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La Fouille-Mère (monographie de superviseur)

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Murielle PRIVE

lundi 20 août 2018

 

« Le Fouille-Mère »

 

 

Préambule

Écrire ?

« Écrire. Je ne peux pas.Personne ne peut.Il faut le dire, on ne peut pas 1 . »

le moment était  venu de  laisser une trace , d'empreindre ce chemin de ma propre aventure.

Nous y avons été quelques uns sur ce bateau qui nous a fait vivre des moments  de pleurs,de plaintes de soupirs de larmes de rires aussi au gré d'illusions passagères,de pertes, d'amour,d'orages.

Chacun à son rythme  a pu s'observer et observer les autres se débarrasser de ses  oripeaux imaginaires  et érailler progressivement son vernis sur ces rails qui conduisent à toujours un peu plus d' humilité.

Écrire ici, il était l'heure d'y aller de maints mots, en accepter les irruptions de surprise , en tisser une toile de l'ordre d'une fiction narrative, qui me  secoue , me déplace.

J'ai longtemps procrastiné, repoussé  l'échéance .Comment écrire ce processus de trans-formation d'où partir ?Trier, ranger, jeter,assembler...Revenir à la consigne, s'en éloigner,y revenir.

Écrire en SOL... :Solitude Solitaire :

Écrire , « L'écriture c'est l'inconnu (...)si on savait quelque chose de ce qu'on va écrire, avant de le faire, avant d'écrire, on n'écrirait jamais.Ce ne serait pas la peine 2 . »

Je réfléchissais. Les mots se bousculaient cependant je n'écrivais pas. Tout restait désordonné et mouvant ;  des mots allaient, venaient, se baladaient ,erraient , les idées avec.Ils repartaient ,  puis revenaient et retournaient dans une boucle infernale à en prendre tout l'espace de pensée jusqu'à  me confondre dans un sentiment d'impuissance  : JAMAIS je n'y arriverai !

Le « Jamais je n'y arriverai » était aussi  ce qui m'avait tracassé régulièrement en milieu d'après-midi de chaque journée de formation.Après m'être laissée griser par l'ivresse de la pensée,j'entendais une pulsion de fuite me rattraper . Je me voyais repartir  sac à dos sur un autre chemin alourdie par  quelques poids dont j'avais encore à me délester  .

La formation arrivant à sa  fin,il devenait cependant temps de me laisser aller ,de prendre le risque d'en dire un peu plus  pour me lancer dans un énoncé  qui ferait  sens par le repérage d'un point  où « cela veut dire ». .

Mise dans l'urgence d'une presque dernière minute,  je me suis donc enfin résignée à affronter  la solitude  devant la page blanche de cette nouvelle aventure.

La traversée  de temps mêlés de passé,de présent, d'avenir emmêlés, était arrivée à ce point : du temps de voir, il me fallait comprendre.

Gageons ici que cet écrit , au gré des mots me conduise  au temps de conclure.

 

 

Naître à une vérité ?

Me voici  ainsi face à l'exercice final ,celui de la monographie. Me laissant aller au pari de dire , d'associer et de laisser une brèche pour la surprise.

Écrire,

Je suis fille d'un père typographe, communiste, syndicaliste du syndicat du livre et d'une mère à la direction de l''être guidée par le gouvernail de sa folie. Le premier composait des mises en page typographiques pour des journaux  dans les règles d'un art guidées par un code très précis  , la deuxième pouvait tout autant pousser les meubles de la salle à manger son chiffon à poussières à la main et danser dans les rayons de soleil du printemps que se recroqueviller dans une mélancolie mortifère.Je suis le fruit de leur ratage .

Ma sœur aînée était la première.Elle m'avait précédée.Elle avait conduit notre père chez un conseiller d'orientation pour échapper au projet qu'il avait pour elle et le contraindre à lui laisser faire des études..Mon père n'avait aucun projet pour moi ,il ne voyait pas ce que j'allais pouvoir faire de ma vie. J'avais une orthographe maladive résistante à tous les traitements orthographiques qu'il me proposait.

Ecrire  ?

Ma mère  n'a pas fait d'études. Elle a peu été à l'école.Elle n'était pas lettrée. Au décès de mon père j'ai pris le relais dans le remplissage des papiers, des chèques...J'étais jeune, je suis devenue assistante sociale, une « fouille- merde » comme m'a dit  ma mère. Fouiller j'ai toujours aimé.J'aurai pu devenir archéologue je suis devenue « fouille-merde ».C'est à partir de ce signifiant que j'ai élaboré ma pratique .

Pourquoi la merde plutôt que rien ? C'est ce qu'interroge l'écrivain Bukowski dans son écriture.

Être « fouille-merde » c'est  rentrer dans l'intimité des gens ,prendre le risque de remuer des choses qui étaient jusque là recouvertes.De quel droit nous autorisons nous à la fouiller cette merde ?

Être « fouille- merde » professionnel ne s'improvise pas .Pourquoi se salir les mains 3  ? Quelle notion de la vérité nous anime alors ? On peut  en mettre partout ,bousculer , en sommes nous toujours conscients ?Et puis l'autre ce n'est pas nous,il y tient peut-être à sa merde.Et nous, la notre, qu'est ce qu'on en fait est ce qu'on s'en occupe ou bien est-ce qu'on préfère jouir de la merde des autres faute de se satisfaire de notre merde propre si tant est que la merde puisse être propre.

Enfin, à chacun sa façon de gérer sa merde, cela s'appelle le symptôme.

Ce qui reviendrait à s'interroger pour reprendre la pensée de Bukowski : Pourquoi le symptôme plutôt que rien ?

Dans son séminaire R.S.I. Lacan en donne une piste : Le symptôme, c'est du réel 4 .

C'est de l'improviste qui s'invite  au milieu de cette merde ,que peut se passer un changement . Encore faut -il s'en saisir.Fouiller la merde des autres c'est  s'en préoccuper tout en évitant d'y rajouter la nôtre et de s'y enliser.C'est aussi permettre l'émergence d'une trouvaille.

« On a tous les pieds dans la boue mais certains regardent les étoiles  5 »nous dit le poète .

Regarder les étoiles ,rêver,et contribuer à ce que nous soyons nombreux à oser  les rallumer :

C'est cette idée imaginaire qui m'a conduite  sur le chemin de la supervision.

Voyons où m es m ots m e m ènent.

«JE» pronom personnel de la première personne du singulier  qui par le jeu d'un passage de l'énoncé à l'énonciation fait jaillir une vérité  : la «  vérité par le je   6 ».

Quelle vérité alors ?

 

 

 

 

 

l'imprévu surgit dans un blanc de stupeur :

 

La première tentative à laquelle j'ai voulu me livrer  pour commencer  la formalisation de la monographie ici en question,avait fait place à un énorme blanc .

Un trou de mémoire  soudain m'avait arrêtée dans mon  élan initial. j'avais alors ressenti une détresse démesurée. Il m'était devenu impossible de me rappeler sous quel signifiant  je devais épingler cet exercice.Le vide était là comme une béance , le signifiant semblait avoir été aspiré dans un gouffre.

