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Intervention Biennales de l’éducation spécialisée – 3 juillet 2012

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Gyslaine JOUVET

jeudi 05 juillet 2012

Intervention Biennales de l’éducation spécialisée – 3 juillet 2012

Les évolutions politiques, économiques et sociétales ont modifié progressivement le paysage du travail social et ont engendré de nouvelles contraintes et obligations. Les éducateurs spécialisés sont au carrefour d’une double injonction portée par un impératif de performance qui traverse le secteur, d’un côté une visée sociétale qui prône la promotion de l’usager et d’un autre côté, une visée économique, qui subordonne les décisions à l’optimisation des coûts. Les politiques sociales redéfinissent la professionnalité des éducateurs et déstabilisent une identité de métier pour promouvoir de nouveaux fondamentaux comme le développement social communautaire, le travail en réseau, la gestion des risques… De nouvelles compétences et approches sont alors demandées aujourd’hui aux éducateurs et interrogent leur exercice.

La réforme du Diplôme d’État d’éducateur spécialisé (DEES), en 2007, a marqué une rupture dans l’histoire de cette formation, qui se place aujourd’hui du côté de la compétence et de l’opérationnalité. La méthodologie s’affirme aujourd’hui dans la formation. Cette évolution fait figure de révolution dans l’enseignement d’un métier qui s’opposait à toute forme de formalisation méthodologique.

Ce changement est révolutionnaire dans la mesure où la formation est enfin directement mise au service de l’acte éducatif. Les formateurs ont désormais l’obligation de dispenser un contenu et de mettre en place un processus formatif tourné vers le savoir-faire. Cette exigence formative tournée vers l’opérationnalité est fondamentalement la grande nouveauté de la réforme de 2007. Cette évolution est très exigeante car elle demande un corpus qui n’existait pas jusqu’alors. Les formateurs sont aujourd’hui obligés de dépasser l’ancienne dichotomie entre théorie (essentiellement académique) et pratique (l’expérience professionnelle personnelle), et d’enseigner une théorie de la pratique éducative spécialisée. Cette formation intègre dans son contenu : le travail d’équipe, la méthodologie de projet et les écrits professionnels et donne une place importante aux lieux de stage. Tous les acteurs de ce champ professionnel sont placés aujourd’hui face à la responsabilité de formaliser la théorie cohérente qui permet de faire exister la pratique éducative spécialisée, telle qu’elle doit être enseignée depuis 2007.

J’ai choisi dans mon ouvrage intitulé : « Quand pratique et théorie se mêlent » de tenter de réfléchir à cette articulation entre théorie et pratique qui pour moi peut permettre à l’éducation spécialisée de faire face à un manque de formalisation de ses références d’actions.

Dans le travail social, la question de l’expérience et de la théorie se pose d’une manière de plus en plus aiguë. Certains se sentent interpellés dans leur fonction même. D’autres se sentent plus interrogés sur le sens de leur travail. « Qui sommes-nous ? » « Quel est notre rôle à l’égard de la société ? » ne résument pas entièrement les préoccupations des éducateurs. Les questions posées par les éducateurs ne sont pas seulement d’ordre identitaire.

Ils sont aussi à la recherche d’outils théoriques pour fonder leurs expériences et leurs pratiques, peut-être pour les modéliser, ou pour tenter d’entrer dans « une culture professionnelle ».

Car qui dit culture professionnelle, dit transmission de savoir, non seulement expérientiel 1 , mais également théorique à propos des pratiques de terrain.

On perçoit des résistances de la part de certains. D’autres, très nombreux sont dans le désir de confronter leur formation initiale et leur expérience à d’autres types de savoir (à l’université par exemple). D’un côté : on observe de la peur et de l’autre : un engouement.

C’est précisément, pourquoi j’ai eu envie de m’atteler à cette question, du rapport et de l’articulation entre les théories et les pratiques dans le champ du travail social. J’ai interrogé 23 éducateurs et 20 formateurs France entière.

Quel type d’articulation ? Quel rapport ? Quelle confrontation ? Ou au contraire quelle distance ? Quelle non congruence ?

Le cœur de mon interrogation porte donc sur le rapport à la théorie chez les éducateurs spécialisés. J’ai cherché à connaître leur rapport à la théorie, et de comprendre comment celle-ci s’articule ou non à leurs pratiques.

Une arborescence de questionnements

J’ai articulé mon propos dans mon livre autour de quatre axes principaux :

Le premier tente de mesurer les représentations et les attitudes des éducateurs spécialisés autour du savoir.

