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Une éthique de frontière : entre moderne et contemporain (2ème Congrès Psychasoc)

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Glaucia Dunley

mercredi 12 mars 2008

-une utopie en voie de se réaliser à la Favela da Maré/Rio de Janeiro -

Présenté le 9-10-07, au II Congrés de Psychanalyse et Travail Social, Passes et impasses du social.

Premiers mots

Bonjour à tous. C’est avec un vif plaisir que je suis ici pour présenter mon travail, dans son état actuel, pendant le II Congrès Européen de Psychnalyse et Travail Social.

Je remercie spécialement Joseph Rouzel de m’avoir si gentillement donné l’opportunité de venir vous parler d’un Brésil Vital dans le cadre de ce Congrés. C’est pouquoi je commence par une citation de Vital-Brazil , psychanalyste brésilien, mort depuis presque deux ans, assez agé, et à qui je suis très redevable.

Cette psychanalyse émancipatrice, y compris du social, ne se refuse pas à considérer des valeurs, et s’enfonce dans la dimension sociale, pour réaliser une analyse critique et, peut-être, quelque chose en plus. Par rapport à ce peut-être, Jacques Derrida, dans sa conférence/livre États-d’âme de la psychanalyse , parie qu’elle pourrait se faire médiateur des grands événements cruels de notre temps, une fois que «la cruauté psychique est le propre de la psychanalyse».

Cela suppose, à mon avis, que la psychanalyse doit s’ouvrir aux expériences émancipatrices de l’ordre hégémonique néolibéral, qui arrivent un peu partout dans le monde actuellement, à fin de s’assumer comme une pensée critique sur telles ouvertures et sur d’autres faits culturels affirmatifs de notre condition humaine actuelle–toujours tragique, malgré les progrès incalculables de la technologie. Ce qui pourrait permettre son engagement ethique, sans alibis, dans les transformations nécessaires «à diminuer la misère psychique colective », tel que Freud l’a souhaité... Pouvoir apprendre avec telles expériences, gagner du souffle pour oser questionner son status théorique, et repenser ses concepts à la hauteur des défis actuels. Finalement, parier qu’ainsi faisant la psychanalyse pourrait s’engager d’avantage vis-à-vis de notre temps et contribuer à sa façon pour construire une autre éthique, une éthique du commun.

Peut-être encore pourrions-nous dire que la psychanalyse se transforme en ce qu’elle est lorsqu’elle devient une théorie critique de la culture , rassemblant l’éthique et le politique, et par là rechargeant son constructo fondamental -l’inconscient-, de toutes ses dimensions et possibilités, voire intensités, à savoir: politiques, esthétiques, éthiques....

Si la psychanalyse a le pouvoir de mettre en crise et de se mettre en crise, dans le grec ancien cela signifie qu’elle a toujours les moyens d’émettre des jugements, des valeurs, des critiques et des questionements, et non pas le droit de s’omettre. Ceci l’éloigne du scepticisme de la neutralité, ou, plutôt, l’empêche de tomber dans la froide barbarie de l’indifférence par rapport à notre temps. Rappelons-nous que l’analyse critique fait toujours appel à l’action, comme acte symbolique, et à ses conséquences.

L’acte symbolique auquel je me réfère ici, aujourd’hui, c’est celui d’articuler quelques impasses et passes du social, d’une façon générale, mais faisant appel à quelques questions spécifiques propres au social brésilien, à la ville de Rio de Janeiro, d’où je viens, où j’habite et où je travaille depuis toujours.

Je vais prendre pour référence la contribution critique et émancipatrice mise en action de manière tout à fait surprenante par l’ ONG CEASM -Centre d’Etudes et d’Actions Solidaires de la Favela da Maré-, et qui donne depuis dix ans un élan extraordinaire au processus de dissolution des préjugés et de la discrimination sociale, économique et raciale qui pèsent sur les populations des bidonvilles de Rio de Janeiro . Cela nous permettra peut-être d’avoir une ouverture pour penser, de maniere subversive, à la construction de cet autre éthique qui relèverait des expériences communes, desirées, et mises en action par les tranches plus démunies pas seulement de la population bresilienne mais aussi d’autres « exilés du royaume».