Après ce premier temps d'hébétude et d' impression de chute où j'avais l’impression que «  je n'y arriverai jamais » ,mes doigts avaient fini par  taper sur le clavier le signifiant suivant :

«  Mémographie  ».

Je touchais là vraisemblablement à un bout de réel auquel je venais me cogner dans une stupeur d’ «  inquiétante étrangeté  ».

J'ai eu par conséquent  envie de m’ arrêter,  de m' « étonner » sur cette substitution  relevant d'une vraisemblable «  formation de l'inconscient  » .  «  L'inconscient est un savoir qui travaille sans maître  7 »  nous dit Lacan j’espérais pouvoir utiliser les fruits de son travail :ouvrir une première porte , passer le cap de la page blanche, faire le premier pas.

MONOGRAPHIE   Mono  : seul,unique  » .

Seul  : Il allait falloir faire un choix. Ne pas se  laisser envahir, se restreindre,trancher, Accepter de perdre. Cela me paraissait déjà mal parti à ce niveau de l'écriture.

Tant de choses se bousculaient...Ne pas se noyer  dans la tonne de bouquins, par le flot des mots. Savoir laisser les livres pour laisser advenir une énigme qui me soit propre et retourner picorer dans la théorie au gré  de l'avancement du texte au titre d'illustration,de référence d'ancrage.

Narrer c'est faire un choix qui engendre une perte :

J'aime picorer la théorie au gré de mes divagations ,butiner ça et là ; Mon esprit est  rêveur  Je suis une bricoleuse mais quand il s'agit de formaliser, je me noie.

 Faire un choix,c'est  accepter de perdre encore.Il allait me falloir ici traverser ce  deuil de la polysémie . Bion parle  de ce deuil en terme de passage  :  passage de la position schizo-paranoïde théorisée par Mélanie Klein à la position dépressive .

Ce passage il allait falloir le traverser seule , accompagnée de quelques autres qui ont une longueur d'avance, des psychanalystes, des écrivains, des poètes.Ne pas trop leur piquer leur mots, y aller des miens.

En serai-je capable ?

Premier arrêt ,premier rond point.Quelle route suivre ?

« MEMOGRAHIE » : Ce terme n'existe pas pour mon « Petit Robert » !;Qu'écrire qui existerait pour moi ?

«   Mémo :note de quelque chose qu'on ne veut pas oublier 8  »

Oublier, ne pas oublier ? :

«Le manque d'oubli, qui se rappelle à nous dans les formations de l'inconscient.(...) Le manque d'oubli est la même chose que le manque à être, car être, ce n'est rien d'autre que d'oublier. » 9

Oublier !

 

 

Oublier quoi ?Qu'est ce qui de ma mémoire ne voudrait pas s'oublier ?

La monographie allait peut-être être l'occasion d'aller chercher, au plus profond, de se rapprocher de cette vérité qui n'arrive pas à se perdre.

L'oubli c'est aussi l'épreuve de la perte .

Accepter de perdre , c'est se soumettre à la castration.

Castration : opération de perte fondamentale qui produit des êtres manquant.

De ma propre castration, il en est quoi?Quelle garantie ?

L'oubli est aussi ce qui nous délivre de la reproduction à l'identique :

« L'oubli est nécessaire pour donner de l'épaisseur au temps, pour accéder au temps sensible.L'épreuve du deuil, de la perte, de la séparation d'avec soi est ce qui nous délivre de la reproduction à l'identique.Une mémoire qui se voudrait sans perte est une mémoire morte.Une mémoire vive exige l'oubli.La mémoire morte a tout enregistré sauf le vif aujourd'hui qui ne s'enregistre pas. »  10

Il faut être capable d'avoir oublié pour entendre. Sage recommandation que l'on retrouve dans la littérature.La connaissance pouvant faire bouchon à l’écoute de la vérité qui vient se dire .

« la capacité d'oublier et la possibilité d'éviter le désir de la compréhension  11 »

Mes maux? Maux :  «  Ce qui cause de la douleur de la peine et du malheur ; ce qui est mauvais nuisible pénible (…) souffrance ,malheur 12 ». L'objectif n'est pas de m'appesantir sur tous mes maux dans une logique de déversoir.  Peut-être cependant faudra t-il que j'en passe par la reconnaissance de certains de ceux -ci avant  d'en passer à un au delà d'un énoncé de plainte,  et ce, afin de pouvoir transformer la matière brute et en transmettre quelque chose, afin d'avoir une petite longueur d'avance au moment des instances cliniques, une tête un peu libérée à la rêverie ,pour un « appareil à penser les pensées » disponible.

A ce moment de l'écriture me revient ce concept de «  sein -toilettes  » développé par Donald Melzer et dont j'avais jusque là complètement oublié l'existence .  «  Sein -toilettes  » ,lieu de dépôt .Ce concept vient là s'imposer à moi à ce moment où  je me rappelle avoir été foncièrement encombrée dans les premiers temps de la formation par les plaintes des uns et des autres.Fatiguée des plaintes et des cris d'impuissance qui me paraissaient prendre toute la place, je n'avais pas envie de me laisser happer dans ce déversoir  avec le risque ressenti d'arriver à saturation .Je sentais cependant que je pouvais m'y laisser emporter.

«  Dans son ouvrage de 1967, il ( D.Melzer) a insisté sur la fonction de réceptacle du psychanalyste

qui soulage le patient, surtout en début de cure à une phase où il use préférentiellement du mécanisme d’identification projective massive. Il a nommé cette fonction première de

l’analyste “sein-toilette”, en référence à la fonction maternelle de recevoir les tensions internes

physiques et psychiques du bébé et de l’en débarrasser.  13 »

La saturation est ce qui empêche la pensée.

W.Bion a conceptualisé le processus de transformation des éléments émotionnels par ce qu'il a appelé la « fonction alpha »,processus  qui permet de digérer et de restituer au bébé les éléments de façon plus agréable .Cette fonction pour le bébé est assurée par la fonction maternelle.

C'est encore cette fonction alpha qui est en travail dans les métiers du soin et de l'éducation.

Claude Allione nous propose de lire la fonction du superviseur comme une fonction alpha de cette fonction alpha . 

Qu'est ce qui peut me garantir que je peux assurer cette « fonction Alpha au carré »?

M ono- M émo

« Mem » même , m'aime, ou M. ?

Dans ce néologisme, on entend quelque chose du même qui insiste.

Le même est ce qui insiste, ce qui revient à l'identique.Peut donner  une impression de piétinement .

Un concept arrive à point nommé , à un moment où je peux rester des heures devant mon ordinateur, écrire trois mots et avoir l'impression d'avoir fait un travail de Titan  : celui de «  Durchrarbeiten  » (qui travaille au travers)

Durcharbeiten  :  traduit en anglais par « working through » et en français par le néologisme « translaboration » traduit ce processus qui porte sur les résistances ,succède à une interprétation d'une résistance qui semble rester sans effet, permet de passer du refus ou  à l'acceptation purement intellectuelle à une conviction fondée sur l'expérience vécue des pulsions refoulées qui nourrissent la résistance 14 . « processus susceptible de faire cesser l'insistance répétitive propres aux formations inconscientes en les mettant en rapport avec l'ensemble de la personnalité du sujet  15 » ;Ce travail de perlaboration qui peut amener le sentiment de piétinement serait  la condition  du nouveau, d'un nouveau mode de dire 16 .

