vendredi 29 juin 2018
2018, jeudi 7 juin, Atelier Squiggle, Congrès FNAREN Rouen, texte
De la trace à la parole
Argument
Pour désirer grandir et pour pouvoir être dans un lien constructif avec les autres, pour que la pensée soit disponible pour accéder à la culture et aux apprentissages, le sujet doit avoir au minimum donné un sens à son histoire et il doit pouvoir faire jouer librement les trois registres psychiques que sont le réel, l’imaginaire et le symbolique. Il doit pouvoir dire et se dire, et ce « dire » doit avoir une adresse.
Il est toutefois « des choses » qui sont là, coincées, enfouies, inscrites dans le réel du corps, en souffrance… Des choses qu’un imaginaire inhibé voire interdit ne peut pas mettre en forme. Des choses qui peuvent encore moins être mises en mots et communiquées… Des choses, enfin, qui remontent parfois, envahissent et submergent le sujet sous forme d’angoisse, laquelle se décharge parfois dans la violence contre l’environnement ou contre soi-même. Lorsque les difficultés sont importantes, il devient nécessaire qu’un autre soit là qui sollicite le sujet, qui l’écoute et qui l’accompagne.
Sous la forme du « Squiggle », souvent traduit par « gribouillage » mais qui, pour son auteur signifiait plutôt « tracé libre », WINNICOTT a proposé un dispositif très simple que l’on peut qualifier de transitionnel, c’est-à-dire « trouvé-créé » par l’aidé. La rencontre entre les partenaires du jeu donne à ce tracé le statut de médiation, laquelle peut alors remplir la fonction de relier et de séparer. Nous pouvons soutenir que ce support par la trace, au plus près du corps, offre au sujet que l’on accompagne la possibilité de donner forme et d’articuler dans un dire partagé les registres du réel, de l’imaginaire et du symbolique.
C’est cette médiation que cette conférence-atelier se propose de mettre en œuvre puis d’analyser ensemble, dans ses présupposés, dans son vécu et dans ses effets possibles.
Je vous propose de reprendre les différents points de cet argument, dans un ordre différent, comme fil conducteur de nos échanges d’aujourd’hui.
Nous reprendrons dans une courte synthèse ce qu’il en est de l’articulation du réel, de l’imaginaire et du symbolique dans le squiggle
WINNICOTT proposait le squiggle comme support de relation aux rencontres avec les enfants et les adolescents au sein de ce qu’il qualifiait de situation de jeu.
Il en donne la technique à plusieurs reprises.
Voici comment il la présente à Bob dans son ouvrage « La consultation thérapeutique et l’enfant » [1] :
« Je ferme les yeux et je laisse courir mon crayon sur la page. C’est un squiggle.
Tu en fais quelque chose d’autre puis c’est à toi de jouer ; tu fais un squiggle et c’est moi qui le transforme ».
Dans « De la pédiatrie à la psychanalyse », [2] il ajoutera : « Quelquefois je tarde à le transformer pour lui donner l'occasion de déployer son imagination ». [3]
J. B. PONTALIS souligne que la traduction du mot squiggle serait plutôt « tracé libre » que gribouillis informe.
Les deux partenaires participent ainsi à la construction d’un objet commun, objet intermédiaire de leur relation.
C’est à l’enfant qu’est demandé de donner du sens à ces tracés.
En tant que mode d’expression non-verbal, le dessin est, surtout chez le jeune enfant, plus proche de l’inconscient. Le squiggle fait appel à l’archaïque chez l’enfant. Pour WINNICOTT ce support élargit ainsi le modèle freudien du rêve à celui du jeu.
Dans la mesure où les tracés sont souvent issus de son imaginaire, de ses fantasmes, ce qui apparaît est souvent une mise en forme de son désir, de ses peurs ou de ses pulsions. C’est donc l'enfant qui met des mots et qui donne du sens (Souvenons-nous que le sens naît de l'effet du symbolique dans l'imaginaire).
Le squiggle met ainsi en jeu l'articulation du réel, de l'imaginaire et du symbolique.
2. Mon squiggle.
(Je pense qu’il y a une erreur et qu’il s’agit plutôt du squiggle proposé par le garçon.)
« Je le transforme en visage. Il appelle cela un poisson »
Winnicott ajoute que ce garçon était très préoccupé par sa réalité personnelle ou intérieure et qu’il n’était pas spécialement soucieux d’objectivité.
(Squiggles 3-4-5)
Winnicott précise que ce garçon s’identifiait fortement à sa mère dans une relation mère-fils très importante pour lui.
