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L’implication démocratique de l’élu comme dynamique du lien social.

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François Simonet

vendredi 06 janvier 2012

L’implication démocratique de l’élu comme dynamique du lien social.

Qu’il soit politique ou social, professionnel et militant, l’engagement, considéré comme citoyen, est une activité organisée et construite par le contexte ; il est enraciné dans les valeurs des systèmes qui le structurent. Dans ce cadre, l’implication est d’autant plus forte pour l’élu qui fait de son engagement un principe fondamental du jeu démocratique. Sa crédibilité ne se réduit pas à son mandat et aux obligations qui le sous-tendent; elle est plutôt relative à son action, d’après ses intentions et selon ses ambitions, fonction de l’idéal qui le mobilise et de l’éthique qui le guide.

À l’heure de la volonté de l’instauration d’un gouvernement mondial, la planète semble fonctionner selon deux conceptions: d’un côté le financier et la technique, de l’autre, l’humain et le social. Au premier, pris dans le mouvement d’une globalisation totalement dérégulée, la poursuite effrénée de l’accumulation de richesses. Au second, pour tenter de faire face à un tel cynisme, la volonté de coopération, d’entraide, de solidarité. À la spoliation méprisante d’un camp répond le besoin d’humanité d’un autre camp. Ce rapport de forces se situe sur le terrain de l’engagement et de la lutte collective, dite « citoyenne ».

Le jeu démocratique : l’inter-connectivité de la politique et du social.

Pour certains, faire de la politique exprime un sacerdoce ; le moyen de prendre le pouvoir et de répondre à une ambition pour les plus carriéristes. Dans tous les cas, l’implication repose sur la bonne volonté au service du collectif. Doit-on croire que, comme l’écrit Robert Bacou : « à l’homme qui entre dans la carrière politique on ne demande pas de fournir la preuve de sa science et de sa sagesse, non plus que de l’honnêteté de son passé. Il suffit, pour qu’on lui fasse confiance, qu’il affirme son dévouement à la cause du peuple » ? [1]

Quelles raisons en effet de s’occuper des affaires publiques ? Sur quelles bases repose son choix ?

Alors qu’il est un écrivain reconnu, Aimé Césaire considère que, comme pour les grands discours, « la poésie ne nourrit pas un peuple » [2] et s’inscrit dans l’action politique. Parce que « l’engagement le plus noble était l’engagement politique, et notamment cette volonté de transformer le monde » [3], cette femme politique de la « génération de 68 » adhèrera très jeune à un parti. Ainsi, contextes et évènements deviennent le terreau et le déclencheur d’une action qui relève d’un tel engagement [4], sous des formes variées, porté par des convictions.

Principe de la politique

La substance politique prend racine dans le désir d’une société différente, inscrite dans un contrat social. S’agit-il de défendre des idéaux, fortement claironnés dans les allocutions et inscrits dans le fonctionnement de la société ? Nonobstant les magnifiques programmes, ce sont des contradictions qui résonnent en écho : aux valeurs de « confiance », de « dignité », de « solidarité » affichées, dans les faits apparaissent généralement la mauvaise foi, le mensonge, la duperie. Prenons deux figures emblématiques révélatrices de ces contradictions au monde de notre République démocratique et laïque. D’un côté Jean Moulin, commémoré comme l’homme de la résistance – certains ont choisi Guy Moquet. De l’autre, Maurice Papon, haut fonctionnaire qui, s’il a été décrié au moment de son procès, pour des raisons morales, a continué d’exercer comme grand commis de l’État, bien après 1945, et sous plusieurs présidents de la Vème République.

L’art de faire de la politique semble reposer sur des qualités exceptionnelles. C’est généralement ainsi exprimé. Plus prosaïquement, point n’est besoin de théorie pour user de rhétorique, vertu politique si chère à Aristote, et abuser de la persuasion pour manier les masses. En ce domaine, n’exploite pas la puissance du discours qui veut. Efficacité du logos qui rassemble et galvanise les foules, pour agir ensemble, appuyé par tous les symboles disponibles dont notre République ne manque pas.

C’est dans la rencontre de l’alter, dans cet espace situé entre les hommes, que prend racine la politique. Elle s’inscrit dans des espaces de pressions et de tensions, avec des tentatives de résolution des contradictions par des moyens d’actions : la force, l’autorité, la stratégie, la diplomatie, la transaction. Sans pour autant réduire l’action politique à une relation dominants/dominés – qui est un mode relationnel général. L’imagerie habituelle du joueur d’échec donne cependant de ce « métier » une idée tacticienne surfaite.

Avec le technocratisme, la mondialisation, le libéralisme, les sociétés se sont profondément transformées : les procédés et les moyens utilisés sont totalement réifiants et destructeurs, sans état d’âme. Quel sens a donc la politique ? Les questions posées par Annah Arendt sont incontournables. En premier lieu : « les buts que l’action politique peut poursuivre sont-ils dignes des moyens qui peuvent être mis en œuvre dans les circonstances présentes pour l’atteindre ? Deuxièmement : y-a-t-il encore en définitive dans le champ politique des fins en fonction desquelles nous pouvons nous orienter en toute confiance ? Et, à supposer qu’il y en ait, leurs critères ne sont-ils pas complètement impuissants et par conséquent utopiques, en sorte que chaque entreprise politique, une fois qu’elle a été mise en mouvement, ne se soucie plus des fins ni des critères, mais suit un cours interne que rien d’extérieur à elle ne peut arrêter ? Troisièmement  : l’action politique, du moins à notre époque, ne se caractérise-t-elle pas précisément par l’absence de tout principe ? » [5] En fait: en quoi la politique répond à la relation au monde que nous fabriquons ?