Qu'était-il en train de se passer au travers de cette perte du mot?Quelles résistances venait-elle signer ? Quel nouveau allait se dégager ?

 

Mem peut aussi prendre cette forme : m'aime.

Une histoire d'amour, amour de transfert mais aussi , amour du graphe 'aime mot graphie' :Aimer la manière dont les mots sont écrits malgré un passé à l'orthographe maladive ; y être attentif, en prendre soin. Jouer de cette écriture dans un cadre culturel.Prendre soin des mots.

Il y a là du nouveau pour moi, quelque chose a cédé.

le M ,enfin.Une même lettre première, la première lettre de mon prénom,

 «  M  » :c'est déjà ainsi que j'avais nommé le héro de ma note de recherche de master I.Monsieur M.

Monsieur M. était en phase de décompensation mélancolique quand il était arrivé dans le service de psychiatrie où j'étais en stage.J'avais dû batailler contre son épinglage d'Alzeimer .

Il y a du même dans ce M.

J'avais justement réfléchi à cette occasion sur les espaces proposés aux soignants pour, je disais alors pompeusement « permettre aux soignants,face à la psychose, de dépasser le constat de l'impuissance et de trouver un souffle créateur qui, dans une acceptation de l'impossible et du paradoxe, favorise la construction d'un récit professionnel propre à accueillir et accompagner la souffrance du patient ».

Monsieur M. Victime de l'effet d'enkystement qu'un diagnostique neuro avait produit sur son entourage et sur les soignants m'y avait aidé

Antonin Artaud, « Artaud le Mômo » ( encore un M) m'avait aussi accompagné alors avec  son questionnement insolent :       « Ceux qui vivent vivent des morts .

Et il faut aussi que la mort vive ;

Et il n'y a rien comme un asile d'aliénés pour couver doucement la mort et tenir

En couveuse des morts

Mais quelle garantie le aliénés évidents de ce monde ont-ils à être soignés par

d’authentiques vivants ?  17 »

Qu'est-ce qu'un authentique vivant, existe t-il des garanties ?

J'avais pour ce travail fait de belles rencontres, dans la littérature Oury, Tosquelles, pour ne citer que les deux plus vivant dans ma mémoire , dans la vie aussi Jacques le sculpteur de la chapelle de St Alban ...Je garde par contre  un souvenir amère de la soutenance.

Je m'étais  alors réfugiée dans l'apprentissage du violon.Décidée à reprendre le chemin de la formation quand je saurai manier l'instrument suffisamment.

M : première lettre du signifiant Mère aussi.

M Mère, M Murielle, J'aurai l'occasion d'y revenir.

Je reviens à ce que j'ai cru comprendre de la consigne.

Le sujet surgit du choc de la parole avec l'Autre . Il est symbolique et inconscient  .

Écrivez une anecdote. ,tirez en une énigme.C'était la consigne.Alors j'ai commencé.Je suis revenue au récit que j'avais préalablement couché sur papier.Une histoire d'étiquette, de place, de valise, de pied, de sac , d'église de lumière :

 

J 'ai vécu la première semaine de formation  sur un petit nuage. J’avais l’impression d'être au bon endroit, que tous les chemins empruntés jusque là me menaient ici.La semaine s'était  écoulée sans que mon enthousiasme ne faiblisse.Je m'étais propulsée dans la posture de superviseur d'emblée dérogeant à mon habitude de rester dans l'ombre .J'avais cependant refusé de changer de chaise , ayant besoin pensais-je alors  de garder mes premiers repères.Je ne m'étais pas trop arrêtée  aux réflexions de certains qui semblaient détenir un savoir ou des bagages plus importants que les miens. .J'étais bercée d'illusions et ressentais une véritable ivresse .

Le dernier jour de cette première semaine, à l'heure de partir , je me suis arrêtée comme je sais le faire parfois  devant l'image des valises des uns et des autres.Pour ma part je rentrais de Compostelle. J'avais un tout petit sac à dos je restais donc perplexe et me  me demandais ce que les autres participants pouvaient bien transporter  dans tous leurs grands bagages .Perdue dans mes pensées  mon regard s’était alors  porté sur la grande table autour de laquelle nous avions travaillé toute la semaine . je m'étais alors  rendue compte  que toutes les étiquettes portant nos noms avaient  été retirées , toutes, sauf celle portant mon nom.Murielle PRIVE oui, c'était bien mon  nom seul, qui restait sur cette table.

Cela m'avait interpellée me faisant ressentir une drôle de sensation.Cette sensation était elle en lien avec la position d’extériorité que j'avais tentée d'explorer durant l'instance clinique ? .Mon sac à nouveau sur le dos, je  quittais la scène de la formation dans un sentiment de tranquille liberté..Mon bagage était léger et je suis repartie rejoindre mon covoiturage avec le sourire sur les lèvres.Peut-être le sourire des anges ( sur leur petit nuage )dont parlent Lacan, de ce sourire qui ne connaît pas le réel. Je quittais les lieux avec l'impression de quitter une scène pour une autre. Dans ce ressenti de bien être je me suis arrêtée dans une église devant laquelle j'étais passée tous les matins.c'était  une habitude prise durant mon chemin vers Compostelle.La gardienne de la maison croisa et me rendit mon sourire ; je sentis une lumière m'envahir .J'avais fait le bon choix malgré le coût qu'il représentait.

Je m’imaginais à l'issue de la formation lâcher mon activité professionnelle d'assistante sociale  scolaire pour me lancer dans une nouvelle aventure. De nouveaux possibles s'ouvraient à moi.

Restée sur cette sensation, je n'ai pas regardé la littérature  préférant utiliser mon temps de libre pour  un nouveau répertoire de violon .j'avais en effet  parallèlement intégré un tradband qui allait me demander beaucoup de travail.J'ai fui le travail de lecture ,je n'avais plus envie.Et j'ai dansé.

La deuxième semaine me fut plus difficile me prouvant ainsi que la vie n'était pas un long fleuve tranquille et que l'on n'y prenait pas toujours son pied .

Nous étions très serrés autour de la table, comme s'il n'y avait pas assez de place pour tous.Je me sentais toute petite derrière ma voisine à la présence imposante et lorsque nous nous étions levées, moi pieds nus, elle me marcha dessus.J'ai eu mal j'ai eu peur des larmes sont venues au bord de mes yeux .Mes pieds représentent pour moi une partie importante de mon corps  : j'aime marcher sac au dos et danser.Ce n'était pas des larmes de douleurs qui venaient, elles venaient dire quelque chose d'une blessure narcissique qui revenait du passé et puis j'ai entendu : « Fais attention à tes pieds maintenant »me renvoyant la responsabilité de l’incident. Oui, la vie m'est pas un fleuve tranquille et on peut s'y faire marcher sur les pieds .