4. Mon squiggle. La modification qu’il y apporte. Son commentaire : un polichinelle aux vêtements déchirés.
A la question de Winnicott, le garçon ajoute : « Ses vêtements sont déchirés parce qu’il a fait quelque chose à un crocodile, quelque chose d’horrible, et quand on embête un crocodile, on risque d’être dévoré ».
5. Le garçon produit ensuite des dessins. Parmi ceux-ci : Le sorcier
Winnicott souligne que cette figure est déjà venue au jour précédemment. Il y décèle la place que le garçon lui attribue du fait qu’il l’écoute, s’adapte, le comprend, verbalise le contenu du jeu, le reconnaît dans sa personne.
Winnicott ajoute, dans un chapitre intitule « Le respect du symptôme en pédiatrie » : « Il ne s’agissait pas d’une analyse et je devais éviter d’introduire une compréhension en rapport avec l’inconscient refoulé ». [4]
Les exemples ci-dessus montrent bien que l’enfant interprète librement et que le sujet ne voit que ce qu’il peut ou veut voir. L’imaginaire est en marche. Le travail d’élaboration se fera ou ne se fera pas, mais il relève de la responsabilité de l’enfant, à son rythme.
Ceci est tout à fait transposable à une relation d’aide et introduit notre question sur la place et sur la posture de l’aidant.
Une définition de Guy Le Bouëdec [5] vient tout à fait en écho à la posture préconisée par Winnicott et à celle adoptée par un éducateur ou un rééducateur :
« ‘Accompagnement’, ‘cheminement’ suggèrent bien la posture spatiale ‘à côté’ : celle-ci évoque une ambition modeste de l’éducateur, du moins en apparence. On ne dirige pas celui qu’on accompagne, on ne lui indique ni vers où ni comment il doit marcher : nul contrat, nulle vérification, nulle rectification ; simplement marcher ‘à côté’ de lui. … L’accompagnement consiste à se contenter de donner sa confiance, de croire en la force intérieure de l’autre – et dont celui-ci n’a peut-être pas lui-même conscience ! – et qui est plus forte que la souffrance ou l’absurde. L’accompagnant ne détient pas le sens profond de l’expérience de l’accompagné, il le soutient. »
Il s’agit donc pour le professionnel d’être dans une position d’écoute, d’accueil de ce qui vient et d’étayage, en absence de tout jugement ou de tout appel à une quelconque rationalité.
Cette présentation implique que le squiggle doit nécessairement être proposé au cours d’une relation singulière (et non pas en groupe).
Tel que je l’ai pratiqué le squiggle, il m’a paru intéressant :
De laisser à l’enfant la possibilité de garder les yeux ouverts lorsque l’on énonce les règles du dispositif car fermer les yeux peut représenter une source d’angoisse pour certains.
(II. Mise en situation de squiggles, III. Expression des ressentis et analyses)
Voici ce que sa rééducatrice a partagé au cours d’une séance d’Analyse de la pratique dont j’étais le superviseur.
Le 19 mars (15ème séance)
Yanis est un garçon de 8 ans, élève de CE2.
En début de rencontre, il affirme qu’il va essayer de ne pas bouder s’il n’est pas chef de table à la cantine :
« Je dirai : Je m’en fous, je voulais pas. »
Il joue aux petits chevaux et il est ravi parce qu’il « a beaucoup de chance ».
Puis il cherche quelque chose à décalquer.
Je lui propose un squiggle et il est content.
La rééducatrice : Au départ, il n’ose pas toucher mon trait, puis finit par comprendre.
Il commente tout en dessinant :
« Des piques, une flamme, des pattes, puis encore des piques sur la tête. Et il y a un tout petit bébé ici. (En bas, près des pattes) Je vois un géant carnosaure. C’est un gros méchant avec son petit bébé. Ils essaient de manger tout le monde et après y’a un héros qui vient, il essaie de tuer le carnosaure, il va essayer de garder le bébé. Il va le rendre gentil. Ils vont manger le carnosaure et les gens le félicitent (les gens l’ont mangé, ils avaient rien à manger) ».
Le 16 avril (18ème séance)
Une partie de Puissance 4, quelques paniers de basket, sont suivis d’un squiggle.
« Trop fastoche… C’est une maman dinosaure de serpent, et là, c’est un qui est en train de sortir… et elle a des ailes. »
Yanis rajoute des pointes autour des ailes. Il a dessiné la poche dans le ventre. Il tient à ajouter un soleil avec des rayons en pointe, dans le coin…
Le 4 juin (21ème séance)
Yanis parle de son « bébé frère » qu’il a gardé et qui lui a fait un bisou.