La polysémie du terme rappelle que, étymologiquement, politique concerne « le gouvernement de la cité », plus généralement, celui des sociétés. Utilisé au masculin ou au féminin, les acceptions sont nombreuses. Comme le précise Dominique Chagnollaud : « il faut regretter que les français n’aient pas, en cette matière, la langue de Shakespeare, qui désigne outre-Manche politics pour évoquer la vie politique, la lutte pour le pouvoir, policy ou policies s’agissant des décisions –ou des “produits du système politique”, et polity la communauté des professionnels qui prête vie à l’ensemble. (…) Le politique renverrait à un “champ social complexe régulé par l’État ou ses substituts”, la politique étant au contraire la scène où s’affrontent les acteurs pour la conquête et l’exercice du pouvoir. » [6]

Pour nous, la politique est apparue dans la polis grecque - libre lorsqu’elle n’est pas sous le joug d’un tyran. Cette place publique, agora centre de la cité, totalité sociale et culturelle, est, dans la conception grecque, le lieu de rencontre et d’échange accessible aux seuls hommes libres - la communauté refusant l’accès à ceux qui ne l’étaient pas, ainsi qu’aux barbares (non-grecs). De ce centre s’énoncent les évènements majeurs, les actions humaines marquantes. La grandeur de leurs auteurs y sera inscrite à jamais avec les récits homériques. De ce logos se construisent les relations sociales, intérieures et extérieures. En ce sens, si la politique, ainsi que la démocratie, sont, pour nous occidentaux, issues de la terre grecque, c’est aussi au contact de la lex romaine que la politique se structure. Une loi qui vise à construire les rapports humains, mettant le droit au-dessus des aspects personnels. L’établissement de pactes, de chartes, d’accords, de conventions, de règlements, n’a d’autre intérêt que celui de relations durables et stables entre les humains, pour le bon fonctionnement d’un état et d’un gouvernement, qui auront pour souci de garantir le respect et l’objectivité du droit. Une lex romaine fondamentale à la politique, et ce que recherche celle-ci, ce sont les meilleures lois pour la constitution de la meilleure cité possible.

Notre conception de la politique aujourd’hui repose sur les expériences connues de l’Occident, tant comme organisation de la polis , qu’en termes d’utilisation du pouvoir par un groupe d’hommes, maniant avec plus ou moins de réussite les manières de faire pour diriger. Une politique qui relève de l’ensemble des moyens mis en dynamique, selon des axes possibles, dans le but de répondre à l’objectif né du rapport entre l’ambition et l’action. Elle n’est donc pas réservée au seul champ de ce domaine en particulier mais à toute action collective engagée en ce sens: associative, militante.

Le jeu politique démocratique met en interaction les caractéristiques d’une conception d’après des valeurs: républicaines (sociales) et laïques ; une pratique politique : l’élection ; des moyens : le mandat représentatif ; la rencontre d’un collectif: des électeurs (le peuple de citoyens) et des élus (ses représentants). Ces derniers, les mandataires, en recevant un mandat par le suffrage, sont autorisés à agir à la place des mandants, sur des bases juridiques et législatives. Que ce soit donc sur le plan politique, syndical, professionnel, ou encore associatif, l’électeur a le pouvoir de choisir et de nommer des représentants, qui agiront en son « nom ». Ce pouvoir de l’élection accordé aux citoyens, selon des critères précis, entre dans le cadre constitutionnel, qui lient gouvernés et gouvernants, salariés et élus, associés et organisations. D’aucuns considèrent que « le régime parlementaire est le moyen inventé par la classe politique pour substituer à la prétendue souveraineté du peuple la véritable souveraineté de ses élus. Rousseau l’avait presque prévu: dès qu’un peuple nomme des représentants, il cesse d’être libre. » [7] Ce qui est vrai pour l’élu de la République en particulier l’est pour tout élu en général. Cela suppose donc, de la part du représentant, et afin de préserver une certaine liberté d’action, la volonté de limiter toute sorte de subordination et de garder, autant que faire ce peut, une indépendance afin de ne pas devenir le bras armé d’aucun groupe ou lobby que ce soit.

La fonction de l’élection démocratique, qui se veut loyale, a pour principe de légitimer les élus ainsi que les gouvernants. En votant, l’électeur a une fonction particulière: il se positionne et se mobilise comme citoyen; il participe à la vie politique et sociale en posant un acte fort. Quant à l’élu, ses qualités résident notamment dans sa capacité à côtoyer les espaces de décisions et de pouvoir, visant à résoudre des situations de manière satisfaisante - à défaut d’être efficace. Il ne lui est pas demandé de talent particulier a priori , mais d’exercer sa fonctionnalité avec pugnacité, persévérance, vigilance, fermeté et probité. Le respect des valeurs et des convictions n’est pas un exercice de tout repos. Il est d’ailleurs des représentants qui sont pris par le jeu électoraliste et médiatique, plus soucieux de leur image et de l’apparence de l’action. L’engagement a un prix, celui d’une carrière, et le risque est grand de confondre sens collectif et intérêts personnels.

Principe du social.