Cette ONG n’est pas le seul mouvement social qui est né des bidonvilles et des périphéries pauvres actuellement au Brésil, mais elle présente des conditions singulières qui me font penser aux possibilités contemporaines de la constitution d’un nouveau pacte social référé à un commun , et non plus à un social divisé en classes, fragmenté, même pulvérisé par l’expérience capitaliste perverse du néolibéralisme.

A son démarrage, l’ONG CEASM a envisagé –pour les 16 « communautés »¨ qui intégrent la Favela ou Complexo da Maré- une émancipation de la pauvreté locale qui ne soit pas soumise à l’assistance -voire responsabilité- d’un état brésilien démissionnaire, ou du moins très ambivalent quant à sa politique par rapport aux couches plus pauvres de la société brésilienne- jusqu’au gouvernement Lula. Ainsi qu’une émancipation des conditions d’extrême adversité et violence causées par le trafic de drogues fortement armé au Brésil -surtout dans cette partie de la ville. Pour cela, les meneurs de ce vaste programme se sont engagés à realiser cette transformation tout en creant une nouvelle gamme de valeurs dans un territoire où il n’y avait que de la détresse, de l’abandon, dans le sens fort d’être lancé aux bands, aux bandits.

C’est cela que j’appelle « une utopie en voie de réalisation » -cette possibilité tragique d’affirmer la vie avec toutes ses douleurs et impossibilités. J’espère pouvoir vous montrer que cette utopie –à vrai dire, l’utopie d’une démocracie à venir- est en train de se réaliser comme une éthique de frontière entre moderne et contemporain.

Dans un territoire qui s’étend par 8 km2, 132.000 personnes cohabitent avec toutes les factions du trafic au Brésil. Les grands seigneurs du trafic délimitent leurs fiefs, imposant une sorte de « fermeture de frontières » marquées par la drogue, ce qui empêche la libre circulation des populations dans les quartiers de cet énorme complexe populaire. De plus, il y a la confrontation presque journalière des trafiquants avec une police militaire violente, entraînée aux E.U. pendant la dictature militaire (de 64 à 85), et qui prend en otage toute cette multitude, en la terrorisant, en la tuant au hazzard des balles perdues. Il serait plus honnête de dire que les rapports police/trafiquant constituent une arme de double tranchant mise au service d’une «politique de sécurité ». Cette dernière est une des masques du Racisme d’Etat brésilien -stratégie cruelle que nous dénions très facilement au Brésil, préferant l’oculter sous l’ideologie du mélange social cordial.

Pour dire en d’autres mots, le travail de cette ONG matérialise l’utopie contemporaine d’inventer et désirer l’impossible au-delà d’une souveraine cruauté – cruauté locale, nationale, globale. Ce “désirer l’impossible” se matérialise brillamment dans les stratégies et tatiques pensées et mises en route par les fondateurs et participants de cette ONG, depuis dix ans, sous la forme de plusieurs réseaux qui s’interconnectent.

Le CEASM a été fondée par un groupe d’habitants 1 qui à l’époque venait d’obtenir leur diplôme universitaire. Au lieu d’abandonner leur territoire – impensable – et de mener leur vie ailleurs, ayant plus de facilités ou moins d’impossibilités, ils décidèrent de prendre en charge le “développement local”. Ce pilier de la fondation du CEASM –je veux dire, ce retour (sans jamais être parti) au térritoire et ses gens, pour réaliser avec eux les metamorphoses nécessaires à l’avènement du commun - est à la base de la logique de la dette symbolique, qui est une éthique du dom, et par cela, démesurée. J’essaierai de la faire compprendre un peu plus tard.

