Textes > fiche texte

Constats et Premières Ebauches

Suggérer à un ami Version imprimable Réagir au texte

samedi 03 novembre 2007

(pour fonder une clinique des cadres dans les institutions de l’action sociale et médico-sociale )

Nous trouvons dans l’actualité sociale et dans l’actualité du rapport d’activité alibi à ouvrir un chapitre pour rendre compte de ce qui traverse nos pratiques et tenter d’inaugurer par cet écrit le travail de formalisation des fondements de notre futur projet d’établissement. Formalisation, écriture de notre Projet d’établissement qui constitue un des objectifs majeurs pour l’année 2006.

En effet, au fil du travail concernant le rapport d’activité 2005 sont encore présentes dans nos mémoires, sans doute en raison d’une actualité sociale toujours aussi mouvementée (universités bloquées, jeunes étudiants en manifestation,…), ces pulsations qu’a connu notre société et qui ont agité nos banlieues l’an dernier. Actualité nationale dont nous pourrions dire, toutes proportions gardées, qu’elle se fait l’écho de notre ordinaire, de notre quotidien, de ce qui ne cesse pas de s’actualiser dans la vie sociale d’un CHRS 2 .

Actualités de CHRS, dont nous essayons de rendre compte depuis déjà plusieurs années et dont nous avons le plus grand mal pour en faire partager, non seulement, la consistance mais surtout partager l’analyse que ce qui se passe dans les CHRS est la transposition de ce qui se passe à plus grande échelle dans notre société. Par là même ce qui s’actualise dans le « lien social » pour une résidente dans le CHRS peut être considéré comme la transposition de ce qui fait obstacle à son insertion sociale. Autrement dit ce qui fait obstacle à son inscription dans l’établissement est du même ordre, du même registre, que ce qui fait obstacle à son inscription sociale. En cela, si cette hypothèse, qu’un CHRS peut être envisagé comme la transposition de la société, trouvait un espace qui nous donne l’occasion de la déplier, trouvait des acteurs et des partenaires pour s’y engager avec nous, les CHRS pourraient devenir aujourd’hui des lieux privilégiés pour identifier ce qui fait obstacle pour quelqu’un à se maintenir inscrit socialement (nous observons que ce n’est pas toujours le manque de travail et de logement) et devenir des lieux « d’apprentissage » du « lien social » dans une société complexe telle qu’elle se présente à nous.

Voici maintenant plusieurs mois que nous hésitons à écrire, ( donc à commencer à publier, et par là même à rendre « public » ) pour déployer une telle hypothèse de travail et la proposer comme opportunité à penser notre activité dans le cadre des CHRS « Ariane » et « Marie Louise » 3 autrement.

En effet pendant longtemps nous nous sommes dit que la charge de travail des hommes politiques et des administrations de l’Etat sont à peine imaginables par les simples professionnels du lien social que nous sommes. Nous ne doutons pas que les dossiers qu’ils ont à traiter sont sans doute d’une autre nature et d’une autre importance que ce sur quoi nous souhaiterions les rencontrer et les entretenir. Nous avons tenté de nous détourner de cette initiative en nous disant qu’il y à des personnalités qui restent inaccessibles et que les préoccupations des hommes d’Etat et des techniciens des administrations sont sans doute très éloignées du commun des professionnels. Nous avons donc jusqu’à présent réfléchi en interne et avons poursuivi l’élaboration de notre hypothèse de travail dans une certaine confidentialité et avec nos seules ressources.

Mais malgré ces appels à la raison notre souhait de provoquer la rencontre sur une telle hypothèse de travail persiste et de plus en plus nous nous disons qu’il nous faut nous jeter à l’eau. Oser nous adresser à eux, à vous, et passer outre la gêne que notre démarche suscite, quitte à devoir répondre devant notre conscience professionnelle d’une certaine forme d’immodestie.

Ces quelques phrases pour tenter de dire que nous avons conscience du fossé qu’il peut y avoir entre des professionnels du lien social témoins du malaise dans la civilisation et dans les institutions qui écrivent de l’intérieur d’un CHRS et des hommes et des femmes qui à différents titres ont en charge les affaires de l’Action sociale et Médico-sociale de la France et ce à partir du sommet de l’Etat.