La politique s’enracine dans la substance même de la société. Politique et social se nourrissent réciproquement par des dénominateurs communs : au travers des relations humaines, des multiples activités organisées, des principes établis, l’ensemble structuré par le culturel, l’imaginaire et le symbolique. Ces relations humaines organisées, liées en groupements dans des espaces constitués, définissent les sociétés d’après des modes de communication et selon des finalités. Les individus sont structurés en système de classes sociales qui se distinguent selon des critères sociologiques, culturels, économiques, politiques, religieux, esthétiques. Ce fonctionnement de la société en une collectivité repose sur la base d’un contrat social, pour reprendre l’idée développée par Rousseau, qui, depuis la Révolution de 1789, est une des caractéristiques majeures de l’esprit du politique.

Principe institutionnel : un cadre de référence législatif et juridique.

Le régime politique temporel que nous vivons, et qui nous est si cher, repose sur des références institutionnelles, juridiques et législatives, tant au niveau national qu’européen. Rappel des textes socles pour l’exercice de l’élu, qui consacrent ses droits fondamentaux.

Article 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

Article 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Son préambule comporte un ensemble d’articles dont les suivants :

6 . Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.

8 . Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.

Adoptée par référendum le 28 septembre 1958, elle fonde le régime de la V e République.

Son article premier spécifie que : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

Son article 3 du Titre I précise que : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.

Signée le 7 décembre 2000, elle contient un ensemble de droits qui regroupent des chapitres tels que :

La Liberté :

L’Égalité :

La Solidarité :

L’engagement civique.

Le champ politique n’a plus le monopole de l’engagement collectif. Un glissement s’est opéré sur ce terrain où, comme l’exprime la voix avisée de élue citée : « aujourd’hui, les choses ont changé. Je crois que l’engagement, et notamment l’engagement associatif, a pris cette place-là. (…) c’est ce que je vois aussi dans la jeune génération qui s’investit beaucoup dans ce qu’on appelle l’humanitaire ; mais au moins la forme, l’aboutissement, il était politique avant d’être associatif. » [3] Politique et associatif sont liés par des rapports permanents, qui ne sont pas sans conflits du fait que l’associatif est sous la coupe du cadre institutionnel et administratif. Ses conditions d’existence en dépendent. Une relation établie dans un rapport de force qui n’est pas sans risque pour l’associatif, même si celui-ci fait partie intégrante du paysage social, avec la loi de 1901.

Il n’est cependant pas nécessaire d’appartenir à l’un ou l’autre de ces domaines : le titre de citoyen autorise à l‘engagement civique, sans avoir besoin de faire acte d’un patriotisme particulier. C’est le sens donné à l’engagement qui compte.

Pour autant, peut-on dire qu’il y a collusion entre social et politique ? Volonté d’émancipation du social vis-à-vis du politique ?

La relation politique et sociale précédemment établie est appuyée par la socialisation des individus, qui passe par l’éducation et l’apprentissage des futurs citoyens. La place accordée à l’éducation par l’État-Nation est d’ailleurs inscrite sur le fronton Républicain. Une didactique de la politique existe, dans l’esprit de rendre les hommes de la cité vertueux. S’agit-il de commander le peuple selon une vision militaire ou d’après une conception philosophique ? Nombreux sont les auteurs qui se sont interrogés et qui se veulent, par leurs réflexions, le mentor, le conseiller du Prince, le guide, le maître es techniques de la discipline. Entre autres : Xénophon et La Cyropédie  ; Platon et La République  ; Aristote et son Éthique à Nicomaque  ; Plutarque et ses Conseils aux politiques pour bien gouverner  ; Marc Aurèle et ses « pensées », Sun Tsé et L’Art de la guerre  ; les 36 stratagèmes  ; Machiavel avec son Prince  ; Fénelon et Télémaque pour ne citer qu’eux.

Pour ce qui est de l’émancipation du social de manière générale et de l’élu en particulier, deux aspects. Côté social, un des premiers indices est cette volonté de se libérer du joug des pouvoirs publics, qui octroient autorisations et finances. La liberté d’expression et d’action n’en est que plus réduite, notamment lorsqu’il s’agit de remettre en cause les positions de ces mêmes pouvoirs. Aussi, quelle part de liberté créatrice possible lui est accordée sans que cela ne cause sa perte ? Participant de la dynamique du tissu social, l’engagement sur ce plan n’est-il pas devenu un faire valoir politique au sein d’un État épris de sécuritaire ?

Du côté de l’élu, de par son/ses mandat(s), il devient le garant des principes démocratiques ainsi que la voix et l’expression de la volonté de l’électeur. Aussi, comment le représentant mandaté qu’il est peut-il concilier le respect des institutions auxquelles il « doit » son existence, dont il vise la reproduction, position instituée d’une part, et la possibilité de production de nouvelles formes au sein même des institutions, logique instituante d’autre part ? Dans son engagement même, n’a-t-il pas vocation à s’émanciper du pouvoir pour exister? Non pour lui-même mais pour l’évolution de la société, sur les bases de l’intérêt général ? C’est dire qu’adossée à sa légitimité, se trouve la question de la crédibilité de l’élu. Et sur ce point, il se retrouve face à lui-même ; face à la responsabilité de ses actes dans le cadre de son engagement.

Le contexte d’engagement et d’action.

C’est au sein d’un contexte, cadre de référence contenant un ensemble de caractéristiques historiques, sociologiques, politiques, économiques, philosophiques, techniques, culturelles et esthétiques, que s’organise l’action politique et sociale. Action produite selon un processus de rationalisation des relations et des modes de communication, régie par des normes et des procédures (impersonnelles). Dans cette logique rationnelle-efficace, l’évolution technocratique de la société va de pair avec la bureaucratisation et la professionnalisation des organisations, d’où la spécialisation des pratiques et l’existence des experts.

