Dans cet ouvrage, il est question de violence, violence du sujet et violence subie, violence réelle et violence symbolique.
Comment fut pensée la jeunesse en difficulté au cours de l’histoire ? Il était question d’enfance coupable, de déficience, d’enfant malsain, dégénéré. Plus tard, les mots sont plutôt enfant perturbé, caractériel, une certaine humanisation se fait jour. C’est oublier que l’enfant, l’adolescent est un être de désir, hors, c’est ce qui fonde la complexité de l’éducation spécialisée…
Qui pourrait nier qu’une violence fondamentale est au cœur de l’humain ? Freud a du s’y résoudre en inventant la pulsion de mort. Ainsi, le mot d’ordre d’avoir tout tout de suite par l’accumulation des objets, n’est il pas une forme de violence ? Violence économique qui tient dans la promesse tous « comme un ».
Dans ce contexte, le travailleur social est souvent mis à mal, la violence est parfois son lieu de travail en prise aux agressions diverses, la relation se joue et se noue dans son corps. Que laisse comme trace à élaborer le mutisme d’un enfant autiste, la violence d’un délinquant, l’abandonisme d’un SDF ? Le chemin de la relation est souvent long, tortueux et ne laisse jamais indemne. Il lui faut alors « les mots pour le dire » mais aussi une certaine implication clinique et politique pour pouvoir rester innovant.
Peut-il opérer des manifestations symboliques qui lui redonnent une dynamique de vie pour faire écran à l’usure, la dépression, le désengagement ?
Il s’agit pour l’éducateur dans ce parcours éprouvant de réinventer des espaces de dire pour affirmer et réaffirmer le désir qui fonde sa fonction.
Le travailleur social n’est pas là pour contenir des populations mais pour accompagner celui qui souffre.
Il s’agit ici de mesurer la cohésion personnelle et pluridisciplinaire dans les réponses apportées à la violence.
C’est dans Totem et Tabou que Freud
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repère l’hypothèse de la Horde paternelle comme l’inceste du père dictateur, Père, mythique, père originaire qui réalise l’appropriation impossible de toute jouissance, cet au-moins-un à jouir de toutes les femmes fonde (pour tous) moyennant la négation du meurtre, l’universel et non l’uni-vers-celle du renoncement. Hypothèse d’un réel du père et de sa dictature toute puissante. Tuer et manger le père dans un repas totémique se fait dans l’illusion de s’identifier ainsi en incorporant la puissance paternelle. N’y a-t-il pas, pour Freud, une volonté de forçage à universaliser le complexe d’Œdipe ?
Cet acte criminel inscrit la trace mnésique dans l’inconscient car c’est le droit maternel et son accord qui signe l’acceptation de ce meurtre du père.
Freud nous dit : «
Il en résulte une restriction tabou, en vertu de laquelle les membres du même clan totémique ne doivent pas contracter mariage entre eux et doivent en général, s’abstenir de relations nouvelles entre hommes et femmes appartenant au même clan. Mais l’autre tabou, l’interdiction de l’inceste, avait aussi une grande importance pratique. Le besoin sexuel, loin d’unir les hommes les divise. Si les frères étaient associés tant qu’il s’agissait de supprimer le père, ils devenaient rivaux dès qu’il s’agissait de s’emparer des femmes. Chacun aurait voulu, à l’exemple du père, les avoir toutes à lui et la lutte générale qui en serait résultée aurait amené la ruine de la société. Il n’y avait plus d’homme qui, dépassant tous les autres par sa puissance, aurait pu assumer le rôle du père. Aussi les frères, s’ils voulaient vivre ensemble, n’avaient-ils qu’un seul parti à prendre : après avoir peut-être surmonté de graves discordes, instituer l’interdiction de l’inceste, par laquelle ils renonçaient tous à la possession des femmes convoitées alors que c’était principalement pour s’assurer cette possession qu’ils avaient tué le père. »
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C’est ce que Lévi-Strauss démontrera comme étant le passage de la nature à la culture.
L’hypothèse de Freud est que ce meurtre du père serait à l’origine de l’organisation du monde, nous introduisant à la science, à la religion, à la politique, à l’art ou à l’éducation. Remonter le temps pour interroger son origine et sa disparition. Que pèse une vie humaine ? Comment affiner notre passage ? Quelle histoire de trace et quelles traces d’histoires pouvons nous laisser au travers de choses infiniment infimes ? Bref, une question qui n’en finit pas de faire retour dans les métiers dits du social… Qu’est ce qu’on fout là ?
Cet être là signe la dimension de l’éthique, c’est à dire de notre être au monde.
