscient soit à même de "contenir" quelque chose. Le travail ici est de mettre en lumière les affects, les perceptions et non les notions. L'important de cette étape est de se mettre en contact avec soi même, avec son intériorité et non avec sa pensée."J'ai appris que mon appréciation organismique d'une situation est plus digne de confiance que mon intellect" 40 . Bien sûr et de toute façon, la seule façon de se mettre en contact avec soi même est, qu'on le désire ou non de passer par le langage. Mais quoiqu'il en soit, il nous paraît très dommage et dommageable que cette consigne ne fasse pas vraiment partie du cadre et du coup ne soit pas suivie d'effets.

Nous parlons et nous ne parlons toujours que de nous à travers ce que le langage veut bien nous laisser exprimer, mais si nous ne parlons pas du lieu où nous sentons, si nous commençons à opérer une élaboration mentale, nous nous éloignons instantanément de ce qui est et que personne ne saurait contester,

En effet, lorsque nous exprimons notre ressenti, nous parlons de nous directement, nous nous ex-primons au sens culinaire exprimer le jus d'un citron par exemple, nous venons donner quelque chose de nous, de ce que ça nous a fait, de ce que ça continue à nous faire…

La parole se brode sur ce qui me touche au sens presque physique du mot, sur le vide de moi que ça rappelle, que la narration crée en moi. Je reste à cet endroit où je n'élabore pas encore, où je ne rationalise pas encore, où la question qui a creusé celui qui a exposé, me creuse aussi, à l'endroit où ça vient questionner quelque chose de ma posture, de mon positionnement... je ne fais que dire : moi je suis là par rapport à toi qui te trouve là, mais je ne sais pas, du moins je ne sais pas encore si c'était juste, injuste, bon, mauvais, trouble de se positionner comme tu l'as fait. Travaillons ensemble et essayons ensemble de voir où cela peut nous mener de ton expérience et de cette expérience que je viens de traverser par ton entremise de mise en langage… Etre dans l'ici et maintenant et y croiser l'éternité…

Rogers parle, j'ai envie de dire mieux que personne (de ma connaissance), mais je ne le dirai pas car vous pourriez penser que ça y est, je me suis laissée prendre au mirage à l'illusion de quelque chose, de quelqu'un, quelque part qui serait parfait et aurait ce que je n'ai pas (c'est comme les superlatifs sont piègeants!)… Je disais donc, Rogers parle des facteurs opérants dans la rencontre particulière qui se développe entre un thérapeute et son client, son patient…son rien du tout, car ce n'est justement pas le sien. Dans le premier chapitre qui s'intitule "Qui je suis" d'une première partie qui s'intitule "Notes personnelles", il nous livre, authentiquement, du moins j'aime à le penser, l'importance de plusieurs constatations qu'il a faites au cours de sa pratique :

"Il ne sert à rien…d'agir comme si je n'étais pas qui je suis".

"Mon intervention est plus efficace quand j'arrive à m'écouter et à m'accepter et je puis être moi-même…. C'est au moment où je m'accepte tel que je suis que je deviens capable de changer"...

"J'attache une valeur énorme au fait de pouvoir me permettre de comprendre une autre personne."

Dans le chapitre suivant, Rogers se pose plusieurs questions, définissant ainsi les caractéristiques de la relation d'aide et dans ces questions l'une d'entre elle me paraît encore essentielle bien qu'en fait, de mon point de vue, elles le soient toutes, mais restons en à celle là: "Suis-je capable de permettre (à l'autre) d'être ce qu'il est – sincère ou hypocrite, infantile ou adulte, désespéré ou présomptueux? Puis-je lui accorder la liberté d'être?".

Dans tout ce que dit Rogers et qu'il développe longuement à travers son œuvre, il me semble qu'il rejoint par des chemins détournés, il est vrai, et d'une façon différente, ce que dit Winnicott. Il développe tout particulièrement la question du positionnement de soutien, de holding de la personne, la différence est dans sa façon de développer l'inter action ou peut-être plutôt l'inter activité qu'il y a entre les êtres humains en relation et particulièrement dans la relation de soin. Alors il est vrai que dans la relation de supervision nous ne sommes pas dans la relation de soin, il est vrai aussi que nous ne sommes pas réellement dans une situation expérientielle, pourtant il me semble ce pourrait l'être pour autant qu'on accepte de se positionner avec ce regard spécifique.

6. Un espace transférentiel :

En parlant d'interactivité ou d'interaction entre les êtres, il n'est possible d'arriver qu'à la notion de transfert et de tout ce qu'elle engendre de la relation et dans la relation.

L'espace deuxième est inévitablement comme tous les espaces de relation, un espace de transfert. Mais, la question qui nous occupe, est de savoir comment rendre ce transfert opérant.

L'exposant vient ici, en principe, parler du transfert dont il est le "support", le "corps": "C'est du lieu de ce qui l'affecte dans la rencontre qu'un éducateur peut entendre comment un autre traite la jouissance." 41 C'est donc du transfert que la personne parle en supervision. Mais la cascade ne s'arrête pas là, puisque ce que vont avoir à gérer les personnes qui s'expriment dans ce deuxième temps, est bien leur contre-transfert. Or, à moins de n'avoir un entraînement à le gérer c à d de faire un travail personnel et encore, je pense qu'il nous échappe souvent quand même, le discours qui va se produire, les signifiants qui vont représenter les personnes, risquent d'être fortement entachés de pulsions toutes personnelles. Et si certains autres semblent posséder ce que je n'ai pas et que je m'y laisse prendre, d'autres par contre, projettent véritablement des choses dont je ne veux pas, dans lesquelles je ne veux/ne peux pas me reconnaître… Et pourtant… Le transfert, ça marche dans les deux sens : amour ou haine… Alors c'est peut-être, justement par ces dernières positions dérangeantes, qu'il faudrait au moins que je me laisse questionner pour ne pas m'y laisser prendre. Mais quels moyens possèdent-ils, ceux qui parlent, pour se dégager de mon transfert et pouvoir le manœuvrer au bénéfice d'un décalage productif?

En me posant à un autre endroit de la dialectique, je peux me re-demander quel est le but de la supervision? Est-il de mettre au/en travail une personne (celle qui expose et c'est ce que j'avais compris) ou bien de mettre au/en travail toutes les personnes du groupe dans une même unité de lieu, de temps et d'espace et à partir de la même "situation"? Si c'est de mettre au/en travail l'ensemble du groupe, alors je pense qu'en effet ce deuxième temps se justifie et avec lui la position du superviseur qui se tait et laisse se dire toute chose. En créant un espace vide de réaction, il renvoie chacun qui s'exprime à lui-même, à son discours, aux signifiants qui viennent le représenter sur la scène du groupe. J'ai envie de rajouter grâce à la personne qui accepte de se "sacrifier" pour le groupe. Comme chacun est obligé pour lui-même de sacrifier au manque à être, pour advenir en tant que sujet et prendre la responsabilité d'être. C'est peut-être de cette position de doublement "sacrifiée" sur l'autel du langage et du transfert, sur l'autel du manque à être, que la personne qui a exposé va pouvoir y "retrouver ses petits…" Et je pèse les mots de cet accouchement qui fait sa part à la jouissance! L'économie psychique étant ce qu'elle est, à tout mal il faut un bien, pour retrouver l'état d'homéostasie. J'exagère un petit peu, mais si peu que point…

Ce ne sera que dans le contre-coup et l'après coup que la personne qui a exposé, va pouvoir retravailler sur son transfert, transfert dédoublé, celui lié à la situation exposée, celui lié aux personnes du groupe.

