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C'est arrivé près de chez vous !

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Jean-Pierre Lebrun

lundi 28 juin 2010

C'est arrivé près de chez vous !

Non, ce n'est pas le nouveau Poelvoorde ! C'est du sérieux, du corsé, de l'insupportable, et probablement du pratiqué au quotidien ! Non, ce n'est pas à mettre au passé composé, mais au présent : cela arrive près de chez vous ! C'est donc à prendre en compte, d'urgence, tant qu'il est encore temps !

Sur le moment, ce qui m'a le plus révolté, c'était de me rendre compte que, dans un pays de tradition démocratique comme la Belgique, il suffisait d'être accusé par la mère de son enfant pour être présumé coupable, alors que tout notre système juridique se fonde sur la présomption d'innocence . Voilà c'est dit ! C'est même écrit et très bien, sans haine, épongé de toute passion inutile, avec rigueur et méthode, dans l'ouvrage accablant de Marcello Sereno, Comment priver un enfant de son père (1). Le sous-titre de l'ouvrage ajoute : un dysfonctionnement ordinaire de la justice . C'est un pavé dans la mare des juges mais aussi bien dans celle des travailleurs sociaux, des policiers, des experts et des psys de tous bords ; c'est aussi un témoignage remarquable pour quiconque, au-delà des mots d'ordre et des consignes du politiquement correct de l'époque, continue à se demander si nous sommes, dans nos agissements, à la hauteur de nos prétentions, si les droits de l'homme chers à chacun sont vraiment pris en compte et à bon escient.

Un père raconte par le menu détail mais avec la froideur de l'entomologiste le désastre qui s'est produit à partir de ce jour de janvier 2001, où sa petite fille de quatre ans et demi lui a déclaré : Maman ne veut pas que j'aille chez toi, parce que tu as fait des lichettes sur ma prune , ce qui l'a entraîné dans un abîme dont il n'a pas encore vu le fond : accusation par la mère, prise en relais sans aucun recul par la première psy consultée, condamnation de fait aggravée de refus de collaboration puisque l'intéressé ne reconnaissant pas les faits, écartement immédiat, prise en charge par une équipe SOS-Enfants toute dévouée... à la cause de la mère, soutien psychothérapeutique de l'enfant par la psy qui, en même temps, a eu la charge de l'évaluation, changement d'école de la petite Sophie sans aucunement que le père en soit averti alors qu'il n'est nullement déchu de son autorité parentale, démission des enquêteurs et de la justice face aux experts psys, information orientée uniquement dans le sens de la culpabilité, absence de confrontation contradictoire, contrainte à en passer par des espaces-rencontre (un premier de ceux-là épouse l'accusation, un second, au contraire, tient sa place de neutralité bienveillante), et enfin acquittement au tribunal correctionnel de Liège en novembre 2004... suivi d'une condamnation en appel en mai 2005, entraînant de facto le licenciement en 2006 de l'auteur par l'administration où il travaille, suite à l'interdiction, qui va de pair avec la condamnation, de remplir des fonctions, emplois ou offices publics... et faut-il dire que nous en passons plus d'une pour ne pas ici accabler le futur lecteur !

Faut-il préciser que depuis, si les relations semblent s'être quelque peu améliorées, il a fallu pour ce faire trois années de poursuite des hostilités au travers d'expertises et de contre-expertises, suivies de trois années de procédures diverses pour que puisse être quelque peu relativisé le jugement et ses conséquences : aujourd'hui, Marcello revoit sa fille un jour par mois, mais il est actuellement sans travail, après avoir perdu celui qu'il avait considérablement investi, et toujours, évidemment coupable !

Comment sortir d'un tel guêpier si chacune de vos tentatives est lue comme une manière de vous disculper, comment, une fois les paroles dites, revenir un tant soit peu en arrière ? L'ouvrage peut paraître quelque peu fastidieux mais sa lecture, comme le signifie très justement le juriste François Ost dans sa préface, devrait être imposée à tous ceux qui, de près ou de loin, interviennent dans le cours de telles procédures, car il montre mieux que tous les traités comment, dans la réalité concrète, l'ensemble de nos grands principes démocratiques est bafoué par le ramassis des préjugés qui révèle plutôt la jouissance que l'on peut prendre à débusquer l'abus sexuel et la satisfaction que l'on peut trouver à dénoncer un coupable qui n'a plus rien de présumé.

Nous ne trancherons pas ici sur le caractère vrai ou faux des propos de l'enfant ; nous rappellerons simplement que les fausses allégations existent et qu'elles sont aujourd'hui reconnues comme la façon la plus commode pour une mère de se débarrasser du père de son enfant, de rester la seule maître à bord de son enfant. Nous n'évoquerons pas ici la difficulté de battre en brèche le pouvoir réel d'une mère lorsque l'autorité parentale ne parvient pas à être correctement assumée conjointement. Nous ne nous étendrons pas non plus sur le paradoxe aujourd'hui hurlant d'une société qui tolère la sexualité la plus affichée et qui dans le même mouvement voudrait que ses enfants en soient parfaitement protégés. Nous ne dirons pas davantage combien la sexualité infantile, jusqu'il y a peu reconnue constitutive de notre humanité, se voit désormais interdite de séjour. Nous ne parlerons pas non plus de la douleur d'une enfant qui ne supporte plus que père et mère ne veuillent pas la partager et qui trouve, à son insu, les mots qu'il faut pour se débarrasser d'un de ses parents. Nous n'extrapolerons pas ici ce scénario à la famille que nous appelons bi-monoparentale que l'enquête sociologique confirme comme étant de plus en plus fréquente et à propos de laquelle tout porte à penser que chaque enfant a désormais à faire à deux mères qui rivalisent entre elles plutôt qu'à une mère et un père qui articulent leurs points de vues. Nous nous contenterons de manifester notre colère à l'idée que tout cela arrive près de chez nous.

