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Usage et mésusage de l’évaluation

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Christian GAUFFER

mardi 03 juillet 2012

CGT-CG-16/09/2009S

Usage et mésusage de l’évaluation

Mise à jour 21 nov. 2010

Introduction

L’évaluation est un dogme

L’évaluation en tant qu’outil du management.

L’apparition du travail prescrit.

Le mythe de la qualité totale

La performance individuelle.

Conséquences sur l’individu

La gestion des ressources humaines

La position du manager

Le manager face à l’évaluation du travail prescrit

De l‘influence des éléments contextuels sur la démarche d’évaluation.

Les dimensions négatives de l’évaluation

Conclusion

Introduction :

L’évaluation est un dogme, c'est-à-dire « une base estimée incontestable d'une religion, d'une doctrine » (Encyclopédie Universalis). En effet, l’évaluation ne repose sur aucune approche scientifique: aucune étude scientifique ne traite de l’évaluation, ni ne la fonde dans ces principes, ni ne la détermine dans ces caractéristiques. Pourtant ses promoteurs se réclament d’une démarche objective, rationnelle, voire scientifique.

Elle est de fait une pratique dépendante de « l’air du temps » et repose à ce titre sur un certain nombre de valeurs implicites qui caractérisent un mouvement de pensée, lequel se garde bien de dévoiler ses présupposés

L’évaluation a une fonction mythique et intervient comme un rite de passage. Rares sont ceux qui la rejette après avoir accepté de s’y plier. Il est d’ailleurs difficile de parler de l’évaluation de façon générale, tant il existe des évaluations différentes, liées à la culture d’entreprise et à une pluralité de facteurs sur lesquels nous reviendrons.

L’évaluation s’applique aux salariés dans le cadre d’une relation de travail : Le contrat de travail, prévoit la mise à disposition de temps et une exécution correcte et loyale du travail contre une rémunération.

Il définit une obligation de moyens et pas de résultats. Ce premier principe est rappelé par F. Meyer, enseignant chercheur à l’institut du travail de Strasbourg. Il souligne la difficulté de différencier le droit du management, essentiellement du fait de la confusion des discours et pratiques des employeurs.

Le droit borne le pouvoir et dans ce sens encadre le management des hommes. Cela est particulièrement exact au travers de la mise en œuvre de l’évaluation basée sur des normes, grilles et objectifs de qualité qui détourne le droit de son objet : c’est un abus de pouvoir qui trouve son apogée en termes de perversion des responsabilités lorsque l’entreprise arrive à faire « évaluer » ses salariés par les clients. Le marché tend à imposer ses règles.

En effet les normes techniques, qualitatives ou autres n’ont pas de légitimité juridique au niveau de la relation de travail qui lie l’employé à l’employeur. Cependant, le discours managérial crée et entretient la confusion à ce niveau. Le salarié n’a pas davantage à être associé à la finalité du travail ou de l’entreprise. Celle-ci est du ressort des dirigeants.

Les tentatives d’associer les salariés à la définition des objectifs de l’entreprise ne sont pas fondées juridiquement, elles sont de l’ordre de l’imposture managériale. A moins, évidemment de partager les bénéfices de l’entreprise avec les salariés. Une procédure managériale, n’a pas force de loi et peut même être illégale. L’individu, le salarié, l’employé n’a pas à se soumettre à la dictature des objectifs, et des procédures managériales.

La jurisprudence récente appliquée aux processus d’évaluation témoigne de l’évolution du droit qui en l’occurrence est porteur de valeurs humaines. Il vient, dans le domaine de l’évaluation, rappeler que l’entreprise ne peut pas faire ce qu’elle veut.

L’évaluation s’introduit également dans la fonction publique en remplaçant la notation d’abord de façon expérimentale puis de façon plus systématique. Les modifications récentes du régime indemnitaire avec la PFR (Prime de fonction et de résultat) en constituent le point d’orgue. Les fonctionnaires devront progressivement être s en termes de performance par le biais d’une procédure d’évaluation individuelle et annuelle.

L’évaluation en tant qu’outil du management.

Le management est l’ensemble des techniques d’organisation des ressources qui sont mises en œuvre pour l’administration d’une entité. Manager vient de l’italien maneggiare (contrôler, manier, avoir en main, du latin manus avoir en main).

