samedi 28 avril 2007
Les médiations revêtent un caractère important dans mon travail d’éducatrice. Ce sont des outils qui favorisent la rencontre, l’échange lorsque la relation duelle est parasitée par des troubles de la relation. (absence de langage, inhibition…)
Je travaille dans un Institut Médico-Educatif auprès d’enfants, d’adolescents, de jeunes adultes qui sont en situation de handicap. Cette situation de handicap est souvent liée à une déficience psychique (il s’agit essentiellement de psychoses infantiles précoces à évolution souvent déficitaire ou dysharmonique : troubles envahissants du développement), à une déficience mentale (qu’elle soit primaire ou secondaire à une déficience psychique, elle représente une gêne importante au niveau de la communication et des différents apprentissages, ou une déficience physique. Ces différentes déficiences viennent entraver la communication.
Etre éducateur c’est avoir avant tout une fonction de médiateur.
En tant qu’éducatrice je me situe souvent comme un médiateur (une personne qui se mettra au milieu) dans la relation éducative avec les résidents. Je suis un intermédiaire, un passeur entre deux états : un sujet actuel, et un sujet en devenir. M. LEMAY cite à cet effet, dans son ouvrage « de l’éducation spécialisée » que :
-« l’éducateur est toujours ce personnage qui tente d’établir un pont entre un être actuel et en devenir, et un environnement qui doit apporter sa contribution à un processus de mise en forme».
Pour qu’il y ait ce processus de mise en forme, ce passage d’un état à l’autre je me sers d’une part de la vie quotidienne, d’autre part de l’utilisation de diverses médiations. Ces médiations prennent formes principalement sous l’aspect d’ateliers à vocation créatrice.
1) le quotidien :
Le quotidien est un outil qui vient médiatiser la relation entre l’éducatrice que je suis et les résidents que j’accompagne dans leur devenir. Dans cet espace relationnel des histoires personnelles vont se rejouer.
Jean est un enfant qui a des troubles du comportement, et de la personnalité. Il a été placé en famille d’accueil dès sa naissance sur mesure judiciaire. Ses troubles du comportement semblent être des défenses contre des angoisses d’abandons qu’il a vécu dans sa prime enfance. Toutes nouvelles arrivées de résidents réactivent ses angoisses et de la jalousie (il a souvent été mis en concurrence avec son frère par ses parents).Il manifeste de grandes colères lorsqu’il ne sent pas au centre de la relation. Dernièrement j’accompagnai un nouveau résident dans un service de tables, Jean n’avait de cesse de parasiter ce travail en me demandant de m’occuper de lui, je lui ai demandé de nous laisser finir ce service. Cette mise à distance ne lui a pas plu, il est parti en colère en claquant la porte du couloir. Je me suis ensuite située comme un médiateur en allant voir Jean, et en tentant de mettre du sens sur ce que cette situation générait comme colère chez lui en lien avec ses peurs (peur de l’abandon, peur qu’un autre enfant prenne sa place…). Cette mise en sens lui a permis dans un premier temps de vérifier et de se rassurer qu’il avait bien sa place au sein de du groupe, qu’elle n’était pas remise en cause avec l’arrivée d’un nouveau résident, que je ne l’oubliais pas . Cette situation me fait écho avec l’histoire familiale de Jean. En effet sur un plan familial seul le frère aîné qui a vécu au domicile familial semble avoir une place dans la famille, Jean est souvent oublié (sa mère ne se rappelle que très rarement de son anniversaire, alors qu’elle se rappelle toujours de celui de son frère), il passe toujours après ce dernier dans les désirs familiaux. Après cette mise en sens de ce qu’il vivait en lien avec son histoire familial, Jean a pu prendre de la distance par rapport à cette situation. J’ai dans un deuxième temps fait le lien avec mes collègues sur cette situation, pour emmener des éléments de compréhension. Ma démarche d’accompagnement auprès de ce jeune est de l’aider à se structurer comme sujet dans son rapport au monde, aux autres et à lui-même.
Pour que cet accompagnement puisse exister, il m’aura fallu au préalable tisser des liens, favoriser l’échange. Avec des enfants qui ont des troubles de la relation à l’autre, je me sers la vie quotidienne et des différents temps d’accompagnement comme des médiations éducatives. C’est dans cet espace d’accompagnement que va se travailler le rapport au monde du sujet.
