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La place de l’intervenant social en milieu ouvert comme « tiers structurant »

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Jean-Pierre Le Duff

dimanche 20 janvier 2013

La place de l’intervenant social en milieu ouvert

comme « tiers structurant »

« Quand les contradictions et les opposés s’offrent comme ressource au travail social »

Texte intégral qui a servi de référence à la conférence du 22/11/2012 à l’EESP Lausanne à partir de la carte heuristique en annexe

SOMMAIRE

Introduction : articulation des contradictions

a) La structure (dialectique et dépassement des dualités)

b) la transcendance des dualismes : dogmes sociétaux et indicateurs binaires (ex : de l’innocence à la culpabilité avec l’illustration du couple tyran/victime.)

c) Deux modes de l’action éducative qui en appelle à un dépassement de ces deux principes éducatifs :

en réponse aux attentes sociales : « arrêt du symptôme »

en réponse aux attentes individuelles et d’appartenances : « arrêt de la souffrance »

d) La clinique éducative

e)le travail parental comme axiologie susceptible de concilier ces deux modèles d’intervention éducative Régulation et travail clinique avec les parents : deux facettes d’une même unité qu’est l’acte éducatif ; ni unicité hyper-solidaire (contre l’adversité) où 1et1=1 ; ni face à face où 1et 1=2 mais 1et1=3 ouvre l’espace à l’absolu de l’autorité parentale.

Concilier les deux facettes de l’intervention éducative car l’AEMO n’est ni centre de médiation ni centre de consultation. C’est cette aptitude à concilier ces modèles opposés qui donne de l’identité à l’action éducative en milieu ouvert.

f) Cette mise en surplomb des doubles modèles éducatifs souligne l’identité de l’action éducative en milieu ouvert , teintée d’accompagnement indexé de clinique pour servir de support à l’élaboration de choix subjectifs.

g) Pour conclure  : L’éthique de choix comme résultante d’une pensée synthétique ou structuraliste.

Prologue :

Le titre : « tiers structurant » suppose d’être dans l’entre deux de ce qui se contredirait et s’opposerait, de ce qui se différencierait sans s’accepter.., et qui, à priori, apparaîtrait inconciliable.

Chacun d’entre nous peut avoir en mémoire ses hésitations, ses doutes, ses ambivalences et ses conflits intimes  quelle que soit leur densité. Qu’on le veuille ou non, la vie est jalonnée de contradictions . La difficulté à concilier ce qui apparaît de prime abord comme inconciliable est de fait, perçu comme un problème : soit notre dynamique s’en trouve arrêtée, sidérée, suspendue soit elle s’emballe, sans perspective déterminée, de manière éclatée, telle une fuite en avant.

Cependant, à mon avis, ces contradictions sont d’autant plus de structure qu’elles nous invitent à les dépasser afin de nous déterminer et faire des choix. Certaines personnes n’y arrivent pas et dès lors manifestent une attente ou formalisent une demande d’aide pour y parvenir. Cette quête d’aide et de soutien de la part de ces personnes en difficulté, en souffrance, se présente comme ressource pour le travail social. Ainsi, ce dernier est susceptible de se présenter comme support afin qu’ils dépassent ce bloquage et trouvent leurs propres solutions, en s’inscrivant à nouveau dans un processus de vie indexé de temporalité.

Cette fonction du travailleur social se révèlera d’autant plus pertinente et efficace qu’il parviendra lui-même à transcender en une unité identitaire les deux volets contradictoires qui échoient de fait aux métiers du social. Entendons par là la nécessité de concilier d’une part sa fonction de contrôle social et la dimension clinique de l’acte éducatif qui peuvent également paraître comme des opposés.

C’est l’articulation des contradictions inhérentes à la vie humaine et sociale avec celles qui particularisent inéluctablement le travail social qui va servir de thème générique à mon propos. Générique que je vais décliner en plusieurs chapitres successifs pour souligner que c’est la prise en compte de cette articulation comme point de capiton* et de trame , qui conditionne la fonction ternaire des professionnels du social et de la santé psychique.

On ne peut pas préconiser des conseils, prodiguer des avis, des idées qu’on n’appliquerait pas à soi-même. Se présenter comme référence suppose la nécessité d’une confluence entre ce que nous préconisons verbalement et ce que nous transmettons implicitement de manière analogique . Le lien avec l’autre sera d’autant plus favorable que nos invitations

*point de capiton : point d’articulation entre coinçage et reliance ; point où se noue signifié et signifiant et qui peut être déplié dans d’autres significations

verbalisées seront confluentes avec ce que nous manifestons implicitement, analogiquement. Ce que nous estimons valable pour d’autres doit l’être d’abord pour nous-mêmes. Dans le cas contraire nous ferions du double langage et ne serions pas crédibles.

(exemple : des éducateurs d’un groupe de vie, dans un foyer éducatif, qui interdisent aux jeunes de fumer dans le véhicule, conformément à la règle, tout en s’en octroyant le droit de le faire).

Ce serait la révélation d’un écueil fondamental : la révélation de l’imposture car nous prônerions des idées que nous n’appliquerions pas à nous-mêmes. En ce sens, notre capacité à dépasser, à transcender les contradictions qui échoient à notre métier ne serait-elle pas notre meilleur atout professionnel pour être un support structurant. (En référence au sociologue Jacques Elul , transcender reviendrait à s’extraire de la cage de fer des idées toutes faites, des idéologies closes et des conformismes pesants,de toute doxa pour adopter un point de vue extérieur, imprégné de culture -car on se représente l’autre-, situé en perspective, en surplomb)

L a raison sociale de la fonction éducative en Milieu Ouvert consiste en une réponse aux attentes de la société ; à savoir colmater les tensions, apaiser les crises, cautériser les plaies, réguler les symptômes et au fond garantir l’ordre social . Il s’agirait d’une mission de contrôle social que nous pourrions caricaturer en « soupape susceptible de gommer les aspérités sociales », de lisser les contradictions,les controverses. (traiter le symptôme)

Et en même temps par le truchement du Juge pour enfant et de l’aide sociale à l’enfance, la société nous demande de soulager les personnes et leurs groupes d’appartenance de leurs souffrances, de leurs blessures. En ce sens, elle demande au travailleur social de traiter non seulement le symptôme ainsi que nous l’avons mentionné plus haut,mais la fonction du symptôme qui à la fois, de manière paradoxale, recouvre et manifeste cette souffrance, un éventuel traumatisme. A ce niveau, Il s’agit ainsi de ne pas lisser les difficultés mais, avec un regard clinique, d’en tirer toute la substance pour accéder à de la résilience et à de la créativité.

Si le premier volet de la fonction éducative lisse les contradictions qui émergent, le deuxième volet les inscrit au centre d’un débat contradictoire . Ces deux volets qui nourissent une même identité, bien qu’apparemment opposés, vont servir de ligne de conduite à mon exposé.

A partir de ce préambule, mon intention est d’essayer de clarifier quels pourraient être le positionnement et l’identité de l’assistance éducative en Milieu Ouvert , en terme de structure , en temps que représentation ternaire susceptible d’engendrer un processus de travail avec les enfants, les adolescents et les familles pour lesquelles juges pour enfant et aide sociale à l’enfance nous missionnent. Notons que nous ne sommes ni centre de consultation thérapeutique, ni centre de régulation et de médiation.

En tant que travailleur social j’exerce comme psychologue dans des services d’action éducative depuis de nombreuses années. De mon point de vue la particularité de cette fonction, dans de telles institutions professionnelles et plus particulièrement en A.E.M.O est de soutenir et de garantir, au cœur de la mission de contôle social, une dimension clinique à l’acte éducatif afin qu’il soit structurant .( ou exprimé d’une autre manière, de faire en sorte que les rets de l’imaginaire soient indexés d’une dimension symbolique)

Trois citations et une petite fable pour clore cette introduction de mon propos :

Le proverbe du marabout Sénégalais « un chien a beau avoir quatre pattes il ne peut suivre deux chemins à la fois ».