A mon avis, le nom de « développement local » n’a été qu’une ruse employée par le groupe fondateur pour faire semblant de composer avec le soi-disant “développement durable”, face humanisée du capitalisme contemporain qui a été obligé de prendre en compte les catastrophes issues du néolibéralisme. Ainsi dit, « développement local » est un nom impropre pour leur programe, puis qu’il n’est pas à la hauteur des dimensions constituantes de leur projet humaniste et humanitaire, sans illusions, mais basé sur l’espérance. Comme René Char nous a appris: « résistance n’est qu’espérance ». Son nom propre, et aproprié, devrait plutôt : « ICI ON PRATIQUE L’IMPOSSIBLE AU-DELÀ D’UNE SOUVERAINE CRUAUTÉ ».

Outre ce que je viens de vous dire, le projet de transformation critique de cette ONG est, depuis la fondation, une source de valeurs démocratiques et solidaires ayant pour but de réaliser la transformation locale à travers la culture et l’éducation, la revalorisation et le partage du savoir. Leur objectif est autant de contribuer pour l’amélioration de l’enseignement publique au niveau du premier cycle dans les écoles locales que d’augmenter le nombre d’étudiants issus des classes defavorisées à l’université. L’université publique au Brésil étant encore un espace destiné à l’élite bien préparée dans les écoles privées coûteuses.

Leur projet vise egalement à oeuvrer à la construction de la mémoire locale, intégrée à l’histoire de la ville et du pays – véritable instrument de transformation du social en commun, une fois que la construction d’une mémoire collective à partir des récits singuliers libère les affects pétrifiés par une histoire de domination et de ségrégation qui a déterminé l’exclusion de ces communautés des circuits d’échanges culturels, économiques, et politiques de la ville. Cet émancipation des affects permet à ces multitudes très hétérogènes d’établir de nouveaux liens d’identification avec leur térritoire. Plusieurs autres programmes et projets créatifs sont en cours, ainsi que des activités, structurées, dans cette ONG, sous forme de réseaux (mémoire, éducation, culture, travail, communication, observatoire social) qui font partager/circuler/amplifier les informations par le nombre croissant de participants à ce projet majeur .

Je vous invite alors, maintenant, d’une facon plus théorique, à vous engager, à votre façon et dans le cadre de vos problématiques (nationales, régionales ou locales), dans « l’invention des chemins indirects » – expression créée par Freud (1933) lors de sa réponse à Einstein, dans “ Pourquoi la guerre ” – qui puissent relativiser la haine de la différence, née du sentiment d’horreur à l’égard de l’autre, en tant que celui qui ne sera jamais entièrement connu, ni assimilé par aucune forme d’appropriation, et qui, en conséquence, demeurera toujours hors de contrôle.

En d’autres mots, j’essayerai de ramener ici ‘ la psychanalyse en extension’ , qui fait lien social lorsqu’elle s’obstine , à la manière de Freud, à s’exercer comme pensée critique de la culture et de son temps. Plus que ça, je prétends que la psychanalyse fasse “ lieu commun ” en se penchant sur le commun comme un sujet d’étude contemporain prioritaire.

Penser le commun

Penser le commun d’une autre façon, ainsi que les possibilités contemporaines d’exister en commun, deviennent pour nous des exigences éthiques plutôt que des défis, dans un monde dans lequel le discours techno-scientifique a banni l’impossible.

Avec la défaite des communismes totalitaires et la montée progressive des individualismes, il est urgent de penser, encore plus, ce qui fait commun , ce qui fait lien , au-delà d’une instrumentalisation nécessaire à la survie, au-delà des croyances religieuses, au-delà des paternalismes, et, surtout, au-delà des brillantes interprétations qui font de la mort, de la terreur et de l’impossibilité des relations notre lien fondamental.

