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Une Politique de la folie...

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Laure Rubinocci

lundi 22 octobre 2012

Une Politique de la folie...

Suite au visionnage du film « une politique de la folie » (1989) au sujet de François Tosquelles, l’un des fondateurs de la psychothérapie institutionnelle lors d’un séminaire, j’ai eu envie de partager mon expérience singulière auprès de sujets psychotiques dans un centre s’inspirant de ce mouvement…

Je souhaite vous exposer ici un extrait du texte que j’ai appelé « Les horizons du psychotique » où je parle de mon expérience dans un Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel. J’ai volontairement mis de côté l’ensemble de la partie théorique où je traitais de « la suppléance » afin de me centrer sur les éléments cliniques. Ainsi, j’ai voulu montrer l’intérêt de la psychothérapie institutionnelle lorsque nous rencontrons et travaillons en collectif avec des sujets psychotiques.

Felix Guattari disait : « L’étonnement est requis pour travailler en psychiatrie, cela ne s’apprend pas à l’école. » Voilà une des sensations qui m’a accompagné tout au long de mes rencontres avec des sujets psychotiques. Rencontres des plus enrichissantes et dans des structures très diverses.

Cependant, un CATTP, lieu inscrit dans le mouvement de la psychothérapie institutionnelle a plus particulièrement marqué mon parcours. C’est en effet celui dans lequel j’ai été le plus à l’aise pour travailler.

C’est un lieu d’accueil ouvert, non médicalisé, qui se situe dans un intermédiaire, entre un milieu véritablement fermé comme un hôpital psychiatrique et l’extérieur, la cité. Les personnes venant au CATTP sont des sujets souffrant de maladies mentales, pouvant sortir d'hospitalisation, le plus souvent adressés par un psychiatre, un psychologue, un médecin généraliste ou encore une autre structure associative.

Pour Jean Oury, autre piliers de ce mouvement avec la fondation de la clinique La Borde, nous ne pouvons pas évoquer la psychothérapie institutionnelle sans mettre en évidence la notion de psychose :

«(…) dans une thérapie des psychoses (…) Les structures de la clinique se remanient sans arrêt : il s'agit bien plus de déjouer des pièges que d'accéder à une organisation idéale. Pourtant, quelques invariants se distinguent à travers ces fluctuations : la liberté de circulation , l'importance des clubs thérapeutiques, la nécessité de lutter contre le cloisonnement, la hiérarchie massive, la ségrégation et l'uniformisation. Ces opérateurs, mis en jeu pour assainir l'ambiance se révèlent ceux-là même qui vont permettre que se tissent des réseaux de relations et d'échanges, que s'ébauchent des investissements partiels chez celui dont il est souvent plus facile de dire qu'il n'a "pas de désir", et que se réalisent des lieux propres à l'émergence de sa plus extrême singularité. »

Le CATTP fonctionne de manière spécifique : la "liberté de circulation" du patient passe par l'aménagement d'un cadre dans lequel se déroulent, à heures régulières, un certain nombre d'activités, sous forme d'ateliers variés. Le choix de participer reste libre. L’atelier constitue un temps à part, dans le cadre d'un espace spécifique. A leur arrivée au CATTP, les patients se voient proposer le "programme" du centre et font leurs propres choix.

Différents moyens sont mis en œuvre pour valoriser la singularité de chacun.

La liberté de participer ou non est toujours respectée. Elle est fondamentale, notamment pour les sujets psychotiques sans liens sociaux. Le sentiment d'exclusion sociale, qui est un symptôme majeur, perdure, et ce même si l'hospitalisation du patient n'est plus nécessaire. « J’ai le sentiment d’être une bête errante dans la société actuelle » me confiait un jour l'un d'entre eux.

« Il est certain que dans le faire œuvre, l’homme transcende le malade, le dépasse (…). Lui qui est jeté (…) et qui endure son état, subi brusquement une sorte de percée, une percée où il est justement capable d’exister.  »

J’aimerais maintenant vous présenter et vous parler de P., sujet qui m’a inspiré cette réflexion et qui m’a montré l’intérêt de ce type d’institution partageant les principes de la psychothérapie institutionnelle. Ou comment la présence d’autrui et un espace peuvent servir d’appui, pour certains sujets psychotiques, à la construction ou la stabilisation d’une métaphore de substitution à la métaphore paternelle défaillante.

