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La mort est du domaine de la foi

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Jacques Lacan

mercredi 22 juillet 2009

La mort est du domaine de la foi

Jacques Lacan

Ce texte est celui de la bande enregistrée de la conférence de Jacques Lacan donnée à la grande rotonde de l’université de Louvain, le 13 octobre 1972. Nous avons cependant noté des différences par rapport à la cassette vidéo que nous avons signalées. Nous utilisons dans ce fichier des notes numérotées (et non avec des astérisques). Paru dans Quarto (supplément belge à La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne ), 1981, n° 3, pp. 5-20.

(5)Puisqu’on a eu la bonté de me présenter, je vais entrer dans la difficile tâche de vous faire entendre ce soir, disons, quelque chose. Je serais reconnaissant aux personnes qui sont à la périphérie de me signaler, de la façon qui leur conviendra, si on m’entend bien ; comme je n’aime pas énormément cette sorte d’ustensile, je l’ai mis sous ma cravate. Mais, si par hasard, ça fait un obstacle, ayez la gentillesse de me le dire. On entend ? On n’entend pas ! (rires). Et comme ça, m’entend-on ? Ça va ? Alors la cravate donc était un obstacle. J’ai eu le plaisir tout à l’heure d’avoir en face de moi ce que j’avais demandé, ce que j’avais demandé à J. Schotte et à Vergote, à savoir quelques uns d’entre vous, qui m’ont posé des questions qui, comme je leur ai dit, m’intéressent, m’intéressent beaucoup, m’intéressent beaucoup en ceci que toute question ne se fonde jamais que sur une réponse. C’est certain. On ne se pose de questions que toujours là où on a déjà une 1 réponse, ce qui a l’air de limiter beaucoup la portée des questions ; néanmoins, c’était pour moi une occasion de mesurer ce qui pour chacun était une 2 réponse. Évidemment les réponses diffèrent pour chacun. C’est même ce qui fait obstacle à ce que si gentiment on appelle la communication ; enfin je vois que j’ai un auditoire. La communication, voilà des gens sympathiques, la communication, ça fait rire ; et bien c’est pour moi un très vif encouragement ; si vous en êtes déjà là, on va pouvoir avancer un peu, un peu ; vous ne m’en demandez pas plus.

J’ai pris comme ça quelques notes sur un petit papier, lorsque 3 j’ai terminé avec les 25 ou 30 personnes qui ont eu la gentillesse de répondre à l’invitation de mes hôtes. J’étais tellement content, puisque ça ne m’arrive jamais qu’on m’extraie 25 personnes avant, pour que j’ai une idée avec 4 qui je vais parler. J’étais tellement content que je suis resté avec eux jusqu’à 6h30 alors que j’étais là depuis 4h et bien entendu ça ne permet pas la préparation de ce que l’on appelle une conférence. Je n’ai jamais eu la moindre intention de vous faire une conférence, mais j’ai un enseignement ; j’ai fait ça pendant, oui pendant très longtemps, enfin, j’ai fait ça pendant 17 ans, et croyez bien que je le prépare ; mais pour en principe venir parler à des personnes qui forcément n’ont de tout ça que cette chose curieuse, enfin, n’est-ce pas, cette chose qui se propage par des voies impersonnelles, qui se propage par des voies imperceptibles, et certainement de moi inconnues, celles qui font que j’ai toujours dû plutôt croire ce qu’on appelle mon audience. Alors après les questions qu’on m’a posées jusqu’ici, je ne pouvais vraiment rien faire que de me dire que j’improviserais, comme on dit, ce qui ne veut rien dire, je n’improvise pas bien sûr, je n’improvise pas, quoique j’aie un nombre beaucoup plus considérable que je n’attendais autour de moi, de têtes ; je dis ça parce que je ne vois qu’elles, des têtes. C’est très captivant des têtes. C’est même si captivant que cela vous la tourne souvent. Et bien, vous m’en croirez si vous voulez, je vous laisse libre, à moi cela ne me la tourne pas ; ça ne me la tourne pas parce que je suis un analyste, et que de ce fait, je ne pense pas, pour chacun de vous, que tout passe par là, bien loin de là. Ça n’empêche pas, bien entendu, qu’à cause de certains termes dont je me sers dans de certains milieux qui sont comme par hasard des milieux dits analytiques, ça se dit que je fais une psychanalyse intellectualiste, (6)ce sous le prétexte que je suis parti, le jour où comme toujours, il se trouvait que je me suis trouvé comme ça hors du champ de ce qu’on appelle la société psychanalytique dite internationale. C’est pas parce que j’en étais sorti, il faut bien savoir ça ; moi je ne suis jamais sorti de l’endroit où j’avais des gens qui avaient avec moi une commune expérience ; mais enfin, il se trouve qu’à ce moment-là, c’était le moment de la fondation d’une de ces sociétés filiales qui font la force d’un certain groupement, il s’est trouvé quelqu’un qui avait pensé comme ça, pour des raisons de politique, que c’était pas plus mal quand même à ce moment là de faire qu’on réponde à une demande qui était évidemment celle de la formation analytique. Il s’est trouvé quelqu’un pour agir comme on agit partout enfin c’est-à-dire que si on n’est plus d’accord, on dit « je donne ma démission », alors cette personne que j’aime beaucoup, en fin de compte je l’aime beaucoup, je n’en suis pas fou, mais enfin je l’aime beaucoup, cette personne a donné sa démission de l’internationale ; on ne me l’a pas dit, on a fait ça la veille du jour où on devait se rencontrer avec moi pour fonder un nouveau groupe. Si on me l’avait dit, je lui aurais dit : « consultez les statuts quand même », qu’est-ce que ça a comme conséquence de donner sa démission, ça a toujours des conséquences, il faut savoir lesquelles. Alors il se trouvait qu’à la suite de ça, à un certain congrès de Londres, comme les gens s’étaient comportés loyalement, – je rends justice et hommage à la personne dont je vous parlais –, on n’a plus pu prendre la parole, ce qui est toujours ennuyeux quand il s’agit d’une question en débat. Ça a rendu difficile bien sûr la suite des rapports, surtout quand la même personne qui avait donné sa démission n’a plus eu qu’une hâte, c’était de rentrer au sein de l’Alma Mater internationale. Enfin, tout ça sont des détails.

La chose dont je voudrais ce soir que vous ayez un peu le sentiment, parce que je suppose quand même que, mises à part les personnes qui veulent bien m’accueillir ici, enfin c’est pas le cas de tout le monde, c’est ce que c’est la psychanalyse. Au point où j’en suis, et où vous n’en êtes pas, bien sûr, j’ai appelé ça un discours. Naturellement, il faut savoir ce que j’entends par là, un discours ; ce que j’entends par là c’est ceci : un discours, c’est cette sorte de lien social, c’est ce que nous appellerons d’un commun accord, si vous voulez bien, l’être parlant, ce qui est un pléonasme, n’est-ce pas ? C’est comme parce qu’il est parlant qu’il est être, puisqu’il n’y a d’être que dans le langage. Alors le parlant, – le parlant vous l’êtes tous, enfin du moins je le suppose –, le parlant que vous êtes tous se croît être dans bien des cas, en tout cas dans celui-ci ; il suffit de se croire pour être en quelque façon cet être parlant, généralement classé comme animal, est tout à fait, à juste titre, cet être parlant classé comme animal, il est tout à fait sensible qu’il a des liens sociaux ; en d’autres termes, ce n’est pas sa condition commune de vivre en solitaire. Non seulement ce n’est pas sa condition commune mais en fin de compte, il ne l’est jamais. Néanmoins, il passe son temps à rêver, il pourrait bien l’être, il en résulte de charmants romans comme Robinson Crusoë. Qu’est-ce qui pourrait bien lui arriver s’il était tout seul, ça on ne peut pas dire qu’il n’y aspire pas. Seulement voilà, s’il y a une chose qui est bien claire dans ces sortes de mythes qui rejaillissent toujours, c’est qu’il y a quelque chose en tout cas qui ne l’abandonne pas, c’est justement ça, qu’il soit parlant : quand il est tout seul, il continue à parler ; en d’autres termes, il continue, comme s’exprime notre cher ami Heidegger dont nous parlions tout à l’heure au dîner, il continue d’habiter le langage. Par là il faut tout de même bien que je sonde un peu les choses. Il faut partir de là. Mais quand il est sur une île déserte, il habite le langage et en quelque sorte, ces moindres pensées lui viennent de là ; on aurait bien tort de croire (7)que s’il n’y avait pas de langage, il penserait ; c’est pas qu’il pense avec, c’est le langage qui pense ; et puis il en reçoit d’autant plus de choses qu’il y a longtemps qu’il était là-dedans, et c’est pas une raison, parce qu’il a fait un petit naufrage, pour que ça cesse.

Il parlait d’animal, et tout à l’heure, on m’a posé des questions ; je dois dire qu’elles m’ont toutes d’autant plus intéressé, que c’est ce sur quoi j’allais modeler ce que je pouvais avoir à vous dire. On a parlé d’un certain Szondi pour qui j’ai beaucoup d’estime, à part ceci, comme je l’ai bien souligné, ça n’a strictement aucun rapport avec le discours analytique. Le discours analytique fait partie de ceci que nous pouvons savoir en tout cas avec une entière certitude, c’est que le minimum qu’on puisse dire, c’est que tout ce qui s’édifie entre ces animaux dits humains, est construit, fabriqué, fondé sur le langage ; ça veut pas dire que les autres animaux sociaux, enfin vous en avez bien entendu parler, les fourmis, les abeilles et quelques autres exemples distingués sur lesquels nous sommes penchés comme on dit, sur lesquels nous passons notre temps à nous pencher, nous autres êtres langagiens, ont quelque chose, on ne sait pas quoi d’ailleurs, on en est réduit à dire que c’est l’instinct, quelque chose qui les tient ensemble ; il paraît difficile de ne pas s’apercevoir que ce qui fait que les êtres humains tiennent ensemble eux aussi, ça a rapport avec le langage. J’appelle discours ce quelque chose qui dans le langage se fixe, se cristallise, qui use des ressources du langage qui sont évidemment plus larges, qui ont beaucoup plus de ressources, qui use de ça pour que le lien social entre êtres parlants, ça fonctionne. C’est à la suite de ça que, en parlant de ce à quoi nous avons affaire, j’ai essayé de donner à cette idée une petite cristallisation ; ça m’a permis de distinguer le premier celui qui reste à la base, comme tout le monde vous en connaissez un bout, c’est ce qu’on appelle, enfin ce que j’ai appelé comme ça, mais je ne suis pas le premier, j’avais déjà les voies frayées par un certain nombre de personnes, le discours du maître. Vous voyez où nous en sommes, on appelle ça le discours maître. Maître, c’est-à-dire le magistaire 5 , c’est de ça qu’a hérité la langue française. Or, il est clair que ça s’appelait avant, le discours de la domination. Mais les choses avaient déjà glissé, il faut croire, pour qu’on appelle ça le discours du maître ; c’est-à-dire c’est déjà ce qui apparaît dans un titre du nommé St Augustin, le magistaire, de magistro . Magistaire, c’est pas rien, c’est ce qu’on appelait jusqu’à un certain moment, le pédant, c’est-à-dire celui à qui le maître confiait ses enfants ; mais maintenant c’est le pédant qui a la magistrature, il faut tenir compte de ça et distinguer quand même par quelque chose ce petit…, dans mes schémas ça fait un quart de tour.