On peut, à propos de cette première définition du management, repérer un glissement de sens qui en dit long quant à la conception de l’être humain, considéré comme une ressource parmi d’autres, matérielles, organisationnelles (Fabienne Tournadre de Institut du travail de Strasbourg).

L’être humain devient une ressource, un bien au service de l’entreprise. C’est à partir de cette conception particulière de l’homme que deviennent compréhensibles toute les tentatives d’assujettissement de l’être humain à la finalité de l’entreprise. Rappelons que celle-ci consiste à produire des richesses et à réaliser des bénéfices.

L’humain ainsi considéré, est traité comme une ressource dont l’usage doit être optimisé pour maximiser les profits. A ce titre il constitue une ressource renouvelable à l’infini et doté de la plus grande flexibilité. Son « achat et sa vente » sur le marché du travail sont certes codifiés mais répondent aux lois du marché de l’offre et de la demande.

L’évaluation apparait comme étant un outil de management particulièrement efficace au service de l’entreprise dans le contexte actuel de notre société, traversée et animée par un courant de pensée néolibéral.

L’approche néolibérale étant définie comme une dérégulation totale, maximale de tous les marchés, des biens et services, des capitaux et des personnes.

Les excès du management néolibéral font apparaitre les enjeux réels de l’évaluation qui consistent à faire entrer et à maintenir le facteur humain dans cette position passive et immobile de ressource qui constitue un véritable processus de choséïfication.

Le sujet ainsi défini se trouve dépouillé de sa subjectivité, au profit de l’entreprise. La répétition du rituel de l’évaluation, permet par un contrôle régulier, de verrouiller la situation.

D’autres outils sont utilisés dans le but unique de faire entrer ou de maintenir l’individu dans une position de servitude volontaire. La désubjectivation du rapport au travail et le maintien de l’individu dans une position de ressource, n’est possible que par une dévalorisation du travail réel.

La dérégulation des marchés, outre qu’elle profite à une minorité de personnes qui accumule les richesses et monopolise les postes de pouvoir, repose sur le fantasme d’un fonctionnement naturel des choses et de la société.

L’ordre naturel des choses s’oppose à l’ordre culturel et au-delà à la civilisation. A ce titre il est régressif et représente soit un ordre divin (la main invisible) soit un ordre primordial. Au début pourtant était le chaos… . Ce qui est naturel ne se discutant pas, l’évitement des controverses vient assurer la stabilité d’un dogme dont la logique est pourtant discutable quant à ses effets et bien au-delà quant à sa finalité.

L’apparition du travail prescrit.

La définition du travail par la hiérarchie éloigne l’individu du travail réel à plus d’un titre : il doit renoncer à l’exercice d’un métier, au travail bien fait selon les règles du métier, au collectif de travail.

Ce qui est recherché dans la prescription du travail, c’est une conformité aux procédures établies par la hiérarchie. Les règles de métier deviennent secondaires soit embarrassantes parce qu’elles reposent sur des règle collective issues du terrain. Par ce biais, c’est le travail qui est mis en difficulté, car sa réalisation ne saurait se limiter à une prescription.

Dans ce processus la qualité du travail est définie par l’employeur selon des règles de rentabilité fixées par le marché: c’est ainsi que peut apparaitre la notion de « surqualité », c’est à dire de qualité dont le temps et les modalités de production n’engendrent pas de profit supplémentaire pour l’entreprise.

Les règles du métier apparaissent donc comme inutiles, voire comme constituant un obstacle à la rentabilité de l’entreprise, sous couvert des normes qualité.

L’écart entre travail prescrit et travail réalisé se creuse, éloignant les dirigeants de la réalité du terrain, créant et permettant ainsi des dérives organisationnelles sans limite, car dominé par l’imaginaire et ou une idéologie.

Ce faisant, les salariés sont de plus en plus amenés à réaliser le travail souvent contre ou en dépit des normes prescrites pour que « ça marche » et de fait à dissimuler le travail réalisé. Celui-ci peut même devenir illégal mais nécessaire pour la bonne marche de l’entreprise.

Le fait de couper l’individu de son métier, du collectif de travail et de sa liberté de réaliser le travail comme il l’entend (d’une certaine liberté dans la réalisation de son travail), revient à entamer le cycle de la perte de sens, de la motivation et finalement celui de l’isolement et de la souffrance au travail.

