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sourires en bandoulière

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Norbert Chol

dimanche 11 janvier 2004

Accompagnement social d’un adolescent

C’est dans le cadre d’un suivi financier, qu’une collègue, assistante sociale de secteur, a reçu la mère de Florian. Mme B. a confié ses difficultés à éduquer son fils de quatorze ans. Elle s’est remariée et a eu un autre enfant, âgé de cinq ans à présent. La famille est originaire de Bourges. M. et Mme B. sont venus s’installer dans Le Forez pour gérer une supérette. Leur activité commerçante fut un échec. Aujourd’hui, Monsieur B. est agent d’exploitation et Madame, mère au foyer.

Juillet 2002, Florian n’a plus de lieu de scolarité du fait de son renvoi d’un collège internat de la région, pour une histoire de vol. Le service décide alors de proposer à Mme B. l’intervention de l’éducateur de polyvalence. Inscrit dans un diagnostic d’action éducative, il s’agit de déterminer, sur une période de deux ou trois mois, les difficultés de Florian et sa famille. Le travail auprès de celle-ci consiste à participer aux démarches de rescolarisation pour Florian et d’évaluer les raisons des carences éducatives de M. et Mme B.

Le premier contact est difficile, Florian parle peu et ne donne rien à voir de sa vraie personnalité. Il aura fallu trois mois pour arriver à faire vivre un entretien. Face à ce diagnostic, les membres de l’atelier de prévention décident de prolonger l’intervention de l’éducateur de polyvalence, de six mois. Florian évoque son regret de ne plus voir son père (hormis les vacances d’été). Il dit ne pas se sentir bien avec sa famille recomposée. Il ne s’entend pas avec son beau-père et ne comprend pas le remariage de sa mère. Jalonnée de repas pris en commun et d’inévitables « Mac Do » du mercredi après-midi, notre relation éducative se construira peu à peu, avec comme toile de fond cette rupture paternelle que Florian refuse.

Réinscrit en septembre dans un collège, Florian se fait vite remarquer. « Catalogué » comme chef de bande et comme élève perturbateur, l’équipe éducative de l’établissement ne le « lâche » plus. Florian me confie un jour, ne plus supporter d’être accusé à chaque nouveau méfait. Il reconnaît que son comportement n’est pas toujours le bon mais dit ne pas comprendre pourquoi il est le bouc émissaire.

Quant à son travail scolaire, il ne s’y intéresse pas et néglige ses devoirs. L’intérêt ? Rien ne l’intéresse !... Je lui fais des propositions d’activités pour qu’il se défoule. Mais rien ne l’accroche vraiment et quand une pointe d’envie surgit, sa mère énonce des impossibilités de transport ou financières.

Florian se retrouve à naviguer entre un lieu d’apprentissage qu’il rejette et un univers familial qui le rejette !... Il dira même ne pas avoir sa place. Quelle proposition lui soumettre ? J’opte pour une aide psychologique qu’il rejette bien sûr !... Par le passé il a essayé mais cela ne lui a rien apporté.

A cette période, les tensions familiales, augmentent. Avec l’accord de ses parents, nous décidons de préparer un projet de départ en camp pour les vacances de Pâques. Dans cette dynamique, Florian émet un souhait. Son choix se porte sur un camp « sport mécanique » (son père est chauffeur routier et répare souvent son véhicule lui-même).

Une semaine avant le départ, Florian passe à l’acte. Accompagné de deux de ses camarades de collège, ils attouchent une jeune fille de leur classe à la sortie des cours. La mère de cette adolescente porte plainte sur conseil du proviseur et une procédure judiciaire est ouverte. Florian comme le reste du groupe est entendu par la brigade des mineurs, qui transmet l’affaire au substitut du procureur. Le lendemain, Florian est mis à pied définitivement de son collège. Je le reçois en entretien à mon bureau l’après-midi même. Il affiche son sourire d’enfant sage !... Il ne semble pas inquiet et ne mesure pas la gravité de son acte. Il dit qu’il a seulement tenu les mains de la jeune fille et qu’il ne lui a mis que deux ou trois gifles pour la faire taire.