A la suite d’une partie de Puissance 4, avec les pions, il représente une grappe de raisin, sa tige et ses feuilles. « Je fais une longue queue parce que c’est un animal qui pique ». Lors d’une deuxième partie de Puissance 4, il déclare : « J’abandonne, c’est toi qui as gagné ! »
Il fait quelques paniers de basket et essaie d’en marquer le plus possible. Lorsque la rééducatrice lui propose de dessiner, il exprime un choix : « Je préfère le dessin à deux ». Face au premier tracé libre de la rééducatrice, il demande : « Refais en un autre, je sais pas… ».
« C’est un escargot de traces. Il est dans sa coquille parce qu’en ce moment il ne pleut pas. »
Il dessine le soleil.
Le garçon reprend le premier tracé abandonné.
Yanis dessine et commente :
« Le copain de la panthère rose part vite chez lui parce qu’il pleut »
Je pense qu’il n’est pas besoin de longs commentaires pour repérer les thèmes abordés par ce garçon :
Son désir, sa propre agressivité face à la frustration et les limites qu’il tente de se donner, sans perdre la face (« Je dirai que je voulais pas ») ;
l’énigme de la naissance ;
la rivalité fraternelle, l’ambivalence et le mécanisme de défense « retournement en son contraire » ; (le petit est protégé mais il sera gentil)
la question sexuelle (« L’escargot de traces »)
la relation au père et sans doute des thèmes œdipiens ;
les copains.
J’ai choisi également de partager avec vous
Si j’ai choisi cet exemple, c’est que le support du squiggle a permis à ce garçon d’aborder des choses inquiétantes empreintes de violence, d’angoisses massives inscrites dans le réel du corps, d’oser laisser des traces et donc de leur donner forme, puis d’accéder au désir de réaliser lui-même des dessins plus élaborés.
Michaël était un garçon de sept ans, placé en Maison d’enfants et scolarisé dans la classe de Cours Préparatoire de l’école.
Il était pris dans l’impulsivité de l’acte, dépassé par ses propres pulsions et mu dans des agir corporels. Selon les circonstances, le contexte et les aléas de l’orientation, il aurait pu tout aussi bien se retrouver orienté vers un ITEP.
Lors de notre première rencontre, il avait évoqué les nombreuses aides dont il avait bénéficié auparavant : CMPP, CMP… Puis il avait parlé de sa mère, en précisant : « C’est ma vraie mère », de son père qu’il n’avait jamais vu mais qu’il croyait avoir aperçu une fois alors qu’il avait trois ans :
« Il est mort. C’est normal, il était alcoolique. Pas au début. Il conduisait un camion. Tu sais quand il était saoul, un jour il a pris un couteau… ».
Il poursuit : « Un jour, il y a un truc que j’arrivais pas à supporter, j’ai mis le feu aux poubelles ».
Michaël a d’abord choisi la pâte à modeler qu’il malaxait compulsivement et qu’il mangeait parfois !
A la suite de plusieurs rencontres au cours desquelles nous avons partagé des squiggles, je suis moi-même quelque peu sidérée par ce qui surgit un jour.
Mon squiggle, Ce qu’il en fait
Son commentaire : « un homme et un fantôme. »
Il n’en dira pas plus, mais je me suis aussitôt demandé quel inexprimable cherchait à se dire ainsi.
Lors de la rencontre suivante, je lui fais remarquer qu’il parle peu. Il désire faire un dessin.
Puis, alors qu’il vient à peine de tracer quelques traits, il m’annonce : « Tu dois deviner ce que c’est ».
Ainsi, comme le font souvent les enfants, il reprend un peu à son compte la règle d’un jeu partagé lors des rencontres précédentes.
Son geste semble mû par un trop de tension qui tente de s’évacuer.
(Michaël : Son dessin)
Michaël commence par dessiner un bâtiment et m’interroge :
-Qu’est-ce que c’est ?
- C’est une maison ?
Il ajoute une croix.
- Alors, c’est une église.
Un personnage est couché.
Michaël : - Qui c’est ?
Moi : - C’est une femme ?