L’impossibilité de soutenir des controverses liées au travail réalisé voir au travail réel constitue un frein à la qualité du travail, au développement des connaissances et savoirs nécessaires à la réalisation du travail et à la prospérité de l’entreprise.

Le mythe de la qualité totale

Dans le mythe de la qualité totale ou du zéro défaut, au-delà de la qualité effective d’un produit ou service, l’on tente de définir le comportement humain au travers des différentes étapes de la réalisation du travail par la rationalisation systématique d’un process de travail.

Or la qualité totale est une vue de l’esprit, une invention qui n’a pas de sens dans l’entreprise du point de vue de la production. Elle situe le but à atteindre du coté de l’idéal inaccessible (divin) et remet de fait l’individu dans un processus d’échec (de faute) et donc de réparation (culpabilité). Il en résulte une forme supplémentaire d’aliénation à l’entreprise par le biais d’une motivation  négative, qui participe au sentiment de souffrance au travail.

Dans ce contexte, l’évaluation s’inscrit dans une approche individuelle du travailleur et du travail réalisé. L’évaluation se joue en fait à plusieurs niveaux :

- Ce qui est apprécié au premier plan, c’est la conformité à une procédure qui est sensée définir la performance

- Ce qui est visé au second plan, c’est la soumission au process de travail par la conformité au travail prescrit.

Cette soumission suppose une « obéissance » aussi parfaite que possible. Cette obéissance ne peut dans notre société être obtenue par des formes de coercition trop visibles. Pour y parvenir il est nécessaire que l’individu intériorise les normes, de façon à ce qu’il devienne son propre prescripteur de normes.

Contrairement aux apparences, l’auto prescription des normes souhaitées par l’entreprise, l’intériorisation des normes quand celles-ci réclament un effort soutenu pour un niveau de performance élevé, est un processus d’autant plus dangereux et violent, qu’il empêche la révolte contre le prescripteur.

En cas d’échec, et c’est ce à quoi mène le processus de « O défaut », l’individu peut se trouver livré à de multiples formes de dépression, puisqu’il retourne contre lui-même l’agressivité qu’il pourrait retourner contre un prescripteur externe.

Par ailleurs le process de la qualité totale est un process qui spécifie chaque poste de travail en entrainant de ce fait une individualisation du travail. Chacun travailleur, finit par se retrouver en compétition avec lui-même pour essayer d’atteindre l’irréalisable « O défaut ».

C’est un système qui exclue toute réelle initiative au travail, toute collaboration spontanée toutes controverses quant à la manière de faire, plongeant l’individu dans un cycle qui tend vers l’épuisement. L’initiative, la spontanéité sont prescrites sous la forme d’injonctions paradoxales impossible à réaliser.

Cependant, la standardisation et la pseudo transparence du process de travail permet un remplacement optimal de la ressource défaillante.

La performance individuelle.

La performance individuelle dans le monde du travail est une métaphore sportive. Rappelons dans les jeux du cirque la sanction du perdant était définitive et que le maitre avait un doit de vie ou de mort sur ces antiques sportifs.

Dans l’entreprise la notion de performance individuelle n’existe cependant que sur le principe de la comparabilité avec une norme fixée par l’employeur. Elle consiste à mettre les salariés en concurrence, à transformer des collègues de travail en concurrents qui feront forcement plus ou moins (bien), l’un que l’autre.

La mise en concurrence, pour une réalisation satisfaisante du travail selon les normes prescrites, vient renforcer le sentiment « d’abandon ou le renoncement » à sa propre subjectivité. L’énergie mise au travail est détournée de son objet et rendu inconsciente par l’acte de concurrence.

La subjectivité se trouve « centrée » sur d’autres buts et le management peut ainsi utiliser cette subjectivité détournée de soi, qui permet un engagement de soi jusqu’à « l’au-delà de ses limites » en provoquant soit l’épuisement, soit une rupture en soi.

Ce qui importe, ce qui est rendu visible, c’est le positionnement par rapport à l’autre, la lutte pour être parmi les bons, les gagnants. En toile de fond, ce type de comportement au travail repose plus sur la destruction de l’autre que sur de la coopération.

La norme de performance n’est intéressante que tant qu’elle est en partie impossible ou difficile à atteindre. Atteignable elle perd sa force motrice et demande à être réévaluée.

Logiquement, l’on demande à l’individu de s’investir de plus en plus. Celui-ci quoique devenu une simple ressource, un mécanisme d’un système, doit donner et de plus en plus, le meilleur de lui-même, sans véritable contrepartie.