Il est certain que tous ici, tant que vous êtes, vous êtes inclus dans cette seconde sorte de discours. Vous attendez quelque chose d’une accession à cette sorte de pouvoir que confère ce qui a été promu par le quart de tour en question à une certaine place qu’on appelle le savoir. C’est une révolution historique ; non pas du tout bien sûr que je fasse de tout ça des étapes. Effectivement dans le petit peu que nous savons d’histoire, on peut, mais ça vacille, on peut concevoir le moment où le savoir s’est donné le pouvoir ; ça veut dire que si on peut le concevoir, ça veut dire que ce n’était pas ça avant, et en effet le vrai maître, le dominus , il a besoin de rien savoir. La seule chose qu’il faut, comme je me suis exprimé comme ça, c’est que ça marche. Celui qui a à savoir quelque chose c’est celui qui est chargé à ce que ça marche, c’est-à-dire ce qu’un certain Hegel a appelé l’esclave. C’est d’ailleurs parmi les esclaves qu’étaient toujours choisis les pédants, parce qu’on savait bien qu’il y avait que là qu’on savait (8)quelque chose. Et puis ça c’est mis à tourner comme ça doucement, et il est arrivé d’autres choses dont je ne vais pas vous faire le graphique. Par quel bond, par quel saut en sommes-nous à un point où il y a au moins une personne, enfin qui, moi… moi entre autre, mais enfin quand même moi qui comme ça ai fait une petite opération de frayage pour avoir l’idée que c’est à ce rang qu’il faut mettre le discours analytique. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, que le fait que ce petit remue-ménage comme ça qui s’est passé autour de Freud fasse maintenant… que vous soyez là aussi nombreux, et que la psychanalyse, ça vous tracasse, ça vous pose des problèmes, ça vous laisse même dans l’idée qu’il se passe là quelque chose d’important, enfin, auquel on pourrait bien avoir recours quand tout le système, enfin, ça marcherait plus très bien ; comme je disais tout à l’heure, c’est vrai enfin qu’il y a comme ça des petites annonces que ça marche plus très bien. Alors du discours analytique, qu’est-ce que vous pouvez en avoir comme idée ? Je ferai tout à l’heure quand même d’une façon très pertinente enfin parler de ce Szondi comme quelqu’un qui sans doute déjà guidé, frayé par le discours analytique, avait voulu faire une sorte de pont entre ce qui était fomenté dans ce discours et, mon Dieu, la condition tout de même fondamentalement animale où en est ce parlant qui se croit être.

J’ai été comme ça un tout petit peu entraîné à faire remarquer que, sur le sujet de la biologie, la psychanalyse enfin, ça n’a pas apporté grand-chose et pourtant ça n’a que ça à la bouche : les pulsions de vie enfin et « je te glougloute », les pulsions de mort. Enfin il vous en est un tout petit peu parvenu quelque chose, oui ou non ?, parce que sans ça je passe, oui ou non, plutôt oui ou plutôt non. Ah ! il faut se méfier de tout ce bavardage (applaudissements). Un tout petit peu de sérieux !… La mort est du domaine de la foi. Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir bien sûr ; ça vous soutient. Si vous n’y croyez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira, est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ; néanmoins ce n’est qu’un acte de foi ; le comble du comble, c’est que vous n’en êtes pas sûr. Pourquoi est-ce qu’il en aura pas un ou une qui vivrait jusqu’à 150 ans, mais enfin quand même, c’est là que la foi reprend sa force. Alors, au milieu de ça, vous savez ce que je vous dis là moi, c’est parce que j’ai vu ça, il y a une de mes patientes (il y a très longtemps de sorte qu’elle n’en entendra plus parler, sans ça je ne raconterais pas son histoire) elle a rêvé un jour comme ça que l’existence rejaillirait toujours d’elle-même, le rêve pascalien, une infinité de vies se succédant à elles-mêmes sans fin possible, s’est réveillée presque folle. Elle m’a raconté ça ; bien sûr je ne trouvais pas ça drôle. Seulement voilà, la vie, ça c’est du solide, ce sur quoi nous vivons justement. Dans la vie, dès qu’on commence à en parler comme telle, la vie bien sûr, nous vivons, c’est pas douteux, on s’en aperçoit même à chaque instant ; souvent il s’agit de la penser, prendre la vie comme concept ; alors là, on se met tous à l’abri tous ensemble pour se réchauffer avec un certain nombre de bestioles qui nous réchauffent naturellement d’autant mieux que pour ce qui est de notre vie à nous, on n’a aucune espèce d’idée de ce que c’est. Dieu merci, c’est le cas de le dire, il nous a pas laissé tout seul ! Depuis le début, depuis la Genèse, il y avait d’innombrables animaux. Que ce soit ça qui fasse la vie ça, ça a la plus grande vraisemblance, c’est ce qui nous est commun avec les petits animaux.

Première approximation, c’est beau la vie comme vous savez ça remue, c’est chaleureux enfin, c’est sensible enfin, c’est bouleversant. Alors on commence à penser, on pense, Dieu sait pourquoi, que ça se conserve la vie ; c’est (9)quand même un signe enfin que là quelque chose passe d’un peu plus sérieux. Pour que ça dure, il faut que ça se conserve, ça fait ce qu’il faut pour se conserver, ce qui commence à compliquer un petit peu plus les choses. Ce qui est très sérieux, enfin je vous dis ça parce que je voudrais quand même essayer de décanter un peu ce qui vous parvient de la psychanalyse, qui bien sûr enfin n’est pas tellement collée à cette bêtise. Il suffit comme ça d’un tout petit peu de jugeote, n’est-ce pas, pour s’apercevoir que c’est pas du tout ça, la vie c’est pas du tout forcément ce qui remue, ni ce qui est chatouilleux, ni ce qui fait ce qu’il faut pour se conserver ; il y a excessivement longtemps qu’on s’est aperçu que la vie enfin c’est bien de vie qu’il s’agit dans le végétal. Si j’ose dire, – je dis, si j’ose dire puisque je vais le reprendre, je vais le rattraper –, ça a été senti très tôt notre parenté de vivant avec l’arbre ; il semble, par le peu que nous sachions d’histoire que les innombrables métamorphoses dont le mythe antique nous exprimait ses vérités, nous en témoignent. De sorte que, si étonnant que ça puisse vous paraître, il se trouve qu’on a pas eu besoin des derniers progrès de la biologie, n’est-ce pas, on n’a pas eu besoin de mon cher ami André Jacob, pour mettre l’accent sur ceci, qui est le seul trait caractéristique de la vie : c’est que ça se reproduit, parce que pour tout le reste jusqu’à nouvel ordre, vous pourrez toujours chercher ce que c’est la vie.

Mais on n’a pas entendu A. Jacob, je l’ai nommé parce que c’est mon ami, on n’a pas eu besoin du tout d’entendre ça pour s’en apercevoir que ce n’était que ça, à savoir que dire que ce que j’ai appelé tout à l’heure c’est chatouilleux, ça veut dire que ça jouit ou que ça souffre, c’est du même ordre ; ça a un corps. Est-ce qu’un arbre a un corps. Les anciens, comme on les appelle, n’en doutaient pas, à preuve et à preuve seulement mais ce n’est pas rien, à preuve les mythes de métamorphoses. Quand j’ai dit très tôt, vous voyez tout de suite l’ambiguïté, ça veut dire qu’ils étaient plus malins qu’on ne s’y attendait, ou est-ce que ça veut dire qu’ils étaient plus savants peut-être que nous ne le sommes. Là est la question, la question du savoir, nous savons pas mal de petites choses et qui nous paraissent naturellement, forcément sans rapport avec ce que savaient les autres, ceux qui nous ont prédécédé 6 sur cette planète, enfin dont nous avons la trace, quelques documents ; mais nous pouvons par définition avoir aucune espèce d’idée des choses de ce que eux savaient, et que nous ne savons plus peut-être. Mais la question du savoir et nommément du savoir de l’esclave, du savoir qui maintenant nous régit, reste entièrement en suspens. Ce que je voudrais vous dire c’est ça, c’est qu’il y a quelque chose qui déjà, lorsque nous en gardons comme ça une petite machine flottante qui s’appelle le Ménon de Platon, et qui pose la question : la science définie comme ce qui se transmet comme savoir est à côté de l’opinion vraie, qui ne se définit qu’en ceci qu’elle n’est pas la science, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de moyen de la transmettre, mais qu’elle n’en est pas moins vraie et qu’on en est réduit à y recourir comme ça quand on la trouve, c’est-à-dire à s’apercevoir que, pour faire le bond que je suis bien forcé de faire faute de pouvoir éterniser ce discours, qu’il y a une certaine façon de fermer sa phrase autour, qui fait que ça a des effets, je veux dire que quelque chose change pour qui cette phrase est la portée ; ça n’en laisse pas moins l’opinion vraie chue de l’affaire, mais ça a ses effets sur celui qui s’accroche à cette phrase. Je demande, je demande ce qu’on peut imaginer de la psychanalyse si on ne voit pas que c’est là la question, à savoir pourquoi quelque chose qui a une certaine visée d’être dite a certains effets. Il est tout de même clair que la psychanalyse n’opère pas par aucun autre instrument. Le recours qui est habituellement donné à l’effet dit de transfert, à savoir à force de se voir pendant des jours on finit par être (10)complètement captivé par un certain être, et puis après, quelle image offre-t-il cet être qui est là dans son fauteuil à vous écouter ? Quel exemple, quel enseignement ? Je veux bien que l’amour mène loin, mais quand même on a rarement vu dans l’amour un partenaire comme ça (rires). En plus après avoir recouru à ce tour de passe-passe, c’est encore trop, c’est un amour sans doute transféré, illusoire, c’est ma maman, c’est mon papa que j’aime en toi. Freud était quand même un peu plus sérieux, il a quand même dit que le transfert c’est l’amour purement et simplement. Pourquoi est-ce qu’on aime un être pareil ? Je laisse pour l’instant la question en suspens. J’en ai donné enfin une formule, et c’est à propos du transfert que j’ai parlé dans des termes qui sont pleins de pièges, comme d’habitude, comme dans tout ce que je dis, bien sûr. Pourquoi dirais-je autre chose que ce dont il s’agit justement, lorsqu’il en est de l’inconscient, à savoir que le langage ça n’a jamais, ça donne jamais, ça ne permet jamais de formuler que des choses qui ont 3, 4, 5, 25 sens, le sujet supposé savoir. C’est vrai bien sûr que pendant un certain temps on a pu croire que les psychanalystes savaient quelque chose, mais ça n’est plus très répandu (rires). Le comble du comble, c’est qu’ils n’y croient plus eux-mêmes (rires), en quoi ils ont tort, car justement ils en savent un bout, seulement exactement comme pour l’inconscient dont c’est la véritable définition, ils ne savent pas qu’ils le savent. Alors ça a un autre sens, c’est pas un monsieur ou un copain ou quelqu’un qui est supposé comme ça savoir. Il y a quelqu’un qui à la sortie tout à l’heure m’a dit que mon discours faisait un peu trop appui sur je ne sais quel savoir absolu ; s’il y a bien quelqu’un qui pense que le savoir absolu, c’est bien ce qui a de fêlure enfin absolument irrémédiable dans toute la phénoménologie dite de l’esprit de Hegel, s’il y a quelqu’un qui la souligne en long, en large, en travers, c’est bien moi. La pensée sous prétexte de ce développement fabuleux justement du discours du maître dont ce n’est pas par hasard que Hegel a donné le couronnement, la progressive montée de l’esclave qui dans Hegel très pertinemment est supposé en effet être le support du savoir, s’élèvera jusqu’à l’absolu, la puissance du maître, et que ce sera ça qui conjuguera le savoir à l’absolu, c’est vraiment un des plus… enfin, c’est la dialectique, c’est tout dire. Il faut se guider au fanal de la dialectique : pour être sûr de tourner en rond, il y a pas mieux.

