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Vivre la perte

Vivre la perte
L'accompagnement du deuil
L'Harmattan
31/12/2007

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Florence Plon qui est psychanalyste dans les Landes et superviseur et que nous avons le plaisir à Psychasoc de compter parmi nos formateurs, vient pour la deuxième fois de se plonger dans une question trop souvent passée aux oubliettes, ou bien refoulée dans un pathos infantile, celle de l'accompagnement des personnes mourantes mais aussi ensuite, comme on dit, de ceux qui restent. C'est bien connu ce sont toujours les meilleurs qui s'en vont! Après un remarquable travail intitulé Questions de vie et de mort , paru en 2005 aux Editions du Champ social, qui abordait de façon très délicate l'accompagnement, dans le cadre des soins palliatifs, des personnes en fin de vie - ce que nous sommes tous, finalement! - , elle poursuit sa route pour entrer dans le vif du sujet des survivants,- que nous sommes tous également. Comment soutenir le deuil? Comment le traverser ou tout au moins faire avec, ce qui revient à faire ... sans la personne aimée, ou haïe, mais on ne crache pas sur les tombes, contrairement à un titre célèbre de Boris Vian (qui signe en la circonstance Vernon Sullivan).

Dans notre société où la jouissance illimitée est érigée en impératif catégorique et publicitaire, la mort présente une épine dans le pied de cette prétention à la toute puissance. Il faut la voix du psychanalyste, telle l'oracle de Delphes, pour rompre les charmes. « Vous bien raison de croire que vous allez mourir , tonnait Jacques Lacan en 1972, à l'université de Louvain. Si vous n'y croyiez pas est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez? » Freud quant à lui n'y allait pas par quatre chemins: « On sait comment tout ça finira: au cimetière central », disait-il. Il s'est juste trompé de lieu, puisqu'il est allé mourir à Londres. Evidemment tout aujourd'hui nous pousse à ne pas y croire, à n'en rien vouloir savoir. Nous ne sommes pas tous comme ces moines trappistes qui à chaque fois qu'ils se croisent s'échangent un « souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ». Dans notre société post-moderne, nous serions devenus la chose de la science qui promet à tous l'immortalité. Le procédés ne sont pas encore toute à fait au point, mais ça ne saurait tarder. Or nous savons au fond que nous sommes mortels. Le déni permanent et organisé de cette vérité produit une approche des personnes « aseptisée et infantilisée qui tend à occulter la mort », précise l'auteur. Un lien social érigé sur le déni de la mort, se présente alors comme apocalyptique, au sens originel du terme. Se révèle au grand jour cet impensé radical qui chassé par la porte, nous revient par la fenêtre, terrible et sous les formes les plus innommables. Il suffit d'ouvrir son poste de radio, ou de lire les journaux pour s'en convaincre: sans cesse l'horreur est à nos portes. Paradoxalement les rituels encore en usage il n'y a pas si longtemps (les funérailles, porter le deuil, messes pour les morts etc) présentaient autant d'inventions issues de la pulsion de vie pour faire échec à la pulsion de mort qui nous pousserait à nos en débarrasser le plus vite possible. Comment prolonger le temps de la souffrance dans le temps du désir, pour donner du sens à la vie? Telle est la dialectique que développe Florence Plon. Comme disait un de mes amis dans un dicton plein d'un humour féroce: quand on est mort, c'est pour la vie!

« Ne chantez pas la mort, c 'est un sujet morbide », chantait Leo Ferré sur un texte de Jean-Roger Caussimon. L'auteur en tant que psychanalyste ne recule pas devant ce qui se présente comme un réel impossible à contrer. En une série de chapitres tout aussi pertinents les uns que les autres et qui poursuivent une progression logique, elle développe une cheminement : faire face à la mort, ou plutôt aux mourants; accompagner le deuil; soutenir, en tant que praticien de l'inconscient ceux qui n'en peuvent mais, ou qui ne trouvent plus dans leur culture les rituels aidants pour faire face.

Il serait dommage en même temps que la question de l'accompagnement face à la mort que ce soit des mourants ou de leur entourage, devienne l'apanage des psys. Ce serait le signe terrible d'une démission obscène de toute une civilisation devant cette « certitude de tous les temps » que Pierre Legendre cerne à sa façon dans La Fabrique de l'homme occidental , à savoir « ... que tout converge, dans l'expérience de l'humanité, vers le point précaire, « la grande douleur confuse » dont parlait le romantique allemand Kerner, la douleur d'être né et de devoir mourir » Et Legendre ajoute « Nous avons le devoir d'interroger à nouveau cette matière première des pouvoirs, ce point faible en chaque homme, son statut d'individu périssable; mais aussi d'admettre que notre mort a un sens, car elle fait vivre la construction humaine dont nous sommes, l'expression passagère, comme dit le poète latin Virgile, « les pierres vivantes » ».

Cette réflexion, l'auteur la mène d'un point de vue théorique en s'appuyant sur Freud et Lacan. Elle emprunte au premier le concept dérangeant pour beaucoup d'analystes de « pulsion de mort » et au second celui de « réel comme impossible ». Ces deux concepts, même à peine esquissés, constituent bien la toile de fond épistémologique de l'entreprise. Elle ne dédaigne pas non plus de faire appel à d'autres sources que la théorie analytique: littérature, chanson, films etc Elle montre bien ainsi que penser la mort mobilise l'ensemble du champ socio-culturel. Mais sa démonstration ne tiendrait pas si elle n'était en permanence tissée de son expérience pratique que ce soit auprès de personnes en fin de vie, ou dans l'accompagnement du deuil de ceux qui ont perdu un proche. Le tout est construit sur fond d'un véritable engagement politique et citoyen, puisque Florence Plon lutte aux côtés de l'ADMD ( Association pour le droit de mourir dans la dignité), qui compte rien qu'en France plus de 40000 membres, et se bat contre l'acharnement thérapeutique et contre la douleur, et pour obtenir des pouvoirs publics une reconnaissance du droit de chacun à la liberté de mourir selon son choix. Ici l'implication clinique du psychanalyste ne saurait se passer d'un engagement politique. Question d'éthique.

Rendons ici un hommage appuyé à Florence Plon, non de ressusciter les morts, comme certains s'illusionnent pouvoir le faire, mais de re-susciter la mort, de lui redonner la place de signifiant-maître auquel s'arriment les vivants.

- Joseph ROUZEL