L’immigré africain peut-il et doit-il choisir entre deux références, soit l’occidentale soit l’africaine ou peut-il concilier les deux, celle d’origine et celle d’accueil, aussi différentes soient-elles en apparence, en devenant « un nègre blanc »comme le dit mon ami Boubacar, sans perdre son âme et en assimilant le négatif de ses espoirs perdus, déçus. A l’instar de l’immigré nous nous trouvons souvent à l’intersection des chemins à prendre. (voir bibliographie « un toubab chez les Bambaras »)

« La joie pure et la douleur pure sont deux aspects d’une même vérité précieuse. Et heureusement, car grâce à cela on a le droit de souhaiter à ceux qu’on aime la joie, plutôt que la douleur » écrivait Simone Weil vers 1943

« Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres » Lao Tseu

Et, enfin, citons une petite histoire à considérer telle une fable. Dans un pays d’Asie, peut-être dans une région de Chine, à une certaine époque que nous pourrions probablement situer sous Mao, il y avait des experts au Plan Agricole. Or, une année ils font le constat d’une mauvaise récolte (inférieure d’un tiers de la production espérée)qu’ils imputent à la voracité des oiseaux qui pullulent et se nourissent des graines. Ils décident donc de les exterminer. Aussi d’aucuns s’emploient à faire du bruit jour et nuit pour effrayer jusqu’à épuisement les pauvres passereaux qui ne peuvent plus se poser pour se reposer. Ils en meurent. Mais l’année suivante les mêmes experts font le constat que cette solution n’a pas été très efficace car la récolte s’avère encore plus mauvaise (cette fois elle est inférieure de moitié à la prévision). Ils ne peuvent que constater l’invasion des insectes qui prolifèrent ; ne servant plus de nourriture aux oiseaux il ravagent les récoltes.

Une troisième question s’impose à nos experts : comment préserver à la fois ces opposés apparemment inconciliables que sont les récoltes et les oiseaux. Ou encore dans une terminologie plus intellectuelle : « comment passer d’une logique disjonctive (soit la récolte soit les oiseaux) à une logique conjonctive qui en appelle à une troisième voie.

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A) La structure nous amène à introduire un terme amplement employé de manière variée. Il m’apparait donc important de préciser le sens et l’usage que j’en fais. Cela nous renvoie au structuralisme et à une de ses figures de proue qu’est Claude Lévy-Strauss.

La Structure est l’ensemble qui tient les éléments, les individus qui la composent. C’est ce qui tient le sujet en référence à l’Autre , à l’équipe éducative, au contexte, au système dont il fait partie. (On ne peut être sujet que référé, que de manière relative et reliée) Comme le dit E. Morin « l’autonomie n’est pas indépendance mais choix de nos appartenances ».

La structure est composée d’un ensemble d’éléments organisés selon certaines relations bien définies. Jean Piaget nous en donne une définition  : « une structure est un système de transformation qui comporte des lois en tant que système (par opposition aux propriétés des éléments) et qui se conserve et s’enrichit par le jeu même de ses transformations, sans que celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fassent appel à des éléments extérieurs » Une structure comporte trois caractéristiques  : totalité, transformation et autoréglage.

L’autoréglage ou autorégulation est la caractéristique essentielle de la structure. Il signifie qu’elle est susceptible de s’auto-conserver et de s’adapter. Cette caractéristique implique un sentiment de permanence et de continuité qui sert d’assise et de sécurité au groupe d’appartenance et qui dès lors permet dialectiquement son opposé qu’est la flexibilité dont découlent le mouvement et les transformation s internes qui favorisent cette compétence d’adaptation. C’est parce qu’il y a un tel sentiment de stabilité que peut se déployer tranquillement l’ouverture sur l’extérieur, à des réseaux variés, à des cycles de vie et des évènements variables.

L’idée de structure place également au premier rang la notion de totalité. Celle-ci prime sur les parties, les individus qui la constituent, sans les négliger. Et elle n’apparait pas se limiter à l’assemblage, à la juxtaposition de ces mêmes individus. Il ne s’agit pas de coprésence, d’être côte à côte, mais de coexistence. (articulation entre les membres qui la composent)

Toute transformation, toute mutation créent des turbulences. Or les tentatives de récit que nous faisons de notre histoire, sont des réponses à ces incertitudes que nous voulons maîtriser pour en atténuer la menace éventuelle. Ainsi nos quêtes d’explications, d’explicatifs, président à l’irrationnel de notre vie pour s’en arranger, pour que cela soit acceptable à nos yeux et surtout que cela soit reconnu, inscrit dans une structure qui la souligne comme présence .

La Structure ainsi posée est l’ordre symbolique qui permet aux êtres de se départir des personnages qu’ils jouent et se jouent dans une aliénation imaginaire aux modèles sociétaux, publicitaires, de mode… ; qui permet donc de se dépendre du « pantin social » dont ils s’habillent pour au bout du compte accéder à la part, à la valeur si souvent dissimulée de leurs affects, de leur faillibilité et leurs fragilités humaines qui ouvrent la voie à leur subjectivité. Le travail de clarification a pour objet de favoriser le dépassement du personnage qu’on se joue pour accéder à l’authenticité dont les faillibilités sont le support . La structure nécessaire à l’individu est tout aussi indispensable au groupe d’appartenance, comme à toute institution. La nécessité symbolique d’être référée à l’Autre, évite les glissements d’autosuffisance, d’anthropogenèse propre aux idéologies totalitaires.

Et de là,  j’en arrive à mettre l’emphase sur l’idée que le propre de la structure est de permettre le dépassement des contradictions inhérentes aux pôles contradictoires (sentiment de permanence et flexibilité mentale, mentionnées précédemment) qui portent les humains et les sociétés, comme étant deux pôles d’une même unité susceptible de faire identité . Il s’agit d’une pensée synthétique ; dialectique qui favorise le dépassement des oppositions vers une troisième voie qui les transcende. Ex : institué/instituant vers une nouvelle institutionalisation ; enfance/adolescence vers des choix adultes.

N’omettons pas de préciser que le structuralisme trouve ses origines dans la linguistique qui propose d’appréhender toute langue comme un ensemble, un système dans lequel chaque mot n’est définissable que par les relations de similitude (d’équivalence) ou d’opposition qu’il entretient avec les autres . C’est cet ensemble de relation qui fait structure. C'est-à-dire qu’un mot n’a de sens qu’en rapport à son contraire ; ainsi le sauvage existe en rapport au domestique, l’ombre en rapport à la lumière et ainsi de suite. Ferdinand De Saussure (linguiste) dit que le système de la langue est « relatif et oppositif » et chaque élément ne prend son sens que dans sa relation et son opposition à d’autres éléments. Descartes, lui, souligne l’idée qu’ « il faut l’ombre du mal pour faire ressentir la lumière du bien ».

Notons également que l’opération cognitive « comparaison » permet de repérer en quoi deux éléments font partie de la même famille et en quoi dans un tel cadre ils se différencient et se ressemblent. Ex : une chaise et une table se ressemblent en ce sens qu’il s’agit de deux meubles mais se différencient par leur fonction. Comparer est une opération structurante car elle en appelle à mesurer les avantages et les inconvénients d’un élément, d’une conduite...

Un passage du film de Karine Tardieu « Du vent dans mes mollets » montre une petite fille, lors d’un rêve éveillé, qui se représente en psychothérapie avec Mme Tétra. Elle tamise les avantages d’avoir ses parents décédés pour profiter de tout ce qui lui est interdit et l’inconvénient majeur d’être seule car ça lui ôte le plaisir de le raconter à ses parents.

La structure est dialectique.