Alors reprenons notre fil. Cette vie, cette vie dont nous avons la bouche à l’abri de ce qui est le plus sûrement voué à la mort, cette vie dont nous avons plein la bouche, à quel titre vaut-il de s’en servir ? Ce que je suis en train d’énoncer dans ses débuts, dans cette entrée en matière, c’est ceci, c’est l’usage qu’on en fait de métaphores ; c’est-à-dire que là où nous sommes pas capables de rendre compte du moindre comportement enfin, il y a quand même là la couverture, le chapeau de la vie : c’est comme ça parce que c’est la vie. Il est clair que pour si peu que nous prenions d’appui dans l’usage de ce mot, il peut venir qu’aux termes. Partout où on a osé l’employer d’une façon qui a eu des conséquences, et pas d’une façon futile.

Là où on a parlé de « je suis la voie, la vérité et la vie », la vie vient en dernier, et encore, si vous fouillez un peu dans toute cette littérature, la vita nuova , ça veut dire qu’il faut se débarrasser de pas mal de choses qui sont généralement considérées comme de la vie, pour que vienne la vie neuve. Elle est toujours l’aboutissement de quelque chose qui d’abord est frayage de sens, et comme on dit, essayer de nous donner à la vie un sens. Alors la meilleure façon de commencer à lui donner un sens, c’est pas croire que c’est elle-même qui est le sens. Il arrive qu’elle soit l’aboutissement du sens. S’il y a une chose absolument certaine, c’est que c’est pas du tout à donner un sens à la vie qu’aboutit le discours (11)psychanalytique. Il donne un sens à des tas de choses, à des tas de comportements, mais il lui donne pas le sens de la vie, pas plus d’ailleurs que quoi que ce soit qui commence à raisonner sur la vie. Quand le biologiste, le béhavioriste commence à considérer comment ça se comporte, il peut en effet parler de ce que j’appelais tout à l’heure se conserver, et s’il pousse un peu les choses, il parlera de survie. Survivre à quoi ? Là est la question. Pour ce qu’il en est de l’être parlant, il y a quelque chose qui s’appelle l’acte, et ça fait là pas le moindre de doute que le sens, la caractéristique de l’acte en tant que tel, c’est d’exposer sa vie, de la risquer ; c’en est strictement la limite. Et je m’en vais pas me mettre à exposer le pari de Pascal, pour dire que la vie, pour qui pense et sent un peu, n’a strictement qu’un sens, pouvoir la jouer. En échange de quoi ? Sans doute d’innombrables autres vies. Il n’en reste pas moins que ce dont il s’agit, c’est de la jouer, c’est du pari. Jusqu’au point où nous en sommes c’est ce que le discours, le discours du maître particulièrement et ça Hegel l’a fort bien vu, c’est que hors du risque de la vie, il n’y a rien qui à la dite vie donne un sens.

Une autre forme de déchiffrage, c’est ce que je mets en jeu ici ; une autre forme de déchiffrage nous est proposée, mais l’étrange c’est que ça ne parte que d’un autre discours. Il y a pas de trace dans le début du discours de Freud, de référence à la vie. Il s’agit d’un discours, d’un discours dont il enseigne, celui de l’hystérique, et ce discours, qu’est-ce qu’il y découvre ? Très précisément, un sens. Et ce sens, par rapport à tout ce qui s’est jusque là évalué, est autre. C’est, vais-je dire, le ou la, disons pour frayer, la chose, c’est la jouissance ; mais si vous mettez la chose en 2 mots avec un petit trait d’union, c’est le joui-sens. Pas un seul des propos de ces biens-venus, ces bien-aimés, – j’ai appelé la malade de ma thèse dont je parlais tout à l’heure, Aimée, ce n’était pas une hystérique –, pas un seul propos de ces hystériques dont nous ne puissions dénoncer quel fil, fil d’or de la jouissance, les guide ; et c’est même très précisément pour cela que ce discours énonce le désir, et fait ce désir pour le laisser insatisfait. Freud nous guide et il nous a donné, c’est vrai, un nouveau discours qui fait, vous ne vous en apercevez même pas, que toutes les façons que nous avons d’aborder le sentiment, l’incident, l’affectuation 7 de quelque chose dans un certain champ, vous tous, pas besoin pour ça que vous soyez en analyse, ni analyste, vous savez l’interroger d’une façon dont il n’y a rien dans toute la littérature passée, même si telle qu’elle est faite, elle témoigne de tourner autour de ça. Je parlais tout à l’heure d’un romancier, George Meredith, qui écrivait tout à fait au début de ce siècle ou même un petit peu avant, quand nous le lisons, enfin, si nous pouvons sentir, enfin, quelle justesse brûlante, quelle divinité comique le guidait, c’est dans des termes qui étaient strictement impensables à l’ère victorienne où ce roman sortait.

Qui donc avant Freud était capable, à propos d’un deuil, – c’est quand même une chose qui se rencontre de temps en temps, pas souvent –, à propos d’un deuil guidé, pas par quel fil, parce que Freud a écrit bien sûr sur le deuil, mais qui peut traduire ça, en termes sensibles. Quand dans Deuil et mélancolie , littéralement je n’ai eu, pour tout vous dire, qu’à me laisser guider ; enfin, si j’ai un jour inventé ce que c’était l’objet petit a , c’est que c’est écrit dans Trauer und Melancolie . La perte de l’objet, qu’est-ce que c’est que cet objet, cet objet qu’il n’a pas su nommer, cet objet privilégié, cet objet qu’on ne trouve pas chez tout le monde, qu’il arrive qu’un être incarne pour nous ? C’est bien dans ce cas-là qu’il faut un certain temps pour digérer son deuil, jusqu’à ce que cet objet, on se (12)le soit résorbé. C’est dit en clair, écrit dans Freud. Mais de nos jours, il y a un tas de gens qui, sans jamais avoir lu ce texte de Freud, mais simplement à cause de ce qui circule, de ce qui se passe comme ça dans la conscience commune, comme on dit, sont capables de se dire, ça c’est pas un vrai deuil, et discuter la question. C’est un petit jeu masochiste, par exemple. De nos jours, c’est à 15 ans qu’on sait se servir du terme maso : il est maso. Tu es maso, je suis maso, il est maso, ça se conjugue. Et tout le monde sait que maso, c’est du toc. C’est pas un vrai deuil, c’est à la portée de tout le monde ça. Enfin, est-ce que vous imaginez cette question-là discutée avant Freud ? Moi j’ai entendu ça de mes oreilles, et ce qui prouve que quand même il est arrivé quelque chose. Oui. Cette dimension du sens en étant identifiée à la jouissance, avec ceci de surcroît hein, – c’est à ça que servait ma petite histoire d’à l’instant –, c’est que c’est pas simplement ce qui était déjà à la portée de tout le monde, mais que personne n’avait jamais exprimé avant, la conscience, la pensée, la maîtrise, enfin un très très grand nombre de catégories qui avaient bien aussi leur prix mais qui étaient un peu soufflées quand même. On a expliqué beaucoup de choses, mais quand même pas toutes, dont nous avons quand même hérité, hérité dans l’usage, n’est-ce pas, qu’on en fait. Faut pas vous figurer qu’il y avait même des philosophes, des écoles comme ça un peu particulières qui avaient trouvé que la jouissance ça méritait mention hein, parce que ne vous y trompez pas, Épicure, enfin, c’est pas du tout la jouissance, c’est le plaisir, et le plaisir ça consiste à ce que, comme on dit, la tension soit le plus bas possible. Moins vous en faites d’abord, mieux ça vaut, mais moins vous en sentez aussi, plus c’est agréable. Il n’y a pas l’ombre de recherches de jouissance, et entre nous, qui est-ce qui la recherche ? Réponse : les pervers ; ça c’est l’enseignement de Freud. Il y en a qui sont des mordus de la jouissance, et pour cela ils sont prêts à tout. Ça les mène loin sans doute, mais ça ne les mène pas dans une certaine voie avec laquelle on pourrait imaginer quand même quelques rapports c’est la jouissance sexuelle. Il est certain qu’il y a dans Freud ceci d’abord, qui consiste à montrer que la jouissance sexuelle est le point idéal par rapport auquel se repèrent les diverses jouissances perverses, ceci d’une part, et d’autre part que toutes sortes de comportements qui jouent avec le désir en jouent d’une façon telle, que ce dont il s’agit, c’est que en aucun cas on aboutisse à la jouissance, et ceci s’appelle la névrose.