C’est à dire, je vais parier sur les possibilités d’établir des liens à partir d’une pensée affirmative, mais qui cherche sa force dans une instance située au-delà des pragmatismes habituels . Pour le dire en quelques mots : au-delà de la pulsion de mort, dans ce que Jacques Derrida appelle, en États-d’âme de la psychanalyse « l’impossible au delà d’une souveraine cruauté ».

J’essaierai donc de passer la frontière entre le possible et l’impossible, comme un lieu ‘ indicidable’ , pour aller chercher dans les “ inconditionnels impossibles ” de Derrida – l’hospitalité, le pardon, l’amitié, le peut-être, l’arrivant, la communauté – les conditions impossibles pour contribuer à une pensée affirmative contemporaine, qui ait pour base ou inspiration l’expérience-limite que j’ai vecu pendant les trois dernières années avec ce groupe de bresiliens admirables. J’oserais dire que le lieu de cette experience démesurée, au dela des frontières du possible est le commun .

Cette communication – mot qui porte en soi le désir de rendre commun – est inscrite sous le signe de la reconnaissance de l’autre, et donc, dans la problématique de la dette symbolique, et de la justice comme expérience impossible – mais qui indique la direction qu’il faut suivre, engageant notre présent dans un avenir plus juste. Pour traiter de ces sujets, l’élaboration de Roberto Esposito, philosophe italien contemporain, prend toute son importance.

Dans son livre Communitas – Origine et destin de la communauté 2 , l’auteur travaille le com de Communitas comme être exposé à , être ouvert à, ou encore se mettre devant ; faire lien avec ; et le munus comme un don obligatoire, c’est-à-dire, qui ne peut pas être ignoré ou mis de côté mais qu’il faut donner en payement de la dette acquise par notre condition humaine de ‘ parlêtres’ à partir de l’Autre. Donc, il s’agirait de donner du symbolique, faire don ou cadeau du symbolique à l’autre, voir à autrui, ou encore de transmettre de façon obligatoire sa propre puissance ou compétence symbolique en retour de la dette contractée par notre inscription dans le registre altéritaire’ du langage.

La dette c’est le commun. C omme tel, elle fait lien entre les singularités, ce qui me permettrait peut-être de dire que sa reconnaissance, voire son payement, autorise un collectif à effectuer symboliquement la traversée de la frontière entre le social (où la reconnaissance de la dette est maintes fois entravée par un fonctionnement névrotique ou pervers) vers le commun, qui est éthique et politique, par délibération et acte.

Exposito est très proche de l’élaboration freudienne de la dette, et de l’extrême difficulté à sa reconnaissance, plat de résistance à proprement dire de la névrose obsessionnelle, où le payement de la dette se fait par moyen d’une production des symptômes très singuliere par rapport aux autre nevroses.

Pour radicaliser Freud, je dirais que le payement de la dette tout court – je veux dire, par la seule reconnaissance de son existence – ne doit pas être fait à cet autre qui m’a donné / ou passé la parole, ou m’a élevé, mais au tout-autre 3 , “ à l’Étranger, avec qui je n’ai pas de patrie commune ”, comme nous a appris Blanchot. Ce rapport avec l’autre, étant lui l’autrui /le tout-autre , est un rapport de transcendance. Cela veut dire, un rapport qui se donne ou se fait, dans la distance infinie, quelque part infranchissable, entre l’autre et moi, cet autre qui appartient toujours à l’autre rive” 4 .

Si nous transposons ces idées du plan individuel au plan collectif ou de la culture, je pourrais peut-être dire que le payement de la dette a été inhibé, voire empêché, dans la Modernité, par l‘ autocentrement de l’homme (moderne) qui a érigé un culte croissant à l’individualisme. Ces temps modernes -qui pourraient être pensés comme « période de névrose obsessionnelle de l’humanité » - ont placé le moi au stade d’une religion, d’un dieu. Ses rituels: les machineries qui ont garanti à l’homme depuis le XVII et par la suite la souveraineté de l’Etat-nation, la ‘ disciplinarisation’ des corps et maintenant le contrôle du mouvement et du temps dans la société mondialisée, ou société de contrôle.