L’évaluation et la rémunération variable, entérinent l’individualisation du travail et la mise en concurrence des individus entre eux. En ceci elle concourt au développement du sentiment de souffrance au travail et de casse des collectifs de travail.

Elle crée de fait une dichotomie entre ceux qui ont une bonne évaluation et les autres et initie le processus de sélection et d’exclusion. Pour exemple, il apparait normal à tout le monde qu’en temps de crise, une entreprise garde les meilleurs pour sa survie.

Quant à la majorité silencieuse, l’exclusion de l’un garanti à l’autre sa présence… en oubliant que cela peut être à très court terme.

Reste à savoir en quoi les meilleurs sont les meilleurs… l’hyper adaptabilité sociale et la soumission sociale signent trop souvent le renoncement à la subjectivité de l’individu.

Par ailleurs, la tentative « d’éradication », voire de prescription, de la subjectivité dans un schéma de compétition, accentue la souffrance au travail en développant le sentiment d’échec, de faute et/ou de culpabilité. L’individu se retrouve au bout du compte comme coupé de sa subjectivité qui ne peut plus être considérée comme moyen pour faire ou bien faire son travail.

Conséquences sur l’individu

Coupé du travail réel et de la valorisation du travail réalisé, condamné à l’exécution du travail prescrit (des taches prescrites) et à la concurrence, l’évaluation entérine pour l’individu, la perte des valeurs qui lui étaient spécifiques.

Elle confronte l’individu à une nouvelle échelle de valeurs. Mais en fait il s’agit d’une échelle de non-valeurs, car sorties de leur contexte de pertinence, les données techniques qui servent de référence n’ont pas de sens. Elles tentent à faire apparaitre une facette inconnue de l’individu.

Facette façonnée par l’entreprise et soumise au processus de l’évaluation. Facette qui fera que l’individu ne se reconnaitra pas dans ces propres réactions au travail. Celles-ci le laisseront désemparé, sans compréhension possible, même dans sa sphère privée.

Cette modification de valeurs représente un véritable processus de dépersonnalisation qui contribue à réduire l’homme au statut de ressource exploitable. Ressource dès lors définissable par un juste prix en fonction de la conformité de ses comportements.

Cette logique de l’adaptation, à l’inverse d’une logique de création et d’initiative, requiert la conformité à un système abstrait dont le référentiel est économique.

La pseudo-objectivité des processus d’évaluation repose sur une idéologie qui cherche à faire passer l’homme pour une machine. Les machines certes tombent en panne, mais elles n’ont pas d’état d’âme, ne manifestent pas et ne font pas grève. Cassées, usées, les machines sont destinées à être remplacées.

Mais cette modification de valeurs représente également un véritable processus qui altère en profondeur la santé de l’individu, coupé de son pourvoir d’agir et de réagir.

Il s’agit ni plus ni moins d’application de règles et de normes hors champ d’application et en ce sens elles concourent à faire perdre le sens du bien commun. Il y a de quoi devenir fou.

Le suicide d’un individu représente une situation de désespérance dans laquelle l’individu ne peut plus s’en prendre à un autre, ni compter sur un collègue, ni sur un collectif de travail, ni faire appel à ses propres ressources.

L’individu se trouve plaqué à la réalité d’un travail impossible à réaliser, vidé de sa substance et de son sens, sans pouvoir recourir ni à autrui ni à soi même.

Le suicide signifie la fin de cette situation insupportable, sans que mourir en tant que tel n’ait été désiré. Sidi Mohamed BARKAT écrit que le suicide est déjà un acte d’une personne qui « n’existe plus » car elle « occupe » seulement une place et n’habite plus ce monde.

Son compte lui aura été réglé par avance et par d’autres, qui font du système et du contexte un paravent de façon à les dégager de leur responsabilité individuelle.

La gestion des ressources humaines

La direction des ressources humaines est dans ce schéma le bras armé de la direction, qui met en œuvre les différentes procédures : fiche de poste, évaluation du travail, système de rémunération, formation… il s’agit d’une technicisation des relations humaines qui empêche tout véritable débat lié au travail, à la réalisation du travail. Les ressources humaines sont traverses par des modes qui empêchent tout débat véritable sur leur finalité.