Le second : de dévoiler les motivations et les attitudes de ceux-ci face à l’utilisation d’éléments théoriques.

Il s’agira de repérer auprès des éducateurs spécialisés et également auprès de formateurs des écoles d’éducateurs spécialisés, des circonstances et des modalités précises qui conduisent les éducateurs à se référer à des éléments théoriques.

J’ai souhaité évaluer par l’intermédiaire d’un troisième axe comment ces éléments théoriques sont amenés dans les centres de formation. J’ai ensuite analysé les atouts ou les limites en tant qu’outil d’une pratique professionnelle et comme facteur dynamique du travail dans le secteur médico-social.

Par le biais du dernier axe : j’ai essayé de voir de quelle manière la présence du duo théorie/pratique ou l’absence peut conduire à certaines attitudes.

J’ai donc questionné dans ce livre comment s’articulent pratique et théorie chez les éducateurs spécialisés. Quel est leur rapport à la théorie et comment celle-ci s’articule avec leurs pratiques ?

A propos de la connaissance et du savoir

 « A quelle source de connaissances puisent-ils ce qui leur permet d’agir professionnellement ? De quelles « connaissances » disposent ces éducateurs pour travailler avec les usagers ? Et à partir de ces connaissances ; quel type de savoirs mettent-ils en place ?

Dans la fonction de l’éducateur spécialisé, nous pouvons dire qu’il y a une somme hétéroclite de connaissances qui organisent les pratiques de l’éducateur et constituent une sorte de puzzle fabriqué à partir de savoirs reconnus comme la psychologie, la sociologie, l’économie, le droit…

Si la pratique de l’éducateur spécialisé est essentiellement la mise en œuvre de réseaux de relations ou de dispositions personnelles, alors l’élaboration d’un savoir professionnel spécifique ne va pas de soi. Les connaissances auxquelles ils se réfèrent sont des connaissances d’emprunt comme nous l’avons dit précédemment et changent très vite.

Les éducateurs spécialisés agissent avec des savoirs qu’ils n’ont pas produits directement. Si les sociologues et d’autres professionnels agissent et travaillent également avec des concepts et des savoirs qu’ils n’ont pas produits ; ils sont néanmoins en lien avec ceux-ci alors que l’éducateur en est quelquefois très éloigné. Nous convoquons là ce que nous appellerons les savoirs théoriques qui n’entretiennent pas de rapports directs avec la pratique. Il s’agit des « savoir sur » 2  qui pourraient être empruntés aux théories. Ce savoir serait en lien avec la pratique et se fonderait sur l’expérience.

Quel est le lien théorie et pratique ?

Quelle est donc la nature des relations théorie-pratique et quels sont les liens entre ces deux instances ? Cette interrogation est double. Elle concerne en premier lieu les écoles d’éducateurs dans leurs missions de formation. Elle concerne ensuite le rapport que ces écoles entretiennent avec le monde professionnel à travers le compromis formation initiale-exigences de terrain. La réflexion, la formation continue et le travail sur soi auront également des incidences dans le lien théorie-pratique.

Les relations théorie et pratique ne peuvent se réduire à la seule logique de l’application. Nous ne pouvons pas nous contenter de la proposition de modèles. Modèles qui ne donneraient que des occasions d’imiter et qui ne seraient pas adaptées aux différentes situations vécues.

En effet, théorie et pratique se trouvent prises dans un jeu d’articulation qui laissent émerger des modes d’action. Elles se renvoient l’une à l’autre ou dos à dos ?

Il s’agit de différents points de passage entre les deux :

-     « La théorie gouverne la pratique »  : Mais comment penser que les apports théoriques donnés par les écoles d’éducateurs puissent être congruents avec la personne et le contexte en question ?

-     « La pratique résulte d’une application de la théorie »  : Les stages effectués sur certains lieux répondent quelquefois à cette perspective.

-     « La pratique est à elle-même sa propre théorie »  :   Cette figure est illustrée par la formation sur le terrain.

-     « La théorie se suffit à elle-même »  :   La théorie se refuse à se laisser vérifier par une pratique. La théorie entend se suffire à elle-même.

-     « La théorie comme analyseur de la pratique »  :  « La théorie entend permettre une élucidation de la pratique, aboutissant à terme à une théorisation de cette pratique. »

-     « La pratique comme négation de la théorie »  : La pratique est en conflit avec la théorie et menace l’individu ou l’organisation.