Hegel, (père de la pensée dialectique ) lève le principe de non contradiction cher à Aristote, réhabilitant ainsi, deux millénaires après, la pensée d’Héraclite qui considère que toutes les oppositions communiquent en une Unité. Le philosophe contemporain (sinologue) François Jullien interroge le fait que le mal a besoin du bien et réciproquement. « Il faut que le mal donne un peu de vie… c’est le mal qui fait surgir de l’évènement, du récit donc du désir. (ex : regardons les journaux télévisés qui nous apportent notre quota de mauvaises nouvelles ; que seraient-ils sans tous ces évènements porteurs de troubles, de catastrophe !!!)

Il note en référence à Plotin le caractère insupportable de tout positif ; (refus du positivisme) précisant qu’il faut la faille , la fissure du positif, de la droiture pour que le désir puisse se dresser. Pensons déjà aux familles qui prônent l’idéologie d’une entente cordiale à tout crin, où les différences de deux sujets qui constituent l’unité couple se trouveraient dissolues. Ils feraient UN. L’opposé fait système avec, car l’on ne peut séparer un élément et son contraire étant donné qu’ ils appartiennent au même ensemble . Ainsi, ce qui est souligné comme bien lors d’une conflictualité parentale fait partie de la même unité que ce qui est allégué comme nocif, que ce qui est diabolisé. Et « s’il  est vrai qu’un discours peut mettre en valeur une idée, il faudra toujours deux discours opposés –thèse-antithèse- pour en éprouver la vérité  ; le témoin (auditeur-spectateur-citoyen -chacun d’entre nous en quelque sorte) s’instaurant en tiers pour en juger selon la ligne des arguments avancés. »

J’y ajoute le travailleur social en tant que tiers à l’écoute des consensus et des dissensus parentaux. D’autant plus que lors de conflits exacerbés, les diabolisations réciproques ne sont que les projections, le reflet du négatif de chacun des protagonistes sur l’autre partenaire qui, dès lors devient le tout mauvais en comparaison du tout bon. Mieux vaut attribuer à l’autre ce qu’on ne veut pas voir chez soi, afin de s’attribuer une bonne conscience. (Nous y reviendrons quand nous aborderons la valeur des reproches-au cœur d’une relation où inévitablement chacun y est un peu pour quelque chose quand cela va mal). Le négatif devient l’autre auquel on associe bien souvent son appartenance d’origine. (Comme en géopolitique « où il y a toujours un extérieur opposable à soi : le négatif étant l’autre bloc (les USA pour L’URSS et réciproquement à une certaine époque ; de même le négatif peut être l’autre classe (la bourgeoisie pour le prolétariat, etc.)

En conclusion de ce chapitre  : le propre d’une structure est de souligner le fait qu’une chose n’a de sens que par rapport à sa propre négativité. Ce concept vient qualifier le principe des contradictions qui seul permet de favoriser une dynamique clinique susceptible de devenir structurante car, toujours en dépassement dans une temporalité, à entendre comme mouvement dialectique qui se « temporalise comme avenir qui va au passé en venant au présent » selon l’expression d’Heidegger.

En ce sens la clinique qui exploite les failles, les fragilités, les contradictions et les crises comme substance pour une finalité structurante, en tant que négatif vient souligner l’intérêt de la régulation, de la médiation comme moyen temporaire pour y parvenir . L’apaisement des tensions exacerbées est nécessaire comme préalable à un travail clinique avec des parents, avec des familles dans l’intérêt de leurs enfants . C’est cet objectif partagé qui sera susceptible de faire en sorte de transcender les points de vue de chacun quels que soient les reproches allégués. « Tout positif sous entend un négatif et ne pourra se penser sans lui  ». Ainsi posées ces bases de réflexions dans un cadre clinique , la confrontation n’est plus à entendre comme jugement, désignation réciproque du mauvais ou du fautif mais, elle revient à une invitation à ce que d’aucuns regardent leurs propres négativités comme élément vital, plutôt que de l’attribuer à l’autre. Cela ouvre l’espace de l’ambivalence, de la contradiction et des conflits intimes comme structure pour les dépasser et les transcender dans des choix identitaires .

B) La transcendance des dualismes

Des logiques dualistes dominantes tendent à rabattre la structure, la triangularité, à un niveau logique dépourvu de troisième dimension, de perspective. C’est le prima contemporain des logiques disjonctives où l’on passe notre temps à catégoriser( ce qui n’est pas homme est femme, ce qui n’est pas ciel est terre …). Nous, nous retrouvons au cœur de relations horizontales où face à un mal radical s’oppose un bien absolu. Cela se retrouve lors de conflictualités conjugales et parentales mais, aussi sur le plan de la géopolitique où les empires successifs qui se sont échelonnés au cours de l’histoire se sont employés à diaboliser l’adversaire. La logique dualiste facilite la justification de ses actes aux dépens d’un mauvais ainsi désigné, d’un adversaire qui incarne le mal, qui ainsi devient projection de sa propre négativité.

Depuis une vingtaine d’année «  la domination du dualisme caricatural et de l’injonction binaire  » se font nettement sentir. Le retour de cette pensée dualiste (1et1=2) fait émerger une régression de la pensée moderne car elle souligne au cœur des sociétés le retour du « fanatisme du bien » comme des doxas qui prônent des idéologies closes donc dépourvues de culture et aliénées à des certitudes. Ainsi, lors de divorces difficiles, au mal radical chacun choisit d’opposer un bien absolu qui serait réfractaire au doute . Nous, nous trouvons confrontés à une forme d’intolérance archaïque.

En réaction à ces tendances dualistes, La quête de « l’harmonie extrême », de l’unicité parentale (1et1=1) à l’instar du roman « Mars » de Fritz Zorn où la divergence d’opinion est la fin de tout. Elle spatialise la vitalité d’un système en lissant la spontanéité des sentiments. « L’harmonie familiale devient telle qu’il ne devait y avoir qu’une opinion, au point que des divergences de point de vue aient été la fin de tout ». (ex : l’hypersolidarité parentale)

Or, les conflits intimes comme de loyauté s’avèrent vitaux, à condition qu’ils évitent le glissement vers le clivage en appelant à leur dépassement vers des choix. La construction humaine ne se nourrit pas comme le mentionne T. Todorov « d’une addition de voix semblables, mais d’une intégration des différences ».

Il est donc essentiel de se préserver de telles logiques dualistes, qui se rapprochent d’une posture fondamentaliste, afin de protéger la structure . Ainsi, pour l’un des plus petits groupes d’appartenance complexe que constituent deux parents, il nous apparaît essentiel de préserver les deux références identitaires que sont le pôle paternel et le pôle maternel. Deux pôles qui s’épanouissent dans leurs différences et leurs congruences, voire dans leurs contradictions comme dans leurs similarités.

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A l’instar de la croissance et de la récession économique les indicateurs binaires (le plus et le moins-le gain et la perte..) font leur entrée au sein de la vie humaine. Les paramètres plus comptabilisables viendraient porter atteinte au partage, à la parité, à une certaine idée de l’équilibre.

Le « visuel » numérique, informatique (binaire) qui se substitue à l’image traditionnelle n’est qu’un « agencement arbitraire d’impulsions électroniques ». Voilà coupé le dernier fil qui rattachait l’image à la concrétude du réel. En conséquence nous nous trouvons sous l’emprise de différents dogmes . Bien sûr, celui du quantitatif , du chiffre à toutes les sauces (sondages et autres envahissantes évaluations chiffrées), au dépens du qualitatif. (exemple des diffusions radiophoniques quasi-hebdomadaires où le moral des français est relatif à l’indice de consommation.)