La DRH, veille, met en œuvre et contrôle la bonne exécution des procédures de rationalisation du travail et traite les sujets défaillants soit pour les « normaliser » c'est-à-dire les asservir au système, soit pour les exclure. En ce sens elle joue le rôle de police du personnel.

La grille d’évaluation du travail, témoigne de la culture de l’entreprise et représente en quelque sorte les lunettes au travers desquelles il faut appréhender la réalité. Ce qui n’est pas prévu dans la grille d’évaluation ne fait pas partie de la situation de travail.

Prenons l’exemple de la performance collective, rarement prévue dans le processus d’évaluation et de ce fait comme inexistante dans la réalisation du travail. Alors que l’on sait que performance individuelle et performance collective sont étroitement liées.

Ce déni de la dimension collective n’empêche pas par ailleurs, les managers de mettre en concurrence les équipes et service entre eux dans un objectif de productivité ou de réduction des coûts.

Reste qu’officiellement au sein de l’entreprise, la notion d’équipe ou de collectif, constituent des notions dangereuses car étant un contre pouvoir potentiel.

Puisque la DRH s’inscrit dans une perspective de gestion prévisionnelle, ce dont il devient question à présent, c’est l’identification des personnes qui ont du mal à s’adapter au changement. Autrement dit, les personnes en difficultés, les marginaux, les déviants mais aussi les récalcitrants et les résistants sont à repérer afin de faciliter soient leur repositionnement professionnel (rééducation) ou leur éviction (élimination).

Cette approche va de pair avec une approche scientiste du génome qui permettra à l’entreprise, aux banquiers et assureurs, si nous n’y prenons garde, de sélectionnent leurs salariés ou clients.

La position du manager

Le manager pour soutenir cette posture idéologique se met dans une position «  de courroie de transmission » et d’affichage d’une forme de transparence : tout est visible, les motivations, le process, les objectifs, tout, sauf les mécanismes d’aliénation du manager et du managé. Il n’est lui-même en effet qu’une courroie de transmission de la direction. Et de ce fait pas responsable.

Cette proximité avec la direction peut cependant faire l’objet d’une reconnaissance spécifique par ce que l’on peut appeler un salaire d’allégeance. (Rémunération, prime…) pour des postes de cadre dirigeants.

Ceci est essentiellement exact dans le secteur privé où le manager (cadres-dirigeants) qui se sait de passage, touche un salaire qui constitue un accessoire de rémunération au regard des primes d’arrivée et de départ.

La courte durée de fonction des managers permet d’éviter l’inscription de leurs actions dans une histoire, échappant ainsi au dévoilement de leur véritable travail, tout en leur maintenant une rémunération suffisante au gré des allées et venues. Ils peuvent ainsi œuvrer sans implication subjective et sans évaluation de leur action.

Ceci est partiellement exact pour tous ceux qu’on nomme les managers de proximité et qui continuent de devoir se soucier au moins partiellement du travail réel et de sa réalisation tout en participant au processus de déréalisation du travail.

Les managers de proximité, comme leur dénomination l’indique, sont proches des « managés » dans le sens où ils sont aussi dans une position d’exécutants ; mais ils sont en même tant près des managés car dans une position de soumission et subordination et proche des dirigeants car éloignés du travail réel en devant soutenir l’idéal des dirigeants donc, l’invisibilité du travail réel et surtout des conflits liés au travail.

Les managers de proximités doivent, pour pouvoir faire leur travail, faire fi du travail réel des managés et de leurs difficultés à y arriver. Ils tendent à devenir de plus en plus les contrôleurs des comportements de soumission aux procédures.

C’est e plus en plus à eux qu’on demande de faire passer les évaluations individuelles. Leur position de « manager » est aussi factice que l’est le travail évalué. Ils participent au simulacre. Il en va de leur présence dans l’entreprise. Le manager doit faire adhérer les salariés au discours managérial de l’entreprise)

Le manager face à l’évaluation du travail prescrit

Le manager n’est pas sans savoir qu’il est en position de faire appliquer ces différentes techniques par le biais de la gestion d’un rapport de force qui n’a plus grand-chose à voir avec l’encadrement tel qu’il était pratiqué autrefois et qui se centrait sur le travail à faire, le collectif de travail, la définition commune des règles, le recherche du beau travail, les hommes.

