lundi 07 mars 2011
Veuillez trouver ci-joint un billet d’humeur écrit par des professionnels de terrain, faisant apparaître leurs inquiétudes quant à la situation actuelle et à venir dans le champ de la protection de l’enfance.
Ce billet est adressé aux médias, aux professionnels de terrain, aux Juges des enfants et aux organismes de tutelles (Conseil Général de Loire-Atlantique et PJJ).
Nous vous invitons à réagir, à témoigner sur votre réalité de travail, les conditions d’exercice de votre mission, leur traduction dans les situations familiales, et à nous en faire part, afin de faire un état des lieux de l’ensemble du secteur.
Merci de diffuser très largement ce billet d’humeur à vos contacts, et de faire état de votre « résistance » face à l’appauvrissement de la protection de l’enfance, que l’on cherche à nous imposer.
Nous avons créé cette adresse mail afin de recueillir vos témoignages.(en fin de texte)
Les signataires du billet.
Faut-il un mort ?
Travailleur social au sein d’un service de protection de l’enfance réalisant des mesures d’Investigation et d’Orientation Educative (Evaluation pluridisciplinaire d’une situation de danger pour un enfant dans son environnement familial ordonnée par un Juge des enfants), je suis gravement inquiet !
J’ai traversé une année 2010 marquée par un nombre alarmant de situations d’enfants ou d’adolescents, en danger avéré dans leur environnement familial, pour lesquels un Juge des enfants, considérant cet état de fait, a ordonné une mesure de placement judiciaire non mise en œuvre plusieurs mois après la décision.
Ø P. a 12 ans, est déscolarisé et vit en banlieue nantaise seul avec sa mère. Il oppose une toute puissance exacerbée à l’égard de celle-ci, caractérisée par une intolérance à la frustration, ce qui l’a amené à poser des actes de violences physiques à l’encontre de sa mère. P. vit recroquevillé dans sa chambre, sa seule activité est tournée vers la pratique de jeux vidéo de manière addict. L’évaluation pluridisciplinaire que nous avons menée propose la mise en place d’une mesure de placement judiciaire en parallèle à des soins thérapeutiques. La mise en place d’une distance mère/fils est une priorité absolue visant à un apaisement des tensions.
Sur cette situation, le Juge des enfants ordonnera une mesure d’AEIMF (Accompagnement Educatif Intensif en Milieu Familial), plutôt qu’une mesure de placement, décision prise par défaut (et nommée comme telle), les possibilités d’un accueil étant inexistantes à moyen terme.
Ø Y. a 15 ans, est enceinte et réside chez son père qui vit seul. En février 2010, le Juge des enfants ordonne une mesure d’IOE, ainsi que le placement de cette adolescente au service de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), dans la mesure où le père ne peut garantir un cadre éducatif par une autorité respectée. Cela amène notamment Y. à fuguer du domicile familial pendant la nuit.
En avril 2010, la famille nous informe n’avoir eu aucun contact avec les services de l’ASE depuis l’audience du magistrat, soit deux mois et demi plus tôt. Finalement, elle sera accueillie au sein d’un établissement éducatif en août 2010.
Ø T. a 16 ans. Ses parents sont séparés et confrontés l’un et l’autre à une problématique alcoolique. Une tante maternelle a, un temps, tenté de relayer la prise en charge éducative de cette adolescente, en vain. Le comportement de la jeune fille, perturbée par une histoire familiale complexe, des conflits de loyauté et une place de substitut parental trop longtemps assumée, ne permettait plus une prise en charge éducative suffisamment sécure. Le Juge des enfants ordonne une mesure de placement judiciaire mi octobre 2010.
Trois mois et demi après la décision du magistrat, elle vit toujours chez son oncle et sa tante. Cette situation a pu être prise en charge (nomination d’un référent) par les services de l’ASE qu’en décembre 2010.
Ø B. a 12 ans et souffre de troubles psychologiques. Ses parents, qui sont séparés, ont nommé au Juge des enfants la perspective immédiate de leur violence à l’égard de leur fils. Le magistrat a alors ordonné en juillet 2010 une mesure de placement judiciaire. En ce mois de février 2011, l’adolescent n’est toujours pas pris en charge par le Conseil Général de Loire-Atlantique, comme il le devrait. Un montage complexe et particulièrement inadapté à la problématique du mineur, de l’avis de tous les professionnels, a été élaboré grâce à des structures et des familles relais de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), dans l’attente d’un accueil familial qui lui permettrait de se poser dans un cadre pérenne.
Ces quatre situations d’enfants, auprès desquels je suis directement intervenu, sont une maigre illustration, vue par le bout de ma lorgnette, de la réalité départementale. Je ne les ai pas toutes rapportées et chaque intervenant de la protection de l’enfance est en capacité ce jour de faire le même constat lamentable.