Fuir?Aller danser ?

J'ai vécu cette semaine difficilement me laissant traverser par un vent d'agressivité.La précarité de mon hébergement  à l'auberge de jeunesse ne me permettait pas de me reposer sereinement en fin de journée..Le soir j'allais jouer du violon  dans un parc .Je devais travailler mon répertoire.J'y ai rencontré des gens sympathiques. Mais j'étais fatiguée.Et puis j'ai eu confirmation  que mon analyste désormais en retraite interviendrait en semaine 3 et cette information me parasitait.

Au milieu de toutes ces sensations ,de grands moments de bonheur de pensée cliniques sont venus attiser par des parenthèses d'oxygène  la flamme qui commençait à s’éteindre doucement.

A mon retour de formation, j'en  étais  arrivée à ce point de ne plus supporter la situation de groupe.j'avais envie de solitude .Je n'avais plus envie de faire d'efforts dans des relations de groupes ce qui ne me ressemble pas car je suis en règle général plutôt d'humeur conciliante , arrangeante ,amenée souvent à m'effacer dans un groupe faisant passer l’intérêt collectif avant le mien propre .Je commençais à m'affirmer dans les groupes, à vouloir exister tout en me sentant malmenée par les réactions que cela entraînaient chez les autres.

Je me suis alors interrogée sur la suite que j'allais donner à la formation. La «  petite  » que je me sentais être dans cette assistance avait elle sa place dans ce groupe de futurs super -viseurs ?

Est-ce que j'étais prête au nouveau que la formation semblait augurer dans ma façon même d'être?

Je n'étais plus aussi persuadée que cela de vouloir continuer.Ne devais pas retourner plutôt danser ?

Saturée , saturée de paroles interprétatives lâchées par les uns et les autres je me suis mise à rechercher des échappatoires , dans la musique la danse, là où on ne parle pas.Je remettais en cause mon choix,ne devais-je pas m'investir d'avantage dans la musique et oublier mon projet qui pourtant était l'aboutissement d'un déjà long parcours.

La troisième semaine, je me suis organisée de telle sorte à loger dans des conditions plus confortables. Il y a eu la rencontre avec mon analyste que je n'avais pas revu depuis son départ en retraite.Une drôle d'impression que de rencontrer mon analyste .Depuis son départ je m'étais mise à écrire ce que j'avais vécu  où je n'avais pas compris grand chose, ces moments clés oubliés .

A cette fin du récit je m'interroge sur cette question récurrente :

Co mm ent continuer à m e fier à m oi m ê m e et à avoir confiance en m on propre che m in ?

Et la lettre M continue de s'infiltrer.

 

J'ai lu et relu cet énoncé.J'y notais la répétition , répétition à me voir petite , petite fourni avec petit bagage.J'y notais les notions de place : place d'extériorité du superviseur, place autour de la table, place derrière à me faire marcher sur le pied, place de mon pied qui n'est semble t-il pas au bon endroit ; il y avait la notion de  passage d'une place à l'autre, d'une scène à l'autre, la notion de perte en terme de peur et de choix: peur de la perte de l'usage d'un pied ,choix entre la supervision et la musique et la danse et peur de ne pas pouvoir tout faire, choix entre le jeu du corps et celui du mot.J'y notais aussi un mouvement.Un passage d'une position à une autre.

Quelle énigme sortir de là ?

Déplions :

-L'étiquette : c'est ce qui épingle quelqu'un , on dit, «  donner une étiquette ».

-D'où le superviseur tient il sa légitimité  ?

- Est-ce une histoire de bagage  ?

-Au contraire, le bagage est il une croix à porter ?Un poids dont il faudrait se délester ?

-De quel bagage doit donc être affublé le superviseur pour être légitimé ?

-De quel bagage parle -t-on ? Du bagage théorique  qui peut faire tiers, coupure  s'il est pris comme fiction 18 mais qui peut aussi mettre un bouchon,  faire frein à l'écoute et contribuer à un leurre imaginaire de maîtrise.

Maud Mannoni mettait en garde contre cette fascination pour la théorie dont le discours sans faille ouvrirait sur un « leurre de maîtrise »

Par ailleurs nous rappelle Joseph.Rouzel le savoir n'est pas tout, Il a des trous :

« Les savoirs théoriques sont inaptes à rendre compte du réel et butent sur l'impossible à dire.I existera toujours dans les activités humaine de l'impensée et de l'impensable, de l'irreprésenté et de l'irreprésentable.Il faudra s’accommoder de ce trou dans le savoir  19 »

- tout le monde peut-il s’accommoder de ce trou dans le savoir ou bien cela requiert il une  capacité particulière ?

-Être étiqueté superviseur peut avoir des conséquences ,conduire à des demandes de conseil , de remise en norme, par exemple.Comment  m'assurer que je saurai faire le pas de côté  nécessaire?

- L'étiquette restant sur la table  vient me parler de la position d'exception du superviseur, ce « au moins un », telle que Joseph Rouzel 20 l'a définit à partir du plus-un de Lacan et de la place d'exception de Jean-Pierre Lebrun. Je ne servais en fin de compte dans cette instance clinique dans ma posture de superviseur qu'à favoriser la division,à produire de la différence entre locuteurs .

Une place vide alors que j'y avais mis vraiment du mien : écouter, m'assurer de la parole de chacun, jusqu'au signifiant «  plombé » expulsé sans trop que je le maîtrise qui si j'en crois une des participantes a contribué à apaiser et à rouvrir l'espace.

Drôle de sensation cependant à l'issue de cette instance : cette étiquette sur la table esseulée  me renvoie à un sentiment d'exclusion .

Selon la théorie des ensembles, un groupe se constitue sur la base d'une exclusion.

 Je crois que je commence à comprendre  un petit quelque chose à cette histoire de chameaux .J'ai compté, recompté tellement j'étais surprise.Je n'ai rien compris mais j'ai compris que ça marchait comme ça : parfois il faut rajouter un pour pouvoir diviser et une fois la division effectuée le plus un reste en rade.Il peut aller boire un coup mais tout seul.

La place d'exception nous dit P.Lebrun ne nous met à l'abri ni de la solitude , ni ne protège de la critique 21 ..

-Comment m'assurer de cette capacité d'assumer solitude et critique ?

- Ma « capacité à être seule » acquise pendant la cure et sur le chemin est mise à mal par la situation de groupe.

 La « base de la capacité d’être seul » réside en  une relation avec soi-même grâce à la présence de l’objet primaire. « Winnicott décrit un processus de capacité d’être seul à trois temps : d’abord est le « je », cette unité formée à partir du moi-noyau, noyau du moi. Puis « je suis », « sans défense, vulnérable, paranoïde ». Et ce grâce à un « environnement facilitateur ». « Je suis seul » est l’état atteint à partir de la conscience précocement acquise d’une mère sur laquelle le bébé peut compter.  « Je suis seul » reflète donc l’existence ininterrompue d’une mère « fiable » : le sujet peut se fier à elle sans avoir à en prendre conscience. 22  »

 « La maturité et la capacité d’être seul impliquent que l’individu a eu la chance, grâce à des soins maternels suffisamment bons, d’édifier sa confiance en un environnement favorable » (Winnicott, 1958).

l’état de solitude implique, pour advenir en « capacité d’être seul », le préalable paradoxal d’une présence pouvant être « trouvée-créée » (WInnicott1951). la capacité mature d’être seul est consubstantielle à la capacité de se détendre ou à la capacité du sujet d’exister sans être en réaction permanente contre les immictions extérieures, contre « ces fantômes dans le présent des empiétements du passé 23  ».