Les deux percées, les deux trouées que fait Freud, c’est ça ; les Trois essais sur la sexualité , c’est ça que ça veut dire. Dans Malaise dans la civilisation , là cette espèce de cri qui tranche d’autant plus que, par rapport à l’ensemble de son discours enfin, ça détonne, que la jouissance sexuelle est sans aucun doute, enfin, le moment de la jouissance. Il y a quand même ce quelque chose qui reste à côté, c’est que tout ce qu’il démontre dans le comportement humain, c’est que s’il y a une chose pour quoi le comportement est fait, c’est pour se défendre de la jouissance. Freud a donc apporté cela ; tout ce qu’il a apporté comme théorisation qu’on appelle énergétique n’est que tentative de fonder quelque chose qui ressemble à la physique moderne, avec cette étoffe, dirais-je, ce fluide, cette hypothétique chose qu’est la jouissance comme support. Qu’est-ce que veut dire « principe de plaisir », sinon la transposition lucide. Il est d’autant plus remarquable qu’il ne s’est pas trompé un seul instant sur le sens d’une certaine morale dont j’ai parlé tout à l’heure, sous le nom de morale épicurienne. Il ne fallait pas entrer dans ce jeu de la jouissance, c’est ça qui était le plaisir. Freud transforme ça en terme de niveaux, de même qu’on pourrait dire que la physique, la mécanique, la dynamique moderne est fondée sur le principe du moindre travail. Je veux dire que pour que quelque (13)chose passe d’un niveau à un autre, il y passera par la voie la plus courte, que tout le raisonnement sur ce quelque chose, enfin, mythique, j’espère que vous vous en rendez compte, qui s’appelle l’énergie, de quoi s’agit-il ? Énergie électrique, thermique, l’énergie quoi, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire simplement que quand vous faites le compte à la fin, vous devez retrouver le même chiffre qu’au début, et comme les chiffres, vous les fixez de façon tout à fait précise sur chaque « déplacement » de l’ensemble, vous les choisissez de façon à ce qu’à la fin, ça fasse le même total, c’est pas autre chose, l’énergie. Freud ne peut pas s’être tout à fait aperçu de ça, parce que comme beaucoup de gens, enfin, à son époque, il croyait que l’énergie c’était autre chose qu’un calcul. Et alors, qu’est-ce qu’il inscrit ? Il inscrit ceci, que le principe du plaisir, de même que la chute des corps dans la loi du moindre travail, le principe du plaisir c’est la pente de la moindre jouissance. Et puis, il s’aperçoit dans un second temps que cela ne suffit pas, et il fait l’au-delà du principe du plaisir, et qu’est-ce qu’il nécessite à cet au-delà, c’est ce qu’il appelle automatisme de répétition.

Il faut un peu se laisser guider comme ça surtout quand on n’a pas le temps infini à parler, il faut se laisser un peu guider par la langue ; il n’y a pas qu’en français que répétition ça veut dire ce que ça veut dire, c’est-à-dire deux fois ou trois fois ou une infinité de fois, la pétition c’est-à-dire la demande. Et la répétition, ça veut dire que la demande, ça ne s’arrête pas, et que rien ne l’étanche. Et là il est forcé d’élucubrer toute une mécanique du retour qui bien entendu est beaucoup plus que lisible, qui est même traduisible, du retour de la vie à la mort ; et en effet pourquoi pas ; à part ceci, comme je viens de vous le faire remarquer, que cela laisse complètement intacte la question de ce que c’est, la vie. Je suis parti de là, ça m’a été inspiré par les questions tout à l’heure autour de Szondi, mais enfin, c’est tout à fait clair que là, la mécanique dite du plaisir trouve sa limite. Non seulement elle trouve sa limite, mais elle la trouve tellement qu’il y a encore beaucoup d’analystes pour trouver que le taux de Trieb , pour ne pas le traduire par instinct, la dérive de la mort, ça ne colle pas, eux ne marchent pas dans cette affaire. Tout ça reposant bien sûr sur le malentendu fondamental que le plaisir, c’est la jouissance. Bref ce que je veux faire remarquer, c’est qu’il y a un certain second discours de Freud qui est la tentative d’une économie, d’une balance des comptes, d’une énergétique, pour dire le mot, qui est inspiré du discours scientifique et qui n’est pas du tout d’ailleurs forcément à côté, mais qui n’a strictement pas les moyens de pousser son articulation jusqu’à des conséquences sûres qui montrent elles-mêmes sa défaillance, qui mettent en avant l’au-delà du principe du plaisir en clair, comme ce que ça est, à savoir que ce qui est au-delà du principe du plaisir, c’est très précisément tout ce qui pèche, tout ce à quoi à affaire l’analyste, c’est-à-dire cette répétition d’une demande, qui est tout de même là pour quelque chose, pour quelque chose d’autre que d’aboutir à l’anéantissement. Là il y a quelque chose qui insiste et ce qui insiste, c’est justement ce qui a le plus de sens, et ce sens c’est de l’ordre de la jouissance. Freud sans aucun doute se rejoint lui-même à travers ce détour qui lui est imposé par l’énigme des faits auxquels il apprend, au-delà du discours de l’hystérique, à s’affronter. Il n’en reste pas moins que s’il y a une énigme, une énigme qu’il laisse béante, et qui est ce par quoi enfin s’amorce ce sur quoi à la fin des fins tombe sa plume, à savoir la division, le clivage de ce qu’il appelle le Ich , à savoir le sujet, car au moment où il se déconcerte, du fait que le Ich soit divisé de lui-même, à savoir qu’il poursuit concurremment le désir contradictoire, là en ce point extrême de rencontre avec ceci, (14)disons pour aller vite, qui est le point où je reprends la chose. Il a tout de même depuis bien avant posé la question dite du narcissisme, c’est à savoir. Par contre d’où je suis parti comme peut-être une partie d’entre vous, c’est à savoir sous l’espèce de ce que j’ai intitulé le stade du miroir. Il y a un mode de jouissance imaginaire qui est celui-ci, que l’homme se satisfait de son image, cette ombre, ce découpage, ce profil, cette chose dont nous nous servons dans les expériences d’éthologie, faire peur à une poule avec un découpage d’aigle ou de faucon. Freud marque ça tout de suite après la guerre de 14. Pourquoi est-ce que un objet, en apparence aussi éloigné de la fonction de la jouissance, que ce trompe-l’œil, c’est bien le cas de le dire, qu’est ce double, l’image spéculaire, comment est-ce que ça peut constituer un point d’attache, c’est de là que Freud insiste, marque dans toute sa seconde topique que c’est le vrai fondement de ce qui préside au moi. Si à la fin il aboutit à ce quelque chose qui se formule la division de l’ Ich-Spaltung , la brisure du moi, c’est bien qu’à ce moment là, quelque chose enfin une nouvelle fois, le frappe. Le frappe dans quoi ? Mais dans rien d’autre que dans la cohérence, dans la cohérence de ce que le sujet manifeste. Dans quoi ? Dans l’inconscient. Dans l’inconscient en tant que quoi ? En tant que l’inconscient, ça se lit. C’est parce que Freud lit, traduit, interprète, interprète deux symptômes, dont l’un veut dire le contraire de l’autre, à savoir que dans un cas il veut à tout prix avoir un phallus, et dans l’autre cas il ne veut à aucun prix l’avoir, qu’il parle, qu’il avance dans ses derniers écrits sur lesquels se termine son message de l’ Ich-Spaltung , de la division du sujet.

Si j’ai parlé dans un temps de retour à Freud, c’était pour rappeler au niveau de l’expérience, au niveau d’une pratique, d’une pratique qui n’opère que dans le champ langagier, où c’est presque tout le temps un seul qui parle ; à cause de cela, j’ai appelé un jour comme ça, parce que j’avais ma claque d’entendre parler de l’analysé, je l’ai appelé l’analysant ; parce que c’est vrai, c’est lui qui fait tout le truc. Ça je dois dire que ça a eu du succès, j’ai jamais vu ça ; dans les huit jours même à l’Institut Psychanalytique de Paris, qui comme vous le savez n’est pas tout à fait de mon bord, tout le monde n’en avait que l’analysant à la bouche. C’est pas mal, ça prouve que c’était toucher juste, et puis après tout, ils savaient peut-être pas que ça venait de chez moi ; ça se dit comme ça de bouche à oreille, mais en fin de compte, je veux dire que c’est très possible, il y a tout de même des choses convaincantes. Je regrette de n’avoir pas toujours autant de succès.

