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Comment lutter ?

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Daniel Pendanx

samedi 26 janvier 2008

[Lettre ouverte à Joseph Rouzel]

"Un président qui un jour dit blanc et le lendemain noir, certains se demandent s'il est fou. Mais non. C'est l'incarnation, le modèle déposé, le maître-étalon du sujet post-moderne. Un sujet sans limite. Lui dit : décomplexé. Oui c'est comme non, et blanc, c'est comme noir. Cette abolition permanente des contraires que structure le langage et qui détermine toutes les différences (sexuelle, de place, de génération etc) met en scène une jouissance débridée qui prend la forme d'un "je suis partout", "je suis tout" etc. Mais s'il a été élu n'est-ce pas parce qu'il représentait le mieux cette abolition des limites auxquelles secrètement chacun aspire? Question subsidiaire: devant ce déferlement de jouissance comment allons-nous lutter?"

Joseph Rouzel (sur le forum Psychasoc)

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Cher Joseph Rouzel,

Je partage pleinement ton propos, cette remarque si aiguë quant à cette « abolition des limites auxquelles secrètement chacun aspire » que le Tout est possible de l’actuel Président a fait si bien miroiter durant la campagne, et dont son conseiller Guaino feint d’ignorer la résonance subjective, la fascination exercée…

J’en retiens aussi la question subsidiaire « comment lutter ? », à laquelle nous sommes en quelque sorte sommés de répondre, dans notre implication dans le théâtre institutionnel... Question à laquelle je vais tenter d’apporter ici, m’adressant à toi, ma contribution.

Répondant au plus concis je dirais que nous ne le pouvons, sur le mode « combattant » qui à mon sens convient, que si et seulement si nous nous montrons capables de soutenir, de manière singulière, un « non » qui ne soit pas moutonnier – ce qui implique, contre tout positivisme (et son envers nihiliste), de développer une culture praticienne du négatif et de la limite. « Lutter » c’est conquérir le sens des limites, qui est aussi tout à la fois le sens de notre assujettissement et le sens de ce qu’il peut en être de notre liberté d’interprète, liberté référée, dans quelque fonction nous nous trouvions. Autrement dit mon idée de la « lutte » a à voir avec ce que chacun nous avons à soutenir, dans ce théâtre du monde qui est le nôtre, des limites, des limites de notre scène professionnelle, de nos propres limites de discours et de place, de notre « castration » comme on dit dans le jargon, soit aussi de l’écart avec la fonction et entre les fonctions, en payant au long cours de l'élaboration notre propre dû subjectif à la Loi… Tout ce à quoi s'avèrent si souvent contraire – il faudrait quand même finir par le reconnaître sans fard – le militantisme, la volonté de faire réseau, l'esprit missionnaire et de conquête, tout aussi bien que ce vieil esprit de la philanthropie bourgeoise rénové depuis plusieurs décennies sous les atours des « sciences humaines », ou sous les termes d’une théologie psychanalytique prétendant forger un « nouveau lien social », une «autre institution »… Le « lacanisme », pour des raisons sur lesquelles je ne vais pas ici m’étendre, a été la pépinière de ces nouveaux philanthropes, de ces nouveaux Réformés que sont les pasteurs du Moi-je... Ils sont eux aussi quasi « partout » ! Enfin du moins ils essaient ! Leur « séduction » positiviste (même quand ils nous causent du « manque » ils nous en bouchent un coin !), ne fait qu’alimenter la résistance à la psychanalyse, la vraie. Je crois que c'est à cela que tu as touché, peut-être sans tous les outils, en mettant en questions dans ton petit texte (paru dans les ASH) ces « CTP » à vocation « philanthropique » créés par les gens du Parti – c'est ainsi que je nomme ceux de la Cause lacaniste... J’ai apprécié ta tentative, car j’ai cru lire que derrière cette opération de « création des CTP » tu décelais le vrai mépris dans lequel sont tenus par là tous ceux qui dans les services et les institutions combattent pour soutenir des espaces tiers… Mon idée est que Miller, comme tant d’autres, est en vérité un homme du « privé ». Le « bien public » n’est que le prétexte. Tu as lu je suppose la réponse qui t'a été faite : la sophistique de celle-ci n'est pas si facile que cela à déconstruire, surtout si on ne repère pas comment ceux-là, derrière leur superbe, tendent, avec Freud à l’appui s’il vous plaît, à se porter au lieu souverain du Contre-pouvoir ! Ils cherchent ainsi à rafler la mise, la mise du transfert politique des « bons sujets »… Il n’y a là rien de très nouveau sous le soleil, que de la répétition politico-religieuse occulte, qui comme telle est on ne peut plus détestable, et porteuse de servitude renforcée – la servitude des piétistes de tous horizons ! J’ai écrit récemment, sur cet aspect des choses, un petit texte accueilli sur le site « Œdipe », intitulé « L’Université et le transfert ».