-     « L’indépendance entre théorie et pratique » 3   : absence de relation.

A partir de là plusieurs questions apparaissent :

Quel est le rapport au savoir des éducateurs ?

Expriment-ils leurs pratiques en termes de savoir ?

Quels effets ? Quelles conséquences ?

Le savoir de l’éducateur serait différent de celui du chercheur. L’éducateur se trouverait ainsi mal à l’aise vis à vis de celui-ci. Il peut éprouver de la crainte ou de la peur qui l’affecterait en face du chercheur.

Sur le terrain, certains éducateurs souhaitent, désirent accéder à la théorie, d’autres non. Leurs attitudes sont différentes par rapport au savoir.

Ces comportements soulèvent deux autres questions complexes :

-    Existe t-il un savoir ou des savoirs ?

-    Une recherche professionnalisée servirait-elle à légitimer l’action des éducateurs ?

L’éducateur possède une spécificité. Elle se bâtit sur une « certaine philosophie » qui se retrouve et se recoupe sous certains repères comme des attitudes, des valeurs, des pensées et un sens. Puis, nous pourrions réfléchir et démontrer que les éducateurs spécialisés ont « une conscience sociale » sur des thèmes et objectifs définis autour de l’intégration, la socialisation, la prévention, la famille, la scolarisation… L’acte éducatif serait comme une « science » car il part d’un constat et permet d’expérimenter. Il conduit à déduire, intègre l’observation et s’évalue. Nous faisons des projets et nous les analysons. Nous les corrigeons en les évaluant autour de populations spécifiques.

S’interroger sur la nature des savoirs sans pour cela les hiérarchiser, rejoint également la question du pouvoir. Des places différentes sont occupées autour du savoir dans le secteur social. Les « savoirs » ne peuvent pas être travaillés, sans qu’immédiatement des questions de pouvoir interviennent.

Les différentes attitudes

Quels risques, l’éducateur prendrait-il en affirmant un savoir par rapport aux psychologues, psychiatres… ? Quelle posture aurait t-il ? Dès lors trois attitudes peuvent émerger :

-    Une attitude de soumission persisterait-elle chez les éducateurs ?

De par la domination imposée par les psychologues, le savoir psychologique et psychanalytique permet d’éclairer, après coup, certains aspects du passé familial et donne l’impression de maîtriser ce qui échappe à l’éducateur dans sa relation à l’autre, de tenter d’unifier une pratique morcelée faite de rôles contradictoires et d’images changeantes.

-    Une autre attitude serait celle de l’attraction de fuite par la théorie. Si ce phénomène est observé, une stratégie est vraisemblablement à mettre en œuvre pour éviter cette fuite.

La fascination pour la théorie peut scléroser l’éducateur dans sa pratique en le coupant de toute possibilité d’avoir à inventer avec l’usager.

La stratégie serait d’articuler cette théorie à la pratique. Ce serait s’installer dans une certaine posture cognitive pour mieux agir. Ce serait différer l’action et la penser en relation avec des références théoriques, dépasser l’immédiateté…

-    La dernière attitude serait celle de la carence.

Il s’agirait d’inventer des stratégies pour combler cette carence (études, DSTS…). En effet, certains peuvent ressentir un écart important entre l’approche théorique, en termes de référence et de modèles et la pratique quotidienne. Ce qui peut conduire à un effritement, un dessèchement du professionnel. Celui-ci n’a pas suffisamment de recul.

Cette question est implicitement présente sur le terrain, lors du déroulement de l’action. Ce qui est en jeu ici, c’est le mode de construction des pratiques et la place des savoirs dans l’identité professionnelle. Ces mécanismes sont observables chez des professionnels ayant déjà une expérience de travail plus ou moins longue et qui se sont engagés dans une formation longue. L’individu change en mûrissant, les techniques professionnelles évoluent et les savoirs qui sous tendent les pratiques progressent.

L’éducateur donnerait la primauté à l’expérience comme source du savoir. Ils accorderaient une telle primauté faute de n’avoir pas pu construire un « vrai savoir » 

Cependant le mot savoir semble inadéquat, trop restrictif ou trop vague et il reste à ne pas confondre « savoir » et champ théorique. La construction de ce que l’on pourrait appeler un savoir d’éducateur se construirait dans la rencontre avec la personne et les apports théorico-pratiques. Cheminement et maturation personnels vont de pair avec la construction des savoirs.

Mais s’en emparent-ils, de quelle manière ?

