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Clinique du mal-être, la psy face aux nouvelles souffrances psychiques

Clinique du mal-être, la psy face aux nouvelles souffrances psychiques
La Découverte
31/01/2015

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Miguel Benasayag, Clinique du mal-être, la psy face aux nouvelles souffrances psychiques, La découverte, 2015, 16€, 175p.

Un collègue éditeur et écrivain m’envoyait, récemment, à la lecture de cet ouvrage, le commentaire suivant : "Et cette lecture, même si j'ai écouté l'auteur (que je ne connaissais jusqu'alors que par ses articles dans Siné Mensuel) présenter son livre, me laisse insatisfait. D'abord, parce que je pense qu'une partie n'est accessible qu'aux initiés de la psychiatrie/psychanalyse - cela, je l'admets. Mais surtout, et à moins que ma compréhension "tronquée" en soit cause, parce que je ne sais que penser des thèses (et cliniques les soutenant) présentées."

 En ce qui me concerne, je n'en pense guère plus, et en tous cas pas moins.... Et j’aurais effectivement pu titrer « de la flamboyance à l’étriqué ! »

Développons cependant !

L’auteur est philosophe et… psychanalyste. Sa réflexion et son analyse sur notre société sont impulsées par un souffle et une justesse auxquels l’écriture donne de l’ampleur. De surcroît, ses deux collaborations littéraires avec Florence Aubenas m’avaient mis l’eau à la bouche. J’avais eu l’occasion de parler d’elle suite à la parution du Quai de Ouistreham et à son retour de séquestration. 1 Elle ne s’inscrivait pas, dans «  ce vécu d’impuissance »  qui « est un élément central de la souffrance psychique contemporaine » 2 mais assumait ses choix et convictions avec une sobriété et une pertinence remarquables. Les nouvelles générations de la Itechnologie, ici décrites, n’ont certes pas son assise et sa dimension.

On le constate, le virtuel, dans son immédiateté, entraîne ados, et adultes encore ados, dans des projections d’images idéales factices. Fondé sur la rapidité et la facilité, il leur fait perdre la notion de l’effort et la capacité à se donner les moyens de réaliser ce à quoi ils aspirent. Le tout, tout de suite, génère jouissance ponctuelle et accessoirement, dépression, grande stratégie à la mode validant la culture assidue de l’exploitation de son malaise. Dans cette mouvance délabrée, l’individu perd sa culture, son auto régulation, et même, le sens du tragique. Facebook et les autres réseaux sociaux, pistent des informations sur les individus, pour les ficher comme appartenant à un groupe de consommateurs. En fonction des comportements, ils érigent la traçabilité et le profil comme les deux nouvelles mamelles de la post modernité, alimentant la perte du lien à soi, mais également aux autres, quoi qu’on en pense.

C’est, certes, toute la question du désir qui se profile là derrière. Le désir qui ne peut émerger que sur du manque, de la contrainte, de la privation et de l’effort de soi pour soi. Sur cette démonstration, je rejoins massivement l’auteur parce qu’il est au cœur de la profondeur des choses. La solution reste, en effet, de ne pas vivre dans l’ignorance et l’irresponsabilité, mais bien de pouvoir résister au délitement ambiant et de pouvoir construire.

Les consommateurs actuels cherchent à soigner leur mal-être à l’aune des paramètres qui leur sont familiers. Se dessinent en toute logique de nouveaux comportements en cabinet. Comment y faire face et quelles sont les réponses possibles à apporter à ces demandes et injonctions ? Voilà qui pourrait devenir passionnant à définir pour ouvrir quelques voies de recherche.