Les médiations éducatives sont une source de repères et de cadre humanisant qui vont permettre progressivement aux résidents d’intégrer les notions de temps, de lieu, de règles de lien à l’autre.
Je me sers aussi de certains moments de la vie quotidienne pour créer des aires de jeu. Que se soit des jeux partagés individuellement avec les résidents, ou sous forme de jeu favorisant la relation : jeux de mots… Il me semble nécessaire dans ma prise en charge éducative de me laisser aller à retrouver l’enfant qui est en moi, de le partager avec les résidents pour leur permettre aussi de se laisser aller au jeu, en abandonnant momentanément leurs défenses. Cette qualité d’échange qui va s’instaurer alors, va me permettre de rencontrer les jeunes dans cette aire intermédiaire au sens de Winnicott. Ce travail va me permettre dans un deuxième temps d’amorcer la communication, celle-ci sera vécue comme moins dangereuse, un espace de rencontre propice à l’expérience est ouvert entre le jeune est moi-même.
2) Les médiations à vocation créatrice :
Ce sont des ateliers qui fonctionnent avec des petits groupes de résidents. L’objectif est de favoriser l’expression personnelle, la rencontre et la communication. Dans cet espace la communication est recherchée, elle est écoutée.
L’utilisation de différents médiats tels la terre, la musique, les arts plastiques… seront un moteur à l’activité créatrice. Dans les différentes formes de l’utilisation des Arts en général, mon travail d’éducatrice va être d’accompagner, de guider les résidents, pour qu’ils retrouvent l’enfant qui sommeille en eux, qu’ils se retrouvent face au plaisir de jouer avec la matière, leur corps, la musique…Il est nécessaire dans la relation à soi-même d’accepter l’enfant que l’on a été. Ce postulat permet de reprendre confiance en ses capacités créatrices.
La création est une possibilité de revaloriser la personne en situation de handicap, car elle ne se place pas sur le terrain du manque, mais sur celui de l’être même, dans son expressivité globale non réduite à l’expression déficiente.
Un travail « d’avant scène » est nécessaire pour lever les différentes angoisses des participants. Il sera souvent axé autour de :
- la création d’une histoire en se basant sur un conte initial que les jeunes s’approprieront à leur manière, développeront au gré de leurs envies ;
- de la mise en place d’un rituel : la mise des blouses par exemple pour le travail de médiation- terre ; la préparation du matériel ; d’un décor…de la mobilisation corporelle des jeunes en faisant des exercices permettant aux personnes de ressentir leur corps…
Cet avant scène est un « pré-texte » à la mise en scène du jeu relationnel.
Ces espaces de médiations sont des espaces contenants où les créations personnelles vont se mettre en œuvre. Je citerai à ce titre J. RICOEUR qui évoque à propos de la création :
- « si les œuvres sont des créations, c’est dans la mesure où elle ne sont pas de simples projections des conflits de l’artiste, mais l’esquisse de leur solution… L’homme crée, parce que face à lui, se trouve cet ouvert, lieu idéal de tous les possibles. »
Cette possibilité de ré-aménagement interne en quelque sorte. Il s’agit donc d’un espace d’expériences propices aux changements. Mais ce changement ne pourra s’opérer que s’il est couplé, mis en lien avec les autres prises en charges du résident lors des réunions de synthèses des jeunes.
L’expression corporelle :
J’ai mis en place un atelier d’expression corporelle avec la collaboration du groupe Signes, (troupe de théâtre composée de comédiens ordinaires et de comédiens extraordinaires). Ce travail a permis à des jeunes en grandes difficultés d’expression et de communication de se découvrir face au plaisir du jeu et de la rencontre avec les autres participants.
Les enfants présentant un handicap mental ont de grandes difficultés à prendre conscience de leur corps, l’habiter, l’utiliser pour communiquer avec autrui. Ils peuvent se situer soit dans une relation de proximité voire de fusion comme si ils ne pouvaient pas exister différencier de l’autre. Toute distanciation peut alors être vécue comme très angoissante. Pour d’autres une trop grande proximité peut être génératrice d’angoisse, d’où le besoin qu’éprouvent certaines personnes de se tenir en retrait de toutes relations possibles. J’ai pu constater dans ma pratique professionnelle que la connaissance intuitive que les résidents peuvent avoir de leur corps dans leur rapport avec l’espace, les personnes est souvent mal édifiée. Je me suis basée sur les postulats émis par Messieurs H. BOSSU et Claude CHALAGUIER cités dans leur ouvrage : « l’expression corporelle », à savoir :
- le corps existe, le corps vit, le corps rencontre et le corps créer
Cette activité permet de les aider dans ce travail de réédification de leur corps.