Maintenant, il faut conclure. Après m'être sentie sous emprise, me voilà bien mal prise…

Il me semble avoir mis en lumière certains des risques encourus par rapport au choix de cette forme de supervision. Cependant je serais bien en peine d'étayer un rejet.

Tout au long de ma réflexion, je me suis sans cesse trouver aux prises avec des éléments positifs et des éléments négatifs. Avec du pour, du contre…

Tout de même, je pense que ce deuxième temps est un temps qui ne coule pas de source. Il me semble qu'il demande à être re-questionner dans sa forme pour qu'en soit revisiter le cadre.

Comment l'aménager de façon à ce qu'il apparaisse à tous qu'il ne s'agit pas de jeter la pierre à celui qui s'expose, (je vous fais grâce des références bibliques)…mais bien de se jeter ensemble dans le creuset pour ressortir remodelés, chacun différent et pas seulement celui que l'on pourrait croire concerné. Un des moyens serait que chacun accepte véritablement d'en passer par le ressenti. Se questionnant d'abord sur soi, chacun serait plus à même de faire un retour concerné. Moyen de s'échapper de la tentation de comprendre, de la tentation de fermer sur une évidence….

L'écriture ne pourrait-elle pas, aussi, se proposer comme un moyen de prise de recul avant de s'exprimer? Comme un moyen de dépasser les à-priori qui nous montent à la gorge avant même que nous les convoquions, le plus souvent….

Comment poser de l'intérieur un cadre de bienveillance et de non jugement sans faire fi du nécessaire discernement? A mon avis, le superviseur, dans son propre positionnement intérieur, joue un rôle prépondérant. Il me semble qu'il se doit, éthiquement, d'avoir une posture, si ce n'est d'acceptation inconditionnelle, à minima d'accueil. Entendez-moi bien, je ne parle pas de cautionnement, je ne parle pas de validation. Toute personne quelque elle soit (au sens d'être) doit bénéficier de notre accueil, notre compassion au sens le plus noble de ce terme, même si ses actes sont répréhensibles, inadmissibles…Sinon à quelle place nous érigeons-nous?

En même temps que j'écris cela j'éprouve le besoin de ré-affirmer qu'il est important de rester quelque part en dehors, autre. Je sais qu'il est important de ne pas "avoir une pensée molle", mais il est nécessaire que soient à bord les deux faces, voir les multiples faces de chaque réalité. Important aussi de se rappeler que sans acceptation de ce qui fait problème, nulle possibilité de changement ne peut advenir.

Et-il possible de trouver une position idéale (ce grand Autre) ? Non, sans doute, mais il est possible de la chercher toujours et de la re-questionner à chaque instant, à chaque supervision. Important d'éviter le piège, l'attraction de cette place du sujet qui sait, pour se laisser faire par la place du sujet qui doute. Savoir tenir la barre dans "la voie du milieu" comme disent les bouddhistes, même si parfois il nous faut faire des écarts pour mieux y revenir.

Les questions n'en finiraient pas et c'est bien ainsi.

Mais il faut "un moment pour conclure". C'est D. Sibony qui va m'y aider à son insu…Dans son beau livre : "Entre-deux – L'origine en partage", il parle sans cesse de cette tension à maintenir entre deux (deux lieux, deux personnes, deux identités, deux…), de cette origine qui doit être donnée pour être reprise afin de se maintenir toujours dans le mouvement, dans le cheminement. Vivre ses morts pour ne pas mourir sa vie. Il y a un adage qui dit quelque chose comme : " ce n'est pas la cible qui compte c'est le chemin pour y arriver". Ce qui a compté pour moi, c'est toute la réflexion qui s'est mise en route avec cette formation, tous les chemins que nous avons battus ensemble, toutes les idées qui nous sont venues et sont pour certaines déjà reparties , tout ce qui nous a porté vers de -venir autre, c'est le retournement que la rencontre de l'autre a opéré … Tout ce champ lexical du mouvement qui ramène à la notion de voyage. Que sommes-nous d'autres que de simples passants, passeurs…

En parlant de voyage, Sibony dit: "…le ressort du voyage étant le désir de se "refaire", de produire quelque chose d'autre que soi où l'on puisse se reconnaître, se méconnaître, à travers quoi on puisse fuir l'horreur de soi, apaiser sa soif d'autre, d'autre chose, et pourtant donner au soi une certaine consistance…Aller ailleurs s'assurer qu'il y a de l'ailleurs; se rappeler qu'on peut rêver de se renouveler; qu'on peut tenter d'être autre."

Ce deuxième temps se doit de rester un entre-deux, un pont, une vague sans rien de pontifiant, sans rien qui maintienne dans les profondeurs insondables des eaux troubles. A chacun de trouver sa façon de voyager dans la supervision, avec la supervision, par la supervision.

Epilogue

Je tiens à redire si ce n'avait pas été assez claire, et comme le rêve sus-cité le révèle, que j'ai le sentiment que nous avons ensemble, dans notre quête, notre recherche "partagé l'origine, sans renoncer aux transferts et aux déplacements".

Merci à Joseph, Catherine, Catherine, Marie-Agnès, Caroline, Marc, Alain, Rolande, Régine, Flora, Elisabeth, Renée et Béatrice.

BIBLIOGRAPHIE

C. ALLIONE : La part du rêve dans les institutions

D. ANZIEU : Le groupe et l'inconscient – éd. Dunod

D. ANZIEU : Fantasmatique de la formation analytique in Fantasme et formation - éd. Dunod

E. T. HALL : La dimension cachée – éd. Seuil – Points

S. FREUD : Le malaise dans la culture – P.U.F. – Quadrige

S. FREUD : Essai de psychanalyse

S. FREUD : Au delà du principe de plaisir

J. LACAN : Ecrits I - éd. Seuil - Essais

J. LACAN : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse - éd. Seuil – Essais

J. ROUZEL : Le transfert dans la relation éducative – éd. Dunod

D. SIBONY : L'entre-deux – l'origine en partage – éd. Seuil

D. W. WINNICOTT : Jeu et réalité / L'espace potentiel – éd. Gallimard – NRF

Catherine Jegou

L’ESPACE DE RÉGULATION , ENTRE INCLUSION / EXCLUSION

PLAN - POSSIBLE SÉPARATION ?