À propos de l’objet interne, Winnicott signale que lorsque « vient le temps où l’individu intériorise cette mère, support du moi, il devient capable d’être seul sans recourir à tout moment à la mère ou au symbole maternel » (1952). Cette capacité d’une solitude comme ressourcement apparaît donc avec l’intériorisation de la présence de l’objet absent.

- Je ne prends pas le fauteuil de Joseph Rouzel ,place du « superviseur » qu'il incarne.Je « reste à ma place »;Chacun sa place.La place n'est pas une question de chaise.Et on ne peut pas être à plusieurs places en même temps.-La question des places est une question de discours.Le chacun sa place suppose l'accès à la castration.La place est aussi cependant une place du corps, la place dans l'espace est importante , une place centrale où l'on puisse sans avoir à se lever écouter et regarder les participants.Une place en dehors.

- Je ne prends pas la place de Joseph Rouzel ,il reste ,fauteuil ou pas ,le « sujet supposé savoir plus que moi ».Ici , en formation le dispositif est bâtard, on a le cul entre deux chaises : On est en formation , on s'essaye à l'instance clinique sous le contrôle ( au sens qu'il reste le garant de l'instance clinique) de Joseph Rouzel qui devient participant de l'instance clinique .

J'ai le cul entre deux chaises :J'y vais ou j'y vais pas?Ce n'est pas le désir qui manque mais la trouille.J'ai besoin de me sentir assurer sur une assise familière.

-Même si je ne change pas de place je change de posture : Comment énoncer la différence entre la place et la posture , peut-on être à la place sans en avoir la posture et vis et versa  ?

La place de superviseur peut être occupée par quelqu'un qui se prend pour un superviseur : comme l'expert dispenseur de recettes, ou celui qui va jouir de la situation imaginaire de sujet supposé savoir 24 .

J'ai vécu ces deux types de supervision en tant que professionnelle.

Le premier m'avait conseillé de changer de métier : mouvement d'éjection du fait que je n'approuvais pas d'emblée sa doxa .Je voulais y mettre mon grain de sel.

Le second qui ignorait que je faisais un master de psychologie en parallèle et que je faisais une analyse m'avait lâché d'un air supérieur « mais enfin vous avez lu Freud ? ».

Le premier avait contribué à m'insécuriser :ça rate toujours dans nos « métiers  impossibles 25  » comme l'a  justement noté Freud dans son préambule à la première édition de 1925  de mon livre quasi de chevet depuis que j'en ai fait la découverte il y a 17 ans.j'ai pu expérimenter  durant quelques 25 ans de travail social  ce ratage et des fois j'ai besoin de continuer à y croire, à me sentir sécurisée dans l'insécurité permanente du ratage perpétuel , accru par le flot de lois qui n'arrêtent pas de venir réguler les relations sociales et dans les interstices desquels il devient difficile de favoriser les rencontres et de ne pas tomber dans le travers d'une « éthique parapluie 26  » .

Le second avait contribué à m'infantiliser par un discours où le savoir  s'impose à l'autre de façon impérative . Je n'attendais pas d'être enseignée dans cette instance sur ce qu'avait dit ou voulu dire Freud ,j'allais à cette instance afin de retrouver tout bêtement le courage de retourner m'y coltiner au boulot .

Les deux avaient en commun de se prendre pour le superviseur  .

Les places sont liés aux discours nous dit Lacan.J'ai essayé d'y regarder de plus près.

J'ai prêté au premier  le discours du capitaliste Jeannine Duval- Héraudet me fait alors entrevoir qu'il serait là plutôt question d'un autre discours, le 6ème , celui des théories cognitivistes et comportementalistes

C'est le discours qui m'a le plus empêché.Discours qui fait disparaître  la contradiction et règle le problème par l'exclusion.J'ai souvenir de conséquences chez certains collègues qui se sentaient tout puissant et finissaient par signaler à la justice toutes les situations où «  ça ne marchait pas » .J'ai souvenir de malaise à chaque séance que je fuyais dans le dessin 27

Ce discours me renvoyait à une forme d'impuissance à fuir.

Je prête au second le discours universitaire : Le savoir comme jouissance

Moins pire mais je n'en avais pas envie, ce n'est pas cela que je recherchais. Il ne m'empêchait pas de me sentir dans une situation d'impuissance .

 « Le fait que le tout savoir soit passé à la place du maître , voilà ce qui, loin de l'éclairer, opacifie un peu ce qui est en question ,à savoir la vérité » nous dit Lacan « D'où cela sort qu'il y ait un signifiant de Maître.Car cela est bien le S2 du Maître, montrant l'os de ce qu'il en est de la nouvelle tyrannie du savoir.C'est ce qui rend impossible qu'à cette place apparaisse au cours du mouvement historique , comme nous avions peut-être l'espoir, ce qu'il en est de la vérité. 28  »

Dans chacune des deux situations je me suis sentie  insécurisée au point d'en perdre confiance dans mes capacités à poursuivre mon travail n'ayant pas trouvé dans ces espaces les conditions pour m'en faire une espace transitionnel.

D.Winnicott 29 a conceptualisé la notion d'espace transitionnel:un espace potentiel déjà là qui peut devenir une aire de jeu et de séparation . Cet espace est un espace paradoxal situé entre le dedans de la réalité interne et le dehors de la réalité extérieur et peut devenir transitionnel à la condition d'y trouver confiance et fiabilité .

Comment me prémunir d'un tel dérapage dont j'avais expérimenté les écueils ?

 

-Ce non changement de chaise vient aussi me parler de mon ambivalence : J'y vais, j'y vais pas ?

J'en ai le désir mais il y a son corollaire la trouille. Comment dépasser cela ?

 

-La petite fille est convoquée dans la répétition.

 

Arrivée à ce point de l'écriture je fais un rêve.

Je vais chercher  une mère dans une salle d'attente. Elle est énervée ,je la suppose angoissée . Elle pose un bébé noir emmailloté ,jambes et bras ficelés sur une chaise en déséquilibre. On ne voit que sa tête .Je lui demande si elle n'a pas peur qu'il tombe.Elle me répond non, il est déjà tombé.

Ce bébé est noir .Il me fait penser au «  petit Jésus  » comme on disait chez moi, le « petit Jésus » de la crèche que ma mère ne manquait pas de constituer tous les ans à Noël.S'y côtoyaient  un singe, des anges, des ânes,et le baigneur qui fait office de petit Jésus est noir.Elle y rajoutait tous les ans les petites figurines trouvées ça et là en ornementation des bûches de Noël dans un éclectisme bigarré. J'aimais jouer avec ces figurines ,je racontais des histoires.

