I.M.P de S. N.
Il est midi trente cinq. Nous sommes tous à table. Les douze enfants, une stagiaire et moi.
Nous terminons l’entrée. Une bonne salade verte, fraîche et bien assaisonnée.
J’ai déjà demandé à quatre reprises à K., 11 ans d’arrêter de se balancer sur sa chaise.
Mais c’est apparemment une habitude qui est bien ancré chez lui.
A chaque repas, il faut que K. se balance sur sa chaise. Un peu en avant, un peu en arrière, à la recherche d’un insaisissable point d’équilibre.
J’ai beau lui dire qu’il risque de tomber et de se faire mal, il continue.
Je lui dis alors que s’il veut se balancer, il pourra aller à la fin du repas dehors, au terrain de jeu, sur la balançoire.
Mais c’est plus fort que lui.
Il repose les quatre pieds de la chaise sur le sol lorsque je le lui demande et deux minutes plus tard, que dis-je, 30 secondes après, il se balance à nouveau sur sa chaise.
Que faire ?
Si je reste indifférent à ses balancements, tous ses camarades risquent d’en faire autant et je ne tiens pas à les ramasser à la petite cuillère.
L., ma collègue stagiaire, dit à K. que sur le groupe d’à côté, lorsqu’un enfant se balance sur une chaise, l’éducateur demande à l’enfant de se lever, et de rester debout, entre sa chaise et la table un petit moment. . .
Je me saisi de ce que dit L. et peu de temps après, K. se retrouve debout.
Il me sourit un peu et très vite me demande de se rasseoir.
Je le laisse dans cette position verticale juste quelques secondes et lui demande pourquoi il ne peut s’empêcher de se balancer lorsque nous sommes à table ?
Je l’autorise rapidement à s’asseoir mais je n’obtiens pas de réponse.
Quelques jours plus tard, lors d’une réunion d’équipe, avec les éducateurs de l’I.M.P et le Sous-directeur, je fais part, plutôt de manière enjoué, à mes collègues de ce petit fait apparemment assez anodin, en leur disant que je me suis inspiré de leur « méthode éducative » concernant les enfants qui se balancent sur leur chaise.
Mon intervention jette un froid.
L’éducatrice de ce groupe m’indique de vive voix qu’elle ne procède pas de la sorte.
L’éducateur, son collègue, fait une tête pas possible, semble un peu gêné.
J’apprends plus tard qu’il fait, qu’il faisait lever systématiquement les enfants qui se balançaient et que les enfants restaient ainsi de longues minutes, debout, sans bouger !
Ce procédé, utilisé de manière régulière par l’éducateur de ce groupe, était en total désaccord avec les pratiques éducatives de l’éducatrice.
Je croyais parler d’un détail, d’un « petit rien du quotidien » amusant, autour du repas, et je venais de mettre les pieds dans le plats. . . .
Mais revenons à K. qui continue de se balancer à table.
Qu’est ce qui fait balancer cet enfant ?
Pourquoi il se balance ?
Qu’est ce qui se passe ?
Qu’est ce qu’il m’envoie comme message par cet incessant balancement, oscillation de son corps dans l’espace ?
J’ai l’impression qu’il recherche un point d’équilibre, sans jamais y arriver.
K. vit chez son père. Ses parents sont séparés depuis un an.
K à une double culture. Marocaine du côté du père ; française du côté de la mère.
Marocaine, côté père. Française, côté mère.
K. ne voit pas régulièrement sa mère qui vit dans la même ville que son père.
Il y va au gré de ses envies, au gré de ses humeurs, au gré su vent.
Sa mère est dénigrée par ses beaux parents.
K., au milieu de tout cela, n’arrive pas bien à se situer.
Son cœur balance entre son père et sa mère.
Entre les deux son cœur balance.
En accord avec K., ses parents et en partenariat avec l’éducatrice A.E.M.O, un calendrier est mis en place concernant les fins de semaines passées chez son père et chez sa mère.
K. est satisfait de la mise en place de ce calendrier.
Depuis, K. ne se balance plus sur sa chaise, à table.
J’en ai pris conscience peu après la mise en place de ce calendrier. Mes collègues le remarque également.
D’ailleurs, un jour, alors que nous déjeunions et que je disait à Ju. d’arrêter de se balancer sur sa chaise, K. m’interpelle, me regarde dans les yeux et me dit avec un large sourire :
« Tu vois Benoît, moi, je ne me balances plus ! ».
Mais pour Ju, c’est une autre histoire. . .