I - Introduction

II - Les vignettes cliniques

1 - Premier témoignage

2 - Second témoignage

3 - Troisième témoignage

4 - Synthèse

III - La séparation , et ses conditions

1 - Situations et définitions de la séparation

L’acception freudienne de la séparation

La structuration de l’espace - La division subjective de Lacan

Margaret Mahler - séparation et individuation

2 - La différenciation subjective et la séparation

La séparation délicate mais nécessaire

3 - La portance et l’identification

IV L’identification

1 - Séparation de l’objet et identification collective ou dans la masse

2 - De l’identification narcissique à l’identification de signifiant

V - Le cadre

1 - Le cadre n’est pas l’environnement

2 - Les présupposés du cadre

3 - La formation du cadre

VI - Du je au jeu

1 - Un tiers nécessaire

2 - Le transfert, sa manoeuvre, et le dé - jeu

VII - Conclusion

VIII - Bibliographie

Nous nous proposons dans ce travail de cerner et d’isoler, dans la mesure, du possible les diverses relations qu’entretiennent le lieu d’où se situe du régulateur avec celui du groupe, qu’il va rencontrer ; dans l’objet de délimiter un espace-cadre nécessaire à l’élaboration d’un travail de régulation.

Le point de départ de notre étude est la constatation de la délicate épreuve de l’extériorité, et de son maintient dans certains témoignages de professionnels aux commandes d’un groupe de régulation. Ces témoignages recueillis lors des instances cliniques en formation à la supervision d’équipes de travailleurs sociaux, semblent condenser les caractéristiques d’une séparation impossible. Elles viennent interroger l’opposition tranchée entre pure intériorité et pure extériorité, et la présence objective. Le dedans ne s’y réduit-il pas à une relation d’inclusion? Ou s’agit-il de l’expérience d’une contagion ?

Il s’agira donc pour nous, de mettre en évidence les coalition des espaces intérieurs/extérieurs, des lieux du dedans et du dehors. Nous nous demanderons comment passer de l’antinomie, de l’opposition de deux termes, supprimer le clivage d’origine, à ce qui fait lien ou jonction? C’est-à-dire passer du “l’un ou l’autre” à “l’un et l’autre”. Ainsi, nous tenterons de dégager leur délimitation/frontières, et d’identifier ce qui détermine une extériorité, une position tierce : ce qui l‘initie et la soutient.

Nous nous interrogerons également sur les fondements du cadre, ce qui nous amènera à envisager les concepts de séparation, ces différentes conceptualisations, du processus d’individuation à celui de différenciation; celui d’identification, de jeu et de scène. Dans un dernier temps nous pointerons l’interdépendance du transfert avec le maintient ou l’évanescence de l’extériorité.

Un centre de formation de travail social, une formatrice nous fait part d’une vignette clinique issue du groupe d’analyse des pratiques, qu’elle propose et soutient à des étudiants qu’elle accompagne par ailleurs en formation. De son témoignage je retiens l’étrangeté d’un étudiant, son altérité, extériorité qui ne peut être conçue que ravalée, rabattue à une question de culture. Dans ce cas, est extérieur celui qui n’est pas de ce lieu, même s’il y est inscrit, en tant qu’étudiant.

Appartenir à une équipe, y travailler rend-il délicat voire impossible un travail d’analyse des pratiques auprès de cette même équipe? Dès lors ne pas être situé dans le même espace métrique d’un groupe autorise t-il son accompagnement dans un travail de régulation?

2 - Second témoignage

Un cadre de service expose la situation d’une équipe qui se sent très mal acceptée par le reste de l’institution car elle n’est pas formée. Il s’agit de professionnels qui exercent auprès de personnes sans domicile fixe. Ils n’ont pas ce que d’autres ont, mais ne veulent pas de cet espace - là pour autant. Ces autres professionnels, formés, bénéficient d’un groupe de régulation, auquel cette première équipe aspire accéder à la condition de ne pas en faire partie, afin d’en constituer un autre différent qui leur soit propre. Elle rencontre pour la première fois un cadre de l’institution avec qui elle travaille, et à qui elle adresse sa demande de groupe de régulation. Après accord de la hiérarchie, le groupe est institué avec le cadre de service comme superviseur.

Ce qui convoque cette scène de la régulation, où doit se jouer la séparation, est le ressenti de dévalorisation, d’exclusion, comme si cette équipe, sous le poids institutionnel, se réduisait elle - même à sa différence et à sa déviance. Cette différence, cette déviance à la reconnaissance, à l’intégration, constitue cependant son identité.

Dans quelle mesure la constitution même de ce groupe de régulation, différent et spécifique, à cette équipe ; l’accès à la demande de cette équipe “en mal avec son exclusion institutionnelle”, ne la maintient-elle pas pour autant et toujours exclue des “brillants et formés” qui en bénéficient déjà? Qu’est-il fait de la plainte, de son mal d’intégration, de reconnaissance? Dans quelle mesure le symptôme que travaille cette équipe, l’exclusion, et dont elle est l’objet sur le plan institutionnel, ne se redouble- t-il pas dans la création de ce nouveau groupe?

3 - Troisième témoignage

Une éducatrice rencontre, afin de mettre en place un espace de régulation, une équipe composée de deux binômes (psychologue et éducateur), et d’un boxeur ; qui accompagne et reçoit des hommes, auteurs de violences conjugales, sous suggestion des services de justice. Elle se rend, après 2h00 de route, à la découverte de cette équipe. Elle nous précise que les femmes victimes sont reçues à l’étage au dessus de la salle où elle s’installe avec l’équipe. Pensant être attendue à une place qu’elle désigne dans la configuration de la salle, elle fait le pas de côté, et décide de s’installer aux côtés du boxeur professionnel, car “à cette place” elle pense “en entendre quelque chose”. Sur le plan topographique (s’installer là où on l’attend pas, après 2h00 de temps), la distance était effective. Dès lors comment peut-elle s’installer auprès de celui qui donne des coups, introduire, voir incarner le symptôme ou du moins les conséquences du symptômes que traite cette équipe?

4 - Synthèse

En constatant, ces trois modes de réponses apportés par l’espace de régulation, nous sommes amenés à nous poser plusieurs questions. Ces deux lieux (dehors/dedans), sont-ils confondus l’un à l’autre? Cela voudrait-il dire que l’espace subjectif, que le cadre de la régulation est censé être sollicité ne peut advenir? Est - ce par identification, si ces deux derniers groupes sont marqués par le collage au symptôme?

Formant un couple d’opposés sémantiques, les deux termes (dehors/dedans) se redoublent d’une opposition intrinsèque à chacun d’eux. Cependant nous avons pu retrouver la coïncidence de ces contraires dans les vignettes rapportées plus haut. Or quand ces contraires en viennent à coïncider c’est le lien entre eux qui se rompt. A la distance infinie ou à la proximité absolue d’un être qui est positivité pure, Merleau - Ponty oppose un être non clos sur lui - même, un Être en déhiscence par rapport auquel ni survol ni fusion ne sont possibles(1) .

(1) MERLEAU - PONTY M., Le visible et l’invisible, Gallimard, Paris, 1964, p.168 -69

III - La séparation, et ses conditions

1 - Situations et définitions de la séparation

Le terme de séparation appartient au langage courant. Il concerne l’écart établi entre un sujet et les personnes qu’il a investies et s’applique autant à certains âge de la vie (l’enfance, l’adolescence) qu’aux exils, aux ruptures affectives et amoureuses. Selon le Littré, le terme désigne à la fois l’action consistant à quitter ou à s’éloigner, le résultat de cette action (désunion), l’obstacle qui fait séparation (cloison, limite), et l’action consistant à ranger, trier, à classer. Tantôt insurmontable, ou trop facilement acceptée ; à la polysémie des situations de séparation répond celle du concept ; depuis les séparations affectives et historiques, supposant un éloignement physique, au processus psychique structurant le dégagement et la distance à l’objet.

