vendredi 24 juillet 2009
Certes, le philosophe confond, ce qui est naturel, la psychanalyse avec Athéna (déesse de la raison) surgissant dans la mythologie tout armée de la tête de Zeus, mais la métaphore reste acceptable chez un philosophe, car hors de la raison, on le sait, la philosophie ne sera jamais à son aise. Reste que le discours de l’inconscient n’est pas celui de la raison, mais, subversivement, de l’ araison . Qui, telle la Justine de Sade dans Les infortunes de la vertu , n’a pas éprouvé directement dans sa propre chair, les infortunes de la raison ? « Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison », remarquait Chesterton. Et la raison depuis Freud a autant changé que l’atome dans la physique moderne : l’indivisible atome, est devenu fissible. En son temps, Pascal expliquait que : « ce serait être fou par un autre tour de folie que de n’être pas fou » (414). N’est-ce pas hallucinant que le signifiant psychanalytique, qui ne signifie rien, « anticipe toujours sur le sens », comme l’enseigne Lacan ? (Lacan : « La raison depuis Freud », in Ecrits , p. 502). Avec Lacan on croirait entendre les anciens Chinois : « le vide précède les choses », ou « le vide produit les choses », ou « les choses sont le vide et le vide est les choses ». C’est ce que dit aussi, à sa façon, la physique quantique. L’électron sur lequel repose notre société électronique est à la fois onde et corpuscule, ce qui est contradictoire, et donc se moque de notre philosophie. Si tout change, il n’y a pas d’identité et ce faisant, tout est pulsion du vide, c’est-à-dire pulsion de mot. Il n’y a point là de religion.
La psychanalyse : « Une religion du XXè siècle », prétend néanmoins Onfray dans le titre de son article, nécessairement contre Freud, lequel avait pourtant démontré, mieux que quiconque, l’illusion de toute religion dans son ouvrage si justement nommé L’avenir d’une illusion, (PUF). Ne pourrait-on pas soutenir que Freud, avec ce petit livre, a apporté une contribution des plus intéressantes au célèbre Traité d’athéologie (Onfray, Grasset) ? En tout cas, la méthode clinique n’est pas sortie tout armée de la pensée du psychanalyste, elle a été inventée sur le divan par les hystériques de Freud, notamment par Emmy Von N. intimant au maître la célèbre injonction : « Ne me touchez pas, ne me dites rien, laissez-moi parler librement » (Etudes sur l’hystérie, PUF.). La psychanalyse a pour origine les souffrances de patients, femmes et hommes, dont la raison, (la leur comme celle des autres, passée ou présente), refoulait une parole incongrue, irrationnelle, inadmissible, incorrecte, contradictoire, qu’aucune société, aucune morale, ni aucune religion ne pouvait, ne voulait, ni ne savait entendre parce qu’elle exprimait un désir différent. Cette souffrance secrète n’avait jamais été prise en compte jusqu’à la psychanalyse. Cependant une confusion perdure, elle vient de ce qu’on lit Freud et même Lacan, quoique par son style il résiste mieux, comme s’ils ne parlaient que du conscient et pas de l’inconscient.
Professeur de philosophie, Michel Onfray témoigne qu’il a enseigné dans un lycée pendant vingt ans « consciencieusement le corpus freudien » (sic). Comment enseigner consciencieusement l’inconscient ? Comment la conscience pourrait-elle éclairer la nuit de l’Unbewusst ? L’obscur ne va-t-il pas continuellement, insaisissablement par-delà la lumière ? Comment raconter l’inconscient avec les mots de marbre et de plomb du conscient ? Ce terme étrange d’Unbewusst porte avec lui, dans notre culture, l’inconvénient d’être négatif, expliquait Lacan « …ce qui permet d’y supposer n’importe quoi au monde, sans compter le reste. A chose inaperçue le nom de partout convient aussi bien que celui de nulle part . C’est pourtant chose fort précise », souligne-t-il. (Lacan , « Télévision », p.15 ). Mais pour pallier illusoirement mais très sûrement cet inconvénient nous avons comme toujours le discours universitaire, des lycées et des collèges, et de la presse en général. C’est une méthode fantasmatique, certes, mais très simple. Elle consiste à réduire l’inconscient au conscient tel le néant à l’être, comme si la nuit pouvait capituler une fois pour toutes devant l’impérialisme jour. C’est une sorte de jeu philosophicoïde assez répandue dans les salons, télévisuels ou non : L’inconscient freudien n’existerait que pour le conscient. L’inconscient ne viendrait qu’après le conscient, il ne pourrait être que provisoire et relatif à lui. L’inconscient freudien ne serait finalement qu’un inconnu, un sans-papiers, un Indien, un Peau-Rouge, perdu dans une sorte de purgatoire en attente de la lumière éternelle de la conscience absolue, avec sa Jérusalem céleste, ses identités et ses lendemains qui chantent. En quelque sorte « la fin de l’histoire » ! Cette définition de l’inconscient n’est ni celle de Freud ni celle de Lacan. Elle n’a rien à faire avec la psychanalyse. Elle n’en est pas l’inverse, elle n’en est que le clabaudage.