J’ai rappelé ceci : qu’au niveau d’une pratique, il y a pas besoin d’au-delà. On m’a posé tout à l’heure la question de savoir si je n’hypostasiais pas quelque chose sous le symbolique, sous l’imaginaire, et encore deux choses différentes ; mais bien sûr, tout à fait d’accord, mais hypostase, il faut quelques réserves. C’est bien possible que j’hypostasie quelque chose, mais ça ne regarde que moi ! Je ne suis pas sûr, mais qu’est-ce qu’il hypostasie comme ça, un petit peu, comme ça sans le vouloir. C’est justement comme ça qu’on est foutu, on hypostasie à tour de bras, toute la journée. J’ai quand même jamais dit enfin que le logos, ce fût quelque chose même en un point idéal, quelque chose qui soit situable. Je ne l’ai jamais dit, parce que vraiment je ne le pense pas, ça n’a aucune espèce d’importance. Je ne pense pas, je dis : « l’inconscient est structuré comme un langage, parce que dès l’émergence de cette notion apportée par Freud il est clair qu’il ne s’agit que de ça ». Si le rêve signifie quelque chose, c’est parce qu’on le raconte, et qu’à partir du moment où il est raconté, on se pose plus aucune espèce de question sur le fait que c’est ou non bien ça vraiment qu’on (15)a rêvé. L’important c’est pas ce qu’il a rêvé, c’est ce qui sort ou ce qui ne sort pas. La preuve, c’est quand il y revient après coup et qu’il dit « Ah, mais j’avais oublié ça », tout est là. C’est qu’il a mis cette note de surcroît dans un second temps, et c’est la seule chose qui nous importe, il l’a dit dans un second temps, donc il essayait est-ce de nous piper, est-ce de se piper, il y a en tout cas quelque chose de certain, il ne l’a pas tout de suite raconté ; en d’autres termes, tout ce qu’il est en train de déclarer sera retenu contre lui. Et c’est la seule chose qui importe, c’est ce qu’on va pouvoir lire à travers ça, pour ça, tous les modes de traduction sont bons, tous les coups sont bons, à ceci près, bien sûr, que ce n’est pas l’analyste qui les porte ; c’est parce qu’il est inhérent au signifiant d’être équivoque, que tous les coups sont bons. C’est parce que déjà c’est de ce fait équivoque, que l’analysant, le sujet qui raconte, se sustente, et à partir du moment où on s’est aperçu de ça, que la première chose, ce à quoi sert une langue, ce qui la distingue de la voisine, c’est les jeux de mots qu’on peut faire dans cette langue-là, et pas dans cette langue-ci. Quand Freud a la chance d’avoir un sujet qui possède deux langues, il ne se prive pas un instant du truc pour équivoquer aussi d’une langue à l’autre ; je le répète, à ce niveau-là tous les coups sont bons. Et ce que je viens de dire sur le rêve est tout aussi vrai, et encore plus frappant pour le lapsus qui sont… justement le premier que vous trouverez dans la vie quotidienne, le type qui sort les clés de sa poche au moment où il arrive chez son analyste comme ça ; tout le monde comprend ça, c’est pour ça que je me sers de celui-là. Ouvrez à n’importe quelle page de la Psychopathologie de la vie quotidienne , c’est dans la façon dont le type raconte son ratage, son acte manqué comme on dit, c’est dans la façon dont il le dit qu’il est pipé, c’est-à-dire qu’on lui démontre qu’il vient de le dire lui-même : je croyais que je rentrais chez moi. Et bien voilà, mon vieux, mais oui, c’est cela, vous rentriez chez moi et vous croyiez que vous rentriez chez vous. Et bien, il vient de le dire, je ne te le fais pas dire, comme on dit. Je te fais remarquer que là je suis passé sur le plan de la grammaire, parce qu’il n’y a qu’en français que je ne te le fais pas dire, ça veut dire, tu l’as dit. Mais ça peut aussi vouloir dire, je te l’ai fait dire par personne. Si vous croyez que Freud n’use tout le temps que de l’équivoque signifiante, vous n’avez qu’à vous reporter au texte, pour vous apercevoir qu’il se sert encore plus de la grammaire, et que toute sa spéculation là au début du P résident Schreber sur le… je l’aime, ce n’est pas lui que j’aime, ce n’est pas moi qui l’aime, c’est lui qui m’aime et ainsi de suite, n’est-ce pas, ça consiste à jongler avec ce qui n’est inscrit en fin de compte que dans la grammaire, parce que mise à part la grammaire, je vous demande quel rapport il y a entre le voyeurisme et l’exhibitionnisme. Ça ne tient dans Freud que sur un jeu de grammaire, mais ça n’empêche pas d’y faire foi.

Alors là je voudrais tout de même faire remarquer ceci : j’ai dit que, comme ça dans son temps, l’inconscient est structuré comme un langage ; après ça, j’ai été forcé d’appuyer, de dire que là-dedans, ça voulait dire que, le langage est avant. Mais est-ce que c’était la même chose dont je parlais, quand j’ai dit l’inconscient est structuré comme un langage, avec la brève façon dont je viens là d’essayer de vous faire vivre, et puis qu’après j’ai dit que le langage était la condition de l’inconscient. Ce qu’il y a d’amusant, c’est qu’on fait jamais attention à ce que je dis, absolument jamais, parce que le langage, ça n’a rien à faire avec un langage. Jamais personne n’a vu le langage hors d’un langage, seulement ça n’empêche pas que le langage, ça veut quand même dire quelque chose. Ça veut tellement dire quelque chose qu’il y a même des gens pour y croire, on les appelle (16)des linguistes. Ils essaient de retrouver dans chaque langue quelque chose qui serait le langage. Ils y arriveront peut-être, on peut même dire qu’ils sont sur la voie, mais c’est coton. Moi, les linguistes c’est des gens que j’aime beaucoup, et tout le monde, enfin, presque tout le monde est agacé de l’état que je fais comme ça, un peu à tort et à travers de la linguistique ; en tout cas les linguistes sont exaspérés. Oui, ils ne savent pas ce qu’ils me doivent ; ils me doivent quand même beaucoup d’élèves ; c’est fou ce qu’on s’est déversé de mon séminaire dans la linguistique, n’est-ce pas, pour ne parler que ce dont je peux témoigner par des noms. Tout à l’heure enfin quelqu’un me disait comme ça que, j’étais, par jeu, universitaire. Dieu sait pourtant que ce n’est pas mon genre, et si vous m’écoutez si longtemps c’est parce que je vous distrais du discours universitaire. J’ai parlé de la métaphore et de la métonymie comme ça, à la place de ce que Freud avait vu comme ça bien avant les linguistes pour bien faire comprendre les rapports que j’essaie de montrer enfin du discours psychanalytique là et cette vérité afin que l’inconscient, c’est la structure d’un langage. Oui, c’est quand même frappant à quel point Freud en apportant la condensation, dont je crois démontrer très simplement que c’est la matérialité même de la métaphore, enfin, c’est une métaphore obscure, enfin mais il y a pas un autre moyen de rendre compte de ce qu’il appelle condensation sinon le fait qu’un signifiant se substitue à un autre en créant par cette substitution même, quelque chose qui ait une autre dimension de sens que le déplacement, qui veut dire qu’on fait exprès, enfin, de prendre une vessie pour une lanterne, n’est-ce pas, que c’est exactement la même chose que dans cette phrase « prendre des vessies pour des lanternes », c’est exactement la même chose, et alors… (rires).

x – Vous allez me brutaliser, mais je m’exprime à ma façon comme ce monsieur. Est-ce que vous me comprenez ?

Lacan – Oui, je vous comprends.

x – Voulez-vous jouer avec moi ?

Lacan – Oui, tout à l’heure, vous voulez ?

x – Mais n’avez-vous pas encore assez de ce monologue, non ?

Lacan – Oui, ça c’est vrai !

x – Est-ce que vous ne vous rendez pas compte que le public auquel vous vous adressez est par définition même le plus médiocre et le plus méprisable auquel on peut s’adresser, le public étudiant ?

Lacan – Vous croyez ?

x – Oui. Vous n’avez pas encore compris que historiquement il est temps maintenant de se rassembler pour autre chose que pour écouter quelqu’un qui parle de quelque chose qui l’intéresse. Au fond, moi, je viens parler maintenant de quelque chose qui m’intéresse, c’est-à-dire les gâteaux.

Public – Laissez-le parler.

x – Pardon. Qui m’invite ? Je m’invite au fond. La petite lubie de ce monsieur est de s’interroger sur le langage, et la mienne est de construire des petits châteaux avec de la pâtisserie (rires). Alors je voudrais encore ajouter que j’interviens au moment où j’ai envie d’intervenir, et que, disons que l’ensemble, ce qui jusqu’il y a environ 50 ans pouvait être appelé culture, c’est-à-dire, expression de gens qui dans un canal parcellaire, exprimaient ce qu’ils pouvaient ressentir, ne peut plus et est maintenant un mensonge, et ne peut plus être appelé que spectacle, et est au fond la toile de fond qui relie au fond, et qui sert de liaison entre toutes les activités personnelles aliénées. Au fond, si maintenant les gens qui sont (17a)ici se rassemblent à partir d’eux-mêmes, et authentiquement veulent communiquer, ce sera une toute autre base et avec une toute autre perspective ; il est évident que ce n’est pas une chose qu’il faut attendre des étudiants qui sont par définition, ceux qui d’un côté s’apprêtent à devenir le cadre du système avec toutes leurs justifications, et qui sont précisément le public qui, avec sa mauvaise conscience, va se repaître précisément des résidus des avant-gardes et du spectacle en décomposition. C’est pour ça que je choisis précisément ce moment pour m’amuser, quoi, parce que si je vois par exemple, des types qui s’expriment authentiquement quelque part, je vais précisément venir les ennuyer, mais j’ai choisi précisément ce moment-ci quoi !

Lacan – Oui, vous ne voulez pas que j’essaye d’expliquer la suite ?

x – Quelle suite ? Par rapport à ce que je viens de dire ? J’aimerais bien que vous me répondiez.

Lacan – Mais oui, bien cher, mais je vais vous répondre. Mettez-vous là, je m’en vais vous répondre. Restez tranquille là où vous étiez. Peut-être que j’ai quelque chose à vous raconter pourquoi pas ?

x – Vous voulez que je m’assieds ?

Lacan – Oui c’est ça c’est une très bonne idée… Bon alors, nous en étions arrivés au langage, si vous vous êtes là comme ça exprimé devant ce public, qui en effet est tout prêt à entendre des déclarations insurrectionnelles, mais qu’est-ce que vous voulez faire ?

x – Où je veux en venir ?

Lacan – Oui voilà.

x – C’est la question au fond que les parents, les curés, les idéologues, les bureaucrates et les flics, posent généralement aux gens comme moi, qui se multiplient quoi !, je peux vous répondre, je peux faire une chose, c’est la révolution.

Lacan – Oui.

x – Vous voyez et, bon il est clair, au moment où nous en sommes pour le moment, une de nos cibles préférées, ce sont ces moments précis où des gens comme vous, qui sont en train de venir, au fond, apporter à tous ces gens qui sont là, la justification de la misère quotidienne, au fond, c’est ça que vous faites vous !

Lacan – Oh pas du tout ! (rires).

x – Oui.

Lacan – Il faut d’abord la leur montrer, leur misère quotidienne.

x – Mais c’est justement ce que je voudrais ajouter, c’est qu’on est justement au moment où on n’a plus besoin de spécialistes qui doivent le montrer. Il est clair, que suffisamment de gens, et ça se manifeste pour le moment, la décomposition se manifeste à l’échelle planétaire avec suffisamment de force, pour qu’on voie qu’il règne pour le moment, un malaise, je veux bien concéder cette parenthèse…

Lacan – Un malaise…

x – Le public estudiantin est probablement à l’arrière-garde, bien que ce soit probablement de ce côté-là qu’il y ait le plus de troubles spectaculaires et superficiels. Bon, mais il est clair que le malaise et la conscience de son aliénation et de son refus, la familiarité de son aliénation grandit de plus en plus. Il reste maintenant à faire le pas décisif, de voir l’alternative possible. Vous n’êtes certainement pas là pour ça, quoique je ne méprise absolument pas ce que vous venez de faire mais euh… (rires applaudissements). Bon mais maintenant, au fond, je n’ai pas grand-chose à dire ; si tous ces gens ici, se rendent compte qu’au fond, la vie que nous sommes en train de mener en général, doit être changée, au fond, si ces gens là s’organisent entre eux, je voudrais dire encore quelque chose, parce que après, je m’en vais très vite, parce que…

(17b)Lacan – Non non, pas du tout, il faut rester.

x – Mais si ces gens-là s’organisent, parce qu’au fond, la seule chose qui est à l’heure actuelle nécessaire, c’est qu’il y ait une organisation, il feront autre chose que de venir écouter quelqu’un qui parle, et même qui puisse parler de politique, ou de n’importe quoi, et euh…

Lacan – Et vous voyez, vous voilà dans l’organisation !

x – Oui, oui.

