samedi 15 octobre 2011
Des mots pour dire, la parole pour s'engager... écrire pour parler sa colère.
« Des mots, ces « grues métaphysiques » pour reprendre l'expression de Lafargue, derrière lesquels les certitudes disparaissent si bien », Louis Aragon
Les mots, les mots... toujours des mots mais peu d'actes, difficile de donner sa parole. Effarant le nombre de révolutionnaires par le mot, mais qu' en est-il quand il s'agit d'engager la parole?
Le mot pour nommer, le mot pour désigner... la parole pour s'engager.
Ces mots qui ne disent pas la violence dont ils sont porteurs quand ils couvrent d'autres mots, autrement dit quand ils détournent une pensée et une parole. Parce que « écrire » est impossible, « Écrire. Je ne peux pas.Personne ne peut. Il faut le dire, on ne peut pas. Et on écrit. » , nous dit Marguerite Duras, alors se confrontant à cet « impossible », il s'agit de s'engager. Imaginez alors la violence de ceux qui détourne par l'écrit l' « impossible » de votre engagement. Tentez l'empathie de celui qui se trouve déshumanisé, nié dans sa parole.
Voici donc une époque, dans laquelle le mot ne dit pas le signifiant, parce que peu de nos concitoyens ne veulent en entendre quelque chose, ce signifiant que Lacan a posé au-dessus du signifié, inversant ainsi le schéma de Ferdinand de Saussure , posant ainsi le fondement de la rencontre de deux sujets, « C’est l’inconnu qu’on porte en soi écrire » (M. Duras), ce mot qui dit l'impossible à dire, ce qui ne sera jamais finalement atteint.
La valse des mots qui ne fait plus danser les pensées mais qui fait tourner la tête aux égos surdimensionnés de ceux qui aiment s'entendre parler, ne devrions-nous pas dire d'ailleurs, ceux qui jouissent à s'entendre parler, jusqu'à museler ceux qui chuchotent quelques paroles qui s'envolent... la parole de ceux qui ne craignent pas que ça échappe...
Mais ce qui est particulièrement insupportable est que ces jouisseurs sans limite quant à leur mise en scène, ont leur public, un public de fans abêtis d'admiration! Tant et si bien que ces fans initialement équipés du langage et donc, supposons-nous de la pensée et bien... ne pensent plus et se contentent du fonctionnalisme, ils ne savent plus pourquoi ils écrivent, ils écrivent pour transcrire la commande sociale ou pédagogique sans se demander ce qu'on leur demande, bref de grands révolutionnaires assujettis à d'autres révolutionnaires égotistes!
Je pose alors l'hypothèse ici, que ces révolutionnaires égotistes ne peuvent imaginer un seul instant que se trouvent en face d'eux non pas des révolutionnaires mais des résistants altruistes à leurs magnificences hystériques.
Rengorgés, repus de leurs mots au service de leur propre jouissance, ces écrivains d'une parole dédiée qu'à leur seul égo, tel Narcisse, n'imaginent pas qu'à leurs côtés, il y a aussi de ces hommes et de ces femmes qui font de la parole un ratage permanent pour qu'advienne la rencontre avec l'alter égo.
Parce que oui, écrire est un « impossible », il s'agit d'accepter que l'orage dans la tête gronde sa fureur (brainstorming) pour que l'averse de mots inonde la feuille vierge de la pensée à transmettre. « Les paroles s'envolent, les écrits restent » dit le dicton populaire. Sauf à dire que ces mots qui restent, engagent la parole pour celles et ceux qui se savent insuffisants à dire mais qui font de la parole... l'espace de la possible rencontre avec l' »Autre ».
Ecrire... moi, l'amoureuse de la grande Duras, je sais la solitude qu'elle exige, j'en connais la griffure par la rature, j'en sais les méandres des mots qui échappent sous la forme de paroles à engager... J'en suis aussi la prisonnière de cette obsédante idée... écrire. Ecrire a toujours été pour moi, la voie par laquelle j'engage la relation c'est-à-dire cet impudique lien de ma pensée avec d'autres pensées. Pour prendre la parole, il me faut écrire, il faut que ça m'échappe.
Ecrire, « empreinté » le grain subtil de ce qui fait le papier, noble matière, passeuse tatouée de mots des hommes d'hier vers les hommes de demain. incommensurable témoignage de ce qui fût et sera, pour ce que dessine les signes sémantiques de la trace humaine à travers l'univers. Ecrire alors... ce grand ratage planétaire... l'Humanité.
Aujourd'hui, 15 octobre, j'écris et je crie parce que je suis en colère. Parce que je porte en moi depuis le début de cette semaine une profonde blessure, celle de n'avoir pas été entendue, celle d'avoir été éliminée, non pas par des ratures infligées à mon texte mais parce qu'il a été anéanti sous le flot de mots qui n'étaient plus les miens. Des ratures... j'aurais accepté car mes mots seraient encore là, barrés (tiens donc! Manquants comme moi...). Non mes mots sont morts, effacés par une écriture qui n'était pas la mienne, j'ai été niée par un passage à l'acte dévastateur! Je ne suis donc plus à rencontrer ni à fréquenter car je ne suis plus, « je » est anéanti.
Je me souviens, il y a deux ans avoir montré à un grand révolutionnaire égotiste que je croyais altruiste, le début d'un livre (en friche depuis deux ans... il faut que j'y retourne) que je veux être le témoignage de mon métier impossible... éducatrice spécialisée, et ce « super Ego » en a corrigé le flot des mots. Depuis je sais qu'il n'est pas mon alter égo car il s'agissait d'effacer l'ensemble du texte, en nier la parole par l'agencement des mots.
Je veux néanmoins pour apaiser cette colère, finalement signe de bonne santé, me montrer magnanime... Chers révolutionnaires égotistes, soyez rassurés, vos mots sont de ces paroles qui disent votre amour de l'égo... Si vous ne vouliez pas le dire c'est raté!
Laurence Lutton, cadre pédagogique et éducatrice spécialisée
Marguerite Duras, Ecrire , éd. Gallimard, 1993
Joseph Rouzel, La pratiques des écrits professionnels en éducation spécialisée , éd. Dunod, Paris, 2000 p. 37