P. est un sujet pour qui la peinture et la fabrication d’objet ont une valeur primordiale. La peinture qui peut servir d’intermédiaire dans la rencontre avec le Réel, cet insaisissable, qui dans la névrose, est limité par le Nom du Père. Nous verrons comment ce sujet se sert de la peinture pour « se bricoler » sa métaphore de remplacement, et pour éviter d’être confronté à cet impossible, au trou sans signification laissé par la forclusion du Nom du Père.

P., la cinquantaine, né en Algérie de parents pieds noirs, est arrivé sur Montpellier à l’âge de 10 ans. Son père et sa mère sont aujourd’hui décédés, il ne lui reste plus qu’un frère avec qui il a des difficultés relationnelles. Le décès de sa mère a eu lieu en 1993. Il dit avoir sombré dans la dépression suite à sa disparition. Il est aujourd’hui propriétaire d’un appartement dans lequel il expose beaucoup de ses œuvres. Depuis qu’on le connait au CATTP, il n’a jamais été hospitalisé, et ne semble pas vivre des phénomènes psychotiques tels que les voix ou les hallucinations.

La peinture pour P. à toujours été très présente dans sa vie. Son grand-père était lui-même un artiste. Il dit avoir vraiment commencé à peindre en 1982. Il a été quelques temps aux Beaux Arts, mais n’est pas resté l’année entière. P. se dit lui-même autodidacte.

Il est reconnu comme Artiste par les patients du CATTP mais n’a jamais exposer. Il a eu cependant l’occasion de montrer une création réalisé en groupe lors de l’atelier Arts plastiques lors d’une exposition à l’extérieur.

P. a peint le plus de toiles après la mort de sa mère, durant « sa dépression ». Il a aujourd’hui, selon lui des difficultés à peindre seul. Sa raison serait des difficultés relationnelles avec son frère. Mais c’est une raison qu’il donne seulement depuis peu. La dernière fois qu’il a peint seul chez lui remonte selon lui, à environ un an. C’est notamment pour cette raison que P. vient au CATTP, depuis qu'un ami le lui a conseillé.

Mes échanges avec P. ont lieu surtout pendant l’atelier « Arts plastiques  » car il y participe régulièrement. Il se détachait des autres par son talent et son implication. Il a attiré mon attention pour l’importance que la peinture avait dans sa vie. P. ne suit pas au CATTP de psychothérapie et reconnaît lui-même avoir des difficultés pour parler. « J’ai un problème par rapport à la parole (…) », « j’essaye de me restructurer ». Lorsqu’il se met à parler au moment du repas par exemple, il lui arrive de s’arrêter et de dire : « je m’arrête là parce que j’ai vraiment l’impression d’être débile, de dire n’importe quoi. » C’est notamment cela qu’il apprécie au CATTP : qu’on ne l’oblige pas à parler . Bien que le CATTP soit un lieu qui n’impose aucune injonction, les ateliers offrent cependant un cadre. En effet, ils se déroulent toujours à la même heure, dans un espace déterminé où des médiateurs (Dessin, peinture, la fabrique d’objet…) et des personnes (l’animateur, les stagiaires et d’autres participants) sont toujours présent.

L’atelier « art plastique » : possibilité d’un espace d’émergence

Le CATTP laisse la possibilité aux sujets de choisir entre différents ateliers et ainsi de choisir avec qui ils veulent travailler ou non sans pour autant se priver du contact avec l’autre.