La proclamation de la mort de Dieu, par Nietzsche, depuis un peu plus d’un siècle, qui peut-être comprise comme l’écroulement de toute garantie, a eu comme évènement corrélatif la dissolution du moi. Celle-ci rend effective et immanente la mort de Dieu, provoquant des effets d’excentration et de désappropriation du moi qui, jusqu’alors se conduisait narcissiquement et de façon omnipuissante, comme une réplique divine, une fois qu’imaginairement il s’était constitué à l’image et ressemblance de Dieu.

En ce qui concerne l’économie freudienne, cela signifie un moi qui s’est auto-investi (de libido), en se transformant dans son plus grand objet d’amour, au lieu d’investir son capital de libido dans de nombreux objets du monde. Parmi eux, l’autre avec lequel le moi pourrait créer des liens.

Nous pourrions peut-être dire, même précocement, que les différentes formes de dissolution du moi dans le contemporain, seraient la conséquence de la dénégation de la dette par l’homme moderne. Nous en sommes les héritiers de cet etat de choses et c’est à nous de nous confronter à lui.

Il me semble très significatif de souligner, au vu de cette argumentation que je cherche à développer, la renaissance de l’idée de communauté, il y a quelques décades, et l’exigence inconsciente de la maintenir à l’ordre du jour sous les nouvelles formes du communautarisme, soient locales, régionales, nationales ou supranationales (comme dans les réseaux socio-collaboratifs). Evidemment, quand nous parlons de communauté, nous faisons référence à une communauté pluriel, dialogique, ni totalisante, ni totalitaire.

De cette façon, il serait peut-être envisageable de proposer que, dans l’absence d’une pensée approfondie sur la thématique de la dette au contemporain, nous demeurons assujettis de manière diffuse à la soi-disante “dette extérieure”, contractée paradoxalement par des pays pauvres et émergeants vis-à-vis du capital financier global. Ce dernier se refuse à reconnaître sa propre dette par rapport à la plus-value obtenue auprès des pays dits péripheriques. Le capital financier global étant la consciense absolue de l’Imunitas .. De cette façon, il nous convient de comprendre -d’abbord et d’urgence- cette dette qui a une autre nature, même si elle est aussi référée à un registre é conomique – mais à celui de Freud (« Au–delà du principe du plaisir ») et Bataille (dans La part maudite ) qui n’ont pas dénié une logique de l’excès, ou il y a de la place pour une production sans produit, si l’on voit d’une perspective bourgeoise de la production.. Dans leur cas, il s’agit d’un économique qui a un autre capital comme référence – le capital pulsionnel – avec lequel on investit l’autre dans ses plus diverses manifestations. Pourtant, paradoxalement, on reste plongé dans l’excés pulsionnel, malgré tous les efforts de l’appareil psychique pour rendre compte de ce malaise en multipliant les possibilités de sortie, soit-elles de l’ordre de la sublimation -ou la créativité et l’imagination jouent un role fondamental-, ou de l’ordre symptomatique....

Dans cette logique, le passage du propre, de l’individuel, au commun , supposerait le passage de I’immunitas moderne au communitas contemporain. L’ immunitas est aussi celui qui est immunisé contre le temps – condition majeure de l’existence –, et que le communitas , par contre, donne du temps à l’autre, comme le bien le plus précieux dans une époque trop véloce.

Pour insister dans la réalisation de ce passage de l’immunitas au c ommunitas , il faudrait opérer un décollement, une séparation entre les deux composants du mot schuldig . Autant Nietzsche que Freud – deux modernes – nous ont montré que ce mot contient une ambiguïté qui me parait cruciale pour l’avènement du nouveau, peut-être, une fois que schuldig veut dire en même temps redevable et coupable.