Ceci est un mythe qui, bien que discutable a le mérite de poser la question de l’origine.
L’adversaire « immortel » d’Eros n’est autre que la pulsion de mort dont Freud avait révélé l’existence dès la sexualité infantile, il eut le plus grand mal à convaincre jusqu’à ses élèves. Elle travaille « silencieusement » cette pulsion, elle vise à détruire l’autre et soi-même dans un mouvement d’agression et d’autopunition. Elle garde la trace du meurtre originaire du père par les fils qui est le fondement de toute société humaine. La culture engendre le refus de savoir d’où elle vient. La culture visant à l’utilité, à l’ordre, doit procéder à l’inhibition de l’individualité. Dans ce contexte, la dimension de l’amour devient chose rare.
Survint par-ci par-là comme l’a nommé le père de la psychanalyse un ‘malaise dans la civilisation’
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. Il y a, à la base des pulsions une violence irréductible, l’être humain est violence. La violence relève parfois d’un sentiment d’opacité, nous projetons sur l’autre des sentiments, des affects, des pulsions que nous dénonçons et qui ne font que nous énoncer.
De fait, «
L’homme n’est point cet être débonnaire au cœur assoiffé d’amour dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être au contraire qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité… L’homme est en effet tenté de satisfaire son besoin d’agression, d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer
»
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. Voilà ce qu’affirme en 1929 Freud, dix ans plus tard, les camps de la mort lui donneront raison. Le malaise dans la civilisation scientifique et technique fait que personne ne peut échapper à son emprise.
Est-ce la faute à la science s’il y a du malaise ?
Avec la science moderne, s’instaure et s’établit un rapport au savoir qui entoure et supplante le règne de la co-naissance. Ce savoir qui prend le pas repose sur un acte fondateur : rupture avec la connaissance. La science se rend indépendante, en donnant lieu au savoir objectivé, indifférent, déshumanisé, désintéressé de la jouissance. La science dure et son savoir se renouvelle parce que l’exclusion du sujet perdure. Pour qu’il y ait exclusion du sujet, il faut qu’il y ait peut être deux éléments qui l’accompagnent : impossibilité d’accès à l’histoire et impossibilité d’accès au lien social. Gardons, du moins, ces deux hypothèses comme question.
La science dure, la science est pure, voilà ce que le sujet endure ! Mais, le sujet n’étant pas aux ordres, il persévère dans sa position et la jouissance ne cesse de faire retour dans la répétition. Simplement, ce qui est refusé au sujet, c’est de pouvoir voir que cette répétition, c’est lui !
C’est en ce point que nous pouvons mesurer le discours scientiste sur le sujet. Quand le maître «vrai » se réduit à l’un du signifiant à l’arbitraire de l’un, lequel est infléchi par le capitalisme qui fait de la plus value la cause de son désir, taraudé par les effets de la science qui se vouant à la seule production du savoir s’impose comme «idéologie de la suppression du sujet ».
Le discours de la science infiltrant le lien social ne met-il pas gravement en cause les modes de traitement de la violence ?
Le capitalisme libéral va de pair avec la démocratie. La démocratie essaye de réguler le réel à partir de la loi, mais comme elle n’est plus garante d’un facteur de régulation, elle génère la crainte de la répétition de l’histoire, le totalitarisme du passé.
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L’exception se développe sur le lieu religieu. L’être exceptionnel agit au nom de l’exception : «
Je suis l’élu qui agit pour le bien de tous
», politique du tyran qui sait, plus que tout autre, ce qui est bon pour l’autre.
Freud a toujours lié les problèmes de la civilisation et du malaise, l’irréductible de la pulsion dans la nature humaine. La névrose, la bonne éducation, conditionnent le déterminisme social : «
Tu es cela
»…
Les liens sociaux sont en cause, Lacan les a nommés discours au sens ou le discours est un lien social ordonné par le langage ce que Freud appelle la civilisation.
Le symptôme est lié à la pulsion, il se met en travers. « Je n’y arrive pas », impuissance à parler, « je ne peux pas m’empêcher de taper, de voler… ». Cette jouissance là met du sable dans la machine du discours commun et va à l’encontre du signifiant maître.
Comment a-t-on affaire à la violence ? Par le biais des symptômes. Si on ne peut relier les éléments de son histoire, on fait des histoires. L’amour n’est pas structurant, il est insuffisant. Avoir été trop aimé et accompagné par la haine qui est la sœur de lait de l’amour. L’amour c’est l’assujettissement à l’autre car il y manque le principe de séparation, se séparer pour créer du lien. La séparation permet au sujet de développer une autonomie morale et subjective. Il est primordial dans les métiers du social d’entendre la violence comme une tentative avortée de séparation, de les repérer. La drogue, la violence, les fugues, ne sont-elles pas des tentatives de séparation ? Accompagner l’autre à se séparer pour grandir tout en restant relié, n’est-ce pas là la fonction éducative ?