Lacan – Parce que le propre d’une organisation, c’est d’avoir des membres, et les membres, pour qu’ils tiennent ensemble, qu’est-ce qu’il faut ?

x – de la cohésion.

Lacan – Je ne vous le fais pas dire ! (rires). C’est là que j’en étais, parce que, figurez-vous que ce que vous êtes en train de raconter là, ça a comme ça un petit air de logique. Vous êtes un logicien.

x – Vous faites là un grave saut, enfin, parce que ce n’est pas parce qu’on a de la logique, qu’on en fait, c’est un discours de spécialiste.

Lacan – Pas du tout, votre organisation, qu’est-ce que c’est ? Vous venez de le dire, c’est de la cohésion, c’est de la logique.

x – Non, ce n’est pas de la cohésion, ce n’est pas de la logique, je m’en fous de ce niveau-là. En partie de la volonté subjective de chacun, de moi, comme d’autres, et comme j’en suis sûr, tout plein dans cette salle probablement, malgré qu’ils soient ici, et qu’ils soient venus euh, vous écouter, mais j’en suis sûr que c’est de la volonté subjective de chacun qui a envie.

Lacan – Pourquoi parlez-vous de subjective ?

x – De subjective, c’est au fond, une chose que tout le monde comprend.

Lacan – Ah, je ne vous le fais pas dire, tout le monde comprend ! (rires).

x – Bon mais attendez, cette subjective qui, c’est ça le sens, au fond, de l’histoire maintenant, qui veut se lier avec les autres, pour euh…, ce n’est que là que l’alternative sociale, au fond, dans l’intersubjectivité, et c’est là au fond, la cohésion de, ce n’est même pas besoin d’être un logicien, comme vous dites.

Lacan – Vous n’avez pas remarqué que les révolutions ont pour principe, comme le nom l’indique, de revenir au point de départ, c’est-à-dire de restaurer ce qui justement clochait.

x – Oui, mais ça c’est un mythe journalistico-sociologique (rires), qu’au fond, il ne faut pas venir spécialement après les heures de cours, pour venir l’entendre dire, mais je suis sûr que tous les professeurs doivent le dire, et au fond, tous les journaux… Je vous dis que c’est une erreur, et que probablement que dans les années à venir, vous verrez l’erreur à vos dépens, probablement, comme aux dépens de tous les spécialistes, qui sont pour le moment comme vous, ici, en train de lécher les dernières miettes du spectacle et je vous en prie, profitez-en ! (rires).

Lacan – Ça m’étonnerait, ça m’étonnerait que ça soit comme vous dites, la fin du spectacle.

x – Mais écoutez, sur ce plan là je ne discute pas avec vous, on verra hein ! vous verrez !

Lacan – Oui on verra, mais c’est pas couru, vous savez !

x – Enfin oui, à la base, c’est une sale discussion parce que à la base, vous n’avez pas les mêmes intérêts que moi.

Lacan – Vous ne savez pas. Vous avoueriez vos véritables intérêts ?

x – Pardon ?

Lacan – Quels sont vos véritables intérêts ?

x – Non mais ça au fond, j’ai dit ce que j’avais à dire, je l’ai d’ailleurs dit…

Lacan – Vous voyez comme vous aimez dire quelque chose !

x – C’est la première chose que j’ai dite au fond.

(18a)Lacan – Oui c’est aussi la dernière, parce que vous ne pouvez pas aller plus loin, vous ne pouvez pas aller plus loin que cette idée de volonté subjective, qui est une idée justement, qu’on trouvait, je viens de faire remarquer justement que le sujet n’est jamais pleinement d’accord avec lui-même, même vous qui… la preuve c’est que vous avez tout de suite commencé à parler d’organisation, au moment où…

x – Là je peux dire quelque chose, peut-être que vous ne voyez pas très clair ?

Lacan – Juste après le moment où vous avez fait la pagaille, vous voulez l’organisation ; avouez que quand même !

x – Bon mais monsieur, est-ce que je pourrais vous répondre quelque chose ?

Lacan – Je n’attends que ça !

x – Il est aisé de voir que dans une certaine situation donnée, il faut à un moment donné, disons, capter ou plutôt casser ce qui est existant pour qu’à un moment donné, c’est au fond ça la dialectique, au fond.

Lacan – Car vous en êtes encore là, vous en êtes encore à la dialectique ?

x – Mais quand vous parliez de, quand vous parliez d’un semblant de contradictions entre la volonté subjective et l’organisation, ce n’est pas une contradiction ; l’organisation à un moment donné est une concession subjective à l’histoire.

Lacan – Vous voyez que vous en êtes déjà aux concessions, mon Dieu.

x – Il s’agit, monsieur, la survie dans laquelle nous vivons pour le moment, n’a fait que vivre sur les concessions infligées aux individus. Il s’agit pour le moment de trouver une organisation sociale qui dépasse le point où on en est pour le moment, et qui satisfasse au fond, satisfasse le mieux…

Lacan – Vous voyez, maintenant, vous en êtes au mieux, qu’est-ce que c’est ce mieux, un superlatif ou un comparatif ?

x – C’est un dépassement vous comprenez ? Il ne s’agit pas de Jésus ou Dieu ou bien d’une situation, il ne s’agit pas d’absolu ou de, non c’est un dépassement, c’est ça l’histoire.

Lacan – Qu’est-ce qu’il vous faut quand vous veniez de dire le mieux, il semble bien que c’est un superlatif.

x – Le plus mieux, enfin. (rires).

Lacan – Ah voilà, écoutez, vous êtes exactement mon vieux, vous êtes un appui précieux à mon discours, c’est justement là que je voulais en venir, c’est au plus mieux.

x – Mais je vous écoutais déjà depuis cinq minutes, mais il ne me semblait pas que c’est de ça que vous causiez.

Lacan – Mais si, je parle de ça, c’est du plus mieux qu’il s’agit.

x – Il y a ici 300 personnes, vous êtes au départ d’accord avec moi, vous êtes d’accord que au fond, l’université en soi n’est pas là, comme tout le reste d’ailleurs, comme la cigarette gauloise, comme le pain de campagne ou comme vous-même, en tant qu’objet hein (rires) ; vous n’êtes là au fond vous ne pouvez vous justifier que par le fait même que vous êtes là ; il n’y a plus au fond, on n’en peut plus à un moment donné trouver de justification, par exemple à l’université ? Est-ce que quand vous êtes venu causer ici, vous avez dit que l’université est à détruire, à supprimer de fond en comble ?

Lacan – Je n’ai pas dit ça.

x – Nous sommes ici 500 personnes qui chacune, du fait qu’on est dans des situations précises, qui a chacune des talents divers, des situations privilégiées, il serait possible, étant donné que l’on partirait du postulat que l’on aurait envie de changer quelque chose, il serait possible de trouver ensemble une forme d’organisation qui puisse être une forme efficace. Est-ce que quand vous venez causer vous parlez de ça, ou bien est-ce que vous parlez d’autre chose, qui à ce moment-là ne fait que… vous parlez 3 heures, puis après on rentre, puis après bon, hein…

Public – Tais-toi maintenant.

(18b)Lacan – Bon, alors on continue quand même !

Public – Oui.

Lacan – Oui, ah ! (soupir). J’en étais à ce point, n’est-ce pas que le langage détermine et est substantiellement ce en quoi justement repose la réalité de ce terme de structure. C’est très précisément parce qu’un certain discours se trouve approché très insupportablement du réel, du réel qui n’est pas ce qu’on appelle enfin, comme vient de le démontrer avec beaucoup de talent mon interlocuteur, du réel qui n’est pas quelque chose qui a affaire avec ce qu’on appelle communément la réalité, à savoir en effet comme je viens de vous le faire remarquer, le fait que vous soyez tous là et que vous ayez à mon égard une grande patience, qui est en effet quelque chose qui a ses limites ; ce quelque chose c’est vrai enfin, qui vous intéresse du fait que vous êtes là, est en effet lié à chacun d’ailleurs de façon qui lui est entièrement personnelle, subjective, comme il l’a dit, subjective et ce pourquoi vous êtes enfin, entre Charybde et Scylla, entre la chèvre et le chou, entre ceci et cela, mais assurément pas unifié par autre chose, comme vous venez d’entendre un discours qui malgré tout du fait même du contexte prend l’aspect d’un exposé, d’un exposé de quelque chose dont vous attendez après tout quelque chose qui puisse s’épingler, se ranger quelque part, comme étant une certaine conception du monde. Il y a rien de plus différent de cette sorte de frayage qui est très positivement fondé sur une certaine expérience, sur l’expérience qui consiste dans l’existence de ce qu’on appelle névrose, et pour simplement les indiquer deux grands versants d’une névrose dont l’essence est de situer le sujet par rapport à un désir qu’il veut garder insatisfait et d’une autre qui, la seconde enfin, celle dont je n’ai pas encore dit en avant le nom car dans la première vous avez certainement reconnu les hystériques, dans la seconde la confrontation à un désir strictement défini, situé, constitué comme un désir impossible ; que quelque chose se manifeste dans ce contexte n’est-ce pas, qui est la mise au premier plan, l’interrogation comme telle de la névrose et la tentation d’élucider aussi loin qu’il est possible un sens, s’il se produit quelque chose comme ça et s’il se produit aussi quelque chose, après tout mon Dieu, qu’on peut bien dire jusqu’à un certain point être nouveau, à savoir cet appel éperdu à un changement, on ne sait pas lequel, mais qui, comme je l’ai déjà dit bien des fois en présence d’interruptions comme celles-ci, est quelque chose qui n’aboutit en fin de compte qu’au vœu qu’on soit tous ensemble, et pourquoi, pour uniquement cette visée, ce but, cette instance pressante et en quelque sorte exigée à tout prix, n’est-ce pas, qui est que ça change ; que ça change à quoi ?