Esposito, par son élaboration sur le c ommunitas et l’i mmunitas , nous permet d’aller plus loin dans la déconstruction de ce mot, dans le sens de libérer ses deux devenirs ou destins : coupable et redevable. Nous pensons que quand il ré-signifie redevable par rapport à la dette symbolique, il dénoue les deux signifiants, et décharge (libère) le signifiant redevable (qui présente le sujet moderne au signifiant de sa culpabilité), en lui faisant crédit de la possibilité de reconnaître sa dette et d’effectuer son payement d’une forme autre que symptomatisée. De cette façon, le c ommunitas contemporain peut se reconnaître comme redevable par rapport à l’Autre sans être nécessairement coupable. Celle-ci est une grosse provocation aux psychanalystes.

Donc, je vous propose de prendre en compte cette torsion par rapport à la question de la dette afin de mettre en marche cette ouverture risquée – de l’individualisme, de la souveraineté et de la cruauté, qui ont bâti des fronts modernes, aux frontières impossibles du contemporain. Pour cela il faudrait que j’ajoute quelques mots sur les inconditionnels impossibles de Jacques Derrida. Ce qui nous forcerait à re-évaluer nos paradigmes ou valeurs de base, y compris nos assises psychanalytiques, pour arriver à une pensée contemporaine, libérée peut-être du signe de la faute originaire, de l’assassinat du père, origine de la culpabilité moderne, pour qu’un monde de fils et filles, héritiers du moderne sans doute, puisse avoir la possibilité d’instaurer un monde commun à venir (des échos avec La communauté qui vient de Giorgio Agamben).

Un monde commun, dans lequel le moderne et le contemporain s’entrelacent ou se superposent, et où ils pourront continuer à se confondre, à perpétuer les répétitions mortifères, si nous permettons que notre pensée se nourrisse d’un catastrophisme éclairé, ou encore si nous nous esquivons de l’avènement nécessaire du commun – qui ne veut autre chose que reconnaître sa dette par rapport à l’autre et essayer de la payer.

Par catastrophisme éclairé, je veux nommer ‘ critiquement ’ une pensée nostalgique et ressentie qui se refuse à prendre en compte la construction d’un savoir qui soit aussi une prise de position en faveur du nouveau qui arrive. Par exemple, à travers la mondialisation alternative ou solidaire, ou encore la globalisation du commun , prise en charge par des réseaux socio-collaboratifs et par des mouvements sociaux menés par des multitudes dans plusieurs points de la planète aux environs de l’année 2000 jusqu’à présent (à Genova, au Mexique, à Porto Alegre et tant d’autres).

L’homme moderne, dans son individualisme d’immunitas , a choisi ou a préféré vivre la culpabilité au détriment de la responsabilité, quand il dénie sa dette avec l’Autre. L’homme contemporain, comme communitas , a besoin de s’ouvrir à la reconnaissance de l’Autre, et de choisir s’il veut être le responsable de sa dette, mais d’une façon collective, avec l’autre.. Je me propose d’appeler cet engagemenet d’ éthicisation’ des liens dans le contemporain. Il est structurant du passage a faire de l’ immunitas au communitas , donc vers le commun , comme le fil suspendu sur l’abîme au dessus duquel le dernier homme (celui qui a tué Dieu, l’homme moderne, le nihiliste actif, selon Nietzsche) devra passer dans la direction d’un nouveau commencement . Je fais ici l’approche de ce dernier homme de Niet avec l’homme technologique à la frontière entre modernité et contemporanéité.

Le sens d’une communauté à venir , ou du commun à venir , j’espère, est devenu plus clair. Autant le commun que les communautés auxquelles nous faisons référence ici sont des collectifs de singularités et font partie de l’ensemble constitué par ceux qui s’exposent au payement de la dette au radicalement autre 5 comme un don obligatoire, ce qui est de l’ordre du nécessaire et du tragique. Selon Freud, on aime pour ne pas devenir malade, dans le sens qu’il faut vider la libido du moi, et l’investir dans l’autre.