C’est pourquoi j’estime qu'être conséquent, politiquement conséquent, ne se peut sans d’abord se soucier des conditions de l’institution du sujet . Ce point est capital dans mon orientation de praticien. Il s’agit de se soucier, cas après cas, des conditions de la « triangulation de la scène ». Ce qui ne peut se faire si on se bat les flancs de la question de savoir quel est l’ordre du texte et du mythe qui gouverne les pratiques … Il convient donc à mon sens d’ouvrir l’horizon, d’élargir la réflexion en amont, de repenser la question normative (condition pour que les praticiens lèvent le nez du guidon), et de repérer ainsi en quoi le mythe post-moderne – dont le néologisme de « parentalité » est à mes yeux une des clefs – est le nouveau mythe unaire. Saura-t-on voir assez tôt en quoi ce mythe, prenant de plus en plus force réglementaire, ordonne la détriangulation et la déritualisation quasi-généralisée des pratiques ?

C’est quand même bien avant ce Président qu’a commencé à être légitimé, culturellement, politiquement, juridiquement légitimé, le fondamentalisme inhérent au fantasme inconscient, l’idéologie du « sans tabou », le déni de la fonction totémique de l’Etat… Tant d’intellectuels, tant de psychanalystes, ont si peur de passer pour « dogmatiques », ou encore pire pour eux, pour « conservateurs », « non modernes » ! Il leur faudra bien pourtant, s’ils ne veulent épouser le pire à venir, reculer ! Car quand on est dans une impasse – l’impasse actuelle de la doxa anti-normative, l’impasse de ces confusions qui font le lit de ce qu’on dénonce – on ne peut avancer sans d’abord reculer !

Le mythe post-moderne unaire, mythe subjectif d'avant la différence des sexes (propre à la configuration fantasmatique des « parents combinés » sous-jacente au néologisme de parentalité ), se combine à ce que Guy Rosolato analysa si bien sous les termes universels, structuraux, du « complexe de croyance »… Ce « complexe de croyance » – en lequel, je résume au plus court, le Père Idéal , fermant les yeux sur le triomphe oedipien à bon compte du Fils Héros sur le pauvre père concret, toujours boiteux, se trouve en charge de pérenniser la figure de la mère phallique, cette Mère Gouvernante « qui ne saurait manquer à la totalité de la toute-puissance » (dans Nouvelle Revue de Psychanalyse , n°20, 1979, p.201) s'impose, sous le poids d’un lobbying insistant, comme ordonnateur de cette politique du droit soutenue par les faussaires de la post-modernité – politique masquée sous le motif radical de « l’anti-ségrégation » !