Selon les sources (ASE ou Juge des Enfants), entre 70 et 130 enfants qui sont aujourd’hui confiés au Conseil Général de Loire-Atlantique, ne disposent pas de solutions d’accueil. Ils demeurent dans leur environnement familial, alors même qu’une décision de justice est venue signifier le danger pour eux d’y rester.
Moi, je dis quoi :
-A la mère de P. qui viendrait me dire : « hier soir, mon fils m’a planté un couteau dans la cuisse » ?
-Au père de Y. qui m’interpellerait sur la mort de sa fille survenue dans la nuit précédente alors qu’elle se trouvait à l’arrière d’un scooter ?
-A la tante de T. qui me dirait que sa nièce est à l’hôpital dans un état grave, suite à un accident de voiture que son père, ivre, conduisait ?
Dans cette histoire, qui est responsable ?
Moi, ainsi que tous ceux qui savent mais qui ne font rien pour que les choses changent. Tous, professionnels, savons que les dispositifs existent et qu’ils fonctionnent. Ne nous trompons pas, ce qui tue ces jeunes, c’est l’absence de moyens.
Cela me sidère, mais je crains de pressentir que seul le fait qu’un évènement dramatique survienne réveille les consciences.
Nous, professionnels d’un service Investigation, pensons que les collègues des services de l’Aide Sociale à l’Enfance se démènent pour exercer les références qui leur sont confiées, alors même qu’ils n’en ont pas les moyens. Nous ne jetons pas la pierre aux professionnels de terrain qui font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’on leur donne. Mais, à jouer avec cela, on prend le risque de la saturation, de la prise de risque et donc de la faute… aux répercussions dramatiques que chacun peut imaginer. Mais au fait, la faute à qui ?
Il n’est plus temps de sensibiliser. Chaque intervenant du secteur, plus ou moins proche du terrain, connaît cette triste réalité. Il semble que les revendications ou cris d’alerte ne soient pas relayés à un certain niveau, que nous ignorons, par ailleurs. Nous constatons juste que rien ne change.
Par ailleurs, nous qui, dans le cadre de notre exercice professionnel, sommes chargés d’évaluer des situations de danger sur ordonnance d’un Juge des enfants, on nous annonce que les dispositifs vont évoluer. Nous exercions jusque là des mesures d’IOE (Investigations et Orientations Educatives) et d’Enquêtes Sociales, qui seront désormais remplacées par des MJIE (Mesure Judiciaire d’Investigation Educative). Savez-vous de quoi il retourne ? Non ! Nous vous le précisons donc : l’objectif affiché de cette mesure est de permettre de mieux qualifier une situation de danger, ce à quoi nous adhérons, évidemment. En y regardant de plus près, la dotation budgétaire ne nous le permettra pas : diminution de temps d’encadrement, de secrétariat. Concrètement, chacun d’entre nous devra évaluer un nombre plus important de situations de mineurs tout en garantissant la même protection mais également le même respect de leur famille ! Mais de qui se moque t-on ?
Nous précisons que les Juges des enfants du département, ordonnateurs de ces mesures d’évaluation, reconnaissent, a priori, la spécificité et la richesse de ces outils d’aide à la décision que sont l’IOE et l’enquête sociale. Pour combien de temps encore ?
Notre questionnement est le suivant : certains hauts responsables craignent-ils que leur prise de parole se traduise à posteriori par des coups de bâtons, du type abaissement des moyens, mutation, disqualification… ? Qu’ils sachent alors que cette posture se traduit sur le terrain par de la souffrance, de la maltraitance, de la violence. Qui a parlé de conscience professionnelle, d’éthique de travail ?
N’importe t-il donc pas que nous prenions soin de notre jeunesse ?
La réduction des dépenses, dit RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques), peut-elle se laver les mains de se rendre responsable d’une telle violence pour les familles ?
Il est de notre responsabilité de dénoncer l’inexorable appauvrissement de la protection de l’enfance dans laquelle cette politique nous entraîne : « On leur donne moins de moyens, ils ne réagissent pas, donc, on avait raison de leur donner moins ; La protection de l’enfance n’en avait pas besoin ! ».
Cécile, secrétaire, Valérie, éducatrice spécialisée, Véronique, psychologue, Marie-France, secrétaire, Sonia, secrétaire, Jacky, pédopsychiatre, Jennifer, éducatrice spécialisée, Guillaume, éducateur spécialisé, Danielle, assistante sociale, Claire, psychologue, Murielle, éducatrice spécialisée, Pauline, stagiaire assistante sociale, Noémie, assistante sociale, Vanessa, éducatrice spécialisée et Saâdia, psychologue du Service Investigation de l’AAE 44.
Le 16 février 2011.
Contact : protectiondelenfanceendanger@gmail.com
Conseil général, mode d'emploi
Charles Ségalen
samedi 19 mars 2011