Le commun , régit par le principe de l’autrui, représente la possibilité de vivre l’expérience du dehors, dans une société mondialisée où il nous semble qu’il n’existe plus de dehors du système. Il s’agirait donc, pour le commun , d’un dehors qui est dedans. Le commun étant capable d’instaurer une transcendance dans l’immanence, ce qui nous permettrait quelques sorties créatives, toujours engagées dans une éthique et une conception de justice construites à partir de la démesure propre au concept tragique d’autrui – ce concept que structure le commun dont je parle.

Pourquoi donc unir transcendance, tragique, démesure, autour du concept sacer d’autrui ?

Dionysos est l’autrui par excellence, il est « l’étrange dieu porteur de l’étrangeté » , dans les mots de Vernant, dont la tâche était celle de transformer l’autre en autrui , par une transe capable de mettre quelqu’un hors de soi, dans la direction de l’autre, au-delà du bien et du mal. Nous avons ainsi, de façon originaire dans la culture occidentale, la présence du sacré dans le concept d’ autrui , et nous pourrions peut-être comprendre par là sa vocation ou destin de transcendance, même quand elle est ramenée à l’immanence du contemporain. Nous pourrions peut-être comprendre ainsi les rapports permanents de ‘ tragicité ’ avec l’autre que le concept d’ autrui impose, plus que présuppose, surtout l’horreur de autre toujours inconnu.

Ce commun dont je parle, transfiguré par le concept sacer 6 d’autrui, sera toujours le lieu de la hybris , de la démesure, habité tant par la violence déchaînée que par l’existence laborieuse et créative des personnes, des communitas . Nous proposons que ce commun soit fondé sur une éthique de la démesure qui est l’éthique de la responsabilité commune, l’éthique des communitas.

Conclusion

J’ai essayé de vous apporter ici, en quelques mots, une possibilite concrète, ensuite teorisée, d’un dépassement de l’individualisme vers une éthique de frontière entre moderne et contemporain – lieu de passage obligatoire pour l’avènement des communitas .

La possibilité concrete s’est incarnée dans les expériences de « développement local » menées par un groupe de brésiliens de l’Etat de Rio de Janeiro. Elles se prêtent, à mon avis, à formuler une autre façon de penser actuellement le commun , en tant que transfiguration tragique du social . Pour cela, il faudra prendre en compte les liens politiques, éthiques et esthétiques des collectifs qui ne cessent d’affirmer, partout dans le monde, leur puissance à résister à la cruauté propre au vivant, ainsi qu’à affirmer la précarité/ tragicité de l’existence, qui est toujours là, malgré les progrès incalculables de la technologie.

1 Antonio Carlos Pinto Vieira, Claudia Rose Ribeiro, Eliana Sousa e Silva, Jailson Sousa e Silva, Maristela Klim, Leia da Silva. Posteriormente fizeram parte da direção Edson Luiz e Lourenço Cezar, sendo Lourenço o atual presidente do CEASM-final de 2007.

2 Esposito, Roberto. Communitas: origen y destino de la comunidad . Buenos Aires: Ed. Amorrortu, 2003.

3 Le tout-autre est une expréssion employée par Jacques Derrida pour nommer le radicalement autre, l’autrui. De l’hospitalité . Paris: Calman-Lévy, 1997.

4 Blanchot, Maurice. “Connaissance de l’inconnnu”. In Conversation infinie .

5 Dans ce radicalement-autre résonne l’angoissante étrangété devant le vide, ce qui nous amène à faire l’expérience terrible du vide dans lê lien, cet ébranlement fondamental au quel nous nous exposons quando nous nous décidosn à faire l’expérience du communitas..

6 Sacer est, selon Freud en Toten et Tabou, sacré et impur. Cette ambivalence du concept de sacer chez Freud pourrait eventuellement éclairer les originas des sentiments conflitueux que l’autre comme autrui nous éveille.

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