Mais il y à parfois des projets et des hypothèses de travail tenaces qui se maintiennent envers et contre tout et qui ne s’apaisent que lorsque confrontés au réel ils s’épuisent à vouloir le changer.

Ces projets et ces hypothèses de travail nous souhaiterions avoir la possibilité de les déplier, de les parler, persuadés que nous sommes qu’ils peuvent contribuer, non seulement à répondre au désarroi de grand nombre de publics en « difficulté d’inscription », mais aussi à ouvrir des perspectives dans le cadre d’un projet de société où l’action sociale et médico-sociale serait aussi un des moyens pour contribuer à reproduire et/ou à refonder du lien social.

En effet, comme nous avons commencé à le suggérer en introduction, depuis maintenant plusieurs années, que ce soit par les médias ou par les dires des enseignants, éducateurs ou tout simplement par les « professionnels du lien social », autour de tout un chacun, de nombreuses scènes de la vie quotidienne mettent l’accent sur ce vent de désobéissance, d’incivilités, de violences qui frappe une grande partie de la jeunesse et plus largement une partie des publics que la culture du social qualifie « d’exclus ».

Scènes de quartiers, dans la presse, aux actualités télévisées qui décrivent des adolescents en furie contre les forces de «l’ordre ». Mais aussi scènes de quartier ou les habitants témoignent de leur sentiment d’insécurité face aux agressions dont ils sont l’objet et qui ont pour corollaire, le vol le racket, les drogues. Scènes ou des enseignants, en prétextant un manque évident de moyens tentent de mettre à jour, de manière avouable, le peu d’emprise qu’ils ont face à des jeunes dont la férocité de leur comportement n’a d’égal que la méconnaissance de leur désarroi. Scènes encore rapportées en « Veille Sociale » 4 ou dans les rencontres partenariales qui décrivent des situations où des « usagers » sont en conflit, actualisent agressivité et violence, envers les dispositifs et les professionnels qui y travaillent et qui à priori sont là pour les « aider ».

Témoignages de parents, de professionnels de l’éducation et du lien social qui ne s’expliquent plus comment ce qu’ils ont tenté de transmettre a pu produire de tels effets, une telle « confusion ». Sans compter la part de culpabilité pour nombre d’entre eux, déjà grande face à ce qu’ils considèrent eux-mêmes comme un échec, mais décuplé par le discours social les incriminant de «démissionner», de ne plus être à la hauteur, de baisser les bras.

Une partie de la jeunesse et des publics de l’action sociale et médico-sociale exprime, donc, son « mal être » par des conduites dont un des vecteurs principaux est la violence.

Violence vis à vis d’eux-mêmes : pratiques de groupe, de bande, avec consommation de drogues (alcool, médicaments, stupéfiants) ; violence sur les équipements publics, maisons de quartier, dégradations, vandalisme, graffitis ; et parfois violence dirigée vers leurs semblables.

Mais n’est ce pas sous couvert de ces comportements, autant de manières d’interroger les adultes qui les entourent et dont l’inquiétude ne cesse de croître ?

Plus précisément n’interrogent-ils pas le rapport que chaque adulte entretien avec la loi ? Avec les limites ? Avec les valeurs morales, sociales, culturelles ?

N’interrogent-ils pas le sens et les repères de ce qui fonde la vie en collectivité, ce qui fonde le rapport aux autres ?

Aussi loin que nous remontions dans le temps le monde des adultes a eu à faire face aux questions que lui ont adressé, les enfants, les adolescents, les jeunes. Cette dialectique entre les générations n'est donc pas chose nouvelle. Par contre la manière dont elle se présente aujourd’hui, non seulement remet en questions les repères habituels, mais plonge les adultes, les parents, les éducateurs, « les professionnels du lien social » dans un grand désarroi.