Il est donc juste et salutaire que Michel Onfray dénonce cette psychanalyse qui s’enlise dans la psychologie depuis la mort de Lacan. Depuis la disparition de Lacan les psychanalystes ne savent plus ce qu’est l’inconscient. Ils ne croient plus qu’à l’empire des neurosciences. Le cerveau n’est pourtant qu’un effet de la parole. C’est la nuit qui a inventé la lumière. Les psychanalystes ont-ils oublié que « l’inconscient, ça parle » (« Radiophonie », in Autres Ecrits , p. 435) ? Que ça parle d’abord. Que c’est du « parlêtre » ? Lacan a traduit phonétiquement l’Unbewusst allemand par une bévue, pour bien souligner que cette parole freudienne n’a rien à voir avec les mots ordinaires. De cette traduction incongrue pour la raison surgit tel un daïmon la bévue en tant que double vue. Double vue pour voir simultanément les contraires, les contradictoires et les sens opposés, comme le voulait Héraclite, la nuit et le jour, le refoulement et le retour du refoulé, les pulsions de la parole et leurs transformations, qu’elles refoulent ou qu’elles soient refoulée, leur retour sur elles-mêmes, leur renversement en leur contraire ou leur sublimation. Ainsi, contre Aristote, une chose peut être et n’être pas, en même temps, au même endroit, et sous le même rapport. Témoin l’électron. Le chaud est le froid, le haut le bas, le lointain le proche, le corpuscule, une onde, etc. Pire encore et en résumé : A est non-A .On comprend que cette double vue, insupportable pour la réalité consciente, soit rejetée, déniée, lapidée, telle la femme adultère au temps des scribes pharisiens : A mort l’Unbewusst ! L’Unbewusst doit disparaître ! Il faut arrêter le temps !
Freud dans « L’analyse profane » et Lacan dans ses séminaires, n’ont cessé de dénoncer la réduction sournoise de la psychanalyse à la psychologie, c’est-à- dire au conscient : (« … à cette date dans le monde, les psychanalystes ne s’appliquent qu’à rentrer dans le rang de la psychologie. L’effet d’aversion que rencontre dans leur communauté tout ce qui vient de Freud, est avoué en clair notamment dans une fraction des psychanalystes présents » (« L’Inconscient », Colloque de Bonneval, 1960, Desclée de Brouwer, p. 160 ). Que cela plaise ou non, regardons les choses comme elles se présentent. Il faut dire et prendre acte que le plus grand nombre des psychanalystes d’aujourd’hui ne sont plus occupés qu’à se nier en tant que tel en devenant psychologues. A quoi bon se voiler la face ? On est aujourd’hui à la fin d’un cycle. La psychanalyse se trouve dans la situation de Darwin face à la Bible avec son « Origine des espèces ». Sans l’Unbewusst les psychanalystes ressemblent au cycliste d’Alfred Jarry qui pédalait toujours bien qu’il soit mort ou au « chevalier inexistant » d’Italo Calvino qui n’était plus qu’une armure creuse. Sans l’Unbewusst la psychanalyse ne brille plus que de l’éclat des étoiles mortes. Elle ne sait plus écouter la nuit qui parle. Tous les fascistes de la conscience pure tentent de s’unir pour réanimer le cadavre en décomposition d’une morale morte, tandis que l’infini Unbewusst ne cesse de leur faire, comme à son habitude, des enfants dans le dos que la psychanalyse baptise les « retours du refoulé ».
Certes, l’inconscient freudien comme antérieur à la conscience, c’est difficile à avaler et dur à digérer. C’est super pimenté. Ça troue l’estomac et le reste. Avec un truc comme ça, on se fait mal voir de l’entourage. Mieux vaut être un respectable pion universitaire, un psychologue, un sociologue, voire un historien ou un comique politiquement correct, c’est plus télégénique. Le bon goût consiste à ne répéter que les discours du semblant dans la zoosociété du spectacle comme étant la plus sûre des valeurs, mais raisonnablement, consommée avec modération, ce qui élimine certains humoristes, ceux justement qui étaient capables de dégager ce que nous refoulons.
Si depuis la mort de Lacan les psychanalystes ne savent plus ce qu’est l’inconscient, le seul discours qui ne soit pas du semblant, il est urgent de secouer le cocotier de la psychanalyse.
Ce qu’on attend d’Onfray, c’est qu’il renomme les choses, qu’il diminue la confusion et renoue avec l’essentiel. On lui demande de réanimer les morts psychiques. Qu’il montre comment dire et penser qu’en refoulant l’inconscient, la conscience devient le fascisme, le colonialisme et le totalitarisme.
Paraphrasant son Traité d’athéologie, on pourrait dire que : « le silence des psychanalystes sur l’Inconscient permet le bavardage de ses ministres qui usent et abusent de l’épithète ». Il est grand temps comme disait Lacan, de « rompre le silence par n’importe quoi, un sarcasme, un coup de pied ». (Lacan , séminaire I, « Les Ecrits techniques de Freud »). Une contre-histoire de la psychanalyse attend ses Michel Onfray.
Guy Massat, psychanalyste
pauvreté
S. C. Desjardins
samedi 04 juin 2011