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Critique d'une triste réforme (suite)

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Philippe Chavaroche

jeudi 27 septembre 2007

Je partage le constat pessimiste de mon collègue de l'IRTS de Bretagne (voir rubrique Rebonds du n°852 du 13 septembre 2007) sur la réforme du diplôme d'éducateur spécialisé (et sur celle du diplôme de moniteur éducateur dont le parcours sera commun avec les ES sur 950H sur les 1450H que comporte la formation d’ES). Je suis notamment en accord sur l'analyse critique qu'il fait de l'empilement de notions hétérogènes et hétéroclites sensées définir des compétences et des savoirs. C'est à un véritable processus pathologique de « démantèlement » (au sens que donne Meltzer à ce terme dans le fonctionnement autistique) d'une possible unité conceptuelle de la fonction éducative que l'on assiste. Comment, pour un professionnel en formation, penser la globalité de son travail et surtout se penser dans ce travail à partir de ces « domaines » de compétences et de formation ainsi cloisonnés?

Par ailleurs, le supposé enchaînement mécanique entre les référentiels d'activités, de compétences, de formation et de certifications n'est-il pas l'expression d'une vaine tentative de maîtriser la fonction éducative, d'éradiquer une fois pour toute le caractère « impossible » de ce métier (au sens freudien) et de nier l'aspect toujours complexe, fragile et incertain de la relation à celui qui est dans une difficulté de vie. Les « ingénieurs » de l'humain ont encore frappé!

Mais il y a autre chose qui pose problème dans cette réforme, c'est la vision de l'usager qu'elle induit. Dans le Domaine de Formation n°1 : « Accompagnement social et éducatif spécialisé », l'éducateur en formation doit aborder: « les conditions de la participation à la vie sociale et ses freins ». Et que trouve-t-on dans ces « freins », terme quand même peu anodin à propos d'une personne, au milieu d’un fatras de notions juxtaposées : « les situations de handicap et pathologies ».

Le handicap, la pathologie (et plus particulièrement la pathologie mentale) sont vus non comme une singularité existentielle de la personne, avec laquelle il va falloir l'aider à vivre, mais comme un « frein » et on ne parle pas du nombre d’heures extrêmement réduit que les écoles pourront consacrer à cette question vu l’ampleur du programme !

L'usager des services éducatifs est donc exclusivement un individu qui doit participer à la vie sociale. Or, il semble que l'on néglige dans cette approche que l'homme, s'il est un être social, certes, est aussi un être en relation avec lui-même, son histoire, son corps, ses affects et, bien que cette dimension lui échappe le plus souvent, avec son inconscient... et il arrive que cette relation à soi-même soit rendue plus difficile par le handicap ou la maladie.

Mais cette dimension de l'homme a-t-elle encore sa place? Tosquelles disait que l'homme marche sur deux jambes, la « jambe marxiste » et la « jambe freudienne ». L'usager semble vu, dans cette réforme, comme un « unijambiste » et l'on voudrait que l'éducateur lui apprenne à marcher droit!

Qu'en sera-t-il de la relation éducative vue sous cet angle avec un usager qui refuse ou qui ne peut pas intégrer la « participation à la vie sociale » pour diverses raisons: souffrances psychiques sévères, handicaps très lourds, vécu interne trop délabré, mécanismes de défense puissants...autant de problématiques très fréquemment rencontrées par des éducateurs qui travaillent auprès d'enfants ou d'adultes autistes ou psychotiques, gravement carencés, détruits par les accidents de la vie, perdus dans la relation avec eux-mêmes et avec les autres? Il y a fort à craindre que l'on déclare alors que cet usager « n'est pas pour nous », que l'on demande aux services sanitaires de le « réparer », pardon de le soigner, pour qu'il puisse « participer à la vie sociale ». Le clivage entre le soin et l'éducatif risque de s'en trouver renforcé et la notion même de «travail en équipe pluridisciplinaire» (thème central du Domaine de Formation n° 3) réduite à un jeu de ping-pong pour se renvoyer cet usager rétif.

Ainsi libéré de ses « freins », l'usager pourra s'inscrire dans la toute puissance du « projet éducatif spécialisé » (thème central du Domaine de Formation n°2), outil maintenant incontournable du travail éducatif dont on peut craindre qu'il ne devienne l'instrument d'une normalisation rampante qui peut toujours se cacher derrière « la participation à la vie sociale »!

Philippe Chavaroche

Directeur Adjoint du Centre de Formation au Travail Sanitaire et Social

Bergerac.

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