Il convient de noter que les références théoriques mentionnées sont à l’avantage de la psychanalyse et de la systémie puis de la sociologie…

En effet, la majorité des éducateurs interviewés reconnaissent les références théoriques comme utiles pour analyser la pratique mais sont peu précis quant à la façon dont ils les utilisent.

Cependant,  36 %  des éducateurs spécialisés interviewés privilégient l’expérience, qu’ils mentionnent comme référence théorique mais nous ne savons pas de quelle manière.

Il y aurait deux pôles auxquels se rattacheraient les éducateurs interviewés :

-    Le pôle des savoirs, des livres – De la psychanalyse et de la systémie pour un grand nombre.

-    Le pôle de l’expérience – des échanges entre professionnels qui gagnerait à être formalisé, conceptualisé et théorisé.

Les formateurs auraient tendance à développer autour de la théorie dans leurs réponses en l’isolant de la pratique. S’ils ont cité plus d’auteurs que les éducateurs, ils font également référence de manière marquée à la psychanalyse.

Figurent donc d’un côté les théories et de l’autre la pratique. Il s’agirait de mettre en relation les « savoirs pour agir » avec les « savoir sur » ainsi que les outils correspondants.

Il existerait un flou important autour des pratiques des éducateurs spécialisés. Flou dû à un éventuel manque d’appropriation des références théoriques et l’éventuelle absence de modèles praxéologiques .

Il y aurait une prise de distance par rapport au savoir et aux outils que sont les références théoriques afin de privilégier un certain « savoir faire.

Cette prise de distance alimenterait ce flou et empêcherait la mise en place de référents théoriques issus de la pratique, par conséquent de modèles ou éléments praxéologiques. Ce qui serait en jeu ici, ce serait le mode de construction autour des pratiques et la place des référents théoriques issus du savoir dans l’identité professionnelle.

L’identification bien que partielle des types d’apprentissage qui composent la formation initiale des éducateurs, des facteurs qui l’influencent (formation continue et travail sur soi) et des mécanismes qui permettent aux éducateurs d’avoir une pratique, nous a permis de connaître de quelle façon les éducateurs ont appris, de quelle façon l’apprentissage s’effectue au quotidien ainsi que la manière dont l’éducateur transforme ses acquis nouveaux pour être utilisables dans différentes situations.

Nous avons pu remarquer à travers les devoirs de psychopédagogie, des auteurs - thèmes-concepts repris par les éducateurs interviewés et ceux-ci semblent constituer un fondement. Nous rejoignons dès lors le versant référent théorique = modèle d’analyse et d’intervention.

La formation initiale, dans le ressenti des éducateurs aujourd’hui est une étape du cheminement personnel de l’éducateur spécialisé. C’est le maillon des apprentissages théoriques. Ce sont aussi les balbutiements d’un regard et d’un travail sur soi-même.

Si la formation continue autorise les éducateurs spécialisés à s’approprier des éléments nouveaux de connaissance, d’envisager une réflexion et un travail sur soi, elle permet essentiellement aux éducateurs de se perfectionner par des échanges complémentaires avec d’autres professionnels.

Du côté des formateurs, la formation initiale des éducateurs est basée sur l’alternance pratique et théorie. La théorie donne du sens à la pratique qui elle-même vient enrichir la théorie et la faire évoluer.

Ce qui est identifié, c’est la fonction de la théorie par rapport à la pratique. La théorie serait ce qui aide, questionne, donne des repères, cadre la pratique. Il s’agit donc d’une fonction de nature instrumentale sans qu’on puisse dire « comment ça marche ».

S’ils ne réussissent pas toujours à mettre en lumière les connaissances apprises lors de leur formation initiale, ils réussissent à acquérir de nouvelles connaissances grâce à leur vécu personnel, expériences et échanges. Le versant référent théorique = construction est alors convoqué. Mais peu d’éducateurs rapportent leur évolution à ces nouvelles connaissances. Le changement depuis la formation initiale est présenté comme un « élargissement de la pensée » plutôt au niveau d’un positionnement professionnel sur ce qu’ils ont appris à devenir (plus d’écoute, de patience) et sur la façon d’aborder les situations (maturité professionnelle).

Notre impression à l’issue des longues heures partagées avec les éducateurs, est que le plus souvent les référents théoriques ne sont pas très loin de la pratique ; ils en constituent une toile de fond, qui donnent un relief, une teinte, une lumière…

L’éducateur est souvent « seul » face à des situations éducatives, même s’ils travaillent bien évidemment en équipe. C’est parce qu’il est autonome dans sa façon de se perfectionner qu’il optera au moment voulu pour des solutions pouvant l’aider à évoluer professionnellement.