D’une expérience, d’un phénomène au processus interne, ce qu’on entend par séparation est loin d’être univoque. “Le terme, de surcroît, recouvre deux acceptions rigoureusement opposées : d’un côté on entend les idées de coupure, de dissociation, de l’autre celles de différenciation, de distinction. C’est-à-dire des valeurs qualitativement contraires” (2).

Ces séparations s’articulent elles? De qui, de quoi se sépare-t-on?

L’acception freudienne de la séparation

La séparation apparaît en 1916 dans la Conférence d’introduction à la psychanalyse consacrée à l’angoisse. Freud écrit, à propos de la naissance : “Nous reconnaîtrons comme riche de corrélations possibles le fait que le premier état d’angoisse soit issu de la séparation d’avec la mère” (3). En 1926, Inhibition, symptôme et angoisse introduit l’angoisse de séparation, liée à l’état de détresse de l’enfant en l’absence de la mère et devant le danger de perte d’amour. “L’angoisse apparaît ici comme réaction à l’absence ressentie de l’objet, et les analogies s’imposent tant avec l’angoisse de castration, qui a aussi pour contenu la séparation d’un objet tenu en haute estime, qu’avec l’angoisse la plus originaire (de la naissance) qui est survenue lors de la séparation de la mère” (4)

L’analyse freudienne du jeu de la bobine, montre la nécessité et le gain d’une séparation supportable. Le déplaisant devient alors source de plaisir par la voie du souvenir et d ‘élaboration psychique?

La possibilité de la séparation suppose-t-elle un nouvel objet externe, ou est- ce le travail de séparation qui permet l’investissement d’un nouvel objet ?

(2) DE M’UZAN Michel, Séparation et identité, in revue Française de Psychanalyse, Tome LXV, 2001, P.U.F., p.355.

(3) FREUD S., Conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 1999, p.502.

(4) FREUD S., Inhibition, symptôme et angoisse, P.U.F., Paris, 1973.

La structuration de l'espace – La division subjective de Lacan

Freud avait bien articulé cette interactivité entre le dehors, la réalité matérielle extérieure avec son apport biologique indispensable, et le dedans. C’est l’expérience de satisfaction procurée par l’objet extérieur qui permet l’apparition du travail psychique interne ; né en manque d’objet, le nourrisson est seul incapable de trouver l’objet dont il a besoin . Ce sera de ce “manque à être” originaire, que selon J.Guillaumin, naîtra un représentant - représentation de l’absence de l’objet d’où s’originera pour la vie l’inépuisable “manque à avoir” du sujet : “La perte en somme est au commencement, et l’objet n’y manque au-dehors, dans l’absence, le deuil, ect., que d’y avoir déjà, d’emblée, manqué en dedans constitutionnellement. Cela l’être humain en général, et dès les origines” (5). Donc aux origines de l’individu gît sa séparation d’avec son objet du besoin.

Or dans Inhibition, symptôme, et angoisse, Freud réfute par deux fois la continuité de l’expérience de séparation affirmée par O.Rank entre l’angoisse de la naissance d’une part, et d’autre part, les angoisses ultérieures de séparation d’avec les objets partiels sein, fèces, pénis qui, en tant que précurseurs de la castration, symbolisent eux cette continuité de l’expérience de séparation (6). L’origine de l’angoisse à la naissance n’est pas dans la séparation physique d’avec la mère, mais dans l’implant dans l’inconscient d’une réalité déjà perdue. Dans Inhibition, symptôme, angoisse, Freud montre qu’il existe bien une expérience subjectivement vécue de la séparation à la naissance, mais que c’est par la mère, qui se séparant d’un objet subit une castration selon l’équivalent symbolique pénis, enfant (7) .

Cette division (Spaltung) originaire du sujet sera dégagée par J. Lacan dans son article “Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Jeu” (8). Pour lui, la double inscription fondée sur la séparation topique et fonctionnelle des deux systèmes conscient et inconscient définie par Freud dans Le refoulement (9) est valable dès l’origine, tout recouvrement de l’un par l’autre étant exclu. Par ailleurs Lacan lie la Spaltung à la fonction du manque: “Cette opération nous l’appellerons : séparation. Nous y reconnaîtrons ce que Freud appelle Ichspaltung ou refente du sujet, et saisirons pourquoi, dans le texte où Freud l’introduit, il la fonde dans une refente non du sujet, mais de l’objet ....”Cette fonction ici se modifie d’une part prise du manque au manque, par quoi le sujet vient à retrouver dans le désir de l’Autre son équivalent à ce qu’il est comme sujet de l’inconscient. Par cette voie le sujet réalise dans la perte où il a surgi comme inconscient, par le manque qu’il produit dans l’Autre.... Separere, séparer, ici se termine en se parer, s’engendrer soi-même. ... C’est de sa partition que le sujet procède à sa parturition. Et ceci n’implique pas la métaphore grotesque qu’il se mette au monde à nouveau... Parere, c’est d’abord procurer (un enfant au mari). C’est pourquoi le sujet peut ici se procurer ce qui ici le concerne, un état que nous qualifierons de civil” (10).

“La séparation originaire interne pour nous constituer doit plus que de trouver chez l’Autre la résonance de sa propre subjectivation, doit être porteuse d’un ailleurs qui ne soit pas un simple écho l’accouplant avec notre Autre interne, faute de quoi l’accolement, par un renversement dans son contraire, nous fera suffoquer d’angoisse de séparation, apparemment d’avec l’objet externe, alors que c’est l’élaboration de la séparation d’avec notre Autre interne qui est ainsi restée en suspens.”(11)

(5) GUILLAUMIN J., « L’objet de la perte dans la pensée de Freud », in Revue française de psychanalyse , 1989,n°53,p.297 - 393.

(6) FREUD S., (1917) Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l’érotisme anal, in OCP XV , Paris P.U.F., 1996., p.53.

(7) FREUD S., Inhibition, symptôme et angoisse, P.U.F., Paris, 1965,p.247.

(8) LACAN J., Le stade du miroir, in Ecrits , Le Seuil, Paris, 1966, p. 93-100.

(9) FREUD S., Le refoulement, in Métapsychologie, OCP XIII , P.U.F., Paris, p.187.

(10) LACAN J., Position de l’inconscient, in Écrits , Le Seuil, Paris, 1966, p.842 - 843.

(11) FRAPPIER J., La séparation, un concept analytique, in Revue française de psychanalyse , Tome LXV, P.U.F., Paris, 2001, p. 368 7

Séparation et individuation - Margaret Mahler

M. Mahler nomme la naissance psychologique de processus de séparation-individuation. Il est constitué par l’acquisition du sentiment d'être séparé et en relation, qui s’accomplit entre les 4 - 5ème mois et les 30 - 36ème mois de la vie de l’enfant. Si les étapes décisives de la séparation-individuation se jouent durant la première enfance, ce conflit est réveillé tout au long de l’existence, réactivant la perception angoissante d’être séparé et mettant à l’épreuve le sentiment d’identité.