(interruption)

Que ça change pour une nouvelle organisation ; cette organisation, c’est pas du tout exclu ; qu’on la voit naître, on la voit sous forme d’un régime qui s’intitule, s’intitule même, mon Dieu, pour ce qui est leur inspiration en effet suprême, n’est-ce pas, c’est la totalité enfin, c’est comme il vous disait à l’instant enfin, n’est-ce pas, qu’on y soit tous, qu’on se serre encore un petit peu plus les coudes pour être ceux qui veulent quoi ? Organisation qu’est-ce que ça veut dire, si ce n’est pas un nouvel ordre ; un nouvel ordre, c’est le retour à quelque chose qui, si vous avez bien suivi ce que je vous ai dit et d’où je suis parti, est quelque chose qui est de l’ordre de quoi ? mais du discours du maître, tout simplement. C’est le seul mot qui n’ait pas été prononcé dans tout ça, mais que le terme même d’organisation implique. Jusqu’à un certain point, c’est tout à fait convenable, qu’il y ait beaucoup de progrès dans ce sens, si on peut appeler ça progrès ; je veux dire que ce que nous révèle l’approche de ce qui se passe, enfin de ce qui se passe quand même dans un certain nombre de sujets, c’est-à-dire quelque chose d’éminemment précieux qu’il a évoqué tout à (19a)l’heure sous le terme de volonté subjective, cette volonté subjective, si nous la voyons d’une façon vraiment permanente de ne pouvoir se manifester que de sa propre division, c’est assurément fait pour nous suggérer quelque chose, c’est à savoir que c’est pas quand même l’image de l’harmonie totale enfin réalisée, c’est un appel que vous avez entendu, que je connais bien et qui est touchant enfin, ça aboutit à quelques inconvénients comme ça sur ma cravate. C’est l’amour, c’est l’amour qu’il vous prêche ; si on était tous comme ça, tous ensemble à s’aimer, c’est la Jérusalem céleste n’est-ce pas, qu’il vient vous annoncer comme ça ; ça s’est vu quelquefois au cours de l’histoire et jamais dans des moments indifférents. C’est bien justement parce que quelque chose se manifeste qui est tout de même strictement inséré enfin dans l’ordre du discours, c’est parce qu’il y a eu un discours qui est en train de proliférer enfin, qui engendre d’innombrables petits qui vous deviennent à tous et à chacun, à moi aussi enfin terriblement incommodes, à savoir le discours scientifique qui de plus en plus enfin est là imminent, menaçant par sa présence, n’est-ce pas, par l’idée que tout ça va se régler enfin en termes mécaniques, de balistique, d’équilibre, de courants et puis, plus on en saura, mieux ça vaudra, et bientôt enfin nous saurons comment produire enfin, tel ou tel type d’individu qui lui saura marcher avec tous, n’est-ce pas. Ce que l’expérience nous montre c’est évidemment tout autre chose ; ce que l’expérience nous montre, c’est que c’est un langage dont j’ai parlé et qui est ce dans quoi vous avez tous cru et grandi, que ce n’est pas là quelque chose qui vous a été transmis sans vous véhiculer en même temps toute une réalité frémissante et vacillante qui vous est faite du désir de vos parents. C’est pour autant que dans la formation de chacun, cette incidence par la mère enfin, par la langue maternelle, n’est-ce pas, ce quelque chose qui est à la fois au principe, que c’est vers là que se tourne l’amour, que c’est vers ce frémissant appel à l’union dans quoi ? Dans quelque chose de très évidemment, comme il l’a dit, aliénant. Ce qu’il y a d’absolument incroyable, c’est qu’il imagine que c’est en frappant avec ses poings la voûte du ciel que cette aliénation, qui est justement ceci qui fait que, après tout, ce qu’il vous disait, c’est quelque chose qui était un appel d’ailleurs. Un appel vers quoi ? Vers plus de vérité ; sa parole lui paraissait vraiment identique enfin à cette vérité dont il se trouvait dans l’occasion l’instrument, le messager enfin, l’ange chargé de vous sortir de quoi, de votre sommeil en fin de compte, de vos fantasmes, de votre particularité. Malheureusement, c’est tout à fait clair que non seulement cette particularité résiste, mais qu’elle est là ce à quoi on a à faire.

Et pour en venir au dernier terme, puisque dans ce petit entretien que j’ai eu avec un groupe limité, on y est arrivé à la fin à me demander raison de ce quelque chose qui est la pointe sur laquelle enfin arrive à un certain tournant, sinon à un certain terme, n’est-ce pas ce dont il s’agit de la parole comme créatrice du sens comme la parole qui en fin de compte se révèle n’être que le support de la jouissance. De quelle jouissance ? Sinon, de ceci, qui nous est montré à l’horizon, c’est à savoir quelque chose qui tourne autour de ce point, ce point idéal, qu’est en fin de compte ce dont il s’agit, à savoir la relation d’essai, de ceci, n’est-ce pas, et cet être que nous sommes tous, que je suis là avec vous, c’est quoi ? C’est cet extraordinaire enfin, manifeste impuissance qui est véritablement celle de tous ; je ne vais pas dire en face de toutes, parce que la femme ici je l’indique, je l’ai indiqué, vous le lirez dans ce qui va sortir dans mon dernier écrit, la femme ne peut pas comme l’homme être épinglée d’un rapport univoque avec ce quelque chose qui se trouve avoir été révélé par le discours analytique ; c’est à savoir que dans ce qui est de l’approche des sexes, il y a toujours un tiers, que ce tiers vous le fixiez dans l’Autre, (19b)l’Autre avec un grand A, cet autre 8 qui est le lieu dans lequel vous témoignez ou vous articulez ce que vous avez à dire, vous manifestez enfin chacun comme le témoin de ce que vous avez pu recueillir de vérité, ou si c’est autre chose encore que l’analyse a pointé de façon beaucoup plus proche, n’est-ce pas, à savoir la fonction énigmatique jamais véritablement transfixée, jamais vraiment serrée de près, mise au point et celle qui s’exprime par le terme de toute puissance de la pensée, c’est-à-dire une notation véritablement ethnographique qui n’a véritablement pas de portée mais qui se coagule dans cette fonction, qui est marquée par ce qui distingue les sexes d’un rapport différent au phallus ; ce tiers, cette fonction tierce n’est pas portée par l’analyse, dans son rapport à la fonction phallique comme étant ce qui se rencontre en quelque sorte nécessairement, ce qui fait butée n’est-ce pas, ce qui fait aussi tout un drame, celui qui tourne autour de la castration, ce qui ne veut rien dire d’autre, que la reconnaissance d’une certaine limite. Cette limite est très précisément ceci, que c’est la même chose, je ne dis pas l’un est premier, l’autre second, n’est-ce pas ni inversement, n’est-ce pas, qui est ceci, que cette chose qui paraît véritablement liée à la reproduction, à cette reproduction passagère qui est l’énigme de la vie, n’est-ce pas, cette chose qui consiste en la différenciation chez tout vivant de deux fonctions qui sont appelées les sexes, c’est très précisément ce qui est du fait même de la fonction et de l’existence du langage, impossible à formuler autrement que, comme je l’ai dit tout à l’heure, par métaphore. Toute cette histoire qui fait que je peux dire, je suppose, enfin j’imagine, j’ose imaginer que pas un de ceux qui sont ici, pas un d’entre vous n’est pas sans avoir éprouvé, et de la façon la plus directe la difficulté de la rencontre, n’est-ce pas, le miracle de la rencontre, ce qui de tout temps a fait le rêve de l’amour, qui est à la fois bien en effet, le pivot, le point tournant de tout ce qui s’est proféré jusqu’à présent de discours, et qui pourtant est si on peut dire, véritablement voué à ce que Freud exprime sous le terme du ratage, de ce qui est toujours manqué.

C’est ça, c’est cet horizon n’est-ce pas, que nous a révélé Freud, c’est que si le sexe est en quelque sorte le point idéal autour de quoi tout discours prend son sens, il n’en reste pas moins vrai que ce point idéal est un point qui est en quelque sorte en dehors de la carte, et que la structure, c’est ça, de même qu’en mathématiques, il est non seulement pensable, mais plus que pensable, courant de se référer à ce point insituable, à ce point dont le support est en réalité beaucoup plus présent qu’on ne le soupçonne n’est-ce pas, ressemble à ce quelque chose qui se construit, et autour de quoi se construit l’idée, dans la topologie, du plan projectif, c’est très exactement vers ce point de béance que sans doute tout le discours humain converge, et d’ailleurs là le discours scientifique nous en donne autant de preuves que les autres ; et c’est la révélation de cette structure qui est ce sur quoi se fonde, et sur quoi dans des cas privilégiés qui sont précisément ceux que j’ai définis tout à l’heure par la névrose, que tourne et s’édifie le discours analytique. Pour ceci, il est évident qu’il faut accentuer, préciser quels sont les membres, les membres qui sont situables langagièrement, n’est-ce pas, au niveau le plus élémentaire de la fonction du langage. C’est ça que l’analyse nous apprend à repérer, c’est ça qui nous situe, qui définit l’analyste.

Si j’ai parlé tout à l’heure, je ne pourrais, car il faut que ce discours finisse, que faire allusion à ce que j’ai appelé l’objet petit a , ce autour de quoi tourne tout le procès d’une analyse. C’est dans le fait que quelque chose s’est inauguré, qui se définit par la fonction de l’analyste, qui est celui qui peut se permettre, qui ose se permettre de se mettre en position (20)par rapport au sujet, au sujet en effet plus ou moins affolé par cet extraordinaire condition humaine d’habiter le langage, qui est d’être celui qui se met en position de cause du désir. C’est vrai que le transfert n’est pas rien, mais s’il n’y avait pas la parole, la parole du sujet parlant, de l’analysant lui-même qui en trace en quelque sorte les voies, jamais l’interprétation de l’analyste ne pourrait en somme faire cette coupure, ce quelque chose grâce à quoi une structure change. C’est bien pourquoi l’analyse, je l’ai fait remarquer tout à l’heure s’est fait remarquer par ce quelque chose qui en est dans les conditions de l’histoire où nous sommes, un nouveau discours, un nouveau mode de lien social. Ce quelque chose qui s’établit de l’analysant à l’analyste est là la cellule initiale de quelque chose qui doit aller beaucoup plus, qui ira ou n’ira pas, mais si elle va, elle tiendra une place, n’est-ce pas, cette position de l’analyste, elle tiendra une place essentielle dans quelque chose qui nous mettra en repos, qui compensera, qui étanchera le mode de malaise, en effet, malaise dans la civilisation, – déjà Freud l’avait promu, il l’avait certes promu en sachant ce qu’il disait parce qu’il en sentait venir les symptômes – mais ce malaise s’accentuera certainement, il ne peut que s’accentuer en raison de ce qu’apporte de tout à fait nouveau dans le lien social lui-même, ce discours scientifique.