Le déclin du père
Le père pose question et l’époque actuelle ne désigne-t-elle pas son déclin ? Du père au pire, disait Lacan, c’est à dire le déferlement de la jouissance… Vers un déclin de son image
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.
Le père est-il mort et allons-nous vers ‘une société sans père’
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.
P. Legendre parle de pratiques symboliques sociales permettant au sujet d’opérer une permutation symbolique, c’est à dire passer d’une nomination par exemple ‘fils de’ à une autre place symbolique dans le réseau de la parenté et de l’alliance.
J. Lacan avait annoncé en 1963 la pluralisation des noms-du-père. N’avons nous pas affaire dans notre travail à des individus qui en tant que sujets témoignent à leur niveau de problématiques paternelles singulières ?
L’usage des pratiques du langage dans le travail social
Trouvons-nous une autre satisfaction par la parole ? Tout psychanalyste est bien placé pour savoir que les mots peuvent rendre malade. Triangulez ! Triangulez ! Qu’est-ce à dire ? Transformer le passage à l’acte en acte de passage. Les médiations, mettre au milieu, mettre entre deux pour exprimer la violence sur un mode constructif et valorisant. Cela procède toujours d’opérations langagières affinant ainsi ce que parler veut dire. Il est une instance dont on ne parle pas, c’est la loi. Hors la loi, c’est l’envers de la violence, le respect du désir et du corps. Redonner le droit de cité à ceux qui ont juste le droit d’être cités en parallèle, juste le droit de cécité, au travers d’un atelier d’écriture, n’est-ce pas une position politique ? Mais également réintroduire la question du sujet ?
J’ai travaillé pendant deux ans comme animateur d’atelier d’écriture, dans une structure accueillant des personnes qui souffrent de pauvreté endémique, d’isolement chronique ou d’errance absolue, autrement dit, des SDF et pour les plus chanceux des RMIstes.
Paradoxalement, si l’on posait un diagnostic politique, je dirais que plus il y a d’exclus plus le capitalisme croit. Le problème réside dans le fait que si les rapports de production restent analysables, les rapports de consommation posent une énigme : «
Dis moi ce que tu consommes, je te dirais qui tu es (qui tuer) ?
»
Comment ne pas voir le discours de la science dans toute son abjection. Un SDF mort sur un banc, ce n’est plus un homme qui meurt !
De cette population a qui on donne l’injonction aux psy, aux travailleurs sociaux de les contenir, parce qu’ils font désordre avec ordre d’objectiver le sujet pour le ravaler au rang d’objet. «
Il est certain que se coltiner la misère, … c’est entrer dans le discours qui la conditionne, ne serait-ce qu’au titre d’y protester. Au reste les psycho quels qu’ils soient qui s’emploient à votre supposé coltinage, n’ont pas à protester mais à collaborer
»
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. C’est dans cet entre-deux, protester et collaborer, que se situe le malaise du travail social.
J’allais deux fois par mois animer des ateliers d’écriture, nous commencions par une partie lecture car j’ai toujours fait le pari que mettre des auteurs comme Cendrars, Becket, Duras, Beaudelaire, Lautréamont, Rimbaud dans l’oreille d’un public défavorisé, c’est y mettre des choses qui ne devaient pas y entrer. Est cela la citoyenneté ?
J’ai décidé de reprendre la question de l’errance sur les lieux d’écriture, écrire dans des espaces ouverts ou fermés autour de Montauban, libérer, comme l’a fait toute sa vie Armand Guatti au travers du théâtre et de l’écriture une parole errante, une parole déjouée du pouvoir et qui peut circuler dans l’enceinte d’un collectif. Trois écrivans ont été écrivains, ils ont été publiés dans des revues, l’un d’entre eux ne savait ni lire ni écrire graphiquement.
Nous nous éloignons peut-être du père, quoi que ?
S’agit-il de faire lien social pour que ‘je’ advienne et devienne un parmi d’autres.
Masud Khan, à propos de la science analytique emploi le terme de ‘jachère’ sur le plan collectif, avec les exigences administratives, les préjugés, c’est très difficile à obtenir de tels lieux : des lieux de tranquillité vivante, des lieux ou ‘on vous fout la paix’, des lieux sans intentions thérapeutiques officielles.