Les stratégies sont nombreuses :

-    continuer à tirer profit des connaissances acquises en formation initiale

-    savoir tirer partie de son expérience

-    s’inscrire en formation continue pour satisfaire ses curiosités, répondre à un certain manque de connaissances, ou rencontrer d’autres professionnels.

Les éducateurs ne modifient pas leurs connaissances apprises en formation initiale. Ils profitent de leurs expériences, de la formation continue et du travail qu’ils effectuent sur eux mêmes. Recourir de manière explicite à des théories semble difficilement possible pour le praticien. Le recours aux théories semble plus évident et plus facile à identifier lorsque l’on se situe à distance du « faire ».

Il apparaît qu’une fréquentation du discours, de l’échange et de la pratique amènent à une fabrication d’outils au fur et à mesure.

La spécificité de ce métier serait le lien comme nous l’avons signifié précédemment et le mouvement de balance et de torsion entre des connaissances d’une part, l’acquisition de connaissances et la mise en lumière de ces connaissances à travers l’implication auprès des personnes.

Il existe un flou important autour des pratiques des éducateurs spécialisés. Flou dû à un éventuel manque d’appropriation des références théoriques et l’éventuelle absence de modèles praxéologiques  et à la préciser. Le flou est dû à un déficit de construction de références théoriques et à un manque d’articulation entre références théoriques = modèle d’analyse et d’intervention et cette « construction » en question. Ce qui conduit à un flou dans ce qui est donné à voir par les éducateurs dans leurs pratiques. C’est dans cette difficulté d’articulation qu’ il y aurait une difficulté à conceptualiser sa pratique.

Suite aux interviews effectués et à différentes observations effectués dans les temps d’analyse de la pratique, nous allons tenter de dire de quoi est fait le  savoir  des éducateurs spécialisés, en quoi il nous  questionne  et ce que nous proposons comme  travail de construction autour des pratiques et d’articulation  avec la théorie pour mieux appréhender les  finalités .

Leur  savoir  est constitué de :

-    D’éléments théoriques qui perdent parfois du fait de leur activation ou non-activation et des réorganisations qu’ils subissent, leur identité.

-    De savoirs produits dans les situations de l’exercice professionnel, en collaboration avec d’autres ou dans la solitude.

-    De la dissociation entre les deux.

Ce qui nous  questionne  :

-    La dissociation : les éléments théoriques se perdent et ne sont plus « appréhendables » dans la pratique.

-    Absence de prise de conscience de la nécessité d’un travail de problématisation, de construction.

-    Pratique et théorie continuent de s’ignorer malgré les savoirs théoriques capitalisés au fil des formations, des colloques et des lectures effectuées par les éducateurs.

-    Le souci des instituts de formation de travailler le rapport théorie/pratique n’aboutit pas pour l’éducateur spécialisé, à rendre plus clair le va et vient entre théorie et pratique. La spécificité de ce métier serait le lien et le mouvement de balance et de torsion entre des connaissances d’une part, l’acquisition de connaissances et la mise en lumière de celles-ci à travers l’implication auprès des personnes.

Si les référents théoriques ne sont pas étrangers aux éducateurs spécialisés, ils ne semblent pas non plus complètement opposés face à l’éventualité d’en construire. La mise en place d’un  dispositif  permettant d’élaborer et de  théoriser autour de la pratique  soutiendrait l’éducateur spécialisé au regard de son identité professionnelle et dans son travail au quotidien. Ce serait l’occasion d’une prise de recul positive. Il pourra servir d’instance de médiation dans des enjeux institutionnels, où les éducateurs ont besoin de s’affirmer avec un savoir qui leur est propre.

Pour les éducateurs, la formation continue représente un apport nécessaire. Ce dispositif pourra remplir ce rôle et assurer une action de formation dans une continuité et un suivi.

Nous avons pu discerner l’émergence d’un phénomène nouveau qui tendrait à renforcer le désir de certains éducateurs spécialisés d’effectuer un travail  d’investigation et d’élucidation à partir des discours sur leurs pratiques . Nous pouvons penser que la démarche poursuivie répondrait à un  souci de théorisation des pratiques  grâce à une approche telle que nous le proposons.