- Non, devine
- Alors, c’est un homme avec des cheveux longs
- Attends, je l’écris : « Papa »
Il dessine alors, au-dessus, un personnage un peu « vide
Sur la gauche, il ajoute un personnage et annonce :
« ça, c’est José, mon faux-père ». (et il l’écrit)
Il dessine alors, au-dessus des deux autres personnages, à droite, un autre personnage couché, un couteau planté dans le ventre. Il me montre le couteau :
- Devine ce que c’est
- Un couteau. … C’est comme cela qu’il est mort ?
- Je sais pas de quoi il est mort. Peut-être l’alcool, parce qu’il était alcoolique. Ma sœur me l’a dit. On était dans la chambre. Elle pleurait. Elle m’a dit : « Papa est mort ». On la brûlé et dans le jardin de ma grand-mère on a mis un bouquet. »
Il poursuit : - En fait, ma mamie, c’est pas ma vraie mamie. Elle est morte.
- Ça fait deux morts…
Michaël ne répond pas, il abandonne son dessin et s’agite corporellement.
Il veut faire éclater un ballon de baudruche, puis jette un objet à terre.
En fait, j’avais appris que son père, SDF, est mort d’un couteau dans le ventre, une nuit, devant un super-marché.
Même si Michaël affirme « Je sais pas », l’image du couteau insiste.
Il avait évoqué, lors de la séance précédente : « quand il était saoul, un jour il a pris un couteau »
Michaël sait sans savoir. C’est un non-dit ou un mi-dire dont il n’est pas dupe. Il l’a sans doute entendu dire à maintes reprises mais aucune parole ne lui a été adressée, à lui personnellement, à ce sujet.
De plus, ses paroles sont émaillée de « vrai » « et de faux »… (Père, mamie…)
A qui peut-on se fier ?
En mettant tout ceci en scène lors de ces deux rencontres, veut-il vérifier ce que j’en sais ou ma réaction ?
L’église, symbole du funéraire, de la mort, pour le garçon, avait sans doute auguré ce dont il allait être question…
Ce dessin est archaïque, la tonalité rouge domine, couleur de sang. La chevelure abondante du père peut nous renvoyer à ce qu’il avait esquissé lors du squiggle précédent.
On peut être frappé par l’insistance des deux figures du père « le père vivant » et le « père mort » (un couteau dans le ventre et deux fantôme). Les yeux du « faux père » sont inquiétants et son sourire fait peur.
Michaël a été confronté, par cette mort violente, à la violence du réel tel que LACAN définit celui-ci. Le sujet se sent contraint de tenter d’expulser ce qui l’habite. Cependant, la pulsion rate toujours son objet et ne parvient jamais à être liquidée complètement, ni par le graphisme, ni par l’agitation corporelle. Il y a toujours un reste qui pousse à la répétition.
Dans notre relation, Michaël m’assigne à remplir une fonction contenante, à accueillir son angoisse sans en être détruite. Dans le même temps, en mettant en scène un jeu de devinettes à propos de ce qu’il dessine, il me demande de mettre des mots sur l’impensable, d’assumer une fonction conteneur, décontaminante. « Le mot est le meurtre de la chose », affirmait Jacques LACAN. Lorsque l’enfant ne peut pas encore le faire lui-même, la parole de l’adulte tente d’y suppléer, en proposant une mise en forme de ses productions fantasmatiques.
Un double registre symbolique est bien mis en jeu ici : la trace graphique, sous la forme d’un dessin au plus près du réel du corps et de l’imaginaire, et les mots qui tentent une première distanciation. Sa parole a enfin une adresse et l’adulte qui est là, qui l’accompagne, est un témoin d’une tentative d’appropriation par lui-même d’une partie de son histoire.
D’après ce qu’en avait rapporté sa rééducatrice, on peut faire l’hypothèse que Yanis était confronté à une difficulté « ordinaire ». Ses questions et ses préoccupations étaient celles d’un garçon de son âge. On pourra rétorquer par contre que Michaël présentait un profil « hors limites » de l’aide rééducative, que ses difficultés relevaient du soin ou d’aides extérieures, ce dont il bénéficiait d’ailleurs. Nous devons d’une part réinterroger sans cesse la limite entre le « normal » et le pathologique » et d’autre part constater que l’école dite « inclusive » accueille de plus en plus ce profil d’enfants.
C’est aussi à chaque professionnel de déterminer ce qu’il veut et ce qu’il peut faire, au cas par cas de la singularité de chaque enfant, dans les limites de ses fonctions, en fonction de son expérience et, éventuellement, au sein d’un partenariat.