Individus et idées s’inscrivent dans la dynamique d’un système de valeurs doctrinales relatives à une société, à des contextes et à des époques. À ce propos, trois aspects à noter :

Pratique particulièrement significative du fonctionnement des sociétés techniciennes, totalement ancré dans la logique de la mondialisation, le management s’est imposé comme modèle dominant d’organisation rationaliste. Et le champ politique n’échappe pas à cette conception, bien mieux : il s’en nourrit. Il envisage ainsi la cité sous l’angle de la gestion des affaires, selon des critères quantitatifs, de mesure et de contrôle, le tout avec transparence et dans un simulacre d’objectivité.

Par la tyrannie de la pensée uniformisante, la méthode ne fait que générer un véritable mouvement de standardisation des comportements, de calibrage des pratiques et des productions sociales et culturelles. De plus, cherchant à évacuer l’incertitude, le discours sur le risque s’impose, à tous les niveaux, versant dans une précaution érigée en principe. Ce qui tend à laisser croire que nous échappons à toute responsabilité – tout en étant responsable! Il suffit ensuite de convaincre le citoyen que sans sa participation, la cité n’est rien.

Ce qui prime en fait, c’est le conformisme des conduites et des relations sociales, où l’émotionnel et le sentimentalisme participent d’une incapacité de distanciation, à dépassionner, à mettre de côté ses ambitions. La subjectivité apparaît comme le point de référence, au nom de l’ expérience personnelle . Dans le champ du politique et du pouvoir, les inconvénients sont notables. Entendre un élu aguerri, outre les raisons qui peuvent le dédouaner, terminer son intervention à l’Assemblée nationale, en ce mardi 15 mars 2011, par : « Je vous aime toutes et tous. La vie est belle ! », est des plus surprenants [8].

La médiatisation du social est une réalité. Les évènements les plus divers se sont invités dans nos vies, se sont insinués dans nos mentalités, sans plus de discernement. Endoctrinante, la communication se présente comme un mode d’organisation rationnel qui vise à la normalisation et à la docilité des citoyens. Ces derniers n’en seront d’ailleurs que mieux disposés à servir les intérêts des leaders, élites et autres décideurs.

En fait, chacun est associé dans un double rapport standard: d’une part la télévision et les médias ont besoin des politiques et des acteurs sociaux pour faire de l’audience, d’autre part, ces derniers ont besoin des médias, avec lesquels ils entretiennent des relations étroites, comme faire valoir aussi bien que pour faire savoir.

Réelle tribune politique, véritable caisse de résonnance, tout en passant les évènements dans son appareil interprétatif amplificateur des discours, les médias sont un organe de communication pour l’activité politique, professionnalisée, et de propagande du domaine public ; ils retravaillent la réalité, la sculptent selon leurs critères, pour lui donner une apparence acceptable selon leurs codes. Le récit mis en image aujourd’hui perpétue le logos des évènements homériques d’hier, l’art du bluff en substance.

Hyper-médiatisée, la vie politique est devenue un spectacle, au risque d’en détruire le sens. Ce qui sature les écrans en permanence, c’est le sensationnel. Est-ce à dire que « la banalisation des hommes et des femmes politiques et leur métamorphose en vedettes “people” est le premier pas vers la fin de leur dignité » ? [9] Il est vrai que, au sein des appareils, quels qu’ils soient, avec pour seule préoccupation l’électoralisme, les fins semblent justifier les moyens pour répondre aux ambitions personnelles.

Toutefois, la politique ne se réduit pas aux d’affaires d’escroqueries, de conflit d’intérêt, de malversation et autres délits d’initiés jetés en pâture quotidiennement. Le fait de monter en épingle des affaires politiques ou associatives scabreuses et scandaleuses, du fait de personnages considérés comme l’élite, décrédibilise celles et ceux, intègres, qui comptent sur leur engagement pour faire évoluer la société de manière plus juste. Ceux-là n’ont pas mission de nettoyer les écuries d’Augias. Inutile donc de généraliser quant aux turpitudes et dérives. La corruption, l’arrogance et le mépris sont affaire d’individus plutôt que de système ; le fait de certains élus qui se compromettent sans vergogne, oubliant qu’ils ont à servir les institutions et non à s’en servir à des fins personnelles. Du reste, qui est prêt à vivre dans un monde parfait ? Le spectacle d’un sport sans dopage satisferait-il toujours autant les spectateurs ?

Nous sommes en permanence dans une hypermédiatisation qui nous plonge totalement dans la dimension de l’évènementiel, où le virtuel participe d’un divertissement qui s’appuie sur le pulsionnel et l’émotionnel. Nous sommes devenus totalement dépendants des médias, en particulier de ceux qui utilisent l’image. De fait, ils ont une réelle influence sur nos préjugés et notre perception de la politique, qu’ils alimentent constamment au travers de ceux qui la représentent et s’expriment dans son champ - généralement les mêmes. Des médias qui fabriquent la réalité telle qu’ils la conçoivent, en lien avec le pouvoir, et non telle qu’elle est, pour un temps de « cerveau » qui leur est complètement disponible. Étrange expression, banalisée, que celle de « la vraie vie » dont ils nous parlent, dans un monde qui reste manichéen et binaire.