Le processus normal de séparation - individuation implique pour l’enfant l’acquisition d’un fonctionnement autonome en présence de la mère et de la disponibilité émotionnelle de celle-ci. Dans des conditions favorables, l’enfant peut ainsi se confronter aux menaces minimales de pertes d’objet inhérentes à chaque étape du processus de maturation et parvient peu à peu au plaisir d’un véritable fonctionnement autonome.

Elle distingue séparation et individuation, processus complémentaires, renvoyant non seulement à des moments de développement différents mais à des niveaux d’intégration et à des types différents d’attachement, permettant à l’enfant de se séparer de l’objet et d’acquérir ses propres représentations.

Séparation et individuation sont deux développements complémentaires mais non identiques: la séparation concerne l’émergence de l’enfant hors de la fusion avec la mère, tandis que l’individuation concerne le développement du sentiment de l‘identité personnelle avec ses caractéristiques propres.

M. Mahler précise que le terme de “séparation” ou “sentiment d'être séparé” se réfère pour elle à la réalisation intrapsychique d’un sentiment d’être séparé d’un objet réel. Le développement de la conscience de la séparation entraîne la différenciation, la distanciation, la formation des limites et le détachement de la mère.

La notion de “séparation - individuation” introduite par les travaux de M. Mahler a beaucoup enrichi la connaissance de ces processus précoces et a eu un large écho, mais l’usage du concept de séparation en ce qui concerne la phase de différenciation moi - objet entraîne des confusions. Selon elle, le terme de séparation, tel qu’elle l’utilise se réfère exclusivement à un processus intrapsychique, et non à une séparation réelle.

Hanna Segal remarque que la langue anglaise permet de distinguer séparation de separatness, séparation signifiant qu’une personne en quitte une autre, tandis que separatness se réfère au processus de différenciation moi - objet. Cette distinction ne peut être faite en français, l’usage de deux termes distincts doit donc être préféré.

2 - La différenciation subjective et la séparation

Dans son ouvrage La solitude apprivoisée (12), J-M. Quinodoz distingue le processus de séparation du processus de différenciation. Il établi deux significations bien différentes à se séparer, selon le niveau où la séparation peut être vécue ; dans le cadre d’une relation où l’une des personnes quitte l‘autre, avec les réactions affectives spécifiques qui l’accompagne, ou bien la séparation vécue comme une perte d’une partie du moi entraînée par le sentiment d’avoir perdu l’objet. Il poursuit, pour exprimer ce processus dans lequel le moi, au cours du développement infantile, tend à devenir distinct de l’objet, nous devrions à son avis parler de se différencier ou de différenciation.

Le terme de se séparer ou de séparation serait celui du contexte d’une séparation vécue où l’une des personnes reconnaît la présence de l’autre investie ; et le terme de différencier ou de différenciation cernerait le processus précoce de discrimination moi - objet.

La séparation délicate mais nécessaire

Si l’on peut distinguer en théorie ces processus en les opposant pour des raisons didactiques, et si l’on peut considérer qu’ils se déroulent par étapes successives, il n’en reste pas moins que leur élaboration se fait conjointement, qu’ils sont étroitement liés et difficiles à démêler. Il est indispensable que le processus de différenciation soit installé pour que se produise le processus de séparation.

Condition même de la pensée et de la création, l’écart, la distance sont aussi conditions de la vision. La représentation suppose une séparation qui l’organise. Qu’est - ce qui permet son élection, son apparition dans les processus de compréhension eux -mêmes? Quelle dialectique est à l’oeuvre entre écart et collage ? entre distance et empathie dans l’écoute ?

3 - La portance et l’identification

C’est à travers le relâchement des défenses contre la séparation et la perte d’objet que l’identification est rendue possible. Comme l’écrit J-M. Quinodoz,

“La portance est la synthèse et l’aboutissement de processus complexes d’intégration, qui ont concouru à créer un espace psychique temporo-spatial de relation, espace de nature fondamentalement différente de l’espace où règne l’angoisse de séparation. C’est la création de cet espace radicalement différent qui permet à la portance d’apparaître. .

(12) QUINODOZ J.- M., La solitude apprivoisée, P.U.F., Paris

Il distingue par la suite deux natures pulsionnelles, celles qui dominent au niveau de l’angoisse de séparation, qui entraînent un collage à l’absence et la présence de l’autre; alors que celles qui prévalent au niveau de la portance rendent possible le décollage de la relation transférentielle et de vivre la rencontre dans un autre espace.

En physique la portance est une force qui s’exerce perpendiculairement à la direction de la vitesse et qui permet à une masse d’être soutenue. J-M. Quinodoz compare ce mouvement à la sensation que connaît l’enfant qui lâche la main pour marcher seul. Il utilise ce terme pour souligner l’acquisition d’une stabilité propre par rapport à l’objet.

En définissant la portance en terme dynamiques plutôt que statiques, J-M. Quinodoz souligne la capacité du moi de se soutenir lui-même indépendamment de l’objet, et l’aspect structural qui marquerait la capacité du moi de tolérer l’angoisse de séparation sans se cliver. Le concept de portance ne se situe pas dans une relation dyadique, en cela il se différencie des concepts proches de holding de D.W. Winnicott. La portance selon J-M. Quinodoz fonctionne dans un contexte de relation à trois ou triangulaire.

Ce concept s’inscrit dans un rapport à l’espace et au temps. Cet espace n’est pas l’espace réel, mais celui symbolisé, qui fait l’objet d’une représentation intériorisée. Il compare cet espace à celui de la quadri - dimensionnalité de l’espace psychique décrit par D. Meltzer (1975), qui apparaît dans le psychisme après les stades de bi - dimensionnalité, liée à l’identification projective qui a besoin de concevoir un dedans de l’objet pour y pénétrer. La quadri - dimensionnalité soutenue par

M. Tomassini (1989) a fait remarquer que le terme de portance, qui vient du latin portare, a deux acceptions. C’est d’abord un terme propre à la technique de construction qui indique la capacité maximale pour une structure (voûte, fondation) de supporter une charge. dans sa seconde acception, la portance correspond à la force verticale sustentatrice propre à l’aérodynamique et à l’hydrodynamique.

Meltzer, permet à J-M. Quinodoz, d’y originer un type d’identification, qu’il rassemble sous le terme d’identification projective. Dans ce mode d’identification, le sujet laisse libre l’objet dans le temps en reconnaissant la différence des générations, et le laisse libre d’aller et venir dans l’espace, car il renonce à le posséder et à faire un avec lui. Dans un contexte de situation oedipienne, le sujet peut alors devenir lui-même et considère l’objet tel qu’il est.