Mon père était exaspéré de mes histoires, je parlais seule,à voix haute inventant parfois une nouvelle langue.,était-ce un signe de folie ?

Le bébé de mon rêve encombre .Elle le pose là, il l'encombre visiblement, elle ne sait pas comment faire .Le bébé est noir, la mère est blanche .

Ce rêve me ramène  entre autre à la notion de holding .

Pour pouvoir porter il faut avoir été porté soi même. C’est ce que nous suggère Claude Allione après sa lecture du holding de Winicicott 30 . »  « Porter suppose que l'on s'appuie que l'on ne soit pas soi-même perdu dans le vide  31 »

Ce qui importe le plus c'est que la mère soit assurée de son portage , plus que le portage lui-même nous précise-t-il.

Arrive ainsi ma question :

Comment puis-je me penser suffisamment assurée de mon propre portage pour m'engager sur la voie de la supervision ?Quels points d'appui pour reprendre l'expression de C.Allione toujours dans le même ouvrage.

 

Me revient alors en mémoire ce titre d'un livre d'André Green  « La folie privée  32 » . Ma propre folie s'agite là peut-être? .  Ce psychanalyste  a fondé sa théorie sur sa rencontre avec des patientes ayant  souffert d'une dépression  maternelle soudaine et est à l'origine de la conceptualisation du « complexe de la mère morte » 33 Un sujet adulte serait hanté par l'absence blanche de sa propre « mère morte » .

« (L'enfant) a l'impression d'être responsable pour la disparition de sa mère et peut concevoir un système d'explications et d'accusations autodestructrices...)il conçoit un surmoi féroce et implacable.Il ne peut pas s'expliquer pourquoi il a été ainsi abandonné, surtout d'une manière si ambivalente et difficile à cerner.Le monde semble avoir perdu toutes ses significations ; c'est un monde plein de trous » 34

Je me rappelle de ce rêve récurent : j'avais tué .Qui je ne le savais pas mais je me disais, un jour tu devras payer,on t'arrêtera.Ce n'est que dans l'après coup de mon analyse que j'ai compris je crois un petit peu de cela.Je m'étais rendue responsable de la mort psychique de ma mère.Cela  me hantait  et m'empêchait.

La  clinique des «  états limites » telle qu'enseignée  à l'Université à l'époque où j'ai commencé mes études de psychologie  quelques années auparavant m'avait arrêtée dans mes velléités, mal assurée dans mes capacités  à poursuivre dans ce champ d'étude.Le discours universitaire autour de la question me renvoyait alors à une impuissance.

Il était devenu évident pour moi, «je n'y arriverai jamais ».

Je n'y arriverai jamais ! Me revoici, face à ce discours d'impuissance .

Quel enfant n'a pas dans sa vie eu envie de tuer ses parents, de se retrouver orphelin ?Je ne fais pas exception.Je ne fais pas exception non plus à la pensée magique de l'enfant qui pense que ce qu'il pense va se réaliser.Rien de bien anormal alors .

Mais pourquoi s'embourber là dedans ?

La rencontre du fantasme sur le champ de la réalité peut avoir des conséquences délétères.

Je retrouve  de ma main cette phrase sur un coin de brouillon inaugural à ma tirade sur le «  fouille-mère » du début de mon exposé :«  à remuer la mère ça salit  » et je remarque que le « fouille- merde » s 'est transformé en «  fouille-mère  ».

C'était tentant, tout lâcher, passer à autre chose malgré le long chemin qui m'avait conduit ici.

comment allais-je négocier le tournant et ne pas lâcher sur mon désir?

Ne pas céder... «  Celui qui sait ne pas fuir sa propre angoisse sera aussi celui qui ne s'enfuit pas de son propre désir. 35  »²

Il me fallait reconnaître ma propre angoisse et ne pas la fuir .

Au bord de l'implosion , j'ai  fait  une pause dans l'écriture à cet endroit. Je reviendrai sur mon déroulé après cet intermède.

J'ai  repris mes pinceaux laissés en souffrance depuis un certain temps et j'ai peint en noir et blanc.Une fenêtre, un fantôme, il semble s'en échapper;une autre fenêtre un point d'interrogation .Un marcheur, sac à dos : il arbore un sourire serein d'apaisement.Je regarde le fruit de mon imagination et me laisse à mon activité préférée :je fais place au hasard en déchirant les peintures et je reconstruis par un nouvel assemblage J’arrive ainsi à un triptyque où on suit l'évolution d'un personnage dans un décor ou la fenêtre reste l'élément fil rouge.

Au premier tableau la silhouette passe de l'autre côté de la fenêtre à l'instar d'un « passe-muraille ».Il fait fuir le fantôme qui ne s'attendait pas à être délogé et marche vers la question.

Le passe muraille me fascinait étant enfant. Pouvoir traverser les murs ,ne pas être encombré de son corps , ne pas se cogner au mur .Il se joue  dans un imaginaire qui ne s'encombre pas du réel . A la fin de la nouvelle cependant, quand, amoureux, son enveloppe charnelle se rappelle à lui il finit emmuré nous montrant que le réel, on ne peut pas y échapper !

 A fouiller dans l'imaginaire sans être vu par l'autre  on finit emmuré .Seul un peintre vient lui jouer quelques notes de guitare.La musique ça console.Seul l'artiste le prend en compte autrement que dans son rôle de « passe-murielle ».

Décidément, les mots continuent de me jouer des tours;Les fantômes ça n'existe pas mais ça insiste .

Au second tableau, le personnage se promène. Il a le sourire ,ses yeux sont cachés par le point d'interrogation. La question lui prend une partie de la tête , le rend aveugle et vient prendre la place du fantôme.

En situation de transfert, l'amour rend aveugle.Si on «  se pense  » sur la question, il peut se passer quelque chose .

 

Dans le troisième le personnage  retrouve la vue , il se détache de la question et passe à côté du fantôme .Il poursuit son chemin . Le fantôme est toujours là mais il ne s'en inquiète plus.Il continue sa vie , sac à dos et sourire au lèvres.

La fenêtre m'appelle à ce Nouvel arrêt sur image.

Je pense à ce portrait que Salvador Dali 36 a fait de sa sœur Ana Maria : on la voit de dos,elle regarde au loin par la fenêtre, elle semble s'y échapper s'y évaporer .Ce portrait me fait toujours rêver.Je me demande où son esprit erre ainsi.

La fenêtre joue le rôle de second cadre, un cadre autre dans lequel nous sommes introduit par la jeune fille dont l'attitude décontractée  et la fluidité et transparence des vêtements nous invite à la quiétude et au voyage.Les frontières de ce cadre sont représentées par le voile des rideaux,nous pourrions séparer les deux scènes en fermant les rideaux.

La jeune fille rêve et nous invite  au rêve nous laissant libre d'y voir ce que nous avons à y voir tout en nous demandant ce qu'elle y voit.Elle fait office de passeur .C'est par son intermédiaire que nous regardons le paysage.