Les artifices son nombreux et des plus sophistiqués pour construire la réalité sur le modèle des fictions hollywoodiennes, à grand renfort d’effets spéciaux – autant que spécieux. L’ère nouvelle est celle du storytelling, cet appareil qui impose sa vision du monde en fabriquant des histoires auxquelles c’est à la réalité de se conformer; cette machinerie qui conditionne et formate les esprits [10]. Le monde va comme le storyteller, maître du jeu d’un nouveau pouvoir, le récite, en correspondance avec les traits caractéristiques de la société.

Comment donc considérer qu’au pays de la démocratie, les opinions émises et les décisions prises par la population puissent être suffisamment objectives et rationnelles ? D’autant que l’information est devenue le monopole de grands groupes, centralisateurs des réseaux de communication.

La liberté d’action militante.

La frilosité des élus s’inscrit dans la politique sécuritaire , devenue une des préoccupations majeures de nos démocraties libérales: l’exercice du contrôle social passe par l’administration de multiples méthodes et outils, et ceux qui veulent garder leur place tant convoitées se doivent d’agréer aux desiderata du prince.

S’interroger sur les finalités de l’engagement militant revient à poser plusieurs questions: d’une part, celles qui ont trait au sens et à la motivation qui gouvernent notre engagement ; d’autre part, celles des principes et des valeurs qui sous-tendent l’action militante ; enfin, les contraintes, qu’elles soient institutionnelles, individuelles et collectives, rencontrées dans cette même action.

Comment considérer le sens de l’action politique aujourd’hui ? Aspect extrêmement sensible pour les dirigeants et autres mandarins des organisations concernées, la question du financement occulte est toujours dans les esprits, qu’il s’agisse des partis ou des syndicats [11], ce qui ne fait qu’ajouter au discrédit de l’engagement. De plus, l’action politique comme militante semble se passer en grande partie dans les coulisses, par les jeux de réseaux notamment. Aussi, dans les formes d’émancipation qui amènent à la liberté d’action, dont le but est de dépasser certaines contraintes, les formes d’activisme créatrices provoquent une liberté de pensée autant que d’agir. Ainsi, préférant la désobéissance civile, des trublions ont le courage de l’intervention comme par exemple : les Blacks panthers et leur poing levé sur le podium olympique ; Act-up; la « Brigade des grands-mères » et le « Code pink » aux USA. Plus récemment, pour d’autres raisons, les mouvements comme : les « Y’en a marre » au Sénégal ; les « Dégage ! » en Tunisie et en Égypte ; les « indignés » à différents endroits de la planète.

Notre démocratie, ou plutôt la conception que nous en avons, est issue du monde Grec. Nous l’évoquons seule, alors que, pour revenir à cette idée de conception, nous devrions ne pas la séparer de la philosophie : toutes deux sont en effet nées au même endroit (en Grèce), à la même époque (VIIe s. avant notre ère), prenant place dans la polis , la cité, l’espace communautaire, occupées par les citoyens libres, qui prennent part au logos et aux décisions, exerçant de ce fait leurs droits civiques. En fait, « l’originalité de la Grèce tient à la forme particulière qu’y a revêtue le pouvoir d’État, à la constitution de cette Polis antique qui implique participation de tous les citoyens à la gestion des affaires communes et pleine publicité des activités collectives. » [12]

L’usage des mots est souvent réducteur et trompeur, induisant les pratiques : le kratos de démo- cratie a pour sens la supériorité d’un groupe sur un autre, en termes de réussite dans l’accès au gouvernement de la cité. Si donc la démocratie passe par l’expression libre, comme pouvoir du peuple-électeur, demokratia rappelle « qu’il y a eu division de la cité en deux parties et victoire de l’une sur l’autre. » [13] N’en est-il pas ainsi des actes passionnés et irrationnels au moment des élections au pouvoir suprême, ou tout simplement selon les enjeux de certaines élections ?

Un rapport ambigu s’est installé entre démocratie et démagogie, et, de la démagogie à la dictature, ou la tyrannie, le pas est aisément franchi. Si au premier le « pouvoir » est entre les mains du peuple, pour ce qui est de choisir la figure qui le « représentera », il n’en demeure pas moins que le second s’appuie également sur le peuple : dans l’art de le séduire, de capter sa faveur, de prendre des mesures qui lui plaisent – ou pour lui plaire ?, avec démagogie.

De quelle démocratie, aux formes multiples, parlons-nous d’ailleurs ? Depuis la Révolution de 1789, les tentatives sont nombreuses de trouver une forme de gouvernement idéal.

Nous sommes désireux de cette forme d’organisation politique, la seule que nous connaissons depuis plusieurs générations il est vrai, et parce que elle est intrinsèquement liée à l’idée de liberté. Que n’avons-nous fait, et ne serions-nous prêt à faire, pour la sauvegarder ? Raison pour laquelle démophilie serait un vocable plus approprié, rompant ainsi, dans un premier temps, avec l’aspect technique du terme. Certes, le rappel d’un statut social – crate , disparaît (avec une position sociale), mais, en contrepartie, nous gagnons dans l’intérêt que nous portons à la chose même. Car rien n’évoque cet intérêt, ce « désir », inscrit dans la philie . L’amour que l’on porte à une forme de commandement de la cité n’est pas seulement affaire de raison mais aussi une relation à l’imaginaire. Peut-être est-ce en cela que les sondages se trompent régulièrement.