Hanna Segal a montré comment le symbole sert à surmonter une perte acceptée, tandis que l’équation symbolique est utilisée pour déniée la séparation entre le sujet et l’objet. Selon elle, le processus de symbolisation requiert une relation à trois termes - le moi, l’objet et le symbole. Au début du développement, le concept d’absence existe à peine et il en résulte la formation d’équation symbolique, qui désigne les symboles précoces de nature très différente des symboles qui se forment ultérieurement. Les symboles précoces étant l’objet lui-même. Dans les troubles de la différenciation entre le sujet et l’objet. Les symboles sont ressentis de manière concrète et sont inutilisables pour communiquer.

Aristote dans la Poétique pointe qu’imiter est en effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux hommes... et qu’ils commencent à apprendre à travers l’imitation (13). Mais dans ce processus, la communication s’introduit et avec elle l’enfant fait usage des symboles (14), ceux - ci portant en eux la référence à quelque chose qu’ils représentent par déplacement. C’est par le déplacement et aussi par la condensation que le processus en cause, celui de l’identification se manifeste.

La fonction du symbole rendue possible par l’identification étant posée, qu’en est-il de ce processus? Que vient - il recouvrir?

IV - L’identification :

1 - Séparation de l’objet et identification collective ou dans la masse

L’étude de l’identification concerne le problème de l’identité personnelle et sa relation à autrui. Le sujet s’identifie à un objet qui a été choisi et dont il doit se séparer. “L’identification est l’assimilation d’un Moi à un Moi étranger, par la suite duquel, le Moi se conduit à certains égards comme l’autre, l’imitant en quelque sorte, l’accueillant en soi. C’est une opération par laquelle le sujet se constitue, la personnalité se forme, se transforme et se différencie en faisant sien des traits, des aspects, des propriétés prises sur le modèle de l’autre”(15). Freud nomme ce type d’identification: identification secondaire ou régressive; identification régressive au sens ou elle est liée à un abandon de l’objet aimé. De sa perte se produit un état régressif d’où surgit l’identification avec quelque chose source d’admiration. Dans cette identification le moi copie un trait partiel, unique de la personne objectalisée, qui est comme l’erzatz.

Il y distingue une troisième forme, qui s’établit en l’absence de tout investissement sexuel de l’autre (16), notamment dans le cadre des groupes entre chaque membre et le meneur de la masse.

(13) ARISTOTE. Poétique, ch. IV, Seuil, Paris, 1980, p.43

(14) FREUD, La naissance de la psychanalyse, p. 361. Freud se demande “ Dans quelles conditions

Y-a-t’il formation pathologique d’un symbole comme celui-là (ou d’autre part) d’un refoulement? ”Peu avant il dit que “le phénomène pathologique est un processus de déplacement”. Pour le cas de Hans Freud démontre l’utilisation du symbole par déplacement aussi bien que le nombre de significations symboliques que possèdent les rats dans le cas de l’homme aux rats. In S. Freud “Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle” in Cinq psychanalyse.p.238

(15) FREUD S., Psychopathologie collective et analyse du moi, p.146

(16) FREUD S., Psychopathologie collective et analyse du moi, p.45

Il existe alors une identification réciproque des individus, les uns avec les autres. Le leader se substitue à l’idéal du moi des membres du groupe ou de la communauté. Différente de l’identification primaire et de celle comme substitut de choix d’objet, cette identification vient enrichir une instance de la personnalité (moi, surmoi, idéal du moi), l’identification dans le groupe est mise à la place d’une instance. Dans l’armée, le soldat prend en idéal son supérieur. Il s’identifie avec ses semblables et fait découler de cette communauté des Moi, les obligations propres à la camaraderie, à l’assistance mutuelle et aux partages des liens.

Dans un premier temps, le sujet choisit un objet qu’il va investir au niveau affectif, dans un deuxième temps il s’en sépare. L’identification à l’objet perdu est une manière de se séparer de cet objet en ramenant à l’intérieur de soi l’amour qui lui était destiné, et en modifiant une partie de son être sur ce modèle. Le Moi est donc formé par précipité de tous les objets, qui à un moment de la vie, ont été investis. Le Moi intériorise une qualité, un trait de cet objet, ou de la relation qu’il avait avec lui. Il ne s’agit pas évidemment d’un choix délibéré, mais plus souvent de ce qui a été marquant ou caractéristique dans la relation à l’autre. Plus le moi est jeune et en cours de formation, plus l’impact qu’aura l’objet et l’identification qui va en suivre sera puissante, et influencera sa constitution. Les identifications passées seront souvent responsables de la reproduction des mêmes schémas, car c’est en eux que le sujet se reconnaît. On pourrait résumer ce concept par une phrase de Saint Augustin dans De Trinitate “la force de l’amour est telle, que les objets en lesquels l’âme s’est longtemps complue par la pensée et auxquels elle est devenue inhérente par la glu du souci, elle les traîne encore avec elle-même lorsqu’elle rentre en soi en quelque façon pour se penser ; ces corps, elle les a aimés à l’extérieur d’elle - même par l’intermédiaire des sens, elle s’est mêlée à eux par une sorte de longue familiarité ; mais comme elle ne peut les emporter à l’intérieur d’elle - même, en ce qui est comme le domaine de la nature spirituelle, elle roule en elle leurs images et entraîne ces images faites d’elle - même en elle - même”.

2 - De l’identification narcissique à l’identification de signifiant

Repris par J. Lacan dès le début de sa réflexion, dans sa thèse concernant le stade du miroir (17), le concept d’identification alors ramené à” l’assomption de l’image spéculaire conçue comme fondatrice de l’instance du moi” (18); c’est avec le séminaire qui lui est entièrement consacré en 1961-62 que l’identification y est envisagée comme “identification de signifiant”, en opposition à l’identification narcissique. Ce qui a lieu en fait, c’est que le sujet va s’identifier par le signifiant qui lui vient par la parole de l’Autre.

(17) LACAN J., Le Stade du miroir, in Ecrits , éd. Le Seuil, Paris, 1966

(18) CHEMAMA R., Vocabulaire de la Psychanalyse , éd. Larousse, Paris, 1995, P.136

La dimension symbolique qu’est l’idéal du moi va structurer la perception et ainsi apporter régulation et résolution à la relation imaginaire car la nomination fait subsister les objets dans une certaine consistance.”Dans une certaine réflexion qui est faite avec l’aide des mots dans le premier apprentissage du langage, le sujet apprend à régler quelque part, à la bonne distance, les insignes où il s’identifie, à savoir quelque chose qui donne de l’autre côté, qui lui correspond dans ces premières identifications du

moi “(19)

A travers cette trace, l'être humain va faire usage de tout le monde des symboles qui est là à sa disposition car “la symbolique est là avant les motifs de leur utilisation” (20).

Se séparer par identification, via le symbole? Par introjection? Se séparer, ne plus être ensemble dans l’espace ou dans le temps, le temps du passé face au présent, ou même le temps de deux présents qui ne coïncident pas ? Comment ne plus être ensemble en étant à côté?

Si cette place extérieure s’oppose bien celle intérieure, elle ne se réduit pas pour autant à une position extérieure du sujet, mais au contraire à une position de non-inclusion. Les structures, les limites ne sont pas déjà toutes faites, elles n’existent pas sans nous, et requièrent notre participation.