L’écart est de plus en plus important entre les discours que ces adultes, ces « professionnels du lien social » tentent de maintenir face à la jeunesse, face à des publics « en difficulté » et leurs actes qui souvent à leur insu les contredisent et invalident parfois, de surcroît, leur valeur « éducative», leur fonction « instituante ». (« Le vivant se reproduit l’Humain s’institue »)

Le projet d’établissement que nous soutenons et dont l’année 2006 devrait en formaliser l’écriture, s’appuie sur ces constats, confirmés et légitimés par la place que nous occupons, les fonctions que nous exerçons, dans le cadre de notre activité au sein des CHRS et de notre appartenance, à différents titres, à la communauté des « professionnels du lien social ».

Au fil des expériences nous avons eu l’occasion de rencontrer des jeunes, des adultes qui par leur discours, leurs comportements, s’interrogeaient, à notre sens, sur ce qui permet de rester en lien avec un autre, en lien avec un groupe, en lien avec un collectif, avec les institutions, avec la société, avec le sociétal et avec qui, il s’est agi, le plus souvent, de trouver des modalités pour que leur « malaise », leur « mal être » trouve des modalités d’expression convenables, adaptées, donc d’autres modalités que celles fondées sur le rapport de force, la loi du plus fort et de fait des modalités moins violentes, moins brutales pour eux-mêmes et pour leur entourage. La visée résidant essentiellement à « réadapter », pour une possible « réinsertion » et réduire les occasions d’actualiser des processus d’ « exclusion ». Visée légitimée par les textes de loi qui ont ponctué et donné un cadre à l’activité de l’Action sociale et médico-sociale ces vingt dernières années et dont la loi de 1998 dite « loi contre les exclusions » en constitue un des écrits le plus emblématique.

Pendant des années, c’est dans une telle visée que nous avons contribué au CHRS « Ariane » et « Marie Louise » à la « Réadaptation », puis à la « Réinsertion », de publics en difficulté et que nous avons trouvé en elle, une finalité à l’exercice de notre activité, un support à notre désir d’aider les autres. Si nous continuons à penser que persévérer dans une telle conception du travail est nécessaire, au fil de notre expérience, ce n’est plus, pour nous, que réside, là, « toute » notre visée.

En effet, aujourd’hui, ce que nous trouvons au terme de toutes ces années de pratique c’est que la finalité de l’activité d’un CHRS consiste à favoriser d’une part l’apprentissage de ce qui autorise à rester « inscrit dans un lien social » convenable (même lorsque à certains moments de l’existence ou du parcours le travail et le logement peuvent faire défaut) et d’autre part l’apprentissage de ce qui permet de participer à la reproduction ou à la refondation de notre projet de société. Autrement dit, au-delà de cette visée d’adaptabilité de l’homme à son milieu, à la vie en collectivité, reste à l’accompagner, le soutenir pour que ce qui lui permet de négocier son rapport aux autres, son rapport au monde, advienne sous la forme d’une expérience, d’une connaissance, d’un savoir transmissible à d’autres, son entourage, ses pairs, ses enfants. En d’autres termes et pour reprendre des références plus familières la finalité de l’éducation ne peut plus se résumer à produire de l’obéissance, elle doit viser aussi à assurer la continuité de ce qui se transmet entre les générations en s’assurant que la génération des enfants, une fois devenus des parents, sera en capacité d’éduquer ses enfants. Sans quoi il y aurait mais ne faut il pas le conjuguer au présent « il y a rupture dans la filiation », « rupture dans l’affiliation ».

Santiago. OLARIA

Introduction au rapport d’activité 2005

Chef de Service éducatif

Chercheur ( en friche ) en Sciences de l’éducation (Licence option formation et encadrement )

Mars 2006

1 Clin d’œil à l’actualité du moment Contrat Première Embauche

2 Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale

3 CHRS qui accueillent des femmes de 18 à 60 ans département des Bouches du Rhône

4 Instance départementale pilotée par la DDASS cf. référentiel national des prestations d’Accueil d’Hébergement et d’Insertion (p17) http://bourgogne.sante.gouv.fr/actionsociale_protection-sociale/lutte-exclusion/pdf/referentiel.pdf

Suggérer à un ami

Commentaires