En 1936, Mussolini considérait que tout était dans l’État et que l’humain et le spirituel ne pouvaient exister en dehors de lui. Qui ne se prend pas à rêver diriger le monde de la sorte, au nom d’un soi disant besoin d’ordre « naturel » de la société ? Aussi, l’État de droit, selon un cadre d’application précis, garantit l’existence de la République démocratique, laïque et sociale.

À la question de savoir: qui doit gouverner et exercer le pouvoir ? Platon répond dans La République : le meilleur ! Les régimes différent entre eux par les institutions légitimes qui règlementent l’accès au pouvoir d’une part, et par les manières de gouverner, d’autre part.

Politique et pouvoir sont indubitablement liés [14] ; c’est un mode d’exercice, sous des formes plurielles. Par le jeu des pouvoirs politiques, il y a en permanence une mise en tension entre la démocratie , régime de souveraineté du peuple qui passe par le suffrage universel, l’ autocratie , le pouvoir d’un seul, et l’ oligarchie , le pouvoir de quelques privilégiés. La première a des comptes à rendre au collectif là où les deux autres considèrent n’avoir d’obligations envers personne, sinon elles-mêmes. C’est dire que l’« on appelle faussement nos régimes démocratiques, alors que ce sont des oligarchies libérales […] Ces régimes sont libéraux : ils ne font pas essentiellement appel à la contrainte, mais à une sorte de semi-adhésion molle de la population. Celle-ci a été finalement pénétrée par l’imaginaire capitaliste : le but de la vie humaine serait l’expansion illimitée de la production et de la consommation, le prétendu bien-être matériel, etc. » [15] Voilà qui ajoute au mouvement d’une constante oscillation entre démocratie et dictature [16], allant ainsi vers la « démocrature » : ça ressemble à de la démocratie qui, agitée par le discours démagogique du sécuritaire et du profit a le goût du totalitaire. L’apparence de la liberté, prise en main pour la protection « efficace » du citoyen, restant sauve.

Nos sociétés sont réticentes face au pouvoir en général : « autant l’autorité (légitime) est valorisée et portée au pinacle, autant le pouvoir est voué aux gémonies, caché et refoulé, parce qu’il est identifié avec l’univers des magouilles, des compromissions et de l’exploitation sans limite des rapports de force, bref avec "l’abus de pouvoir” et son corollaire, la poursuite d’intérêts inavouables parce que strictement égoïstes. » [17] Comme l’écrivait John Emerich Edward Dalberg Acton : « Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument » [18], et ce, quel que soit le régime, y compris avec les institutions démocratiques. Ainsi d’un parti ou d’un organe et de ses apparatchiks qui se sont éloignés des valeurs d’origine et de leurs membres, avec lesquels ils ne s’identifient plus, obnubilés qu’ils sont par leurs propres intérêts. Et que dire de ces représentants, élus devenus de puissants potentats en cumulant les mandats, soit disant dans l’intérêt de la Nation. Au nom du système, abuser du pouvoir semble aisé.

Un autre phénomène vient fausser le jeu démocratique : celui du pouvoir exercé par l’opinion. Consulté sur ses opinions, le citoyen se place en « usager » qui fait part de ses impressions, de ses ressentis, plutôt que de réelles connaissances et compétences. Et il exerce une pression redoutable, au gré des évènements médiatisés. Jacques Julliard considère que : « tout “gouvernement d’ouverture”, comme on dit aujourd’hui, fait appel aux intérêts, aux ambitions, aux vanités des personnes. Au contraire, pour gagner les masses, il faut faire appel à leurs opinions, à leurs principes, à leurs passions. » [19] Une démocratie qui repose sur l’opinion dira l’auteur, permettant les débats d’opinion et nous menant vers la doxocratie , comme étant « l’irruption brutale du peuple dans les lieux où se décide son avenir. C’est l’addition de la révolution technologique et du désir populaire de participation qui a produit cette doxocratie. » [20] Une politique de la doxa  : au nom du peuple, avec le peuple et pour le peuple.

La démocratie est utilisée à tout propos, comme pour justifier d’un fonctionnement social. Un certain discours s’invite même régulièrement, exacerbé lors des campagnes, véhiculant que notre démocratie et notre laïcité sont en danger, que la France est en perdition. Un discours nourri par une médiatisation effrénée, des sondages quotidiens et des pseudos débats totalement abscons, servant en fait des intérêts électoralistes.

Certes, les limites démocratiques sont provoquées en permanence par les organisations extrêmes, qu’elles soient constituées en partis ou en mouvements, pour des raisons idéologiques, religieuses ou politiques. Il ne suffit d’ailleurs pas d’afficher des valeurs dites humanistes (les partis extrêmes présentent ainsi les leurs) et de les brandir continuellement, comme pour se présenter sous un jour favorable et acceptable au peuple ; encore faut-il qu’elles aient un sens social et institutionnel, ainsi qu’une réalité juridique. Car bien étranges ces sociétés qui se disent libres, respectueuses, et qui, dans les faits, fonctionnement sur des registres très différents : l’enfermement communautariste, l’intolérance et la discrimination. Les démocraties ne sont pas à l’abri de leur propres excès et dérives, notamment à propos des valeurs affichées. Il n’est que de relire Orwell pour se le rappeler : avec la propagande, la politique sait user et abuser de la novlangue, dont le quotidien sature, pour mieux convaincre le citoyen-consommateur.