J’insiste sur la gravité des faits, sur la suite éventuelle sur le plan judiciaire, mais Florian ne réagit pas plus. Sa mère et son beau-père, que je visite le lendemain, ne sont pas plus inquiets que lui : «On verra bien ! On lui avait dit de se tenir tranquille ! ».

Lorsque j’évoque avec eux la sanction parentale, ils me répondent qu’ils ont décidé qu’il n’irait pas au camp de Pâques. Même si je conçois la réaction parentale comme une punition évidente, je la trouve dénuée de sens. A aucun moment les parents n’ont dialogué avec Florian, n’ont essayé de comprendre son geste et de lui en expliquer la gravité. La sanction est venue couper court à une possible compréhension de l’acte ! Comment Florian peut-il essayer d’analyser son geste, en comprendre les effets, l’incidence sur son avenir, dans un vide parental aussi important ?

Le traitement judiciaire ne fera que renforcer ce manque. Le délit s’est produit en avril et Florian rencontrera le juge pour enfants le 23 octobre ! J’ai revu Florian plusieurs fois dans les semaines qui ont suivi son audition à la Brigade des Mineurs. Je lui ai expliqué que les limites de mon intervention étaient atteintes, et que je me devais de transmettre un rapport au juge pour enfants dans le but de demander une Aide Educative en Milieu Ouvert. Florian avec son sourire habituel, m’a simplement demandé pourquoi ce ne pouvait être moi qui l’exerce !

Peut-être m’indiquait-il simplement qu’il avait trouvé quelqu’un qui l’écoutait et qui essayait de le comprendre. Il ne pouvait pas réfléchir seul sur son acte et sur ses conséquences. A la maison, il est seul aussi !

Mon rapport transmis, j’ai collaboré encore avec cette famille et le Rectorat pour rescolariser Florian. Au mois de mai, il intégrait un autre collège, plus proche de son domicile. Sa scolarisation a duré quatre jours !… Renvoyé pour menaces de faire pénétrer des individus extérieurs au collège, Florian s’est exprimé simplement : « On m’attendait. Ils voulaient ma peau, ils savaient qui j’étais, en fait… ils ne voulaient pas de moi ! » Sa mère est également dans le discours de l’évidence : « Comment voulez-vous qu’ils l’acceptent ?… C’est pas possible ! Je ne crois pas qu’ils voulaient de lui !... » Cette fois-ci, l’acharnement d’un suivi éducatif paraît déplacé !

Mais je ne peux pas le lâcher comme cela (sans doute je ne le veux pas ! ). Florian a gagné. A force, le sourire qui illumine son visage m’a converti ! … Il est vrai que je me suis attaché à ce jeune. Mon accompagnement, fait de rencontres ponctuelles, m’a fait découvrir Florian de jour en jour. Je refuse de croire que tout est perdu même si les nombreuses démarches, les rencontres passées à le motiver ou à le « bousculer », n’ont rien donné. Ce jeune peut réussir, je le sens, il m’est insupportable d’imaginer qu’il va dériver jusqu’à couler ! … La rencontre a été tellement dure à construire. Florian au départ, n’adhérait pas à l’accompagnement. Je lui ai laissé la porte ouverte jusqu’à ce qu’il entre (dans la relation), qu’il se libère et qu’on évoque ce père qui lui manque tant. Le mal de père, c’est la maladie de Florian !… Ayant la chance d’être père moi-même et ayant eu une grande complicité avec mon propre père, je m’autorise à croire que la blessure de Florian est douloureuse.

La transmission est rompue. Florian n’a pas d’envie car autour de lui rien n’est en vie ! J’ai accepté de le rencontrer tel qu’il est et non au vu de ce qu’il fait. L’absence de ce père provoque en lui de l’inertie et la mise en échec systématique. Son beau-père ne réussit pas à jouer le rôle du père, Florian ne le veut pas de toute façon. Quant à sa mère, elle ne mesure pas l’impact de son divorce sur son fils. Lors de rencontres communes avec Florian et ses parents, j’ai essayé de rétablir la communication familiale mais en vain. La rupture dans ce domaine est profonde et l’orientation vers L’école des Parents n’a pas trouvé d’échos chez ceux de Florian.