Effectivement au nom d’un savoir faire transversal aux différents métiers (stage de management, techniques de prise de parole en public, animation de réunion, de gestion des conflits, de conduite des entretiens, de résolution des problèmes…), le manager peut aujourd’hui faire fi du collectif du travail, de la réalisation effective du travail, de la qualité du travail et finalement du travail lui-même.

Il sait exercer son pouvoir, parfois en dépit du bon sens et de la réalisation du travail. Il peut ne rien connaitre du travail de se subordonnées. Pour ne pas trop souffrir de sa situation, il peut aussi ne rien vouloir en savoir.

L’évaluation n’a pas pour objectif d’évaluer un collaborateur, ni sa performance, ni même le travail réalisé, elle est un rituel au sens d’un cérémonial, qui a pour fonction de valider les outils mis en œuvre par la direction, en confortant le rapport de domination « encadrant/ encadré », dans une perspective de recherche d’une paix sociale et d’efficacité maximale. Seul le trouble social nuit aux intérêts de l’entreprise ou de la collectivité et peut dévoiler les absurdités ou les excès du management.

Le manager conserve cependant lui-même une marge de manœuvre restreinte pour la mise en œuvre des entretiens d’évaluation et ce, même s’il aura été formé pour ce faire. Souvent mal à l’aise dans cet exercice contradictoire, il aura tendance à attendre de l’entretien d’évaluation

  • La confirmation d’une appréciation subjective
  • De s’en servir à son avantage dans la perspective d’un règlement de compte
  • D’en faire un moment consensuel, contribuant à la paix sociale.

Dans chacun de ces cas, on s’éloigne de l’objectif initial de l’évaluation. La tendance qui consiste à présenter une grille pré-instruite à la personne évaluée existe dans de nombreuse entreprises ou collectivités. Dans cette pratique, les échanges ne porteront pas sur l’évaluation d’une personne ou d’un travail, voire des résultats atteints, mais sur l’appréciation de l’instruction de la grille.

Une autre dérive, très classique résulte de la prescription du travail. Il faut bien reconnaitre que face aux difficultés qu’a l’évaluateur de connaitre le travail de l’évalué, il a tendance pour s’en sortir à demander à l’évalué de s’auto évaluer. Cela peut être également une manœuvre pour assoir une autorité défaillante et/ou développer l’auto-injonction, l’auto-prescription dont on connait aujourd’hui les effets catastrophiques.

L’évaluation est ainsi un simulacre de discussion. On fait croire aux salariés qu’on les écoute, qu’ils peuvent dire ce qu’il en est de leur travail et d’eux dans ce travail. Mais en fait ce n’est qu’un moyen d’exposer les résistances, leurs zones de flottement… qui permet de repérer les  personnes « libres » qui n’adhèrent pas encore tout à fait à l’idéologie !

De l‘influence des éléments contextuels sur la démarche d’évaluation.

L’introduction des entretiens d’évaluations dans une entreprise, vient modifier l’équilibre existant d’un mode de management préalable.

Ce déséquilibre temporaire d’un système (changement d’équilibre) est un processus fait d’interactions des entretiens d’évaluations avec les autres termes de l’entreprise et ce, dans une configuration non maitrisable et de fait imprévisible. Ainsi de nombreux autres facteurs, prévus ou imprévus, influencent la réalisation des entretiens d’évaluation.

Prenons quelques exemples :

  • La fait de lier l’évaluation à la rémunération peut entrainer du coté de l’évalué une tendance à une valorisation des faits et réalisations de façon à percevoir le maximum d’argent. Du coté de l’évaluateur cela peut déclencher la mise en œuvre de mécanismes de récompense ou de recherche d’une certaine justice sociale dans la répartition des enveloppes financières. Dans les deux cas des dérives sont possibles, voire probables dans la durée : falsification des faits, clientélisme…
  • La supervision de l’entretien d’évaluation par le N+ 2 voire le N+3, entraine souvent du coté de la hiérarchie un choix particulier des problématiques énoncées et des mots utilisés dans le rapport de l’entretien d’évaluation. Car il ne s’agit pas, pour l’évaluateur, de donner à voir des problèmes qui existeraient dans l’entité dont il à la charge, ni de dévoiler ses éventuelles faiblesses de management.
  • La répartition d’une enveloppe financière au sein d’une équipe peut générer des partages très originaux, loin des critères officiels. Ainsi dans une entreprise de haute technologie, les responsables, tout en instruisant les questionnaires ad hoc, avaient sur le terrain imaginé et mise en œuvre une répartition équitable sur la base d’une rotation des attributions sur un cycle pluriannuels. Chaque membre de l’équipe percevait au terme du cycle le même montant, et l’encadrement préservait la cohérence de l’équipe.
  • Dans une autre entreprise, aux prises avec une démarche de qualité totale, la rémunération du recyclage des rebuts de production à conduit à une augmentation considérable du nombre de rebuts.