C’est en cela que l’époque où nous vivons fait de l’avènement de l’analyse non pas du tout un progrès, parce que, comme j’ai déjà plusieurs fois fait allusion dans ce discours, ce qui se gagne d’un côté, se perd d’un autre ; ce que nous avons acquis comme ressort, comme usage du savoir, comme mise à la question du savoir dans ses rapports avec la vérité, c’est quelque chose qui assurément existe, qui est vraiment le tampon, la marque, le saut, l’épingle, le blason de cette ère que nous vivons. Mais nous ne savons pas non plus, nous sommes bien incapables de dire par rapport même à des stades, à des époques qui nous sont proches, quel était à ce moment le savoir qui était précisément ce qui faisait l’équilibre, ce autour de quoi enfin s’apaisait cette horrible impatience ; et c’est bien parce que nous ne le savons pas que nous en sommes réduits à nos propres moyens.

Le lendemain de la conférence a eu lieu un entretien à la télévision belge avec Françoise Wolff portant sur « Les grandes questions de la psychanalyse ». Cassette MK2 vidéo sous le titre : Jacques Lacan. Conférence de Louvain suivie d’un entretien avec Françoise Wolff. Au cours de cet entretien sont insérés des commentaires sur Lacan que nous indiquerons par […].

F. Wolff – Si nous demandons à Jacques Lacan ce qu’est la psychanalyse, c’est parce que nous croyons qu’il est une des plus prestigieuses figures de la psychanalyse contemporaine.

J. Lacan – La psychanalyse est quelque chose dont l’existence commence à être connue de, par beaucoup de monde. L’expérience analytique, ça n’est certes pas moi qui l’ai inventée. C’est quelque chose qui s’est constitué selon ses voies, ses voies n’ont peut-être pas toujours été les plus conformes à aller droit à leur but. Néanmoins il y a quelques sortes de formes dans lesquelles elle s’est instituée et ces formes, quoique très évidemment d’artifice, ce qui est commun à toute espèce d’expérience, n’est-ce pas, ont permis une certaine élucidation concernant quelque chose dont il ne suffit pas de dire, n’est-ce pas, qu’il s’agisse de troubles. Qu’il s’agisse de malaise est quelque chose qui soit hautement significatif, c’est évidemment ce qui résulte de l’expérience analytique elle-même.

À cet endroit, le fait que un public de plus en plus nombreux soit averti de la possibilité d’une telle expérience est quelque chose qui est la base à partir de laquelle je me trouve avoir quelque chose à dire.

[…]

Je me trouve avoir insisté, enfin, sur, sur ce qui est évident, enfin, non seulement à première inspection mais à la seconde et à toutes les inspections possible, jusqu’à la dernière. L’analyse est une pratique de langage. La découverte de l’inconscient par Freud, il suffit d’ouvrir un de ses trois premiers livres, les livres fondamentaux concernant justement la découverte de l’inconscient, il n’y a pas d’autre appréhension de l’inconscient dans Freud qu’une appréhension langagière et c’est d’ailleurs en quoi l’expérience analytique le confirme c’est que, rien n’y passe que par la parole, celle de celui que j’appelle l’analysant, ou celle de l’analyste. Il serait quand même extravagant que par rapport à ce fait pratique, enfin, on cherche un alibi dans je ne sais quelle construction accessoire.

F. Wolff – Comment définissez-vous l’inconscient ?

J. Lacan – Je définis l’inconscient… c’est devenu, c’est devenu un petit bateau, enfin, je définis l’inconscient comme étant structuré comme un langage. Ce n’est évidemment pas ici que je m’en vais me mettre à en faire le commentaire. Il est certain que c’est à partir de là que commencent les questions. Comment le fait que ces sortes d’êtres qui ce langage l’habitent, comment est-ce que ça se fait que ce serait, à m’en croire n’est-ce pas, par le véhicule du langage qu’il se trouverait dans tout ce que découvre l’analyse à l’intérieur de ce fait, comment se fait-il que lui sont transmises, enfin, des conditions aussi dramatiques, c’est le cas de le dire n’est-ce pas, que le fait qu’il soit tellement dans la dépendance de tout ce qu’il a attendu dans le monde et tout spécialement au niveau bien sûr qui est celui dont il a reçu transmission de ce langage, de ce langage qui est celui que lui a parlé sa mère, comment à travers ça quelque chose d’aussi prévenant, je veux dire dominant n’est-ce pas, que le désir dont il est en somme le résultat, la conséquence, comment sa destinée entière peut-elle être marquée par cela ? C’est évidemment là que commence l’exploration, mais le mode d’alibis, enfin, plus ou moins prétentieux, enfin, désignés sous le terme d’affects alors que, à quelle occasion ont jamais pu se produire les dits affects, c’est à l’occasion de déclarations plus ou moins opportunes, enfin, c’est là que commence l’expérience analytique ; mais ne pas lui donner comme prémisse que c’est bien au niveau du langage qu’est le problème, me paraissait d’autant plus difficile de l’éviter qu’il ne s’agit pas là du tout d’une question théorique mais d’une question qui emporte tout l’efficace de la pratique analytique.

[…]

F. Wolff – Quel est le rôle de l’analyste ? Est-ce, comme vous l’avez dit hier soir, ce rôle de « je ne te le fais pas dire » ?

J. Lacan – Oui, je me suis en effet, hier soir, armé, enfin, pour en faire un exemple, pour rendre sensible une dimension qui est celle que j’exprimais en spécifiant que j’ai dit « structuré comme un langage », c’est-à-dire une langue particulière. Nous ne connaissons que ça, enfin je voulais bien marquer la différence, l’accent, enfin l’accent précis que cela comporte, qu’après tout on ne peut qu’en habiter une ou plusieurs, mais on ne peut qu’habiter certaines de ces langues. Alors ce que vous me demandez maintenant, si je comprends bien, c’est quel est le rôle de l’analyste, m’avez-vous dit ? Re-précisez bien ce que vous vouliez dire par là. Le rôle de l’analyste…

F. Wolff – dans la relation analytique…

J. Lacan – et bien…

F. Wolff – Est-ce c’est de faire dire ou de ne pas faire dire ?

J. Lacan – Oui, c’est ça, c’est le fameux « je ne te le fais pas dire ». Je l’avançais comme exemple que de ce qui justement spécifie ce, un langage. On ne peut pas jouer sur l’ambiguïté que comporte l’expression « je ne te le fais pas dire » qui peut dire, qui peut vouloir dire deux choses tout à fait différentes en français : « tu l’as dit » et, je me mets hors du jeu : « c’est pas moi qui te l’ai fait dire par quiconque ». C’était un exemple destiné à montrer la spécificité d’une langue entre les autres et c’était pour montrer que l’intervention soulignée, que l’intervention analytique est très typiquement ce qui fera toujours usage de cette équivoque.

[…]

F. Wolff – Dans l’expérience analytique, il y a le transfert. Comment, en tant qu’analyste, vivez-vous cela ?

J. Lacan – En tant que quoi ?

F. Wolff – En tant qu’analyste.

J. Lacan – Oui, en tant qu’analyste, j’en ai l’expérience ; elle est toujours, même j’ai pu le constater pour les analystes les plus chargés justement d’expérience, à chaque fois une surprise nouvelle, et je ne peux même pas ici témoigner de ceux qui m’en ont fait l’aveu. Je ne vois pas pourquoi je les mettrais en avant quand moi-même c’est ce que j’ajouterai à leur témoignage, c’est que pour moi aussi c’est un sujet d’émerveillement, mais… ça ne dit en rien ce que… où chacun peut, fait situer enfin cette manifestation si sensible et si étonnante à voir dans une expérience que j’ai définie à l’instant par quelque chose, qu’on ne se méprenne pas, ce n’est pas la diminuer que de dire qu’elle est marquée d’un certain nombre d’artifices. Ce n’est pas du tout une raison pour penser que le transfert est lui-même artifice. C’est bien sûr là, beaucoup d’analystes, enfin, s’abriteront, dirais-je, parce qu’à la vérité, la surprise n’est jamais sans provoquer aussi un effet de terreur. S’abriter derrière la motivation artificielle du transfert pour penser qu’après tout ce n’est qu’un artifice, c’est se mettre à l’abri de quelque chose qui, on le comprend, peut paraître lourd, parce que, comme Freud lui, enfin, il ne manquait pas de le regarder en face, il n’y a aucune distinction entre le transfert et l’amour. À partir de là commence la question : comment en effet, une situation d’artifice peut-elle déterminer un ordre de sentiment qui paraît un ordre aussi élevé dans l’ordre naturel que l’amour, je dois ajouter, car le transfert n’a pas que cette forme, il a aussi celui de la haine. Mais si l’analyse a démontré quelque chose, c’est le profond, étroit accolement de l’amour et de la haine. J’ai, je crois, le premier, essayé de, ce transfert, enfin, de façon qui motive l’ordre, l’ordre élevé de son phénomène, je l’ai inscrit, enfin, la rubrique de ce que l’analyste se trouve effectivement dans l’expérience analytique occuper comme place et je l’ai épinglé de termes qu’il faut accueillir même sous la réserve de cette ambiguïté dont je parlais tout à l’heure : le sujet supposé savoir. Quelle est la relation d’un sentiment tel que l’amour avec une formule de l’ordre du sujet supposé savoir ? C’est assurément ce qu’il est tout à fait impossible non seulement d’expliquer, mais même seulement de faire sentir dans un aussi court entretien.

[…]

F. Wolff – Certains psychanalystes disent détenir la clef du normal. N’est-ce pas dangereux ?

J. Lacan – Oui, enfin c’est une, c’est une opinion, ( il soupire ) à la vérité, tout à fait déplacée, enfin. Aucun analyste ne devrait, je ne dis pas… (un technicien intervient puis, Lacan avec un geste d’humeur … non, ne recommencez pas toute l’affaire. J’étais à aucun analyste, passons à moi, allez …) aucun analyste ne peut s’autoriser sous aucun angle à parler du normal, de l’anormal non plus d’ailleurs. L’analyste, en présence d’une demande d’analyse, a à savoir s’il pense que cette demande d’analyse a forme propice à ce que le procès analytique s’engage, c’est le cas de le dire, enfin, cordonnier pas au-delà de la semelle, au nom de quoi l’analyste parlerait-il d’une norme quelconque, sinon, permettez-moi la plaisanterie, d’une mal norme, d’une norme mâle.

[…]

F. Wolff – Donc sous le couvert de la psychanalyse, il n’y a pas une répression de la liberté ?

J. Lacan – (rire) Oui…, ces termes, le terme me font rire, oui…, je ne parle jamais de la liberté.

1 . Lacan dit « la réponse », en accentuant le la.

2 . idem.

3 . parce que.

4 . d’à qui je vais parler.

5 Lacan l’a-t-il écrit au tableau, ou est-ce le fait du transcripteur ?

6 Faute de frappe ou néologisme ?

7 Faute de frappe ou néologisme ?

8 . il doit plutôt s’agir de cet Autre .

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