Avec Florian, nous avons eu parfois des rencontres difficiles. La succession d’échecs était le produit de ses actes. Je devais le mettre face à ses responsabilités sans lui tourner le dos et le laisser se débrouiller seul. Jamais il n’a loupé un de nos rendez-vous, il était même en avance à chaque fois.

Je pense lui avoir apporté écoute, soutien et reconnaissance dont il manquait tant. Même si cette reconnaissance passait en priorité par une demande de rappel à loi par l’autorité judiciaire. J’ai tenté de joindre son père qui vit à Bourges. Mes démarches sont restées sans résultats. Je souhaitais voir une amorce de contact reprendre entre eux. Mais les liens de sang ne peuvent vivre si les acteurs concernés n’en ressentent pas le besoin. Mon rôle de courroie de transmission, ne peut durer éternellement, l’après accompagnement éducatif repose sur la volonté de ce père à éduquer son fils. Pour l’heure, peut-être peut-on faire encore quelque chose. Alors je me dis que si Florian ne veut plus du scolaire pourquoi ne pas essayer l’apprentissage professionnel ?

En collaboration avec les services de prévention spécialisée de quartier (l’A.G.A.S.E.F.) et la maison de quartier, j’inscrit au cours de l’été, Florian dans un « chantier cuisine ». Quatre semaines de travail que Florian prend au sérieux. Durant cette période, j’irais le voir en pleine action.

Florian est satisfait de ce petit boulot et a très vite fait l’unanimité de l’équipe encadrante. Souriant quand il sert ou lorsqu’il débarrasse les tables, il se sent reconnu et apprécié. La presse désireuse de faire un article, sur les activités de cette maison de quartier, mettra Florian à l’honneur dans un portrait intitulé : « Le Sourire de Midi ! ». Lors d’une absence, il sera très surpris que le personnel s’inquiète pour lui. Il dira même « Je compte tant que ça pour vous ? ». Parallèlement, la proposition d’intégrer une Maison Familiale Rurale de la région lui est faite, afin de reprendre une scolarité. L’inscription porterait sur une 4ème professionnelle et ce dès la rentrée de septembre 2003. Florian et ses parents acceptent.

L’exercice de l’A.E.M.O. validée par le juge pour enfants paraît difficilement réalisable compte tenu du rythme d’internat. Cependant, lors des semaines de stage, qui se dérouleront chez un employeur de son quartier (petit signe important, c’est Florian qui a trouvé seul, cet employeur !…), l’éducateur en charge de la mesure pourra évaluer la situation de Florian, tant sur le plan familial que sur le plan scolaire. Mais ce sera aussi le rappel à la loi et une reprise en compte des actes de Florian.

Joint par téléphone ces derniers jours, l’employeur dit : « Ca a l’air d’être un bon gars, poli, volontaire et toujours souriant !… ».

Quelle est la plus-value de ce suivi ?

Inscrit dans l’échec, cela paraissait mission impossible de vouloir motiver Florian. Les différentes rescolarisations ne répondaient pas au problème. Les rappels au cadre, à la loi, les invectives successives, ne le faisaient pas réagir. Il gardait son sourire. Sourd-ire ! Complètement sourd à la colère des adultes ! Il ne pouvait pas nous entendre. Paradoxe langagier qui cachait peut-être ce qu’attendait Florian : le sens des responsabilités et la prise en compte de son existence.

Les erreurs sont commises mais la réhabilitation doit être accordée. La preuve. Florian semble désormais vouloir s’intéresser à cette nouvelle forme de scolarité. L’accompagnement éducatif consistait à lui laisser la possibilité de trouver de l’intérêt en lui, l’aider à s’accepter et à vivre avec sa situation familiale. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que Florian résolve tous ses problèmes, mais le plus important semble fait ! Il a mis un terme à sa conduite délinquante. Le rappel à la loi était nécessaire pour qu’il entende l’interdit et qu’il soit pris au sérieux ! Certes, le manque qu’il a face au vide paternel et aux carences maternelles, ne disparaîtra pas avec ce nouvel itinéraire scolaire, mais désormais Florian sait qu’on peut lui faire de nouveau confiance et qu’il peut être reconnu. Il en sourit d’avance. Si le destin voulait bien lui sourire !…

Novembre 2003

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