Les interactions des entretiens d’évaluations avec d’autres éléments de l’entreprise sont spécifiques à chaque entité et imprévisibles.

Les dimensions négatives de l’évaluation

  • L’évaluation est dangereuse dans les situations d’organisation défaillante, de management abusif ou de harcèlement puisqu’elle consolide une situation et fournit des outils qui permettent à l’évaluateur d’assoir institutionnellement un pouvoir dont il fait un acte de jouissance.
  • L’évaluation est chronophage pour l’évalué et l’évaluateur mais aussi au niveau du traitement administratif des rapports d’évaluation.
  • L’évaluation coute chère à l’entreprise : Il n’y a d’ailleurs que très rarement des études d’impact ou des études de coûts du processus d’évaluation. L’évaluation échappe à l‘évaluation…
  • Les suites données aux entretiens d’évaluation sont minimes du point de vue de la gestion des ressources humaines et le suivi qualitatif quasi inexistant le démontre. Il n’y a qu’à prendre les rares études de légitimation du processus d’évaluation pour se rendre compte de la faiblesse des informations comprises dans ses études.
  • L’évaluation élude la dimension subjective du travailleur qui conditionne pourtant la réalisation du travail. L’évaluation tend à accroitre l’écart entre travail prescrit et travail réalisé facilitant une dérive d’un pouvoir coupé de la réalité et une dissimulation du travail réaliser.
  • L’évaluation ne prend pas en compte certaines questions : la dimension collective, le bien être au travail, la contribution à la démarche santé et sécurité, les savoirs faire clandestins. (Christophe Dejours dans l’évaluation du travail à l’épreuve du réel).

Ce dernier point mérite d’être explicité. Le fait de réaliser un travail au-delà de la prescription et souvent à la marge de ce qui est autorisé relègue le savoir faire dans un désert sémiotique et dans un silence qui le fait échapper à l’évaluation. Les savoirs faire liés au travail deviennent clandestins. La mise en œuvre des savoirs faires clandestin, s’exécute dans des mécanismes infraliminaires du point de vue de la conscience, en mobilisant la mémoire corporelle, étroitement liée à l’activité. Il s’agit d’une part importante du savoir faire issue de l’expérience et qui n’apparait qu’en situation de travail.

Ce savoir faire clandestin fruit de l’expérience, issu du vécu et de la répétition des gestes du métier, est l’aboutissement d’une recherche inconsciente et continu d’amélioration du « bon geste » dans l’être là de l’individu au travail. Il s’agit d’un processus qui se développe dans les zones de liberté et de responsabilisation du travail, quand l’individu a durablement le sentiment d’exister au travail et donc d’y trouver du sens. Ce savoir faire, essentiel à la réalisation des activités échappent à l’évaluation.

Conclusion

L’évaluation au-delà du rituel visant à légitimer un pouvoir en mal de légitimité au regard de la réalité du travail, apparait essentiellement comme un simulacre, un « faire-semblant » dont le travail est absent. L’évaluation est mise en scène dans ses spécificités par les critères qui la composent. Ceux-ci prédéterminent statistiquement en grande partie le résultat de l’évaluation et témoignent de la culture de l’entreprise.

A ce titre, même au prix d’une participation hypothétique à la paix sociale, ce qui reste à démontrer, l’évaluation est un processus de contrôle chronophage et onéreux qui se joue aux dépends du salarié mais aussi de l’employeur. Elle peut, selon les milieux plus ou moins pathogènes, prendre une dimension négative voire dangereuse pour l’évalué.

Dans le meilleur des, cas elle permet de parler des besoins de formation des individus, mais trop souvent dans une approche des compétences basées sur une évaluation individuelles et non plus sur une approche prenant en compte la notion de qualification liée à un métier ou à un parcours professionnel. Par ailleurs la compétence est souvent conçu dans une logique d’accumulation de savoirs et savoir- faire qui ne garantie en rien, leur utilisation sur le terrain.