Le dogme de l’événementiel, de l’instantané qui souligne le prima de l’immédiateté. Nous sommes à une époque où tout devrait être visible aussitôt, dans un espace élargi.., dans l’espace d’un temps qui se retrouve spatialisé. En conséquence l’importance d’un tel dogme dans nos sociétés contemporaines nous invite, nous travailleurs sociaux, certes à y résister mais, surtout à être tiers entre cet instantané et l’évanescence temporelle d’un temps fugitif. Etre ce tiers qui réhabilite la temporalité lorsque celle-ci est atteinte soit par un temps suspendu du nostalgique , rétention du déprimé soit par un temps qui saute d’un instant à l’autre, à l’instar de l’hyperactif, protention du maniaque. N’oublions pas que la temporalité est cet entre-deux, dialectique de la successivité et de la linéarité temporelle dont nous devons être le garant à l’instar d’un roman de vie dont on discerne les chapitres, les phases qui se succèdent dans une histoire.

Et le dogme de la transparence qui porte atteinte à la confiance , voire à la vigilance . Dogme qui, pourfendant l’intime des gens, nous invite à nous positionner en protecteur. Dès lors, s’impose à nous une autre position ternaire consistant à garantir voire restaurer si besoin la dialectique de la reconnaissance normative et de l’intime comme fondement d’une unité identitaire comme d’appartenance . (I/N) Un couple, une famille ne peut exister confortablement sans l’articulation relative de ces deux instances. En conséquence du fondamentalisme de la quête de transparence, (partout flashé et filmé) le travailleur social se trouve donc confronté à s’inscrire comme tiers face au dualisme de la protection de l’intimité et de la tyrannie actuelle de cette irrépressible transparence.

( Au regard des nombreuses jeunes filles rencontrées actuellement en AEMO, qui ne se protègent pas suffisamment et se mettent sexuellement en danger, la question de l’Intime aujourd’hui est en questionnement ).

Si un parent se fait l’écho du « totalitarisme social » de la transparence dont les médias, les nouvelles techniques se font largement le porte-parole voire l’initiateur (télé réalité, face book), l’autre parent en opposition peut devenir le protecteur de l’intime, de la cellule familiale. Prise entre ces deux regards, la question du partage de l’autorité parentale est à nouveau initiée.

Enfin attardons-nous sur le dogme de l’innocence qui engendre le dualisme de la victimisation et de la culpabilité. Ce dualisme donne du fil à retordre au travail social sollicité par le juge pour réhabiliter une autorité ternaire . Cela est d’autant plus ardu que les équipes éducatives qui n’échappent pas à leur époque , se trouvent elles-mêmes traversées par les problématiques du public avec lequel elles travaillent . Il n’est pas rare de voir ainsi le débat contradictoire nécessaire à la vie des équipes se trouver lui-même perverti par ce dualisme mentionné avant. Celui-ci rabat la dimension symbolique que représente l’équipe éducative à une dimension relationnelle binaire qui réduit l’attention réciproque, le débat critique à une logique de reproches mutuels. Parfois il arrive que celle-ci puisse se réduire en des conflictualités stériles susceptibles de prendre des tournures variées plus ou moins douloureuses. A ces moments sommes-nous disponibles, compétents pour servir de support, pour remplir notre fonction de tiers social qui dès lors est atteinte? Elle ne fait plus autorité pour exploiter l’entre-deux de l’idéologie de l’innocence qui cultive « la folie victimaire » et l’acceptation d’une part de culpabilité susceptible d’en appeler à la responsabilité. (Pour y répondre il est donc essentiel de préserver les débats contradictoires au sein des équipes éducatives)

Se dire victime est une manière d’en évacuer sa part de responsabilité tout en réactivant la lutte entre les deux parents, en recréant finalement un monde binaire, victime /bourreau . Dans cette dictature de l’émotion valorisée par les médias, l’innocence reconquise enveloppe les tribunaux en rejetant le mal à l’extérieur de soi. En contrepartie le sentiment de culpabilité nécessaire à la vie humaine ne doit pas être rigidifié afin que la compétence de responsabilisation soit préservée. Il nous faut sortir de cette atteinte, où chacun drapé dans sa dignité a le devoir de ne pas diaboliser l’autre pour éviter de regarder sa participation à la problématique émergente. Ainsi les allégations, voire les fausses allégations diminueraient.

Prendre en considération la notion de « provocateur actif » et celle de « provocateur passif » ne serait-il pas une manière de restaurer un certain équilibre dans le partage des responsabilités? Cela pourrait d’une part, requalifier chacun au regard de l’image qu’il a de lui-même et d’autre part, restaurerait ce que la relation a de fondamentalement humain en préservant l’idée que face à ce qui advient si chaque protagoniste y prend sa part, chacun y pourra quelque chose .

Dans ce registre, le couple tyran/victime a tendance à occuper fréquemment les services d’AEMO. A la suite d’un divorce conjugal ou la tension reste patente, les reproches mutuels, en terme de projection de la faute sur l’autre partenaire parental, sont légions. Nous pouvons vite constater que le travail parental est souvent confronté à l’obstacle des problématiques individuelles de chaque parent.

Ainsi à titre d’exemple, prenons cette vignette clinique d’une situation familiale qui nous met en contact avec deux personnalités dont l’estime de soi est atteinte, blessée. Pour Elle cela se traduit par un sentiment de victimisation très fort, en écho de blessures narcissiques d’origine infantile. Entretenant cette perception « imaginaire » de victime, elle tend à se réfugier dans des conduites addictives (alcoolisation sporadiques)avec un bouillon de culture de victimisation cultivé au présent. Pour Lui , cet orgueil blessé, n’étant pas à la hauteur de l’image qu’il veut donner et avoir de lui, l’amène tantôt à se réfugier périodiquement dans de la déprime, de la blessure narcissique qu’il compense le plus souvent par des attitudes de prestance. Il le fait souvent au dépens de Madame, lui donnant ainsi les arguments de ses plaintes. Eludant l’intétêt d’une démarche thérapeutique individuelle, chacun d’autant plus déçu par la chute des illusions fondatrices de leur couple restaurateu r, en fera le reproche à l’autre. Chacun devient une béquille compensatoire. Ainsi Elle fait de son ex-mari un « tyran » sous l’emprise duquel elle se sent harcelée… Victime d’une histoire traumatisante qu’elle ne veut clarifier elle projette ce sentiment sur la réalité sociale dont son mari devient l’ultime représentant. Cet homme qu’elle avait épousé dans l’espoir qu’il répare, compense ses propres blessures intimes et restaure sa dignité. Le divorce révèle un malentendu de couple qui transforme l’autre en réceptacle d’une cause qui ne le concerne pas initialement, mais sur laquelle il s’est greffé. L’autre du couple devient malgré lui, une béquille psychologique et sociale, rationalisation projective d’une souffrance intime. Cela créé un point aveugle manifeste. En ce qui le concerne, Il se love, se drape dans une position haute, de soignant, de contenant de Madame. Cette prestance lui octroye une revalorisation narcissique, devenant celui qui assure dans le couple. Il est celui qui tient bon contre vents et marées. Il projette ainsi sur Madame son propre sentiment de dévalorisation intime en récoltant au passage une réhabilitation de son estime personnelle. Il en deviendrait tyrannique. Tout cela se révèle très complémentaire. Sinon que plus la « victime » désigne l’autre comme « tyran » à l’endroit de la société et plus particulièrement des enfants, elle en devient elle-même tyrannique à l’endroit du mari qui s’écroule et en devient d’autant plus blessé et à son tour « victime ». Ainsi, les deux partenaires du couple sont alternativement pris par cette danse, cette boucle récursive où sur fond de malentendu initial, chacun devient soit le « tyran » soit « la victime » de l’autre. Une danse, une relation dépourvue de dimension ternaire où la réciprocité, l’image spéculaire sont entretenues par une telle dualité. Il devient donc essentiel, à partir d’un tel constat que chacun des protagonistes soit renvoyé individuellement à sa question identitaire (estime de soi blessée) afin de s’en départir personnellement pour se passer de l’autre en tant que béquille socialisante et projective pour tenir debout à ses dépens. Chacun doit pouvoir s’affanchir de la position d’objet de la propre négativité de l’autre. (d’objet réparateur décevant il en devient bouc émissaire chargé de tous les maux) (lot d’un monde binaire où les perceptions imaginaires voilent toute dimension symbolique susceptible de nourrir la prise de recul nécessaire à toute autocritique).