L’objet n’est pas tant de comprendre ce qui délimite l’extérieur de l’intérieur, leur clivage, que ce que Merleau-Ponty nomme la ségrégation du “dedans” et du “dehors, laquelle n’est “jamais chose faite”. Le dedans ne se réduit pas à une relation d’inclusion mais à l’expérience d’une contagion.

Cela étant posé, la difficulté à considérer l’extérieur et l’intérieur, le dedans et le dehors comme des vécus strictement hétérogènes ou encore réductibles l’un à l’autre, nous amène à envisager le débat sous une autre perspective, celle de la délimitation.

(19) LACAN J., Leçon du 7 janvier 1959, in Le Désir et son interprétation , éd. Association Freudienne Internationale, Paris, 2000, p. 147

(20) FREUD S., L’esquisse, in Résultats idées problèmes, P.U.F., Paris, p.108

V - Le cadre :

1 - Le cadre n’est pas l’environnement

Fournir à un groupe, à une équipe un environnement où il peut s’adonner à une expérience complète, y compris dans le collage à son symptôme, lui - même emprunt de répétition, c’est permettre de créer ou de découvrir et de suivre ses propres lignes. C’est ce qui distingue fondamentalement la notion de l’environnement, de celle de cadre. Car le cadre se caractérise justement d’imposer des limites, des lignes à ne pas franchir. S’agit-il de délimitation topographique?

Freud n’a jamais utilisé la notion de cadre, travaillant de préférence avec celle de scène, et plus précisément de scènes psychiques.

2 - Les présupposés du cadre

Ce qui supporte cette notion de cadre, ce sont ses conditions de possibilités. Ce qui sous-entend, qu’il serait possible de pré - installer le cadre d’une régulation, ou le favoriser. Le cadre est une formation seconde ap-portée de l’extérieur ; elle est donc une représentation substitutive, prédéfinie (le plus souvent par d’autres, par exemple un tiers institutionnel du coup inclus dans le groupe). Nous ne sommes pas dans un cas de figure où l’espace de travail relève d’une création commune se constituant peu à peu au fil des séances. Ni d’une lente instauration du processus, à l’instar de la scène de jeu, mais peut être bien dans la croyance en une technique a priori. Le cadre est- il im-posé par le régulateur au groupe, sous forme de règle à laquelle il doit se soumettre?

Nous sommes loin d’une position où la régulation serait à réinventer avec chaque groupe, ni pour autant dans un cadre imposé dans lequel le groupe doit s’inscrire, mais dans un jeu de scènes psychiques, avec le temps requis afin qu’un contact s’établisse entre elles.

3 - La formation du cadre

Le cadre, comme le symptôme, s’offrent comme formation de compromis: le pulsionnel pourra se manifester à l’intérieur de digues “pas de ça entre nous”,... sous couvert de règles du cadre et non de celui qui cadre. Le cadre devient une limite, il limite ma réception et mon excitabilité. Au risque, tel Ulysse, pour entendre sans trouble le chant des sirènes et les contempler, de s’enchaîner au mât de son cadre, sa théorie, sa technique, se ligoter et se boucher les oreilles. Surdité psychique.

L’idéal serait donc un cadre désymptômatisé, qui ferait fonction de contenant non-clos pour le groupes et le régulateur. En ce sens il deviendrait, non plus une digue, mais un lieu, une scène, un espace d’accueil sur le mode de l’espace de jeu.

Le cadre, lorsqu’il n’est pas analysé par celui qui le convoque, l’initie, est la répétition, la reproduction, c’est-à-dire le transfert de son vécu du cadre. Qu’en est-il alors de la possibilité voire de la nécessité d’un tiers inclus dans le groupe ?

Cela réclame de ne pas s’identifier à son moi régulateur, se refuser comme objet de satisfaction pour le groupe, ce qui colmate et assourdit ce qui vient au travail. Mais ce refus réclame un préliminaire pour celui qui initie la régulation : se défaire de son orthopédie interne, c’est-à-dire de ce qui vient faire cadre ou digue, afin de tenter de faire lieu pour le libre jeu des scènes psychiques.

VI - Du je au jeu :

Le jeu de la régulation ne pourra pas dès lors être conçu comme une adhésion, identification à la demande, mais plutôt comme la mise en place d’un lieu, où des processus peuvent se mettre en place, où une extériorité peut émaner depuis l’intérieur, le dedans du groupe. Reste à définir dans quelles ou à quelles conditions, car si le groupe est dans un cas particulier, le régulateur l’est aussi. Plus que le groupe, le régulateur se trouve dans une situation de transfert, face à une équipe. La topique du régulateur organise l’espace de la séance. Le mouvement par lequel le sujet sort de soi, de chez soi, à la rencontre d’une équipe, et rentre en soi, dans son élaboration propre, est l’objet de la philosophie. “La vraie philosophie = saisir ce qui fait que le sortir de soi est rentré en soi et inversement. Saisir ce chiasme, ce retournement, c’est là l’esprit”; selon Merleau-Ponty; fait-elle du régulateur un philosophe ?

1 - Un tiers nécessaire

De même, si d’un côté le modèle freudien est un descriptif dualiste, les issues indiquées sont du côté d’une tiercéité: achever la constitution topique en dépassant les conflits binaires des instances, ou traverser l’oedipe, c’est-à-dire passer d’un monde duel à un monde au monde tiers. C’est en effet à partir de son propre corps que l’on commence par s’orienter dans l’espace, c’est à partir de projections issues du propre moi que le monde se structure.

On trouve une idée tout à fait similaire dans “Les étapes du développement du sens de la réalité”, où Ferenczi décrit la naissance du moi et la distinction entre monde intérieur et monde extérieur. La naissance du moi est corrélative à celle de la réalité extérieure.”Il n’y a pas d’homme intérieur, l’homme est au monde, c’est dans le monde qu’il se connaît” écrivait Merleau-Ponty dans son avant propos à la Phénoménologie de la perception.

Un ne peut exister que si un autre existe, avoir un suppose deux, sinon un n’est pas. Ne pas considérer le Tiers serait nier la causalité psychique, celle qui fait que nous ne nous réduisons pas à ce que nous sommes ; ce serait ne voir la société que comme une somme d’individus, qui s’ajouterait et se retrancherait. .

Ainsi, ce tiers est une condition de l’institution du sujet.

Sachant que la référence imaginaire de l’être humain est centrée sur l’image du semblable, si les objets n’avaient plus qu’un rapport narcissique avec le sujet, ils ne seraient perçus que de façon instantanée. Comme dit Lacan “on aurait tort de croire que le grand Autre du discours puisse être absent d’aucune distance prise par le sujet dans sa relation à l’autre” (21).

Toutefois, la nomination ne cerne pas pour autant le réel quand elle nomme l’objet. Dès qu’un objet est nommé, il laisse un reste qui est de l’ordre de l’innommable. L’objet est de l’ordre du réel est par définition perdu à partir du moment où le sujet parle.