Jean Oury montre l’importance « qu’il y ait du monde » dans ce type de structure :

« (…) Il faut qu’il y ait du monde, autrement dit il faut qu’il y ait des autres. Cela nécessite donc une structure collective où l’on puisse cultiver « l’avec » (…) l’important est qu’il y ait des « possibilisations » du fait qu’il y a des autres qui sont là. On sait bien que dans la psychose (…), l’autre ne compte pas. Il y a une sorte de confusion de soi-même et de l’autre. (…) On est là pour que cela puisse s’ouvrir, avec certaines conditions. »

Et visiblement P. a besoin de la présence des autres  pour pouvoir peindre. Bien souvent, une fois que l’atelier art plastique est terminé, il continue sa création tout seul dans un coin du CATTP. Il peut lui arriver de rester plusieurs heures à sa tâche après la fin de l’atelier mais uniquement quand il y a des autres, du vivant. Une fois par exemple, il n’est pas resté longtemps car il n’y avait pas beaucoup de personnes. Il en avait fait la remarque : « ça me pèse qu’il n’y ait pas beaucoup de monde ». Il en avait donné la raison en disant : « Je suis plus en difficulté pour peindre, et avoir des idées ». Le CATTP est un lieu « avec du monde » mais quelle différence peut-il y avoir avec « le monde » de dehors ? Pendant l’atelier, les stagiaires psychologues, l’animateur et les autres participants produisent des choses ensembles. Contrairement peut être au monde à l’extérieur, P. n’est pas pris sous le regard de l’autre. En effet, chacun est concentré, pendant l’atelier sur sa fabrication, ce qui évite au stagiaire d’être intrusif vis-à-vis du patient. Il y a un collectif qui se crée, un ensemble qui partage une activité similaire et non plus une dualité.

Le stagiaire délimite un espace « vide » de jouissance sur lequel le sujet peut s’appuyer. On est là en positon d’accueil, sans demandes envers le sujet. P. vient régulièrement à l’atelier art plastique, il semble alors que ce lieu n’est pas vécu comme dangereux pour lui et qu’il ne se sent pas pris comme un objet de jouissance. Pendant l’atelier, P. à une grande liberté. Il ne s’arrête pas toujours aux consignes de l’animateur. Il lui arrive même de ramener des objets de l’extérieur (qu’il a trouvé dans la rue par exemple) pour les travailler, même en dehors du temps de l’atelier. Dans cet espace, P. ne se soumet pas à la demande de l’autre, il s’en protège. Il n’y a pas d’injonctions lors de l’atelier en plus de n’avoir aucune obligation de suivre une thérapie, ce qui semble être satisfaisant pour P.

De plus, il peint le plus souvent au CATTP et un peu chez lui mais n’expose pas encore ses œuvres en dehors de ces deux lieux. « C’est comme un cadre familial ici » dit-il. Pour Freud, la famille est l’interface entre l’individu et le social, entre le sujet et la culture. On peut supposer pour P. que c’est ce qu’il vient expérimenter dans un lieu comme le CATTP. Ce cadre familial qu’il retrouve en venant dans ce type d’institution semble être étayant pour lui.

Outre la présence de l’autre qui est importante et le caractère étayant du lieu, que peut alors représenter un lieu comme le CATTP pour P. où il retrouve la possibilité de peindre seul? Les objets qu’il ramène, permettent-ils à P. de se créer un espace de vie ? Je remarque sans difficulté le plaisir que prend P. à rapporter des objets « de la rue »  pour les travailler dans l’atelier. Je remarque également le plaisir qu’il prend à aménager le lieu avec ce qu’il crée. Le moment de l’atelier pourrait-il être assimilé a à un « champ de l’illusion » favorisant la création ? Voire l’espace du CATTP tout entier ?

Chez beaucoup de psychotiques, l’espace transitionnel est détruit. L’espace transitionnel ou potentiel est un concept développé par Winnicott. L’espace transitionnel est un champ d’expérience que l’on peut partager avec d’autres. Ce qui est le cas au moment de l’atelier, on fabrique des choses avec autrui. C’est au départ le champ d’illusion entre la mère et l’enfant qui lui permet de faire plusieurs expériences. L’atelier peut-il être assimilé à « cette aire neutre d’expérience qui ne sera pas contestée » ? Dans Jeu et Réalité, Winnicott nous dit que cette aire intermédiaire est nécessaire pour qu’une relation s’inaugure entre l’enfant et le monde. Un sujet psychotique ne semble cependant pas avoir la possibilité de créer cette espace intermédiaire entre sa mère et lui étant donné que le Nom Du Père ne vient pas séparer la relation duelle imaginaire entre la mère et son enfant. Pourtant, on voit bien chez P. la possibilité de profiter du CATTP comme d’un espace de création. Est-il alors possible pour le sujet psychotique de « se bricoler » un espace potentiel ? Par le plaisir que prend P. à aménager l’espace avec ce qu’il crée : Est-ce là une façon pour lui de se créer son propre espace potentiel ?