Comme le mentionne Montaigne   dans « Les cannibales ». On diabolise les sociétés primitives qui tuent leurs ennemis avant de les manger. Mais on ne voit pas que les sociétés occidentales les torturent avant de les tuer. On diabolise les autres mais on ne voit pas ce qu’il y a de démoniaque chez nous.

(Les essais « Les cannibales », texte qui compare le monde européen et les indiens)

En conséquence le couple parental va porter la même teinte que le niveau conjugal, car les reproches nécessaires à la parentalité pour favoriser le débat contradictoire ne va plus se traduire en attentions réciproques mais en atteintes où chacun se valorise au dépens de l’autre. Et le risque pour les enfants dans ces registres relationnels binaires est qu’à défaut d’un conjoint réparateur narcissique, cette fonction leur soit attribuée. Fonction impossible, pathogène, dont il n’est pas toujours facile de se départir.

Cette illustration d’un couple aliéné à une relation binaire «tyran/victime » souligne l’intérêt d’un cheminement individuel en préalable au travail sur la relation parentale . A défaut de traiter le négatif comme part de leur propre conduite chaque conjoint le déplace sur l’autre en y donnant une dimension morale. Il est présenté, diabolisé comme fautif, mauvais et incompétent. Et le manque de confiance devient le nœud gordien( noeud inextricable qui ne peut être tranché que de manière brutale, caricaturale). Or le négatif pris en compte par chacun des partenaires parentaux (au lieu d’être déposé sur l’autre) devient structurant. Ainsi cette dualité de l’innocence et de la culpabilité recouvre le plus souvent quelque chose de l’intra-subjectif plus que de l’inter-subjectif. Et, dès que Madame et Monsieur prennent conscience, à partir de cette constatation de l’alternance de cette désignation complémentaire, de l’intérêt d’un traitement individuel de leur propre problématique, la parentalité dans l’intérêt des enfants se fait spontanément. Les débats, les compromis et les décisions communes s’élaborent au fil des évènements dans l’intérêt des enfants.

Le mythe inaugural du couple qu’est « la restauration narcissique », après avoir marché un temps, apporte son lot de déception inévitable et dès lors se métamorphose en son contraire (réactionnel) où l’autre, à défaut d’être le valorisant devient la cause des malaises éprouvés. (L’attrait se métamorphose en son opposé) Les mythes conjugaux inauguraux de réparation, de restauration ne sont que malentendus car, on attend implicitement de l’autre conjoint quelque chose qu’on n’a pas traité dans sa famille d’origine dans son histoire précédentielle et qu’il ne peut fournir ; Un malentendu à lever car on se loge dans des places qui entraînent inévitablement de l’échec . (comme nous le disent Mr C. et Mme L.« un mari n’est pas un père » !

Bien sûr nous pourrions faire une présentation similaire des relations soignant/soigné (soit niant/ soit nié) ; saint(e), martyr(e)/ agresseur, violent(e); régulateur, compréhensif/agitateur, intransigeant.

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C) A l’instar de ce que j’ai posé en introduction, il échoit au travailleur social deux modes déterminants de son action éducative.

Tout observateur participe à la création de ce qu’il observe. Il n’y aurait pas véritablement d’objectivité. Afin de l’illustrer, différencions regard et vision . Cette dernière est considérée comme étant plus proche d’une certaine objectivité car elle se situe à un niveau empirique, phénoménologique et cognitif. C’est l’avis, l’opinion porté sur l’autre sans qu’on se questionne comme sujet regardant. Le regard laisse toute sa place à la subjectivité de la personne qui observe l’autre. Et lorsqu’elle le nomme elle parle d’elle dans sa relation à l’autre ; elle parle de son regard sur l’autre. Il y a une distinction radicale, déterminante entre l’aspect cognitif de l’œil et la subjectivation du regard.

En référence aux propos de Boris Cyrulnik, nous dirons qu’il n’est pas facile «  de concilier le fait qu’on croit à l’existence du monde en dehors de nous (ce qui nous ferait croire en une objectivité) et le fait que la perception que nous en avons est nécessairement subjective parce que le produit d’interactions (idée de subjectivité)» Et s’il peut paraître difficile de faire la synthèse de ces deux aspects apparemment contradictoires, nous considérons néanmoins que celle-ci s’avère déterminante à la réalisation de notre travail social en milieu ouvert avec les familles que nous rencontrons. Le travail d’équipe où la complexité des regards servirait de support, devient dès lors une ressource pour garder disponible les hypothèses qui vont nous garantir un cheminement ouvert (dépourvu de trop de prédictions et de prophéties).

De cette contradiction essentielle, où la négativité de chacun des pôles sert de ressort, nous allons prendre en considération la double valence des éléments comme terme générique à décliner à trois niveaux.

1 ) la double valence du symptôme :

D’une part, le symptôme quel qu’il soit (trouble de la conduite et du comportement ou trouble somatique) apparaît tel un signe manifeste qui peut se lire de deux manières contradictoires. En réponse à l’incapacité d’un sujet à faire un choix, il apparaît comme compromis entre deux souhaits qui se révèlent inconciliables ; deux envies qui font conflits intimes. Ainsi considéré, il apparaît comme sinon une solution, du moins comme un pis aller. Ainsi, il fait écran, cache les blessures, les souffrances qu’il recouvre ; il colmate la tension, dissimule le traumatisme dont il est le représentant en tant que valeur signifiante. Le symptôme a donc une fonction « coagulante » et régulatrice susceptible de servir à éviter la crise, la séparation, la perte et le deuil. Cette fonction de compromis des contradictions maintient l’homéostasie et le sentiment de permanence en écartant tout impératif d’une nouvelle phase de vie, de choix à faire. Il suspend le temps.

D’autre part le symptôme est le manifeste d’une souffrance, d’une atteinte dont le sujet qui le porte en appelle à s’en départir. A l’inverse de ce qui est précédemment mentionné , comme signifiant, il révèle des signifés dissimulés teintés de traumas et d’atteintes intimes. Ainsi, cett e fonction structurante du symptôme apparaît comme une invitation à s’en affranchir en s’inscrivant dans une dynamique, une axiologie porteuse de vie, de temporalité. Il met en question et conteste pour favoriser un changement, un mouvement. Cette lecture du symptôme apparaît comme le signe d’une nécessité et introduit le processus de crise et d’évolution en nous rappelant que la vie est une succession de séparations successives par lesquelles on ne cesse de grandir. Il s’agit d’une fonction positive de cette émergence symptômatique qui en appelle à se déterminer subjectivement et à favoriser une redéfinition du groupe d’appartenance pour accéder à un nouvel équilibre. Une fonction de dépassement des contradictions qu’il souligne par sa présence.

2) la double valence des attentes et des demandes :

En écho de l’ambivalence du symptôme, en AEMO, nous sommes confrontés à la double valence des attentes des familles susceptibles de correspondre aux deux attentes contradictoires de tout être et de tout groupe d’appartenance. En effet, cette demande ainsi formulée « faites que cela change sans rien changer » (en référence aux propos de Paul Watzlawick) nous introduit en tant qu’intervenant au cœur des contradictions fondamentales de l’humain où flexibilité et sentiment de permanence se nomment paradoxalement.

D’une part, il y a des attentes de réparation, de colmatage de tensions, d’assistance éducative, de soutien .., donc de contrôle social et de « pansement » . Il y a une quête de reconnaissance et une attente de lever le symptôme en concordance avec les attentes des prescripteurs. Ce niveau implique une confirmation implicite du fonctionnement familial et lui reconnaît le désir de respecter l’homéostasie familiale en vigueur jusque là. Il s’agit d’une demande qui en appelle à la reconnaissance de la valeur du symptôme en tant que béquille et du diagnostic que la famille fait de ses difficultés quelle que soit la lecture à laquelle elle s’aliène. La demande est de régulation, de médiation,d’apaisement avec l’espoir que « cela devienne comme avant les difficultés rencontrées ».