La psychanalyse, l'apport de Pierre Legendre, peuvent aussi nous aider à éclairer les façons dont pour pervertir la loi du langage (pervertir le « logos », les contraires que structure le langage , comme tu le notes si bien) et confusionner les registres (les registres de la parole et de l'agi) les politiques institutionnelles viennent – par exemple en notre secteur sous les motifs habituels de la pluridisciplinarité, de la transparence, du travail d'équipe, de la complémentarité partenariale –, légitimer le mythe totalitaire, un-stitutionnel... Ce mythe là, comme tous les mythes totalitaires (softs ou pas) exige son lot de sacrifiés ! J’en connais et j’en vois qui sont prêts pourtant à « gérer » tout cela, avec d’un côté une clinique réparatrice (ou pseudo-réparatrice) pour ceux qui « adhéreront », et de l’autre la série des laissés-pour-compte, et cela souvent dans une même famille, dans une même institution… Les enjeux de justice, de justice généalogique, sont en vérité le dernier de leurs soucis !

Alors quand je vois des psychanalystes refuser de problématiser l’enjeu de légitimité, comme si le fait d’outrepasser les limites de discours, les limites de l’acte, limites liées au statut, n’avait pas à voir avec la transgression, et se faisant avec l’expression « séductrice » et « meurtrière » du désir inconscient qui enveloppe l’humain, je ne cesse de m’interroger…

Comment le peuvent-ils, sans se tenir eux-mêmes dans une certaine imposture politique, clinique ?

Comment ne pas se soucier de la dimension de légalité, de l’institutionnalité dans son rapport au mythe fondateur ? Comment ne pas tirer conséquence de la dimension langagière, fictionnelle du « cadre », du cadre comme scène de la représentation fondatrice ? Comment ne pas lutter pour un ordre du mythe auquel les interprètes puissent se prêter ?

Comment ne pas saisir que l’espace tiers des institutions, les espaces potentiels, de culture, de créativité, où nous œuvrons à la domestication du fantasme, à la civilisation de ces « sentiments élémentaires » dont le philosophe Lévinas repéra combien ils étaient le Mal à la racine de la philosophie nazie, supposent un ordre de légalité garantissant les limites et l’écart ? Comment d’un même pas, innocents , prétendre « sauver la clinique » ?

Comment soutenir, comme je l’ai lu, que les praticiens puissent ne pas avoir à se prononcer sur les tendances culturelles du temps, ce qui, soit dit en passant, n’est rien saisir de la facture culturelle, juridique, du procès identificatoire, de la dialectique intrapsychique des images et du rapport « moi idéal » / « idéal du moi » ?

Nous n’aurions donc pas à nous émouvoir (politiquement) de la façon dont ces tendances conduisent à innocenter le meurtre des images fondatrices , comme par exemple quand on voit le droit civil espagnol rayer les mots « père » et « mère » pour les remplacer par les mots « parent A », et « parent B », aux fins de légitimer « l’homoparentalité »? Que cela soit soutenu par des psychanalystes m’effare ! Mais il est vrai que ceux-là veulent rendre la psychanalyse sympathique, autrement dit comme l’a souligné il y a de cela des années mon cher Legendre, aveugle, œdipiennement aveugle ! Cela fait longtemps que par quelques uns de ceux là, les prétendants comme je les nomme, je suis prié de me taire, sous la rubrique du « il est interdit d’interpréter »…

Bien sûr beaucoup préfèrent se présenter en aval comme les grands réparateurs d’un Mal qui vient de l’amont, d’un amont dont, of course, oies blanches, ils ne participeraient en rien en leurs discours et positions au monde !

Mais qu’on le veuille ou non tous nos dires publics sont une façon de prendre position quant à cette affaire du Mal dont parlait Lévinas, si clairvoyant dès le début des années trente !

La légitimation du meurtre des images fondatrices, de l’une ou l’autre des images fondatrices du sujet , a toujours été le propre des totalitarismes ! J’ai encore à l’esprit la manière dont Mao légitima les « gardes rouges » dans leur dénonciation et maltraitance de leurs propres parents, jusqu’à tuer les pères, leurs pères! J’ai trempé dans cette affaire, dont il m’a fallu un certain temps pour m’extraire ! (Je te conseille là, à nouveau, la lecture du dernier ouvrage de Peter Sloterdjik, Colère et temps !)