Si donc danger il y a, ne viendrait-il pas (aussi) de cette conception unique du système libéral dérégulé, qui semble tout entraîner dans son tourbillon ? À moins qu’il ne s’agisse de nos conceptions rationalistes, qui nous happent dans le trou noir de ce monde technocratique. Même notre République, mise à mal, bradée par et pour des intérêts privés qui font fructifier leurs affaires sans aucun état d’âme, n’échappe pas à cette attraction irrésistible [21].

Quant à considérer que la démocratie reposerait sur la réflexivité, la créativité et la liberté d’expression, il s’agit du passé. Cette liberté qui « n’est pas menacée seulement par les régimes totalitaires ou autoritaires. Elle l’est aussi, de manière plus cachée mais non moins forte, par l’atrophie du conflit et de la critique, l’expansion de l’amnésie et de l’irrelevance, l’incapacité croissante de mettre en question le présent et les institutions existantes, qu’elles soient proprement politiques ou qu’elles portent les conceptions du monde. » [22]

Au sein même des entreprises, la distorsion entre dirigeants et dirigés est visible, exacerbant la violence symbolique. Quelle est l’entreprise, dernier bastion des valeurs sociales dit-on, voire de socialisation, qui respecte les représentants des salariés et les syndicats? Des « partenaires sociaux » « utilisés » comme faire valoir, voire instrumentalisés, dans le cadre de débats, de projets et de négociations. Logique de contrôle à l’œuvre. Ces entreprises qui, par le biais de leurs dirigeants, bafouent les droits des salariés, sans plus de respect du droit ni du devoir moral, ignorant les dispositions prises par le législateur. Autant dire que la « consultation », la « concertation », la « négociation » - le tout dans la « transparence » -, ne sont que des aspects communicationnels au service de la manipulation. Les entreprises aussi connaissent des procédés despotiques, voire des despotes qui sévissent en leur fief.

Engoncés dans leurs positions partisanes, avec cette difficulté à sortir de leur propre dynamique, les appareils ont leurs contraintes, si souvent aveuglantes. Les ambitions personnelles s’inscrivent dans un mécanisme toujours prêt à se mettre en branle, alimenté par la courtisanerie qui le sert, loin de la recherche de l’intérêt général.

Utiliser l’organisation et les circonstances pour accéder au pouvoir et imposer sa puissance à ce point relève de l’opportunisme, et pas forcément de cette habileté, de cette intelligence rusée appropriée au champ politique. Sans compter les places à accorder à certains de ses membres au moment de la victoire, qui rendent l’autre obligé plutôt que reconnaissant.

Des appareils souvent fort éloignés de leurs adhérents et militants, ainsi que de l’évolution de la société ; dans une situation de grand écart entre l’action qu’ils mènent et les réalités sociales. Même si il est vrai que c’est à l’intérieur d’un parti que l’on peut agir efficacement et faire évoluer la société.

Les domaines politique et militant, avec leur professionnalisation, sont inscrits dans des logiques particulières : le bureaucratisme et la gestion, notamment financière. Comment maintenir au premier plan ses convictions ? Exercice périlleux s’il en est. Quel impact dans la vie politique et pour la forme démocratique que nous connaissons ?

En exprimant que ce qui l’occupe de sa place de maire, aujourd’hui : « c’est d’arriver à concilier l’engagement politique et la fonction de gestionnaire » [3], l’édile déjà citée évoque la réalité d’une telle magistrature. S’agirait-il de la difficulté à maintenir l’aspect social des convictions qui président à l’engagement dans un mandat comme celui-ci ?

Les partis, le monde associatif et militant tiennent en grande partie leurs subsides de l’État. Autrement dit : dépendent d’un tiers nourricier. Dans ce cadre, quelle possibilité de liberté d’expression et d’action?

Comment s’exprimer pleinement et justement, sans l’impression d’être muselé ?

Convictions et engagement sont-ils conciliables ?

La « Nouvelle Atlantide » de Francis Bacon [23] est la réalisation d’un rêve : une société progressiste, régie par les scientifiques, devenus les experts-gourous des temps actuels ! À qui le pouvoir de créer cette société qui se veut juste ? Aux médias de masses, qui ne savent que trop bien orienter les esprits ? Aux marchés et au monde économique, pour lesquels les politiques semblent avoir abdiqué en leur laissant les domaines de décisions qui leur revenaient ? Sous couvert de principes et de valeurs, business is business : une société qui, pour mieux manipuler les consommateurs avides de modèles, brouille les cartes et leur fait croire qu’ils consomment, en bonne conscience, un style de vie [24], au travers des produits et des marques saturés de libéralisme, selon des méthodes publicitaires aux slogans alléchants. Le tout : au plus offrant, au meilleur prix, tout en étant jetable et recyclable; intelligent et biodégradable, efficace et performant. Rien d’équitable dans tout cela !

Comment garder en l’état ses convictions et porter haut la flamme de l’engagement ? L’individualisme occupe une place majeure, où bonheur et liberté priment sur le collectif. Sachant que, même si c’est un discours communément admis, véritable logomachie, la politique n’est pas là pour le bonheur du peuple, vœux plutôt individuel, mais, par le biais de la démocratie pour ce qui nous concerne, pour sa liberté : d’expression, de décision, de réflexion.

Comment exercer ses droits civiques selon les canons de la démocratie ? Individu autant que collectif, nous sommes des « sujets » politiques responsables de notre société, que nous devons interroger, critiquer et mettre en question en permanence: sur son fonctionnement, son organisation, ses lois, ses orientations, ses valeurs et ses formes culturelles. Une critique qui n’est ni du commentaire, ni de l’interprétation, ni des arguties, mais bien production d’idées et de propositions, pour l’action.