D’autre part, il y a des attentes de clarification , de compréhension du problème manifesté, de la fonction de la crise traversée. Il y a une quête de « pensement  ». Il s’agit de l’organisateur latent des attentes et de la demande, en deça de l’écran promptement affiché initialement, en écho aux propres représentations et interprétations de la réalité que se font les membres de la famille. La clarification favorise l’accès à la flexibilité mentale et en conséquence à l’adaptation et à la créativité comme à la résilience de tout trauma éventuel . Il s’agit d’une attente de prise en compte de l’organisateur latent de ce qui se manifeste par un signe apparent ; une quête de sens et une attente de s’affranchir des souffrances, des blessures et des douleurs quelles qu’elles soient. Ainsi la clarification peut favoriser la désaliénation à une lecture unique du monde familial et favoriser l’accès à de la complexité et par conséquence elle ouvre l’accès à des choix possibles. Les désirs fondamentaux, que l’intervenant évite de combler, sont pris en considération afin de favoriser la rectification de la position subjective. Il s’agirait d’un espoir de clarification, d’exhumer la souffrance afin que les symptômes se lèvent de surcroît dès que l’on se sent capable de s’en passer.

3)En conséquence de l’ambivalence des attentes et des demandes, la double valence de la réponse éducative se découple :

a) d’une part , en accompagnement indexé de toutes les figures du contrôle social . En effet en tant qu’agent de contrôle social, nous avons pour mission de répondre aux demandes sociales de contrôle, de régulation et de médiatisation. Cette finalité a pour fonction d’apaiser, voire de colmater les tensions psychiques et relationnelles. En conséquence, elle lisse les dissensus et peut favoriser une autorité familiale apparemment contenante et sécurisante. Cette finalité réparatrice d’une difficulté nommée prend tout son sens au regard des attendus du juge pour enfants ou de l’intervenant social à l’origine de la demande. Il s’agit d’une finalité de suture dont l’objet est de mettre en exergue l’aspect contenant et l’intervention sur une symptomatologie patente. En référence à ce que nous avons mentionné précédemment cette position éducative prend en compte le versant du symptôme qui soutient tout sentiment de permanence, la quête de protection et le maintien d’un ordre établi. C’est la raison sociale de notre identité de professionnel.

b) d’autre part , en ce qui nous concerne nous souscrivons à l’idée que l’intervenant social, dans son devoir de contrôle social, qu’il le veuille ou non est lieu de transfert . Et c’est ce qui se joue dans la scène relationnelle du sujet, de la famille et de l’intervenant social qui va donner à l’action éducative toute sa dimension clinique. C’est le degré de considération de cette dimension (empreinte de résonnance émotionnelle ) qui va permettre de ne pas s’aliéner à une dimension imaginaire ( image que l’on a de soi, être Moi auxiliaire ou s’aliéner à une idée de parent idéal etc…voire être tout pour l’autre) pour accéder à une fonction de tiers symbolique qui favorisera l’accès de l’autre à sa subjectivité, à la subjectivité du symptôme qu’il manifeste(car on ne va pas le réifier). Et ce n’est qu’à ce prix, par l’expérience de ce qui se rejoue, de ce qui transite par et sur l’intervenant social , capable de faire un pas de côté, que le bénéficiaire d’une action éducative accèdera à son projet de vie édifié sur le champ de ses désirs. (Acceptation du manque)

Notons cependant que la finalité réparatrice sert de moyen, d’appui à l’introduction d’un processus clinique . Il s’agit, à partir d’une affiliation ou plutôt d’une alliance avec la compétence des membres de la famille, d’initier un cheminement partagé vers de la compréhension et du mouvement. La complexification de la problématique qui les envahit favorise l’accès à diverses lectures possibles de ce qui les préoccupe. Ils se désaliènent d’un seul regard du problème et la prise en considération de la souffrance initiale et des blessures intimes, à ce niveau devient essentielle. La conséquence négative du symptôme n’est plus ce point aveugle, cet encombrant qui rigidifie la perception et empêche toute dynamique vers un élan de vie. Celui-ci se fera d’autant plus aisément que le processus de croissance ainsi initié est dialectiquement associé à une fortification de la colonne vertébrale de la famille. Plus un « roseau » accepte la fragilité qui lui échoit, plus un être humain accepte d’être faillible, plus il il s’en fortifie et s’adapte plus facilement à la puissance des éléments, au contexte. Plus l’acceptation du manque, plus le respect de notre incomplétude est acquis, moins nous nous rigidifions dans de la réparation et de l’hyperprotection, à l’image de la toute -puissance du « chêne ». Cette souplesse d’esprit permet l’accès à la souffrance comme terreau de créativité et dès lors ouvre l’accès à un mieux être. Dès lors nous pouvons espérer que le symptôme se lève de surcroît.

Il s’agit donc d’un acompagnement éducatif indexé d’une fonction clinique du sujet (enfant /adolescent) et des groupes d’appartenance qui en appui sur la fonction et le sens de leurs symptômes, en appellent implicitement à s’affranchir de leurs souffrances ? Cette finalité de débrouillage des différents vouloirs des bénéficiaires d’une mesure éducative octroye au travailleur social une identité d’agent de changement susceptible de favoriser le passage d’un état à un autre vers des choix subjectifs , de favoriser une redéfinition des équilibres personnels et familiaux.

Deux niveaux apparemment contradictoires qui s’épaulent mutuellement car le travail clinique sera d’autant plus facile que le climat sera apaisé.

D) Mais,qu’entend-on par ce terme « clinique » ?

Etymologiquement ce terme vient du mot grec Klinen qui renvoie à une méthode appliquée au pied du lit du malade. (lit = Klinen en grec) Il s’agit donc d’un terme hérité du milieu médical.

L’observation clinique qui permet un diagnostic et par la suite un pronostic, a pour condition un double regard :

D’une part qu’il soit le plus fidèle possible au fait, à l’évènement perçu qu’on nommera dès lors « fait clinique »…

D’autre part qu’il soit suffisamment logique pour comprendre, pour saisir du sens à partir du fait observé (dénué de toute intervention particulière).

Au fond, une méthode qui se veut clinique est tournée vers la compréhension et à partir de là vers l’application et l’action (Non pas vers l’explication et la simple acquisition de connaissances sur le fonctionnement de l’homme). L’explicatif est le plus grand défaut des travailleurs sociaux car il n’est que le résultat d’une interprétation subjective de ce qu’ ils observent. Les possibles risquent donc de se réduire à un seul sens qui tendrait du coup vers une vision déterministe de ce qu’ils ont perçu. Or, comme le dit Ludwig Binswanger « nous appréhendons comme monde ce que l’on est originairement ». Et l’observation clinique entend le langage caché de la vérité des choses. Cela suppose de considérer comme important non pas le comportement observable mais sa signification pour l’individu. Et celle-ci est toujours complexe car en tant que signifiant (ce manifeste qui se montre à l’autre) elle est toujours référée à plusieurs signifiés possibles. Pensons à la polysémie des mots qui entend qu’un mot est détenteur de plusieurs sens possibles que l’on déterminera en fonction du contexte. (Par exemple le mot « châtaigne » va prendre un sens différent selon le sujet dont on parle : lors d’une cueillette, lors d’une rixe, lors d’une réparation électrique… « un mot n’a de sens qu’en fonction de son contexte » comme le souligne G. Bateson. Et lorsque nous nous attardons sur un fait, voire une anecdote c’est que nous les considérons comme métaphoriques de la structure qui est ainsi montrée, donnée à voir. Nous pouvons y discerner un sens et une fonction : à quoi cela sert pour le sujet ou le groupe d’appartenance.