2 - Le transfert, sa manoeuvre, et le dé - jeu

Dès lors, et d’une autre manière, comme le soulève Fédida dans Modalités de la communication dans le transfert et moments critiques du contre-transfert (22), comment lorsque le transfert implique le régulateur comme destinataire de la parole, celle - ci ne perde pas son ambiguïté et reste dans l’équivoque de l’intention masquée? Cette ambiguïté repose-t-elle simplement sur la double face consciente/inconsciente de la représentation? Ou s’appuie-t- elle également sur la négation de la relation à l’objet qui utilise le transfert pour s’adresser à l’objet, et sur laquelle il faudra jouer/déjouer? Le régulateur prend le groupe en acceptant d’être le destinataire de la parole tout en déjouant, à chaque occasion possible, cette intentionnalité. Pour René Char, Le poète ne dit pas la vérité, il la vit et la vivant il devient mensonger. Paradoxe des Muses, justesse du poème.

Le régulateur, un poète?

(21) LACAN J; Remarques sur le rapport de Daniel Lagache, in Écrits, Le Seuil, Paris, 1966, p.678.

(22) FÉDIDA, Modalités de la communication dans le transfert et moments critiques du contre-transfert, in communication représentation, P.U.F., Paris, 1986

VII – Conclusion :

L’espace de la régulation n’est pas un espace homogène, tel que l’espace euclidien. Il est anisotrope, et non-homogène. Dans le cadre compris non plus comme un enclos mais comme un environnement ouvert, l’espace n’est pas une entité indépendante mais se trouve en liaison étroite avec les pulsions, les actions. “Ce qui est donné à l’intérieur l’est aussi à l’extérieur, et vice versa, le phénomène ne révèle rien qui ne soit dans l’essence, et il n’y a rien dans l’essence qui ne soit manifesté” (23). Aucun dedans n’est concevable sans la complicité d’un dehors, aucune séparation de l’autre sans lien à lui. On ne parvient à connaître un objet dans la mesure où l’on a réussi à se différencier de lui, et l’on ne peut vraiment s’en séparer que lorsque que nous l’avons véritablement rencontré.

Toutefois de cette rencontre doit naître une nécessaire extériorité, entre la perte et l’instauration de la distance (physique/psychique), entre la manifestation du familier et de l’étrange, au milieu de cet empiétement doit être soutenu une distinction. Quel est donc cet indéterminé ?

De même qu’un travail de régulation naît de la demande d’une équipe, elle - même inscrite dans une institution avec des sujets, notre démarche de régulateur se soutient d’un désir à son encontre. Quel est donc le transfert qui nous y convoque, quel est celui qui nous conduit à y être convoqué? Et quelle est sa manoeuvre afin de rendre possible la mise au travail et le pas de côté? Se réduit-elle à une non - appartenance territorio-institutionnelle? Se soutient-elle que d’une identification secondaire au processus intra - psychique de séparation / individuation? Ou a t-elle davantage avoir avec la fonction de l’objet a, en tant que cause du désir?

Si oui cette opération de l’objet a se réduit-elle à une non appartenance territorito-institutionnelle?

(23) Hegel, Encyclopédie, §139, Gallimard, Paris, p.176

VIII - BIBLIOGRAPHIE

ARISTOTE, Poétique , éd. Seuil, Paris ,1980.

GUILLAUMIN J., L’objet de la perte dans la pensée de Freud, in Revue française de psychanalyse , 1989, n°53

CHEMAMA R., Vocabulaire de la Psychanalyse , éd. Larousse, Paris, 1995.

DE M’UZAN Michel, Séparation et identité, in Revue Française de Psychanalyse ,Tome LXV , P.U.F, Paris, 2001.

FÉDIDA, Modalités de la communication dans le transfert et moments critiques du contre-transfert, in Communication représentation , P.U.F., Paris, 1986.

FRAPPIER J., La séparation, un concept analytique, in Revue française de psychanalyse , Tome LXV, P.U.F., Paris, 2001

FREUD S., Psychopathologie collective et analyse du moi .

FREUD S., Le refoulement, in Métapsychologie, in OCP XIII , P.U.F., Paris.

FREUD S., (1917) Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l’érotisme anal, in OCP XV , Paris P.U.F., 1996.

FREUD S., Conférences d’introduction à la psychanalyse , éd. Gallimard, Paris, 1999.

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LACAN J., Le stade du miroir, in Ecrits , éd. Le Seuil, Paris,1966.

LACAN J., leçon du 7 janvier 1959, in Le désir et son interprétation , éd. de L’Association Freudienne Internationale, Paris, 2000.

LACAN J., Position de l’inconscient, in Écrits , éd. Le Seuil, Paris, 1966.

LACAN J., Remarques sur le rapport de Daniel Lagache, in Écrits , éd. Le Seuil, Paris,1966.

MERLEAU - PONTY M., Le visible et l’invisible , éd. Gallimard, Paris, 1964.

QUINODOZ J.- M., La solitude apprivoisée , P.U.F., Paris.

1 CIFALI Mireille, Article, Transmission de l’expérience, entre parole et écriture, Education permanente n°127, 1996, p 199.

2 Les prénoms respectent l’anonymat des personnes

3 Définition du grand Larousse

4 KRISTEVA Julia, Le langage cet inconnu, Ed. du SEUIL, page19.

5 Ibid

6 L. LAMBRICHS Louise, Journal d’Hannah, p.140

7 HERFRAY Charlotte, La psychanalyse hors les murs , Desclée de Brouwer, 1993, p.220

8 Définitions du Robert..

9 OURY Jean, DEPUSSE Marie, A quelle heure passe le train…, Calmann-Lévy, 2003, page 127

10 Ibid

11 Ibid

12 Opus Cit. KRISTEVA Julia, p.13

13 Ibid.

14 Ibid.

15 LACAN Jacques, Ecrits I, Editions du Seuil, 1966, p. 123

16 "Les enjeux de la supervision dans le travail social", conférence de J. Rouzel – février 2004 - Bruxelles

17 Cette citation est, je crois, de Geneviève Latreille

18 Freud "au-delà du principe de plaisir"

19 ibid.

20 Freud – Essai de psychanalyse - Payot

21 J. Rouzel

22 Lacan

23 Lacan – "les 4 concepts fondamentaux de la psychanalyse"

24 D. Sibony – Entre-deux – l'origine en partage-

25 Freud – Inhibition, symptôme et angoisse"dans "Psychanalyse – textes choisis".

26 L. grimaud - Réflexion sur l'analyse de pratiques institutionnelles – 05.01.2006 - Internet – site Asie

27 J. Rouzel – Le transfert dans la pratique éducative

28 Ibid.;

29 2) E. Hall – La dimension cachée

30 1) Lacan – Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse"

32 1) Lacan : ibid

(2) Idem

33 1) Lacan - Ecrits I

34 2) Freud – Malaise dans la culture

(3) ibid.

35 1) D. Anzieu – Le groupe et l'inconscient.

36 1) Lionel Brabant reformulant la notion d'espace transitionnel de Winnicott

37 2) Winnicott – "Jeu et réalité"

38 3) ibid.

39 4) Conférence de J. Rouzel dans "Les enjeux de la supervision dans le travail social" – février 2004 – Bruxelles

40 1) Rogers – Le développement de la personne

41 1) J. Rouzel – Le transfert dans la relation éducative

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