Quoi qu’il en soit, pour tous les enfants, lorsqu’un professionnel assume la fonction de « sein-toilettes », selon l’expression de Donald Meltzer, la parole qui se dépose a une adresse et peut jouer sa fonction cathartique, c’est-à-dire qu’elle permet une décharge émotionnelle libératrice liée à l’extériorisation du souvenir d’événements difficiles, voire traumatisants, refoulés.
Grâce aux processus créatifs qui sont sollicités, cette parole est peut-être pour l’enfant l’amorce d’une appropriation, d’une métabolisation et d’un dépassement de ce qui était en souffrance.
J’ai tenté de repérer
Ce que propose le squiggle
Au risque d’être schématiques et incomplets, nous rappellerons rapidement ce que Lacan a conceptualisé des registres du réel, de l’imaginaire et du symbolique et de leur articulation, en nous limitant aux processus en jeu dans le squiggle.
Le réel, ça sidère, ça prend au ventre… Il relève de l’inconscient. Il ne se définit que par rapport au symbolique et à l’imaginaire.
Le réel, c’est l’impensable, l’indicible, l’innommable. Ces choses restées à l’état brut dans le corps peuvent surgir d'une manière brutale, intrusive, sous la forme d'angoisse innommable, de sidération, ou en "agir" pulsionnels, de passages à l'acte ou d’« acting-out » [6] qui mettent en échec la capacité à penser du sujet.
Le réel, c’est « la limite de notre expérience » [7] , mais c’est aussi ce qui insiste, « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » avance (LACAN)…
Nombre d’enfants à l’école ont été confrontés, du fait de leur histoire ou de leur contexte familial, au surgissement d’un réel qu’ils ne peuvent élaborer. Ce fut le cas pour Michaël ou encore pour ce garçon que j’ai accompagné en aide rééducative qui avait vu surgir, alors que la famille était à table, les policiers qui ont emmené son père.
L’angoisse surgit lors d’une rencontre sans médiation avec du réel, lorsque le réel ne peut être imaginarisé, lorsque le fantasme se fissure.
Comme son nom l’indique, c’est le registre de l’image, de la représentation, une première mise en forme de la pensée. Jacques LACAN situe l’imaginaire dans le registre du leurre. C’est aussi le registre de l’identification, le registre du Moi et de l’image de soi, l'espace du rêve, des élaborations fictives qui permettent, à l'adulte comme à l'enfant, de fuir et de se protéger de ses propres tensions, de compenser les pertes de pouvoir, les pertes de valeur, les blessures.
Toutefois, l’imaginaire peut s’inhiber. Nous connaissons tous ces enfants qui ne parviennent pas se représenter les choses, qui s’interdisent inconsciemment l’accès à leur imaginaire car penser et se représenter est trop dangereux.
Nous avons rappelé que le sens naît de l’effet du symbolique sur l’imaginaire. On peut saisir ainsi à quel point un enfant est en difficulté lorsque cette articulation manque de souplesse ou est empêchée.
Jacques LACAN présente le sujet comme effet du signifiant, comme effet de la parole. Pour FREUD puis pour LACAN, le symbolique, en tant que réseau des liens signifiants et en tant que code social est ce qui unit d'abord les membres d'une famille ou d’une même communauté. C’est ce qui rend la séparation possible et c'est ce qui réunit, lors des retrouvailles, des êtres séparés, comme les tessons issus de la division du "sumbolon".
L’accès au symbolique permet à l’enfant de représenter l’absence et le manque au moyen d’autre chose et permet, de ce fait, que du désir "ex-iste".
Le symptôme, quant à lui, est un effet du symbolique sur le réel, une forme de symbolisation de ce réel, une manière pour le sujet de signifier quelque chose de son mal-être, de son angoisse, une tentative, ratée, de réparation, et c’est en cela qu’il est aussi important de ne pas lui faire violence.
« Ce qui n’est pas venu au jour du symbolique réapparaît dans le réel » affirmait LACAN. Comme dans le rêve, le symbolique peut tenir en lisière le réel, lui donner forme, au moins en partie, et en limiter l’intrusion dans l’existence du sujet.
La représentation des trois registres sous la forme d’un nœud borroméen montre qu’aucun registre ne se suffit à lui-même, que si l’un se dénoue, aucun des deux autres ne « tient » plus. Dans ce nouage, qui est au principe même du désir humain, le réel existe et se noue au symbolique grâce à l’imaginaire.
Dans sa pratique, le rééducateur fait appel à plusieurs registres et niveaux de symbolisation en proposant à l’enfant différents supports d’expression et de relation.