En effet, si l’équipe, les réunions de synthèse, les aides des psychologues… ont pu répondre pendant plusieurs années (et réussissent encore à y répondre pour certains) au besoin de régulation, de soutien, d’aide…,aujourd’hui, ces dispositifs ne semblent plus suffire. Ils ne se contentent plus de leur « savoir faire » ou relation qu’ils instaurent avec les usagers, qui semblaient les protéger d’une forme d’intellectualisation.

L’activité des éducateurs oblige à une remise en question permanente, qui les laisse aux prises avec l’angoisse d’impossibles solutions. Or, comme le déclare Nathalie :  « Il n’existe pas ou peu de lieux pour parler de ses difficultés, les faire partager… »  De plus, il semble ne pas avoir de place pour les professionnels, ni de créneaux horaires pour les professionnels dans les institutions. Sophie l’a souligné dans une de ces réponses :  « Les psychologues sont toujours à la disposition des usagers et pas suffisamment des professionnels ».  Ce besoin d’aide et de soutien pour échapper à l’usure n’est pas pris en compte dans le secteur sanitaire et social.

La réunion de synthèse, l’équipe….sont des instances qui favorisent la cohérence du travail effectué. La réunion de synthèse permet de trouver des solutions. Les propositions retenues sont souvent celles qui semblent à un moment donné la plus cohérente et la plus convaincante. Il y a un danger à vouloir trouver un consensus en voulant, à tout prix réduire la multiplicité des réponses possibles. L’échange ne peut que s’enrichir des divergences exposées et s’appauvrir d’un alignement sur un seul avis. Le maintien des désaccords est parfois plus pertinent que leur résorption. Cependant la finalité de ce type de réunion est d’être en mesure d’accompagner la personne dans un changement ou une évolution. C’est pourquoi pour répondre au souhait des éducateurs, d’autres dispositifs sont à mettre en place.

Les éducateurs ont démontré un souci de donner un sens à leurs fonctions professionnelles avant de vouloir fabriquer leurs propres outils. Donner un sens à leur action semble faire partie de leurs préoccupations.

La mise en place d’un dispositif favorisant l’échange entre les éducateurs, en dehors des réunions consacrées aux usagers, paraît être l’un des moyens de réguler les conflits, de reprendre en main des situations délicates, d’exprimer des inquiétudes et se sortir d’un sentiment d’isolement. Ce sentiment de solitude et de manque de communication sont des facteurs amplificateurs du risque de l’usure et de la violence institutionnelle.

La mise en place d’un dispositif permettant l’échange, la construction d’éléments théoriques et la confrontation de ceux-ci avec des modèles théoriques appris, ainsi qu’un va et vient entre les deux a pour principale finalité la construction ou re-construction de l’identité professionnelle des éducateurs spécialisés. Les compétences requises seront renforcées. Les éducateurs pourront accroître leur capacité à se positionner comme « expert » et développer leurs capacités de compréhension et d’ajustement à autrui. Ainsi, ils pourront se définir et s’affirmer face aux nouvelles fonctions du social qui apparaissent, utilisées parfois à tort et à travers.

Si des flous existent autour des pratiques des éducateurs, parallèlement un flou est entretenu autour de la profession aujourd’hui. Nous risquons de ne plus bien voir ce qu’est un éducateur spécialisé si nous continuons à fonctionner de cette manière. Nous pourrions aussi perdre de notre spécificité qui est de disposer au-delà de nos qualités et atouts personnels, de connaissances pour agir dans un univers interactionnel, engagé dans des tensions et des déséquilibres naturels opposant les personnes et les groupes d’appartenance.

Tous ces résultats ouvrent à des opportunités d’actions que nous n’avions pas envisagées et concourent à amorcer une réflexion sur nos pratiques quotidiennes d’éducateur spécialisé. Un chantier est à mettre en place : un processus de co-formation. Cette mobilisation autour de ce chantier peut modifier nos pratiques. Au-delà du contenu des réflexions, les liens qui se tisseront entre les éducateurs auront des retentissements sur les pratiques.

Aujourd’hui : chaîner nos pratiques et les théoriser pour travailler ensemble est nécessaire.

                                   Gyslaine Jouvet

    Expérientiel différent du savoir expérimental. Il s’agit du vécu simple, non repris, non construit et non soumis à la critique.

2 in Forum, revue de recherche en travail social – N° 76 –Juin 1996- Page 5-47

3 Du discours à l’action : les sciences sociales s’interrogent sur elles-mêmes  – Page 23 – Logiques sociales – L’harmattan

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