Les jeunes se sont expérimentés avec pour certains au départ beaucoup d’inquiétude, puis une certaine confiance s’est instaurée, ils se sont découverts face au plaisir de jouer seul, puis de composer avec autrui. Il m’a fallu aussi apprendre à composer, à quitter mon « habit du paraître » pour être dans l’être. L’être avec moi-même, l’être avec les autres. Me déconditionner en quelque sorte pour retrouver cette spontanéité du jeu. A ce moment là j’ai pu être à l’écoute de l’autre, me laisser aller à jouer. L’expression corporelle nous permet de revisiter notre rapport aux mondes, à nous-mêmes et aux autres. Il s’agit d’une aire propice aux expériences, à la création, aux changements.
Cette expérience a duré quatre ans. Les résidents ont pu explorer de nouveaux modes d’échange, de rencontre grâce aux différents supports proposés. Ils ont accepté de jouer ensemble sans que la communication ne soit vécue comme dangereuse. Ils en sont ressortis grandis comme moi-même qui les ai accompagnés dans ce parcours, ce voyage initiatique… Je les ai découverts, rencontrés hors du champ de leur handicap. Je les ai accompagné face à leurs angoisses, face à leurs craintes. Une histoire a pris forme à leur initiative : « le pays où l’on grandit tranquille ».
Ce travail a pu s’élaborer, prendre forme car l’espace et le cadre était rassurants et contenants. L’espace-temps mis en place a pris la valeur d’un contenant, il a constitué une sorte d’enveloppe symbolique pour les jeunes. C’est grâce à ce contenant qu’ils ont pu faire jouer leur créativité, s’expérimenter en laissant tomber quelques défenses, et se laisser aller à jouer, à exprimer des émotions. Cet espace dans laquelle l’action s’est déroulée est du même ordre que ce que Winnicott appelle : l’espace transitionnel. C’est le seul espace où le jeu est possible, ce jeu qui abouti à la maîtrise de soi.
La médiation-terre :
Il s’agit d’une activité d’expression qui a été mise en place par la psychologue de mon I.M.E et moi-même pour aider des jeunes en grandes difficultés de communication et d’expression. Le médiat terre permet de faire des expériences de création avec une matière inanimée ,malléable, transformable à souhait, pouvant être détruite dans sa forme tout en étant indestructible. L’utilisation de cette matière, permet au résident de « projeter son propre être » dans une forme crée par lui. La terre est une interlocutrice avec laquelle il faut négocier sans tenter de lui imposer un rapport de force : il faut être dans une mise en phase avec elle. Cette mise en harmonie est un travail sur soi-même, un réaménagement interne en quelque sorte.
Nous accompagnons les résidents dans leur travail de mise en forme, nous les aidons lorsque c’est possible à « pousser » leur mise en forme, leur permettant ainsi de faire de nouvelles expériences. Puis en fin de séance nous les invitons à s’exprimer sur leur production. Nous les accompagnons dans ce travail en les aidant à mettre du sens sur ce qu’ils ont vécus, exprimés.
La médiation terre est un support intermédiaire qui sert de moteur de communication tout comme l’expression corporelle .J’ai accompagné Stéphane dans ce travail autour de la terre. Ce jeune garçon était très inhibé, alternant entre des phases d’euphories et des phases dépressives. Il coupait sans cesse toute communication en disant « je ne sais pas ». Toute communication était alors impossible. Puis progressivement il s’est mis à parler de lui de ses envies d’avoir une copine… Au départ lorsqu’il évoquait des choses difficiles, il les évoquait en nommant son frère comme acteur des actions. Puis nous l’avons invité à parler de lui. Il s’expérimente de plus en plus en s’individualisant bien que cela soit toujours encore difficile de parler de lui. Cette instance de travail lui a offert un cadre rassurant et sécurisant où il a pu tenter de se risquer à la communication.