La vignette clinique que vous allez rencontrer au fil de vos lectures n’est bien qu’une étude qui résulte de réflexions diverses, de points de vue contradictoires susceptibles de faire émerger du sens à partir d’un fait travaillé pour tenter d’illustrer et comprendre ce que recouvre un comportement , un évènement d’une part et ce que paradoxalement il manifeste d’autre part. Comme nous l’avons vu précédemment cela rappelle la bivalence du symptôme qui à la fois masque une souffrance en servant de béquille au sujet et en même temps la montre aux autres. Dans le but de rejoindre les personnes désignées socialement dans leurs compétences afin d’introduire un processus de travail clinique il apparaît essentiel de reconnaître le symptôme qu’ils arborent comme une solution temporaire, une béquille à ménager et dont ils souhaitent paradoxalement s’ affranchir. Il s’agit de ce qu’ils ont trouvé au mieux pour supporter un traumatisme quelconque, même si cela a des inconvénients secondaires susceptibles de déranger voire de porter atteinte à leur dignité, à leur estime de soi. Dignité que nous, travailleurs sociaux devons protéger, garantir. L’aide clinique en dépend et le cheminement en découle. Il faut rejoindre les gens là où ils sont, sur leur territoire psychique et social. Or comme chacun le sait la carte n’est pas le territoire. Il faut partir de l’état des lieux que nous font les gens, d’en reconnaître la valeur pour, avec eux, poser les bases d’un processus de travail avec des objectifs partagés.

Le travail clinique suppose donc de faire un pas de côté , de la place dans laquelle nous sommes programmés par les sujets rencontrés, par les instances en attente d’une intervention sociale mais aussi de nos propres références, donc de la place dans laquelle nous nous logeons personnellement comme individu, comme parent et en référence à l’enfant que nous avons été. Laissons donc la place au sujet, aux groupes d’appartenance afin de nous inscrire dans une coopération qui fera processus clinique susceptible de devenir structurant. C’est ce qui résultera de ce cheminement partagé qui fera structure .

E) Le processus de travail avec les parents comme axiologie susceptible de concilier ces deux modèles éducatifs nous permet de retrouver ces deux niveaux.

Il s’avère qu’une des missions du juge pour enfant consiste en la réhabilitation des fonctions parentales susceptibles de dysfonctionnement. Il fait donc appel à l’AEMO quand la fonction ternaire fait défaut dans une structure familiale.

La parenté assure l’inscription généalogique du sujet en lui garantissant un lien de filiation. Elle  « détermine sa génération, sa place (ascendant ou descendant), son identité ainsi que le statut (droits et obligations) qui en découle. Il s’agit d’un lien de référence identitaire qu’on le veuille ou non. Il nous revient de nous structurer à partir de là, en traitant cette référence qui nous échoit, en y étant partiellement fidèle ou partiellement infidèle. Ici la relation parent enfant (quand il y en a une) est essentiellement binaire car la parenté ne concerne que le lien d’héritage de l’enfant à chacun de ses parents et sa famille d’origine. Au fond, à ce niveau de considération nous distinguons deux pôles identitaires (maternel et paternel qui s’apposent en coprésence). Deux filiations, deux territoires d’origine.

La parentalité est à entendre comme la capacité de deux parents à construire une unité parentale au creux de leurs ressemblances et de leurs différences. Elle met l’articulation des deux parents, représentants des deux territoires d’origine de l’enfant, au centre de ce groupe d’appartenance parentale.

Il s’agit d’une fonction partagée, en surplomb du point de vue de chacun. Nous constatons bien que cette fonction particulière qu’est la parentalité en appelle à un dépassement de cette relation binaire de chaque parent avec les enfants. Dépassement vers une relation triangulaire où chaque parent devient un tiers essentiel pour l’autre. Il s’agit d’une fonction conjointe où la dialectique structurale se révèle fondamentale.

Aucun des parents ne doit être l’affidé de l’autre(bras séculier). Sinon [1+1=1] et il n’y a pas de tiers ni de dialectique parentale possible au sens Hégélien du terme. De même, ici la co-présence ou 1et 1=2 ne fonctionnerait pas, par défaut d’articulation et de transcendance susceptible de faire Autorité partagée. Ce serait le terrain idéal pour l’émergence de conflictualités susceptibles de mettre à mal l’Autorité et de favoriser les conflits de loyauté; loyal à l’un contre l’autre ou le lien à un parent ne pourrait se faire qu’au dépens de l’autre.

De là en découle tout le processus de travail parental à différencier de la médiation qui va s’attacher plus particulièrement à la régulation , au lissage des tensions et conflits résultants des reproches de désignation. Alors que le travail parental va s’attacher à l’exploitation des contradictions comme valeur de structuration pour passer du 1et 1=2 au 1et 1=3. Le troisième étant cette dimension symbolique qui s’écarte des images que d’aucuns projettent sur l’autre et qui soutient le Tiers de la relation parentale. Ce Tiers, en surplomb, qui va faire Autorité conjointe ; ce que j’appelle l’absolu du couple parental.

Si le lien binaire existe nécessairement entre un père ou une mère et ses enfants (niveau imaginaire)il doit être indexé du regard que chaque parent porte sur cette relation duale.(imaginaire indexé de symbolique)

Enfant(s)

Mère Père

X -Point d’articulation (fonction ternaire) des fonctions parentales

Ce sont les articulations au cœur de cette relation parentale qui font tiers. Articulations dont le travailleur social se fait temporairement le représentant, le garant.

La médiation parentale a une fonction de régulation qui a pour fonction principale de désamorcer, d’apaiser la crise. Elle prend part comme nous l’avons dit précédemment à l’accompagnement qui participe au soutien et au contrôle apporté aux familles, en réponse à la demande sociale (via le juge, via l’aide sociale à l’enfance)

Le travail avec les parents , à la différence, a pour objet de créer une dynamique sur fond de tension et de crise, donc sur fondements oedipiens …vers la transmission des héritages partagés aux héritiers que sont les enfants. Il s’agit d’une fonction de structuration résultant de la restauration des champs d’articulation des fonctions parentales.

Deux modes d’intervention que j’invite à regarder comme étant les deux facettes d’une même unité , à l’instar de ce que nous avons évoqué précédemment. D’autant plus que la régulation comme moyen se présente comme le meilleur support pour instaurer du débat contradictoire nécessaire à l’instauration d’une dialectique parentale. Permettre à chacun de profiter de la détente, de l’apaisement apporté par le travail de médiation pour se nourrir mutuellement d’un espace de débat et de confrontation structurante. Si toute la dynamique inhérente au contrôle social permet d’apaiser les conflits, le travail clinique de l’intervenant social a pour objet de non pas les aviver, mais d’exploiter les différences qui l’ont activé. Ainsi, les reproches inévitables à tout groupe d’appartenance, d’atteinte réciproque se transforme en attention réciproque . Le reproche souvent perçu comme un problème, un inconvénient se pose à nous comme une nécessité, car traduit en attention, en conseil adressé à l’autre partenaire parental, il se transforme en atout pour inscrire tout groupe d’appartenance dans une dynamique où les redéfinitions, les ajustements s’adaptent à l’évolution des phases, des cycles de vie successifs. Ainsi le reproche est de structure car il en appelle au maintien du débat contradictoire. « Etre d’accord d’avoir des désaccords en quelque sorte ».

A l’instar de tout reproche ainsi considéré, toute problématique, toute contradiction inhérente à la vie humaine se présentent non pas comme des impasses mais comme des invitations ou des « brèches » selon l’expression d’Hannah Arendt . (Au même titre que le mensonge appréhendé comme symptôme, en appelle à de la clarification..,que l’inquiétude en appelle à la réassurance…)

F) Cette mise en surplomb de ces deux modèles éducatifs souligne l’identité de l’action éducative en milieu ouvert.

La reconnaissance et le respect des compétences des personnes avec lesquelles nous nous engageons dans un processus éducatif est la caractéristique émergente de ce qui forge l’identité du travailleur social. Cette unité de structure qui fait identité a l’intérêt de réconcilier les contradictions apparentes que sont d’une part notre fonction de contrôle social et d’autre part notre fonction clinique .