Pour Lacan nous dit P.Valas, la réalité c'est le fantasme qui est une fenêtre sur le Réel.Il n'y a pas d'accès à la réalité sans en passer par l'écran du fantasme.

La fenêtre c'est aussi là où dans l'ambiance mortifère de la maison je guettais l'arrivée de celui qui venant de l'extérieur allait me rendre  visite , me ramener le temps d'une parenthèse dans la vie, et me redonner suffisamment de souffle pour supporter.

La fenêtre sépare, c'est un espace « trans » qui permet de faire évacuer l'air vicié et de laisser pénétrer l'air et la lumière, Elle ouvre sur un ailleurs.Elle permet l'entre deux.

La fenêtre c'est aussi un espace blanc,un espace laissé libre.

Un espace ouvert vers un ailleurs ,  un espace d'évaporation,un espace de rêverie.

Un espace est un lieu , c'est aussi un blanc dactylographique qui sépare. C'est aussi une ouverture dans un mur pour y voir plus clair. Une brèche .

Winnicott nous dit qu'un espace particulier est nécessaire à la création.

Un espace « autre »,un espace « entre-deux » qui,trouvé déjà là, peut alors être « créé »comme espace transitionnel ,aire de jeu .

Cet espace se situe entre le dedans et le dehors .

« Là où se rencontrent confiance et fiabilité, il y a un espace potentiel, espace qui peut devenir une aire infinie de séparation, espace que le bébé, l'enfant, l'adolescent, l'adule peuvent remplir créativement en jouant, ce qui deviendra ultérieurement l'utilisation heureuse de l'héritage culturel. 37  »

-La supervision pour moi se trouve dans la continuité  d'une période d'analyse . Cela n'est pas sans rapport ni incidence.

Winnicott a établi une équivalence entre fonction analytique et soins maternels : face à un échec du développement émotionnel primitif, l’analyste offre la possibilité de réparer les déficiences ; il procure, dans ces cas, des conditions externes favorables équivalant aux soins maternels primaires.

J.-M. Quinidoz (1986) développe que, dans l’analyse, les séparations provoquent la crainte que la perte du « bon » objet extérieur n’entraîne la perte du « bon » objet interne. Klein pense que la menace de cette perte réveille les angoisses caractéristiques de la position dépressive infantile avec des affects de tristesse, de deuil pour l’objet externe/interne. Les retrouvailles analytiques confirment la non-réalisation des fantasmes selon lesquels l’objet est perdu à cause des fantasmes destructeurs : elles renforcent une confiance – dans le « bon » objet interne/externe – suffisante pour tolérer l’absence de l’objet sans angoisses excessives.

 

« Il n'est jamais trop tard pour vivre une enfance heureuse. »

Je ne sais pas d'où vient cette phrase.Elle m'accompagne.

J'ai retrouvé au fil des années l' appétence qui s'était perdue en chemin. Et puis celui qui était mon analyste  est parti en retraite à l'étranger.Depuis plus de 20 ans je « jouissais » ( au sens d'usufruit)de cet espace analytique.J'ai dû faire face à la perte de cet espace.J'ai commencé à écrire plein de textes, des trucs de midinette.A danser, à jouer de la musique de plus en plus..

Le retrouver en posture de formateur m' a parasité,j'étais dans l'attente et puis le jour J la gène  a été compensée par l'attention  de ce qu'il avait à nous transmettre… j'entends une des stagiaires au repas dire à une autre «  je le sens tellement fragile, j'ai envie de le materner ».Il en aura eu de la patience,il peut être fatigué et moi je continue mon chemin non sans avoir pu le remercier.Je passe à autre chose, ou plutôt je continue autrement, tout en gardant quelque chose de précieux : Sa liberté du verbe et la légèreté de son humour.

J'apprivoise encore ma solitude :

« tout processus intégratif entraîne une « dé-idéalisation » tant de l’objet que d’une partie de soi. Ce qui ramène la solitude à laquelle on ne peut in fine échapper. »

« Dans la théorie du conflit esthétique, . Meltzer propose  que la dépression est toujours liée à un sentiment de se trouver devant une tâche insurmontable, une tâche pour laquelle on se sent désarmé ou mal armé. Telle serait l’état premier du nouveau-né : résoudre l’énigme par ses propres moyens lui est impossible. Il aurait alors tendance à réduire la difficulté de la tâche en recourant à des mécanismes schizo-paranoïdes, clivage, projection, idéalisation, avant de pouvoir dans une phase ultérieure réintégrer les parties clivées de son Self et de son objet en un tout cohérent.  38 ». DH

Conclusion

C'est raté .Je me suis encore perdue.

 

Je suis cependant soulagée et  j'éprouve de la joie d'être arrivée au bout, à un bout.

J'ai aperçu quelques lueurs, à moi de faire en sorte d'en entretenir la lumière.

Après avoir repris la littérature , exhumés mes souvenirs,essayé d'apprivoiser des notions encore bien obscures (machouillées pourtant depuis des années),après avoir mesuré le travail effectué et à effectuer,il m'a fallu prendre la décision de conclure, accepter de ne pas tout comprendre, de ne pas pouvoir tout dire et de mettre le mot fin sur un travail  nouveau inachevé.

Le rendu me paraît bien maigre.J'avais d’autres ambitions, je m'en contenterai.A cette étape du travail ce qui m'importe c 'est bien de terminer en acceptant les imperfections de ce qui n'est peut être qu'un premier  pas.

Je me suis réconciliée avec  les codes , les codes typographiques aussi avec lesquels je me suis permise quelques libertés.

L'hypothèse manque cependant à l'appel. Ce n'est peut être pas un hasard.Qu'ai - je  bien voulu démontrer avec ton mon blabla ?

La traversée a été  solitaire ,un regard extérieur m'aurait certainement permis de prendre de la hauteur . N'ayant pas évalué correctement la masse de travail pour ces quelques pages j'ai été prise par le temps qu'aurait nécessité une « supervisison ».

Dans une ultime tentative de revenir dans les clous, l'hypothèse pourrait se décliner ainsi:

Il faut en avoir fait un long chemin pour accepter de n'être rien.

Ici n'est qu'une des étapes

 

« Le savoir de l'expérience se formule sous la forme de nouvelles questions et produit rarement des certitudes comme le fait l'expérimentation.Il est possible, dès lors,que le champ de l'action soit envahi par le désespoirs et la répétition 39 . »

 

J'ai eu des moments difficiles , je n'ai pas reculé.J'ai perdu mes clés, les ai retrouvé.J'y ai tout de même trouvé du plaisir.

 

Je me suis perdue :  « Perdue dans la bonne direction »pour citer P.Valas qui fait référence à la première visite qui conduit chez un analyste.

Les chemins de traverse m'ont conduite à retourner dans la théorie, fictions qui m'ont aidé à ne pas trop m'enliser dans cette réelle mise au travail et auxquelles  j'ai trouvé appui pour renoncer à la jouissance d'une illusion de maîtrise  et retrouver le plaisir de penser.

Je pourrais être encore en train de lire,de consulter tous ces livres , j'en aurais ouvert d'autres encore s'il n'y avait pas eu le mot FIN  à poser avant la date butoir imposée.