La jachère ou espace du dire, Lacan parlait dans un autre contexte du «y a de l’un ».
La mélancolie
Je voudrais maintenant présenter un adolescent et sa violence de sujet mélancolique.
M. ne faisait rien, mais ne posait, en apparence, aucun problème. Il accentuait l’importance de la scolarité ce qui ne l’empêchait pas d’être exclu de tous les établissements scolaires qu’il fréquentait. On le scolarisa à l’intérieur d’un I.R. avec alternance classe – atelier. Pour si étonnant que cela paraisse, il ne manifestait aucune angoisse malgré les difficultés des situations dans la réalité, tout semblé colmaté.
Au début il me faisait penser à une catégorie clinique qui nous échappe souvent : l’obsessionnel. Il se contentait de duper les autres en feignant la bonne volonté. En quatre ans, M. avait été assigné à trois places différentes par son père, sa mère, sa fratrie : il est petit, il est irresponsable, il est fou. Il ne s’agit pas pourtant d’un glissement mais d’un même signifiant pour le représenter au sein de la famille. Un jour, il se mit au travail, il voulait être boulanger, horaires éprouvants, mais il travaillait dur, son employeur me dit qu’il était le meilleur ouvrier qu’il ait jamais eu. A ce point là, son image commença à s’effriter : « je ne sais pas ou je suis, je suis nul, est-ce que je vais rester comme ça », puis il semblait ne plus entendre, il mena sa destruction jusqu’à l’hospitalisation. D’ou vient l’éclosion de cette mélancolie, ce bouleversement de la structure de son existence ? Ce changement d’image le coupait-il de sa famille ?
Je pense à Dionysos qui est l’image la plus proche de la psychose maniaco-dépressive. Freud
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souligne bien la perte, pas forcément la perte d’un être cher, mais la perte d’une autorité, d’un objet, au sens fort du terme. Quelque chose de l’ordre d’une sorte de référent permanent va se démolir progressivement. La mélancolie est un lieu ou le sujet va se repérer, un lieu à partir duquel il pourra se reconnaître, un lieu qui organise son histoire, sa présence et la possibilité qu’il a de faire des projets. La crise de M. c’était ne plus pouvoir dire… ne plus pouvoir choisir…
Cette ruine qui lui tombait dessus, le renvoyait au niveau de la phase du miroir, l’imaginaire défaille, c’est le point d’horreur, une sorte de traversée du miroir. Cette impuissance à se tenir est à la base de la mélancolie, il s’ensuit l’ambivalence et puis l’angoisse et la vie se vide de sens.
Pourtant, il est totalement injuste d’assimiler la mélancolie, le deuil et son contraire la manie, le déni du deuil, a une psychose. Comme chez tout sujet, le nom du père opère, il n’est pas forclos. Il n’y a pas perte de la réalité. Il faut alors envisager des séances analytiques en face à face ou côte à côte. L’analyste doit tenir une image de neutralité pour que le patient puisse reconstruire l’image du miroir. Le sujet accède alors au semblant et retrouve l’imaginaire comme tout un chacun.
Je vais essayer maintenant de décrire, plutôt que d’écrire une micro société que représente une cour de récréation, on y assiste au jeu mais aussi à la déferlante de la jouissance des enfants. On voit bien que la violence est inhérente à l’humain. «
Il n’est besoin que d’écouter la fabulation des enfants, isolés ou entre eux entre deux et cinq ans pour savoir qu’arracher la tête et crever le ventre sont des thèmes spontanés de leur imagination que l’expérience de la poupée démantibulée ne fait que combler
» signale J. Lacan
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dans l’agressivité en psychanalyse.
Cour de récré
Comme tous les jeudis, je regarde les enfants de sept à treize ans. Un véritable scénario politico social se déroule sous mes yeux. Il y a déjà toute la civilisation, la structuration de l’être dans sa forme la plus élaborée, de déboires, de soumissions, de pouvoirs, de partages de territoire.
Là, tout se crée, se recrée à la récré. On est rien, on naît rien, on sait rien... Nous ne sommes que des poussières d’étoiles qui tombent sur les montagnes ou les rochers de l’océan, en Afrique, en Asie, au Soudan, en Laponie, en Europe, dans tous les coins du monde et cette bribe de Cosmos, cette poussière d’étoiles possède la parole et dit «
je
».
Que dis-je ? … Curieuse histoire quand même.
Là, je suis obligé d’arrêter mes diversions pour mettre Bébé requin sur le banc, Bébé requin mange les autres, les baffres, les baffe, les tyrannise, Bébé requin est sans loi, peut être est-il moins fou que nous ? Mais je me dois de faire mon boulot, Bébé requin restera sur le banc pour le protéger de lui-même et protéger les autres.