Ces supports font appel :
Ces médiations respectent un double détour par rapport aux apprentissages et par rapport aux symptômes, en protégeant les défenses et en contournant les résistances.
Comme ces autres supports lorsqu’ils jouent leur fonction de médiation, le squiggle permet au sujet de se dire sans se dire, dans le plaisir du jeu et de la relation. Il permet d’apprivoiser des peurs qui pouvaient être liées au fait de laisser une trace ou de prendre la parole. Intermédiaire entre des supports qui engagent directement le corps et ceux qui supposent une représentation graphique plus construite, le squiggle permet une émergence de l’archaïque, tout en sollicitant l’imaginaire et en y articulant le symbolique de la parole.
Nous avons pu constater que, la plupart du temps, pour l’enfant, ce jeu ouvre la porte au désir d’un mode de symbolisation plus élaboré, lorsqu’il se sent prêt à le faire.
Il revient au rééducateur d’enrichir sa boîte à outils afin de pouvoir proposer à chaque enfant qu’il accompagne le support qu’il estimera le plus pertinent à un moment donné du parcours de celui-ci
avec ses pairs et avec ses enseignants.
Je terminerai avec une citation de Serge TISSERON :
« Si l’explosion a parfois des effets sédatifs durables, c’est parce qu’elle réalise une forme de symbolisation sensori-affectivo-motrice soutenue par une communion imaginaire, intellectuelle et affective… Ce qui est important, dans la catharsis, ce n’est pas l’ « explosion », c’est le processus. Ce n’est pas l’ « abréaction » [8] , c’est la symbolisation » [9] .
Une participante m’a fait remarquer que je n’ai pas repris dans cet exposé ce qu’il en est du petit « a ».
Risque-t-on d’influencer l’enfant lorsque nous l’interrogeons sur son dessin, par exemple en demandant si le personnage a peur, s’il est joyeux ou triste, etc. ?
La fonction contenante du professionnel est constituée par sa capacité à recevoir les projections de l'enfant, à accueillir son agressivité, ses manifestations diverses, jusqu'aux plus archaïques, sans en être détruit.
De nombreux enfants n’ont pas les mots pour exprimer ce qu’ils ressentent, et il revient alors à l’aidant de lui en proposer. L’important est de poser clairement à l’enfant, dès le départ, qu’il peut accepter ou refuser ces mots, y reconnaître ou non ses éprouvés, ses affects, ses émotions. N’oublions pas non plus que dans un support comme le squiggle, ce qui est représenté est rarement l’enfant lui-même mais un personnage, un animal ou un objet. Grâce à ce détour, l’enfant peut se dire sans se dire.
Peut-on ajuster un dispositif en fonction de l’enfant, de l’aidant, des circonstances ?
Jeannine DUVAL HERAUDET
Jeannine DUVAL HERAUDET 27/06/2018
[1] WINNICOTT, 1971, La consultation thérapeutique et l’enfant, Gallimard, p. 67
[2] WINNICOTT, 1953, De la pédiatrie à la psychanalyse, p. 212.
[3] Id.
[4] WINNICOTT, 1953, De la pédiatrie à la psychanalyse, Le respect du symptôme en pédiatrie, pp. 212, 213, 219
[5] Dans un article : « Diriger, suivre, accompagner : au-dessus, derrière, à côté, Esquisse d’une topique de quelques postures éducatives »,
[6] DUVAL-HERAUDET, J., 2001, Une difficulté si ordinaire, EAP, 273 p., p. 148.
"L'acting-out, dans une recherche de la vérité, mime ce que (le sujet) ne peut dire, par défaut de symbolisation" . C'est "une demande d'amour, de reconnaissance symbolique, sur fond de désespoir"
[7] LACAN, J., 1956-1957, La relation d’objet, Le séminaire, Livre IV, Seuil, 1994, 435 p., p. 31
[8] Décharge émotionnelle par laquelle un sujet se libère d’un événement oublié qui l’avait traumatisé (Larousse) (syn. catharsis)
[9] TISSERON, S., 1998, Y a-t-il un pilote dans l’image ? pp. 116-117
[10] R. KAES et co. Crise, rupture et dépassement, Dunod, 1979, 291 p, p. 63
[11] BLEGER, J., 1979, Psychanalyse du cadre psychanalytique, IN KAES, R., et al., Crise, rupture et dépassement. Analyse institutionnelle en psychanalyse individuelle et groupale, Paris : DUNOD, coll.
Inconscient et culture, 291 p., pp. 255-275.