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A la poursuite du risque zéro

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Christian Lieutaud

dimanche 08 janvier 2006

Au cours du mois de juin 2005 l’ITEP dans lequel je sévis en tant que moniteur éducateur a reçu la visite de la Commission de Sécurité emmenée par un redoutable pompier.

Personnellement je n’ai rien contre les soldats du feu. J’aurai même tendance à leur porter une certaine admiration. Secourir les accidentés, combattre les incendies mettre sa vie - et parfois la perdre - au service d’autrui, tout cela force le respect.

Eh bien ! le croirez vous ce fameux pompier venu inspecter nos locaux semblait tout droit sorti d’un roman de Bradbury . Il a, à sa façon, mis le feu à l’institution et six mois plus tard le brasier n’est toujours pas éteint.

Le directeur de l’ITEP a été proprement mis en demeure – sous peine de voir l’établissement fermer – d’apporter quelques « petites » modifications afin de garantir la sécurité des enfants.

Premièrement : Suppression de l’escalier de secours desservant quatre groupes de vie. Cet escalier étant jugé dangereux compte tenu du fait que les enfants ont une fâcheuse tendance à l’enjamber.

Deuxièmement : Pose d’un grillage devant une barrière délimitant « le vieux château » ( Le « vieux château » est un plateau de terre d’une hauteur de 1m50 derrière ladite barrière qui constitue un des terrains de jeu préféré des enfants)

Troisièmement : Fermeture pure et simple de la principale salle de réunion qui vient juste d’être rénovée et comporte deux issues distinctes. Cette salle pour redevenir utilisable devra être pourvue d’un système d’évacuation de fumée et d’un ascenseur pour en permettre l’accès aux personnes handicapées.

Alors depuis six mois le doute me taraude et me voilà sujet à des insomnies de plus en plus fréquentes.

Que s’est-il donc passé en juin 2005 pour que ce fichu escalier de secours installé il y a trente cinq ans devienne du jour au lendemain si dangereux qu’il faille sur le champ le démonter et le mettre au rebut ?

- Un enfant est-il tombé ?

- « non mais…il aurait pu ! »

- Et pour le vieux château, y-a-t-il eu un accident ?

- « pas plus mais…ça pourrait arriver ! »

- Ah bon ! mais la salle de réunion, un ascenseur pour quoi faire, en dehors de quelques éducateurs vieillissants personne ne présente de handicap physique.

Et oui ! mais les normes sont les normes et l’énorme sécurité vient nous envahir jusqu’à nous déloger – au propre comme au figuré – dans l’exercice de notre travail. Ainsi depuis six mois l’accueil des enfants qui se faisait le lundi matin dans cette fameuse salle se fait désormais dans une autre pièce qui elle ne comporte qu’un escalier d’accès et toujours pas d’évacuation de fumée. La différence, et elle est de taille, c’est que cette deuxième salle, Dieu seul sait pourquoi, n’a fait l’objet d’aucun commentaire de la part de notre pompier .

Une partie de la fête de noël aura lieu à l’extérieur de l’institution. C’est dans une salle des fêtes (phonétiquement parlant) que nous nous retrouvons. Et nous allons devoir ce soir là – au nom de la sécurité - accompagner 72 enfants le long de la départementale.

Les discussions tactiques vont bon train :

- Est-il plus judicieux de faire un seul cortège ? tout le monde arriverait à l’heure.

- Faut-il que les déplacements se fassent par groupe ? il faudrait alors attendre et nous savons que la patience (au contraire de la violence) n’est pas le point fort des populations que nous accueillons.

- Pourrait-on envisager de demander aux pompiers de sécuriser le trajet ? allons, allons ! gardons nous de nous laisser aller à quelque ironie réactionnelle.

Une collègue faisait très judicieusement remarquer que le magnifique grillage en mailles galvanisées sensé garantir nos chérubins d’une chute aujourd’hui inenvisageable, se termine comme tout grillage en maille qui se respecte par des pointes de métal qui arrivent devinez où ?

Pile poil à hauteur des yeux des plus grands. Ben quoi ? Un borgne ou un aveugle ça se justifie mieux qu’une jambe cassée. Il suffit de faire apparaître parmi les objectifs du projet personnalisé : « travailler à la résolution de l’oedipe ». Et là on est tranquille, professionnels jusqu’au bout on vous dit.

Quand même c’est à se demander où nous allons. Quel adulte d’aujourd’hui lorsqu’il était enfant n’est jamais monté sur un mur, n’a jamais glissé sur la rampe d’un escalier, grimpé aux arbres etc etc etc…

Toutes ces prises de risques ne sont-elles pas nécessaires, incontournables ? N’est-il pas de la responsabilité de l’adulte de faire suffisamment confiance à l’enfant pour ne pas l’enfermer dans une crainte qui ne pourrait qu’aboutir à entraver son accès à l’autonomie ?

Peut-on imaginer que l’inflation des normes de sécurité réduira le nombre des accidents ? L’accident étant par définition le « hasard malheureux » ce qui vous « tombe dessus ».

A force d’interdictions certains penseraient-ils sérieusement venir à bout du hasard ?

Si l’on veut réellement garantir une vie sans risques à nos enfants jusqu’où faudra-t-il aller ?

Un enfant à table se pique avec sa fourchette. ATTENTION la fourchette représente un danger potentiel.

- « supprimons la fourchette, il mangera avec les doigts ».

Et s’il se mord les doigts, on lui arrache les dents ou il mange avec des moufles ?

Il y a quelques années, une de nos ministres avait suscité un grand nombre de commentaires à partir de la formule désormais célèbre : « responsable mais pas coupable ».

Depuis cet épisode pas si lointain, les mentalités ont, me semble-t-il, beaucoup évolué. La formule pourrait aujourd’hui se renverser. Nous acceptons assez bien dans l’ensemble d’être coupables (de refuser le moindre risque) pour ne pas être désigné comme responsables.

Franchement, doit-on à ce point protester de notre innocence pour prouver que nous ne sommes pas responsables de l’accident, de l’inopiné, du hasard ? Sommes-nous réellement persuadés de notre non-responsabilité ? N’y aurait-il pas – par hasard – là dessous une histoire vieille comme le monde ? L’histoire d’une toute puissance vers laquelle nous ne pouvons que courir en vain.

Alors si cela en amuse quelques-uns uns de courir, serait-il possible qu’ils n’entraînent pas dans leur sillage ceux qui ne souhaitent pas participer à l’organisation de cette course éperdue ?

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