Le CATTP semble bien offrir la possibilité d’un espace d’émergence, de création. Il a y a différents ateliers qui sont proposés aux sujets. Ils ont la possibilité de s’y investir ou non, ou à moindre degré. Il y a comme un nouage entre le temps, l’espace et le corps au sein du lieu. Le sujet psychotique a la possibilité d’investir un espace à l’intérieur duquel un temps défini et un espace particulier sont accordés à différents ateliers.

Quand P. amène des objets de l’extérieur pour les travailler, il pourrait le faire chez lui, mais c’est toujours au CATTP qu’il les transforme. P. n’a pas découvert la peinture grâce au CATTP, il vient exercer son art dans un cadre qui lui en laisse la possibilité. Il est à la fois autonome tout en expérimentant des relations avec les autres. D’où la question que je me pose, un atelier de création peut-il aider à la stabilisation (ici pour P.) d’un « bricolage construit » par le patient pour substituer à ce qui fait manque, c'est-à-dire la fonction de la métaphore paternelle ?

Oury le souligne, « parler de création sans parler d’un espace de création, c’est risquer l’abstraction. »

Au moment de l’atelier arts plastiques, P. a la possibilité de faire des choses. « C’est une nécessité pour survivre de faire quelque chose. » Ce qui importe dans ce lieu ce n’est pas de « faire du beau » mais de « faire » tout simplement.

La forclusion du Nom-Du Père entraîne un vide qui ne renvoie à rien : la signification phallique est absente. Le symbolique ne se met pas en place. Le refoulement originaire ne fonctionne pas dans la psychose, pourtant « c’est ce qui permet de maintenir, dans la structure, un vide, un vide enclos. » Là est le rôle de ce que Lacan nomme la « métaphore primordiale », c'est-à-dire la métaphore paternelle, « c’est cette barre qui fait que le vide ne fuit pas. » Cette métaphore permet de donner une signification à ce vide. Chez les sujets psychotiques il y a donc ce que J. Oury appelle une « fuite du vide ». La structure psychotique est face à un trou béant sans signification, il n’y a pas « l’oubli de l’oubli » qui permet une limitation et une signification de ce vide. Le psychotique connait alors ce qui est innommable, inaccessible, c'est-à-dire le Réel. Ce vide est clos, il n’y a pas l’ouverture de la signification phallique qui met directement en question la problématique de l’existence : « qui suis-je ? » et de la différence des sexes. Ce vide est alors à rapprocher du plein. Il est primordial que ce vide soit présent mais il ne doit pas être bouché, le plein ne permet pas l’émergence subjective, d‘ou l’importance d’aider à la possibilité d’une ouverture .

La métaphore paternelle vient limiter le vide et évite de ce fait que le sujet soit envahi par la jouissance. Le sujet psychotique, sans la métaphore paternelle est alors sans barrière face à cette jouissance. La clinique nous montre que chaque sujet psychotique va réagir différemment face à cette jouissance envahissante. Certains vont construire un délire qui vont leur permettre de « cadrer » cette jouissance et d’autres vont développer un « savoir y faire singulier» face à la jouissance. La peinture, la fabrication d’objets pour P. est-il son « savoir y faire singulier » ?

Comme le précise Jean Oury, l’important ce n’est pas l’œuvre elle-même mais plus le cheminement de l’œuvre réalisée, le « processus de fabrication ». La question de savoir si les œuvres de P. sont artistiques n’est pas à se poser ici. Ce qui semble davantage important c’est la question de la mise en forme qui serait comme une « façon de se rassembler ».