Je pense donc que « lutter », lutter contre les tendances totalitaires, où s’originent toujours les vraies ségrégations , exige de se soucier des façons dont le champ institutionnel se trouve incesté , mis au service de l’omnipotence, des volontés de puissance et d’emprise – volontés qui ne sont pas que celles des « gestionnaires » ou des « cognitivistes », lesquels sont parfois plus modestes et mesurés que bien d’autres…

Mais nous ne pouvons nous occuper de cela, qui concerne si directement l’institution du sujet, si nous ne rompons avec le « clivage des deux lois » (loi symbolique/loi juridique) – clivage par où l’ordre psy, pas seulement celui des « experts » désignés à la vindicte, tend au verrouillage des narcissismes institutionnels !

Je considère le dépassement de ce clivage comme une affaire princeps, si tout du moins nous ne voulons pas tomber dans les renversements et les impasses communautaires habituelles…

Mon propos, qui cherche à nous sortir du piège tendu tout aussi bien par les duellistes des deux bords (le piège par exemple du duel cognitivisme / psychanalysme) que par ceux qui nous proposent de nous tenir dans le surplomb (le surplomb d’une dite « clinique »), porte à conséquence, une conséquence que je résumerai brièvement ainsi : s’il n’y a de clinique que du transfert, d’une implication sensible du praticien, on ne saurait davantage soutenir et élaborer une clinique digne de ce nom (i.e. nouée à l’enjeu d’émancipation, du « grandir ») si le « transfert » des praticiens ne se trouve lui-même, en droit, institué, référé, lié… C’est la condition pour que les praticiens « élaborent », c’est-à-dire se dégagent, pour leur propre compte de sujet comme pour le compte de ceux auxquels ils ont affaire, des manipulations sauvages, comportementalistes, séductrices et autres…

Mais ce que je dis là ne peut se concevoir clairement que si l’on comprend en quoi par exemple des chefs de service ou des directeurs ont à conquérir l’horizon symbolique, généalogique, de la « gestion », et se faisant à s’inscrire, comme tous, non comme maîtres du cadre (ce que tant font !), mais bien dans un travail d’élaboration du « cadre », des limites du cadre, comme condition de la clinique, de pratiques subjectivement efficientes. Alors oui, dès lors qu’on rompt avec l’objectivisme dans notre abord du « cadre », dès lors qu’on a idée, un peu idée, de ce dont il s’agit, en termes de limite et d’écart, quant à l’institution des espaces tiers où fonctionne la Loi, on peut parler de la fonction clinique des cadres… Si c’est de cela dont parlent ceux qui évoquent sur le forum une « clinique des cadres » je m’excuse d’être allé un peu trop vite dans ma lettre à Jean-Marie Vauchez, mais je n’arrive pas à bien lire vers quoi tendent certains propos sur ce thème. Attendons !

Ce qui pour moi est le plus important c’est d’arriver à distinguer en quoi la dimension de légalité, qui ne doit pas être réifiée, a valeur symbolique au regard de l’indifférencié des images qui gouverne l’autre scène inconsciente de tous… Ce qui suppose de rompre, je le redis, avec l’opposition absurde, où se fonde tout l’anti-juridisme en nos milieux, entre loi symbolique / loi juridique.

Mais ce travail de dégagement d’avec la doxa des « deux lois », que j’appelle de mes vœux, ne relève pas, cher Joseph, de l’opération du seul Saint Esprit, même si celui-ci s’y implique… Il y faut, là aussi, l’engagement de l’interprète, et que ceux donc qui en ont le courage, le courage politique (courage de la solitude politique) s’y coltinent, en essayant de savoir un peu d’où ils parlent, pour ne pas être, à l’image de ce Président qui nous fait honte, « partout » , partout enlacé à l’image de soi comme à l’image de l’Idole, comme l’Enfant Héros sauveur de la Mama…

J’espère avoir ici, sur ce site que tu animes, au titre de ma fonction d’éducateur , mais aussi simple citoyen de la République Française , l’occasion de poursuivre,

amicalement,

Daniel Pendanx

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