J'ai retrouvé cette envie de fourgonner, peut-être encore illusionnée de pouvoir trouver ...trouver quoi?Je ne sais plus !

On fait du chemin en marchant.

Marcheur, ce sont tes empreintes le chemin, et rien de plus;marcheur,il n'y a pas de chemin : on fait le chemin en marchant;En marchant se fait le chemin et en tournant la vue en arrière se perçoit le sentier que jamais tu ne fouleras plus.Marcheur, il n'y a pas de chemin,mais des stèles sur la mer 40  »

 

A l'origine de cette monographie, encrage de mots, du blablabla, jouissance des mots, mots en recherche  de sens.En tentative de capitonnage,il y a eu un manque.Le manque d'un mot.

Du manque de mot est apparu un signifiant nouveau échappant au code.Une nouvelle liberté conquise.

A l'issue de cette même monographie en guise d'ancrage il reste une lettre.La lettre M.

M comme Mère...

M comme Mur... Mur du réel contre lequel on se cogne auquel le signifiant vient s'accrocher .a-mur

M comme Muri- Elle

Elle @muri.

A l'issue de cet écrit  je me sens « murie » .

Rien ne me permet de m'estampiller «  au holding suffisamment bon » cependant, entre le plaisir de penser, de rêver, de lire, de peindre, de faire de la musique et le désir de retrouver un nouvel espace analytique pour le holding de ma propre pratique de holding du holding...

Je peux du moins  le dire ainsi :

Au lieu de me demander pourquoi un jour j'ai décidé de mettre deux « L » à mon prénom, je vais commencer à les déployer :

 

J'irai, avec le sourire.

Du noir et blanc à la couleur

De l'ombre à la lumière

Comme un ange déchu

Mortel parmi les mortels.

 

FIN de cet épisode

 

 

 

 

 

 

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PRIVE Murielle

 

Monographie

 pour la certification de superviseur d'équipes de travailleurs sociaux

 

Année 2017-2018

XXVII ème promotion

 

Institut européen de psychanalyse et travail social Montpellier

 

 

 

Résumé :

Résumé d'une traversée ,d'un passage .

Par un laisser aller du verbe et de la parole, un manque vient s' infiltrer pour faire place à une lettre.Cette lettre vient acter une perte.

Il ne s'agit là que d'une première étape vers toujours un peu plus d'humilité.

Pour effectuer ce passage il faut trouver,créer un espace transitionnel où la confiance dans la parole peut opérer.

 

Mots clés

Perte, manque, bagage, chemin, traversée,capacité, solitude

 

1   Marguerite DURAS ; « Ecrire » ;Folio Gallimard ;1993

2   Marguerite DURAS ; « Ecrire » ;Folio Gallimard ;1993

3   Sartre Jean Paul Les mains sales Folio 1972

4   Lacan Séminaire audio RSI disponible sur le site de P.Valas

5   Oscar Wilde L'éventail de lady Windermere    

6   Lacan L'envers de la psychanalyse page 73

7   Lacan Télévision page 26-27

8        Le petit Robert Dictionnaire de la langue française édition 2002

9   Lacan  L'envers de la psychanalyse page 58

10   J.B.Pontalis Fenêtres Gallimard  p 108.Fenêtres

11   W.R.Bion ; 1970 L'attention et l'interprétation Payot;1974;p.98

12   Le petit Robert dictionnaire de la langue française,

13   Didier Houzel  in « La question de la Dépression primaire »  le carnet PSY 2008/6 ( n°128) p.49-52

14   J.Laplanche-J-B.Pontalis Vocabulaire de psychanalyse PUF

15   J.Laplanche-J-B.Pontalis Vocabulaire de psychanalyse PUF

16   Jacques-Alain Miller ...du nouveau introduction au séminaire V de Lacan.

17   ARTAUD Antonin, Antonin Artaud 12 jannvier 1948 Aliénation et magie noire ,in Artaud le Mômo

18   Maud Mannoni La théorie comme fiction édition du seuil 1978

19   J.Rouzel fonction et champ de la parole et du langage en travail social texte psychasoc 2004

20   J.Rouzel In La supervision d'équipes en travail social Dunod

21   J.P Lebrun Clinique de l'institution, Editions érès, 2008

22   Agostini, Dominique. « Les concepts de « capacité d'être seul » (D. W. Winnicott) et de « se sentir seul »      (M.Klein) », Adolescence, vol. no 51, no. 1, 2005, pp. 67-78.

23   Agostini, Dominique. « Les concepts de « capacité d'être seul » (D. W. Winnicott) et de « se sentir seul » (M.   Klein) », Adolescence , vol. no 51, no. 1, 2005, pp. 67-78.

24   J.Rouzel in La supervision d'équipe en travail social.

25   Auguste Aichhorn Jeunes en souffrance Collection Psychanalyse 

26   Expression de Saül Karsz que j'utilise fréquemment

27   Cf annexe

28   Jacques Lacan Le séminaire livre XVII Lenvers de la psychanalyse 1960-1970 Seuil 1991 p.34

29   DW Winnicott ; 1971 ; Jeu et réalité ; folioessais ; 1975 ; p 190_191

30   Claude Allione La part du rêve dans les institutions Encre marine 2005

31   Claude Allione La part du rêve dans les institutions Encre marine 2005 p 101

32   André Green  La folie privée  Psychanalyse des cas-limites folio essai Gallimard 1990

33   André Green Narcissisme de vie, narcissisme de mort Paris les éditions de minuit

34   Autour de la mère morte Andreew Asibong ( London) internet

35   Jacques Lacan séminaire 7 L'éthique de la psychanalyse 1959/1960.

36   Dali Jeune fille debout à la fenêtre Huile sur carton 1925

37 WINNICOTT D.W ; 1971 ; Jeu et réalité ; folio essais ; 1975 ; p 190-191

38 HOUZEL Didier « La question de la dépression primaire »,Le carnet PSY 2008/6(n°128) p.49-52. DOI 10,391/lcp.128.0049.

39   Ignacio Garate-Martinez L'institution autrement Pour une clinique du travail social ERES 2003 p.69

40   Antonio Machado traduction d'Ignacio Garate Martinez

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Commentaires

fumée fumette

J'aime lire les textes parus ici. Pourtant, lorsqu'il est question des monographies machin chose, je ne peux m'empêcher de penser que certains auteurs ont abuser de substances illicites lors de leur écrit.. Faut-il à ce point tendre vers un verbiage poncif , pompeux souvent et à la limite du donner-à-lire pour témoigner de sa belle plume? C'est contre-productif à mes oreilles et yeux qui lisent. Ca gâche le fond car la forme délirante du verbiage , pseudo poétique souvent, quasi mystique pour certains,.. est désagréable car aux confins, selon moi, d'un récit qui cherche le "détail" qui tue pour signifier et rendre compte d'une expérience mystique pour ainsi, le dire.
Pour le dire autrement, l'exercice de la plume, belle à souhait, en souhait, en dit plus sur le décalage que sur l'expérience vécue. Bizarre quand même, ne peut-on faire simple? en écrivant.