Oury le souligne dans création et schizophrénie, il ne faut pas croire que l’œuvre du sujet psychotique est quelque chose qui ne lui appartient plus. La peinture ici est la continuité du sujet :

« Un schizophrène, quand il fait quelque chose, quand il construit quelque chose, c’est lui-même qu’il construit. Ce n’est pas simplement une projection, c’est une indistinction. ».

Quand on entend P. dire d’une de ses peintures : « ça y’est je suis content, je l’ai réparé », faut-il l’entendre au pied de la lettre ? Une citation d’Oury : « Quelque chose s’élabore d’une auto-construction par une sculpture, une peinture (…). » Ne pourrait-elle pas être reprise pour ce patient plutôt comme : quelque chose s’élabore, d’une auto- réparation par la peinture chez P. Souvent, P. dit que ses œuvres sont inachevées sans en donner de raison. Si la peinture pour P. est bien un processus d’auto réparation. Ce serait alors une auto réparation qui n’en fini jamais, peut être serais-ce alors une façon détournée de traiter le vide intérieur, très angoissant chez un psychotique.

Je remarque aussi l’énergie qu’il donne pour remplir le fond de sa peinture. Il ne fait pas toujours quelque chose de représentatif comme un visage ou autre, mais il prend beaucoup de temps à « faire un fond » qui revient finalement à « faire un vide ». Par la peinture, P. met en forme ce vide. Il le dit lui-même avoir une préférence pour la peinture abstraite car « ça lui prend moins la tête. » Il a même souligné l’importance à une autre patiente de faire un fond. Le fait de « donner de la forme au vide » , c’est comme donner une représentation à un trou, à ce qui n’a pas de sens. Faire ainsi de ce trou béant sans signification quelque chose de, peut être moins angoissant pour lui.

J’ai pu remarquer également que la plupart de ses peintures sont cadrées par une bande blanche. C’est une manière là aussi de « faire un vide ». Le fond de sa peinture se trouve alors limité par une bande. Il le dit lui-même, « ça finit une toile ». Est-ce là un moyen pour P. de limiter une jouissance trop envahissante ? De plus, le choix de la couleur de la bande qui entoure sa toile est toujours blanche. Cela ne me semble pas anodin. En effet, je cite Maldiney disant :

«  Parmi les plus belles peintures Ch’an, (…), infinie est la puissance du blanc, la non résistance et la toute puissance du vide qui confèrent à toutes les teintes obligées de se déposer elles-mêmes dans leurs mutations que ce blanc conditionne, la dimension commune et universelle de l’éclat. L’éclat, ce qui fait l’espace, est ouverture même ici. »

P. apporterait-il, par l’utilisation du blanc qu’il fait dans sa peinture, une ouverture? Une bande blanche qui cadre à la fois un fond et permettant également une ouverture. On retrouve là toute la question de la métaphore paternelle qui permet un vide enclos, que le vide ne fuit pas. « La création, aussi bien délirante qu’artistique, s’appuie sur une dimension métaphorique, mais pas n’importe laquelle. La véritable création touche le Réel : ce qui met en question ce que Lacan appelle la « métaphore primordiale » (…) » Dali parlait lui-même de sa peinture comme une « domestication du Réel ». Oury qualifie la structure d’un psychotique de « structure fermée », l’intérêt des lieux institutionnels dans le traitement de la psychose est de « permettre que cela puisse s’ouvrir sous certaines conditions. » Un lieu comme le CATTP semble laisser la possibilité à P. d’exercer sa peinture ce qui lui permet alors de se « fabriquer de l’ouvert ».

De plus, P. le dit souvent, il ne cherche pas à donner du sens à ses toiles, ce qui peut lui éviter une angoisse contrairement à la parole où le sens est nécessaire. Au sujet de la parole, P. se sent justement en difficulté. Il a toujours l’impression de trop parler et de ne pas dire des choses intéressantes. Il peut parfois donner l’impression qu’il erre dans le langage. Lorsqu’il a l’intention de dire quelque chose, ça part dans tous les sens, il peut passer du coq à l’âne. Le langage ne tient pas en place.