Le patient d’aujourd’hui consomme rapidement sa thérapie comme il consomme du Mac’Do, en exigeant d’être servi, nourri, débarrassé. Aucune causalité ne se situant en lui, il s’en déduit que tout vient de l’autre, est attendu de l’autre, et il n’est donc que passif et en attente de résultat. D’ailleurs, comme il ne se sent pas responsable de ce qui lui arrive, pas de nécessité de chercher du sens, ni de relier présent et passé pour reconstruire l’avenir, donc plus aucun besoin de réfléchir, ni de mouiller sa chemise. Les thérapies courtes, où tout est dû, génèrent une règle présupposant que le thérapeute garantisse la guérison rapide des symptômes qui portent atteinte à la productivité consumériste. Voici l’avènement du règne des méthodes rééducatives et autres cognitivismes qui ont encore de beaux jours devant eux. 

Autre réponse du berger à la bergère : le DSM  avec ses grilles normalisées, épinglé comme « la dislocation de l’humain inscrite dans le dispositif normatif » ; la formule est jolie. Equation simple : un symptôme = une réponse moléculaire adaptée.

Au quotidien, le nouveau consommateur dissèque son présent, poste ses photos en temps réel, et se transforme en un individu « modules » qui fonctionne par instants superposés et s’exploite sur ses compétences dans le faire,  se désarrimant de tout retour approfondi sur son intégralité humaine. En fonction de quoi, on a des individus moulés, non défensifs. Ainsi les DSM, répondent module par module, à l’homme modulaire, et les molécules et les thérapies ciblées aux dysfonctionnements des dits modules!

CQFD. Jusque là tout va encore bien. Seulement comment contre-t-on la chose ? Et au passage comment se situe la psychanalyse aujourd’hui ? A cela, on attendait de vraies réponses : mais malheureusement, on tombe sur un bide.

Je me demande comment un psychanalyste, puisqu’il s’avance ainsi, peut oser saper et déconstruire, par des critiques aussi grossières et bassement caricaturales, une discipline qui a fait ses preuves et que certains se vantent encore de professer et pratiquer dans la conscience de l’éthique et de l’efficacité. Certes, des mises en oeuvre pas toujours adéquates peuvent se déplorer, mais il en va là comme de tous les métiers.

L’auteur estime que psychanalyse est devenue obsolète pour cette société en évolution puisque les psychanalystes oedipiannisent encore, de manière réductrice et dépassée, leurs patients. A son sens, on peut se passer du freudisme et du déterminisme de l’inconscient désormais, et pour longtemps. Je conteste ces certitudes assénées massivement et ses positions bien éloignées des doutes et remises sur le métier, continuels, de Freud, dont le discernement était une qualité majeure. Il entreprend une démolition en ordre de bataille également contre les lacaniens, ce qui ne rend service à personne et surtout pas à l’auteur... La traversée de l’Œdipe ne me semble guère prête à être inopérante, tant elle est constitutionnelle du sujet et propice à son développement, même face aux avatars actuels de la fonction paternelle.

L’auteur expose alors sa clinique, fondée sur son expérience, une clinique performante et ingénieuse, dite « situationnelle ». Je vous laisse tout loisir d’aller lire cela en détails, mais voilà ce qu’il préconise : «  à mon sens, le thérapeute doit en effet s’efforcer d’aider chacun de ses patients à mieux s’inscrire dans les situations actuelles qui constituent sa vie, afin d’en être un acteur actif et conscient -  ce que je tente de faire pour ma part. » 3  et de poursuivre : « la thérapie situationnelle a alors pour vocation d’aider le patient en souffrance à s’émanciper non pour « qu’il devienne  lui-même » mais pour qu’il puisse, en oubliant le piège de son individualité, être de plus en plus présent dans les situations où il est impliqué » 4 . Elle vise « la joie et l’acte ». Tout est dit.

La montagne a accouché d’une souris ! Pour conclure, lui sied bien cette critique d’un journaliste sur un metteur en scène d’opéra que je ne citerai pas : « il faut provoquer, aller toujours plus loin, faire semblant d’être intelligent pour que tout un chacun se sente bête et que nul n’ose émettre un doute. » 5

Florence Plon

F.Plon Vivre la perte. L’Harmattan p 200

P 26

p 107

p 115

Claude Dubois sur Médiateur musique opéra 16/10/14