Instantanément, je siffle un coup franc à des adeptes du vélo qui veulent absolument faire le tour de la cour au milieu des terroristes du bac à sable et des adeptes du football, tiens, R. vient de prendre le ballon en pleine figure. En cinq secondes un syndicat autonome et parfaitement illégal constitué de cinq membres vient revendiquer la légalité du vélo dans la cour de récré. Je ne peux expliquer mon acte, me voilà gendarme appliquant bêtement la loi sans avoir le temps de l’expliquer. Serai ce un zeste de morale judéo-crétine ou un relent surmoïque qui s’empare de moi ? C’est l’envers de la loi, je ne peux accompagner ma sanction par les mots, cela me déprime, les autonomes s’effilochent dans la cour en quête d’adeptes susceptibles de pouvoir grossir le syndicat.
Je reprends mes dérives, je vois toute la société qui se crée, se recrée, dans cette création cette récréation.
Il y a un obsessionnel qui rentre dans mon atelier chant en se bouchant les oreilles alors qu’il crie comme un malade… nous lui donnons des stylos qui vont avec son obsession, les bleus avec les bleus, les rouges avec les rouges, les verts avec les verts. Les goûts et les couleurs, les coups et les douleurs…
Il y a quelques gamines hystériques qui foutent le bordel entre les mecs et qui changent d’idée comme moi de pull-over. Elles élisent des messies qu’elles prennent après pour des gens ternes.
Il y a C., un pervers qui, passant outre la loi, ne trouve pas son inscription de sujet, il n’y est pour rien, le déni de la castration, il joue avec l’autre, il jouit de l’autre. Il est tellement mignon… c’est moi son référent.
Tout le territoire est partagé entre deux leaders qui s’évitent et se rencontrent deux fois l’année pour se repartager la cour de récréé, T. et C.. Quand ça a lieu ça fait mal, j’ai été témoin, ils se giflent, ils se gigotent, ils se turbulent, se dévissent la tête dans la flaque d’eau, se roulent dans la fange.
«
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur leur tête
» Dans le match un round suffit à chaque fois nous ne voyons que la fin car ils profitent d’un laps de temps sans adultes ; le temps qu’un humaniste actif vienne chercher l’éduc. «
Mon Dieu !
» s’écrit Suzanne, l’infirmière, et là, ensanglantés, ils attaquent la source du langage ou cesse même un nom : «
fils de pute, nique ta mère !
» enfin personne ne fait jamais ça ! et l’autre de répondre : «
si j’avais couru plus vite que le chien je serais ton père
», voyez toujours des familles à histoires…
Ils sont entrés dans le cœur du langage et ne parlent enfin plus pour ne «rien dire ». Rendez-vous dans six mois, deux fois par an vous dis-je. En attendant, ils ne se verront pas. L’un pour l’autre ils sont redevenus transparents, juste la moitié du territoire, pas question d’empiéter chez le voisin…
Tout, il y a tout dans la cour de récréé, il y a les fayos a qui on casse la gueule car ils ont été bassement lâches en classe.
Il y a des insignifiants qui veulent pas d’histoires.
Tout est en place pour ce «livre de la jungle » qui s’appelle la vie.
Que me veut cet autre qui est à la fois mon double, mon frère, mon semblable, mon rival, mon ami et mon pire ennemi. Il y a le meilleur et le pire avant qu’il fasse rire.
Nous sommes des particules du cosmos, ensemble, séparés, qui s’éteindront un jour.
Mais la nuit n’est pas toujours bordée d’étoiles pour ce style d’enfants.
A la fin de la récré, une pause de vingt minutes m’est donnée et parfois, le vieil enfant qui dort en moi se réveille.
1
S. Freud Totem et Tabou, Petite Bibliothèque Payot, 1986
2
S. Freud Totem et Tabou, Petite Bibliothèque Payot, 1986
3
S. Freud, Le malaise dans la culture, Quadrige, PUF, 1995
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Op cit, S. Freud , Le malaise dans la culture
5
C. Soler, Violences et pouvoirs, Conférence du 5 avril 2003, Centre Universitaire de l’Ariège, Foix
6
J. Lacan, Les complexes familiaux, 1938
7
Mitsherlick 1969
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J. Lacan Télévision, Le Champ freudien, Seuil, 1974
9
S. Freud, Métapsychologie, Deuil et mélancolie, Folio Essais, 1993
10
J. Lacan Les écrits, Ed du Seuil, 1966