Au début de « l’Envers de la psychanalyse » Lacan le dit lui-même, qu’il « préfère (…) un discours sans paroles. » Le dire qui ne passe pas par la parole, c’est peut être là pour P. que la question de la peinture se pose, dans la mesure où il peut dire sans paroles. Il y aurait un discours possible, une façon de s’exprimer au-delà de la parole. D’où l’intérêt également de ne pas chercher à donner un sens à ce qu’il fait au risque de perdre l’usage singulier qu’il fait de la peinture.

Bien souvent chez les psychotiques, il y a des troubles du langage. Il y a des « lésions de la parole ». Cela ne les empêche évidemment pas de parler. « Il parle quelque fois, même beaucoup. Mais alors on sent qu’il y a des failles, des crevasses, des arrêts, des blancs, des fuites (…). Or, il se trouve qu’on peut dire sans paroles. »

Il y aurait un moyen d’expression, « équivalent à un discours par la peinture, la musique… » Maldiney évoque le terme de « piction » : mélange des mots fiction et de pictural qui permettrait au schizophrène de s’exprimer par « une autre forme d’expression, de même valeur que le discours parlé. » On peut supposer que ce serait une possibilité pour P. de pallier à ce qui, selon lui, lui fait défaut. Il a trouvé par la peinture, une autre façon de s’exprimer qui ne lui demande pas l’utilisation de la parole qui est angoissante pour lui.

On peut également supposer qu’au-delà de l’expression, la peinture est bien plus que ça : elle est également son moyen d’exister. Il dit clairement une fois lors d’un atelier : « Je pense que faire c’est être. Quand je fais des choses je me sens bien. » Quand il fabrique des choses, qu’il peint, cela l’aide visiblement à aller mieux et à se sentir exister.

Il semble donc que P. est trouvé un étayage contenant, un point d’ancrage grâce au CATTP qui lui permet de peindre à nouveau. La raison première, selon lui, pour qu’il y vienne, était qu’il ne parvenait plus à peindre seul chez lui. Ce lieu est pour lui comme une grande famille. La famille est bien ce qui permet de faire lien social avec l’extérieur. Pour Freud la famille était l’interface entre l’individu et le social, entre le sujet et la culture. Ce qui est primordial dans la psychose pour qui le lien social est problématique. P. semble avoir trouvé son « équilibre » en venant dans un lieu comme le CATTP qui lui laisse la possibilité d’exercer son art. P. semble très attaché au CATTP. Il dit ne pas pouvoir exposer, cependant il semble investir le lieu du CATTP comme une sorte de galerie d’Art. Il dit : « ça me plait que je sois affiché sur les murs du CATTP, c’est peut être prétentieux mais ça me va ». Il ajoute « c’est quelque chose de très intime ce que je mets dans ma peinture », n’est ce pas ce que tout peintre pourrait nous dire ? De plus, P. disait en début d’année, avoir des difficultés à donner ses œuvres. Cependant au cours de l’année, j’ai remarqué que P. souhaitait donner l’ensemble de ses créations à une autre patiente. Et il semble se sentir de plus en plus capable d’exposer une seule des ses œuvres, dit il, en dehors de l’institution. Une ouverture vers l’extérieur semble désormais envisageable.

Un lieu comme le CATTP qui s’inscrit dans les principes de la psychothérapie institutionnelle offre en effet un point d’ancrage à certains patients en leurs laissant la possibilité d’exercer un « savoir y faire » singulier ou tout simplement un « espace de vie ».

Rubinocci Laure

Psychologue clinicienne

http://www.cliniquedelaborde.com/

J.Oury, 2000. Liberté de circulation et espace du dire, vie sociale et traitement n°55

J.Oury, 1989. Création et schizophrénie, p57

Ibidem, p 40

Ibidem, p72

Ibidem, p72

Ibidem

Augustin Ménard, 2008. Voyage au pays  des  psychoses.

J.Oury, 1989. Création et schizophrénie, p19

Ibidem, p128

Jean Oury, 1989. Création et schizophrénie, p71

Ibidem

Ibidem, p179

J. Oury, 2000. Liberté de circulation et espace du dire, vie sociale et traitement n°55

J.Oury, 1989. Création et schizophrénie.

Ibidem

Ibidem, p96-97

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