Cependant, les salariés peuvent dans une majorité de situations, trouver dans les contraintes du processus d’évaluation un espace de liberté, mais celui-ci sera perverti par une position de complicité passive. Personne n’est dupe de cette supercherie mais chacun s’en accommode pour des raisons différentes. L’évaluateur en exposant sa docilité dans la mise en œuvre du processus d‘évaluation gagne une relative tranquillité au regard de sa hiérarchie et fait mine d’assoir son pouvoir. L’évalué en se pliant au rituel de l’évaluation du travail prescrit retrouve un espace de liberté dérobé dans la réalisation effective de son travail, dont-il gardera le secret et la responsabilité.

L’évalué aura fourni à l’évaluateur ou fait mine de le faire, ce qui lui est demandé et seulement ce qu’il lui demandé. L’évaluation du travail, elle, reste à inventer.

Pour cela, il faudrait définir avec les salariés, la finalité de l’évaluation, les critères d’évaluation du travail, les critères de qualité d’un travail bien fait, les modalités de mise en œuvre. Il faudrait également accepter de soumettre le processus d’évaluation à une évaluation et pouvoir soutenir les controverses inévitables qu’engendrent le travail et sa réalisation effective en accepter d’intégrer la question du travail collectif.

En fin de compte, cela reviendrait à imaginer une forme d’exercice de la démocratie au travail. Celle-ci aurait rapidement pour exigence de réhabiliter les questions du respect des personnes et du travail et de la responsabilisation du travailleur. Il n’est pas certain que l’encadrement supérieur, ni d’ailleurs les élus des collectivités, soient prêts pour un tel exercice.

Pourtant à défaut d’avoir comme visée le développement de l’être humain, en ce qu’il contribue au développement de la civilisation, l’évaluation n’a que deux destins possibles. Soit, elle peut au mieux engendrer des effets pervers qui justifient qu’on y renonce, soit elle vient tenter de donner une légitimité à un système de gestion qui tend à sacrifier l’être humain sur l’autel du profit. A ce titre il est important d’y résister.

Sources

Hannah Arendt

Yves Clot

Michel Chauvière

Christophe Dejours

R. D. Dufour

Roland Gori

Dominique Lhuillier

Francis Meyer

Fabienne Tournadre

Sidi Mohamed Barkat.

Commentaires

Pouvoir

Quoique l'on en pense, au final, nous tombons toujours sur la question du pouvoir.
Gérer, évaluer, machin chose, ... les instances qui commandent, imposent cela n'ont rien à faire d'être incompétente en la matière, elles le disent volontiers à qui veut bien l'entendre que son soucis est de contrôler. C'est comme si vous demandiez à un fonctionnaire de se former alors que son travail est garanti à vie quelque soit des bêtises faites. ce qu'il risque au pire c'est de changer de secteur.
Sérieusement, on nous bassine de bons sentiments : ne voulez vous pas améliorer la qualité de votre prise en charge? Question quand même perverse non? qui va dire "non"?
tout cela c'est du blabla,.. qui changera de nom d'ici peu. On se fiche de la personne,.. on tourne autour de sujets racoleurs. le Pouvoir de décider quitte à prendre des décisions débiles, de déshabiller Jacques pour habiller Paul puis de le refoutre à poil!!
Le pouvoir est le seul objectif à chaque échelle.

l'évaluation...

ce (long) texte est avant tout l'expression d'une colère politique, bien compréhensible et respectable en soi mais néanmoins source de confusions nombreuses... et propice à l'excès en de nombreux points !
d'abord, sur ce site relatif à l'action sociale, traiter de l'évaluation de la sorte peut laisser accroire que vous rejetez tout : l'évaluation des actions avec l'évaluation du personnel, ce qui n'est pas du tout la même chose ! on peut juger, évaluer des choses (des actions), pas des hommes (celle dont vous exprimez à juste titre ce rejet).
que les entreprises tayloriennes aient cherché à rentabiliser leur investissement humain en procédant de la façon dont vous parlez est indéniable, mais il semble que leur temps soit de plus en plus révolu. les approches systémiques permettent de parler de qualité, d'impliquer les collectifs et les gestes 'clandestins', sans rendre fous les agents...
vous mentionnez souvent l'approche psychodynamique du travail ; sachez qu'elle n'est pas la seule.
enfin, vous mentionnez dix auteurs en annexe, mai n'en citez que deux : curieux !

 

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