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Florent Martel

jeudi 28 février 2008

C'est un sentiment étrange, en partant "en rue", d'avoir rendez-vous, sans savoir avec qui.

Un rendez-vous avec Personne. Une sorte de rendez-vous flottant. Ce qui n'enlève rien à la réalité du rendez-vous.

Parfois rien. Juste le vide. La vacuité d'un quartier qui sombre sans sombrer. Comme une sorte d'apesanteur soutenue. Un magma. Epais. Un truc qui porte et aspire en même temps. Qui soutient et tire vers le fond tout à la fois. Comme un frisson frais le long de la nuque dans un morne paysage inhabité.

Quand c'est vide, ça hurle de silence. Il n'y a rien. Plus rien. Ils le disent, souvent. On aura du mal à imaginer l'amplitude de ce rien. Bien sûr qu'ils disent "il n'y a rien" et qu'ils sont entendus de travers. C'est un vieux réflexe. De dire et d'entendre de travers. C'est l'humaine condition, sinon, pourquoi encore dire...?

Ils disent "il n'y a rien" et il se trouve toujours sur leur chemin quelqu'un pour répondre. Souvent à côté. Quelqu'un est gradé "Chargé de l'Evaluation du Développement de l'Urbanisme et de la Redistribution de l'Aménagement de la Réussite Educative par l'Insertion du Capital Humain de Proximité Locale du Territoire", ou quelque chose d'approchant, et leur pond un dispositif ou un terrain de foot. Ca dépend des crédits du moment. Ça dépend de la saison. Ça dépend de la couleur de la police du moment. Ca dépend de la période électorale: nationale, post-nationale, pré-nationale, départementale, municipale. Parfois, les temps se croisent et incitent à croiser les réponses: un terrain de foot avec évaluation locale des services municipaux quant à l'impact dudit terrain sur les détériorations constatées en pied d'immeuble. Le tout joint à un dispositif d'aide financière pour que les boiteux puissent se payer des séances de kiné et un orthopédiste pour pouvoir jouer au foot...

Ils disent encore "il n'y a rien" et ils ont raison. Faut-il que nous ayons collectivement peur du vide pour à ce point ne pas le voir! S'ils nous disent qu'il n'y a rien, ils nous disent aussi "y'a rien" : il y a rien. C'est quelque chose qui est là... et qu'ils nomment "rien". De quoi parlent-ils? Pas sûr que ce soit (seulement, allez...) de l'absence de terrain de foot en bas de leur tour. Si "rien" est là. Peut-on en faire quelque chose? Si le vide est si présent dans leur vie, pourraient-ils en profiter? Pouvons-nous les amener vers une manière d'en tirer profit?

Pourrions-nous ouvrir cette lamentation vers une forme de créativité? Ont-ils besoin de nous pour le faire? Sans doute, on a besoin d'un point extérieur pour entendre toute part de créativité s'exprimer. Il faut pouvoir adresser quelque chose. Pour autant, pas besoin de nous pour faire de ce rien quelque chose.

Mais, pour en faire quelque chose qui les relie ? S'il n'y a rien entre eux et l'autre-société, comment partager, comment échanger, quel commerce entretenir et avec qui? Qui y est vraiment? Qui tient la volonté d'être? Qui répond à ce cri lancé dans la froideur d'un labyrinthe vide? Nos dispositifs et nos institutions masquent les humains qui les portent parce que ces derniers n'y sont pas. C'est cette cruelle et explosive vérité qui résonne encore lorsque le seul moment où quelqu'un finit par répondre c'est qu'ils ont fini par casser la porte à force de toquer pour signaler leur présence...! Police, GIGN, Force et Ordre viennent répondre qu'il y a eu franchissement d'un interdit. Mais qui a inter-dit, avant? Qui s'est soucié d'échange, de parole? Quelqu'un pourrait-il répondre aux premiers petits coups sur la porte? Quelqu'un pourrait-il les regarder comme notre avenir plutôt que comme un problème? Un plan pour les banlieues? Prendre ses habitants au sérieux.

Il n'y a rien. Et ce Rien ne se bouche pas. Ni avec des stades de foot, ni avec de l'argent. Il n'y a rien. Il y a Rien. Il y est, ce Rien. C'est bien, Rien. Ça fait de l'espace entre deux, on peut causer. Qu'est ce qu'on en fait?

Février 2008

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