Il ne s'agit pas ici de déclarer Marcello Sereno coupable ou innocent ! Ce n'est évidemment pas notre rôle, mais il s'agit, en profitant de ce témoignage soigneusement rédigé qui réussit d'atteindre à l'universel, de suivre à la trace la question qu'il nous pose à chacun : qui un présumé coupable peut-il encore aujourd'hui rencontrer pour essayer de dégager ce qu'il en est d'une vérité ? Y a-t-il encore quelqu'un à l'adresse indiquée qui accepte de se faire le destinataire d'un tel mal-être pour tenter de remettre de l'ordre dans ce désordre ? Ou nous sentons-nous en ordre quand nous avons seulement indiqué soigneusement le parcours à suivre pour renvoyer l'objet du litige à un autre que soi ?

C'est de la même façon que l'on peut entendre le témoignage de Dominique Wiel, le prêtre accusé injustement - et écroué - dans le procès d'Outreau. Dans le récit qu'il a publié, il fait, à propos du juge Burgaud, la remarque suivante : cet homme ne regarde jamais son interlocuteur. Il m'adresse la parole tout en feuilletant son dossier, sans lever les yeux sur moi. C'est sa marque de fabrique, cette absence de regard, cet aveuglement revendiqué .

Ou encore, le témoignage de Virginia, âgée de 14 ans, lorsqu'elle a accusé son père de l'avoir violée. Celui-ci sera condamné à 12 ans de prison par la cour d'assises de Reims. Quelques années plus tard, dans un livre, la jeune fille avouera avoir menti et écrira qu'à aucun moment de toute son histoire, personne ne lui a clairement posé la question de savoir si c'était bien la vérité qu'elle avançait ! Personne ne l'a donc mise en demeure de savoir si elle était prête à porter les conséquences de sa parole . Ni la directrice, ni les policiers, ni la conseillère en éducation, personne pour momentanément donner corps à être un autrui pour Virginie.

Ce que ces écrits nous amènent à penser, c'est à quel point il est devenu difficile dans le monde d'aujourd'hui de rencontrer un interlocuteur. Ce à quoi ces témoignages nous contraignent, c'est à prendre en compte à quel point nos mécaniques institutionnelles nous amènent à quitter le lieu, où nous psys, juges, travailleurs sociaux sommes pourtant attendus : celui d'une vérité à l'oeuvre, en recherche, prête à se confronter à l'inédit et l'inconnu.

Voilà pourquoi c'est un devoir de lire ce livre. D'urgence ! Simplement pour faire tout ce que nous pouvons, chacun à notre place, pour ne pas que continue cette absence d'un autrui et ses conséquences désastreuses ! Pour donner une chance à ce que de la rencontre puisse encore avoir lieu.

 Jean-Pierre Lebrun

Texte publié dans le journal La libre Belgique, repris ici avec l’aimable autorisation de l’auteur

Notes :

(1) M. Sereno, Comment priver un enfant de son père , Éditions Jeunesse et Droit, Paris-Liège, 2009.

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Commentaires

Cela sest passé près de chez vous! Comment (ne pas)taire?

Un homme en colère, un psychanalyste en colère et révolté… dénonciateur et alarmant.

Qui s’en plaindrait ?

L’insupportable de ce qui se passe « près de chez vous »… tous les jours dans les allées des jardins bétonnés de ce monde de plus en plus clôt, refermé sur lui-même, est aussi, très bien et efficacement entretenu par la cohorte des agents sociaux de toutes espèces.
Nous-mêmes, ne sommes-nous pas divisés dans ces rôles, tantôt « agents de l’ordre et de la sécurité », tantôt acteurs d’ouverture, de la subversion du vivant ?


Il se fait que par mon travail dans les prisons (formateur, criminologue), je suis aux premières loges pour « assister » à la déconfiture de la rencontre qui dans bien des lieux sociaux aujourd’hui n’a plus lieu ou qui encore se dégrade en abîme.
La prison est un laboratoire de ce qui s’invente, se prépare, se construit en terme de « sécurisation et de gestion du bien être ».

Ce constat n’est pas nouveau, l’urgence non plus… pour ceux et celles qui pâtissent chaque jour de ces choix institutionnels qui sont de cette «… marque de fabrique, cette absence de regard, cet aveuglement revendiqué ».

Se pose la question d’un lieu à notre action. A commencer par le trouver, par l’instituer dans le langage.
Je vous propose ainsi qu’aux lecteurs de Psychasoc, à réfléchir sur la relance d’un signifiant à associer aux démarches et actes d’ouverture que nous voulons soutenir à différents niveaux ; signifiant que comme psychanalyste et travailleur social, il serait à mon sens bon de pouvoir porter.
Celui de révolution.

Je dépose aujourd’hui un texte « L’éloge de la respiration idiote » auquel le texte de J-P Lebrun me fait directement penser. J’indique également d’autres textes sur les prisons déjà déposés sur Psychasoc « Témoignage sur un terrain miné » et sa suite.

Egalement, un lien où lire ma réflexion sur la réintroduction de ce signifiant dans notre secteur, et plus particulièrement autour du noyau de la « psychanalyse ».
http://www.revolution-psychanalyse.com/manifeste-revolutionpsychanalyse.php