Parallèlement à mon travail, j’interviens en tant que stagiaire art thérapeute dans un atelier d’art plastique dans une clinique psychiatrique.
Cette formation est un moyen supplémentaire à ma fonction d’éducatrice, ce n’est pas une fonction en soi. Elle m’a permise d’apprendre, et de comprendre comment :
- aider les résidents dans leur travail de mise en forme,
- développer, ouvrir cette mise en forme pour susciter d’autres expériences.
J’aborde d’autres formes de pathologies (la mélancolie, les problèmes d’alcoolisation, les états dépressifs, les états limites…) Autant de personnes en difficultés d’expression et de communication qu’il faut accompagner, guider pour qu’elles puissent reprendre confiance progressivement en leur capacité créatrice. Les pathologies sont certes différentes mais l’accompagnement est le même dans cet accompagnement de mise en forme, de mise en lien. Je me situe comme une personne tierce pour les aider à prendre de la distance par rapport à leur vécu. Je les aide lorsque c’est possible à pousser leur mise en forme vers d’autres expériences possibles. La finalité de mon travail est de permettre d’ouvrir la créativité. Ainsi une patiente a pu exprimer au travers d’un collage des choses difficiles de sa relation à sa mère, elle était tellement prise dans cette relation que sont travail était bloqué, elle n’arrivait plus à avancer, je lui ai proposé de continuer son histoire en imaginant une variante à la suite de celle-ci. Dans la variante proposée, elle a esquissée une solution par rapport à ses difficultés relationnelles avec sa mère. Progressivement au cours des autres séances elle s’est beaucoup ouverte, racontée. Ce travail lui a donné une impulsion pour exprimer sa douleur, s’ouvrir vers d’autres ailleurs, d’autres expériences.
Dans d’autres expériences professionnelles j’ai expérimentée d’autres formes de médiations. Que ce soit dans une Régie de Quartiers en accompagnant des personnes en réinsertion professionnelle, ou dans le cadre d’un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale. Dans le premier cas le médiat utilisé était le travail. La remise en situation professionnelle par le biais de stage a permis à de nombreuses personnes de reprendre confiance en elle, en leur possibilité de travail. Cela n’a pu se faire qu’en étaiement d’un travail axé sur le suivi individuel, et de la mise en confiance de la personne .Dans l’autre cas le médiat utilisé était l’hébergement. Grâce à son envie d’avoir à nouveau un appartement après un détour en centre hospitalier, puis en C.H.R.S Dalila a pu se mobiliser, devenir à nouveau actrice de son histoire. Les démarches pour son futur appartement, ont été un des moyens mis en oeuvre pour l’accompagner dans ce travail de valorisation. Sous cet angle là, des angoisses ont pu être abordées, travaillées avec elle.
C’est tout ce « jeu » qui s’est construit autour de ces deux médiats dans l’accompagnement avec les personnes qui leur ont permis de se déplacer, de ce décentrer de leurs difficultés, pour petit à petit reprendre confiance en eux, en leurs possibilités créatrices.
L’Art d’utiliser la médiation est une stratégie du détour qui ne vise pas à s’attaquer au symptôme en tant que tel, mais plutôt qui vise à rendre la personne en difficultés acteur de sa propre résolution de ses difficultés. L’utilisation des médiations me semble être un outil de base indispensable à tout éducateur. Faire des formations complémentaires comme l’art thérapie, la musicothérapie ne sont pas des antinomies à la fonction éducative, mais ce sont des moyens supplémentaires, complémentaires qui viennent renforcer l’action éducative. Le rôle de l’éducateur est de pouvoir sans cesse, s’adapter, innover pour améliorer la prise en charge des résidents. Actuellement l’emploi des médiations s’ouvre sur divers champs que ce soit sur le plan sanitaire (utilisation de l’art thérapie, des arts plastiques en milieu cancéreux, en milieu psychiatrique, en maisons de retraites…) sur le plan social ( des expériences ont été menées sur le plan de la réinsertion professionnelle, sociale en collaboration avec des agences pour l’emploi ; en milieu carcéral l‘utilisation des arts plastiques se développent…). Le terme de médiation est aussi évoqué pour aider à résoudre des problèmes familiaux : on parle alors de médiation familiale…
Le 14 Mars 2007
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dimanche 02 décembre 2012