À se demander d’ailleurs si cette République, une et indivisible , est la nôtre, nous ne pouvons qu’être dubitatifs sur la mise en œuvre des valeurs républicaines, sociales et laïques, où tous les citoyens sont pas considérés de la même manière.

Nous sommes en droit de revendiquer de participer à la vie sociale et politique, de nous intéresser aux affaires publiques. Car la démocratie républicaine est une affaire de tous les jours, à tous les niveaux, et pas seulement au moment des scrutins. L’élection est un moyen, non une fin, et il serait purement simpliste de se réfugier derrière cet acte pour justifier d’une impossibilité au changement. Castoriadis considérait quant à lui que : « ce n’est pas participer que de voter une fois tous les cinq ou sept ans pour une personne que l’on ne connaît pas, sur des problèmes que l’on ne connaît pas et que le système fait tout pour vous empêcher de connaître » [25]

Souvenons-nous des présidentielles de 2002. Entre le 1 er et le second tour, la population descend dans la rue pour manifester contre les 19% obtenus par le Front National. Les résultats n’étaient-ils pourtant pas obtenus par la voix démocratique? Disons que nous sommes d’accord avec le jeu démocratique, à condition qu’il produise ce que nous voulons. La versatilité du joueur, toujours prêt à accepter la règle pourvu qu’elle lui permette de gagner. Les problèmes que peut soulever la démocratie restent principalement d’ordre moral.

Un chevalier à la trista figura aurait-il une place dans la société d’aujourd’hui ? Est-il possible de rêver de manière altruiste, et sans calcul partisan, pour l’élu comme pour le citoyen ?

Pau, Novembre 2011

Notes et Références bibliographiques

[1] Robert Bacou, in Platon, La République , Paris, Garnier-Flammarion, introduction, traduction et notes par Robert Baccou, 1966, p. 51.

[2] Propos d’Aimé Césaire avec l’auteur de ce texte, lors de leur rencontre à Fort-de-France, en octobre 2004.

[3] Interview de Madame Lignières-Cassou, Députée-Maire de Pau, PS, le 29/08/09.

[4] Frantz Fanon, Pour la révolution africaine ; écrits politiques , Paris, La Découverte, 2006.

[5] Hannah Arendt, Introduction à la politique II; Fragment 3d , in Qu’est-ce que la politique , texte établi par Ursula Ludz, traduction de l’allemand et préface de Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Seuil, 1995, p. 180.

[6] Dominique Chagnollaud, Introduction à la politique , Paris, Le Seuil, « Points Essais », 1996, pp. 11-12.

[7] Jacques Julliard, La reine du monde ; Essai sur la démocratie d’opinion , Paris, Flammarion, « Champs actuel », 2009, p. 91.

[8] Le député Patrick Roy, socialiste du Nord, a eu droit à une « standing ovation » par les députés de l’Hémicycle, à la fin de son discours.

[9] Jacques Julliard, op. cit., p. 115.

[10] Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits , Paris, La Découverte, 2007.

[11] Robert Lenglet & al., L’argent noir des syndicats , Paris, Fayard, 2008.

[12] Jean-Pierre Vernant, Les origines de la pensée grecque , Paris, Presses Universitaires de France, « Quadrige », 10 e édition, 5 e tirage, 2009.

[13] Éric Hazan, LQR ; La propagande du quotidien , Paris, Éditions Raisons d’agir, 2006, pp. 102-103.

[14] Raymond Barre, L’expérience du pouvoir ; conversations avec Jean Bothorel , Paris, Fayard, « Témoignages pour l’Histoire », 2008.

[15] Cornelius Castoriadis, Une société à la dérive; Entretiens et débats 1974-1997 , Paris, Seuil, « Points Essais », 2005, pp. 24.

[16] Jacques Bainville, Les dictateurs , Paris, Éditions d’Histoire et d’Art, Librairie Plon, 1939.

[17] Friedberg Erhard, Le pouvoir et la règle; Dynamique de l’action organisée, Paris, Seuil, deuxième édition revue et complétée, « Points Essais », 1997, p. 264.

[18] Dans une lettre du 5 avril 1887, adressée à Mandell Greighton, in Essays on Freedom and Power , choix de lettres et introduction de Gertrude Himmelfarh, Glencoe (III.), Free Press, 1948, p. 364.

[19] Jacques Julliard, op. cit., p. 62.

[20] Jacques Julliard, ibid., pp. 100-103.

[21] Michel Pinçon ; Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches ; Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy , Paris, La Découverte, nouvelle édition revue et corrigée, 2011.

[22] Cornelius Castoriadis, Le monde morcelé; Les carrefours du labyrinthe 3 , Paris, Seuil, Points Essais, 1990, pp. 281-282.

[23] Francis bacon, La Nouvelle Atlantide , Paris, Garnier-Flammarion, traduit par Michèle Le Doeuff et Margaret Llasera, 1995.

[24] Naomi Klein, No logo ; la tyrannie des marques , essai traduit de l’anglais par Michel Saint-Germain, Paris, Actes Sud, « J’ai lu », 2001.

[25] Cornelius Castoriadis, Une société à la dérive ; Entretiens et débats 1974-1997 , Paris, Seuil, « Points Essais », 2005, pp. 24-25.

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