En dépassement des dissensus, des opposés visibles et patents, le travailleur social se désaliène ainsi des pôles contradictoires qui font son métier. Par là il devient implicitement une représentation analogique vivifiante pour les personnes et les groupes d’appartenance qu’il accompagne. La fonction sidérante, bloquante des conflits intimes et de loyauté peuvent se transformer en atout dans une articulation fonctionnelle. Ainsi le temps suspendu ou agité, accéléré (en fonction des problématiques) devient temporalité, résultat, nous l’avons dit , d’une dialectique du temps linéaire et des phases de vie successives, à l’instar d’un roman de vie où les chapitres se succèdent en une Histoire unique. De même le clivage se métamorphose en dialectique qui confère aux oppositions leur compatibilité en terme de ressource et de dépassement. L’ambivalence devient de structure car elle en appelle à une pensée synthétique susceptible de la transformer en ressource, en compétence à faire des choix. La sidération est levée pour l’intervenant et aussi pour les gens avec lesquels il travaille. Ce qui vaut pour les familles doit être en préalable une valeur pour lui . A défaut il ferait du double langage qui renforcerait l’inhibition, le blocage, freinant donc toute dynamique.

Edgar Morin dans « la métode tome 1 » réactualise les principes de dialectique Hégélienne en démontrant sa théorie « d’antagonismes organisateurs». Elle permet de tirer toute la substance de deux forces radicalement opposées d’une même unité. C’est ce que nous avons essayé de démontrer tout au long de cet exposé. Ce qui fait problème, par la crise qu’il suscite peut devenir un atout si nous, travailleurs sociaux savons le saisir comme moyen d’initier cette dynamique fondamentalement recherchée, quelles que soient les résistances affichées . Mais cela à la condition impérative de faire alliance avec les solutions que les gens ont élaborées jusque là (non pas aller à l’encontre). Il faut pour cela partir de l’état des lieux à considérer comme compétence, quelle que soit la difficulté montrée, pour tenter de concilier cet état avec une fonction compatible avec l’exercice d’une parentalité. (ex de la famille T: deux personnes vivant sous le même toit en co-présence dépourvue de coexistence ; un choix surprenant à rendre compatible avec l’exercice d’une parentalité)

Ainsi, dans un premier temps de la rencontre, plus le travailleur social sera capable de pensée synthétique en ce qui le concerne , plus il se présentera telle la restauration et la représentation manifeste du tiers nécessaire à toute fonction parentale conjointe, à toute parentalité. Ainsi, détenteur d’une telle image référée à du symbolique, il permettra dans un second temps à la famille, aux parents de se l’approprier pour se passer de cette représentation et accéder à l’absolu de l’autorité parentale. D’où l’importance de vérifier en cours de mesure éducative et surtout vers l’échéance de celle-ci , ce que les parents ont intégré de cette représentation. Que se sont-ils appropriés de ce qu’ils ont expérimenté ? (exemple de Mr C. et de Mme E qui se promettent de poursuivre un rituel de rencontre après la mesure éducative dans un lieu préalablement déterminé, en nous y représentant symboliquement…)

Cet état de considération mutuelle ainsi atteint, quelle que soit la situation conjugale des adultes, devient le support de références identitaires réciproquement reconnues pour les enfants. Sachant que nous avons tous, les défauts de nos qualités et vice versa, les nuances avec lesquelles papa parle maman et cette dernière parle papa aux enfants est fondamentale pour la structuration des enfants. Ceux-ci deviennent dès lors, non seulement libres de parole mais, autorisés à être fidèles et infidèles aux images de références parentales transmises. Il font donc leur choix identitaire en transcendant leur double référence paternelle et maternelle, préservés de tout frein, de toute aliénation à un pôle de référence au dépens del’autre.

E) Epilogue : pour conclure sur l’éthique de choix

A l’instar du travailleur social, capable de se déterminer entre et en surplomb de sa fonction de contrôle social et de sa fonction de clarification structurante , les bénéficiaires d’une mesure éducative vont eux-mêmes y trouver le terreau pour se départir de leurs conflictualités, qu’elles soient individuelles ou d’appartenance.

Dans le champ du particulier les conflits intimes invitent tout sujet à les dépasser par des prises de décisions opportunes sachant que choisir c’est perdre, faire le deuil de ce qu’on écarte. Mais c’est prendre le risque de vivre avec l’acceptation de son incomplétude,de ses faillibilités, de ses manques source de désir et donc de créativité.

Dans le champ des groupes d’appartenances les conflits de loyauté invitent les membres du groupe au dépassement des exigences contradictoires provenant de références imaginaires, identificatoires insuffisamment confluentes.

Ainsi, la négativité de tout point de vue personnel au lieu d’être projetée sur l’autre partenaire dès lors diabolisé, s’invite comme ressource pour chacun afin qu’il traite les contradictions que sont les siennes qu’il soit travailleur social, qu’il soit parent. Les traumatismes éventuels, les encombrants et les déchirures psychiques peuvent se transformer en sutures, en résiliences. Et, toutes ces contradictions qui jalonnent notre parcours de vie, suceptibles de nous mettre dans l’impasse, peuvent se métamorphoser, en s’insinuant dans les brèches, en ressources. Tel un oxymore, deux éléments, deux phases contradictoires de notre vie se transcendent en une alliance, en une unité structurante et résiliente. (clin d’œil à « un merveilleux malheur » de Boris Cyrulnik et au caveau-théâtre de  «l’Oxymore» à Cully dans le canton de Vaud).

A l’instar de tout ce qui a été évoqué précédemment, une intervention qui prend en considération le jeune dans sa singularité, de mon point de vue, n’est pas incompatible avec la prise en compte de son contexte familial. Bien au contraire, il s’agit de deux champs opératoires qui ont leurs limites et qui s’articulent structurellement; chacun étant susceptible d’apporter des jalons à l’autre. L’articulation du champ du particulier et du champ des appartenances se présente tel un atout à exploiter.

Et en finalité ces invitations successives  faites aux personnes comme aux groupes d’appartenance auxquelles nous sommes périodiquement confrontées ont pour objectif fondamental de baliser, d’apporter à l’intervention sociale le cadre nécessaire à suffisamment de sérénité pour favoriser la capacité à faire des choix identitaires. Plus ces finalités bivalentes du travail social sont équitablement prises en considération, en adaptation aux structures familiales rencontrées, (tout le monde n’a pas, ni les mêmes compétences ni les mêmes attentes) plus les familles et chacun de ses membres s’y appuieront pour asseoir leur dignité et s’intégrer dans la société. L’élargissement et la sélection (pas n’importe lesquels) des groupes d’appartenance sont des déterminants du lien social, de la citoyenneté. L’autonomie «étant le choix de nos appartenances sociales » (famille, école, travail, clubs de loisirs et d’activités...) elle apporte aussi la reconnaissance d’une identité créative et constructive . L’instituant organise quelque chose de nouveau de ce qui était institué. « Il bouscule la légalité au nom de la légitimité »comme le dit R.-R. Géadah. Toutefois, l’ampleur à donner à chacun des pôles (contrôle social et travail clinique) est à mesurer en préalable et périodiquement en cours de mesure éducative. Le choix des options, des modèles de travail doit rester toujours d’actualité. D’autant plus, qu’en référence à la théorie et à la pratique constructiviste («  constructivisme structuraliste  » selon Pierre Bourdieu), en réhabilitant le débat contradictoire, la mesure et la nuance, le travailleur social favorise la désaliénation à une seule lecture du monde , à une seule idéologie et à des principes établis. La complexité est de mise.

Au fond, toute cette réflexion pourrait se synthétiser dans le principe qu’il nous faut, à nous travailleurs sociaux , être le meilleur support possible pour permettre à l’Autre de réhabiliter sa compétence à faire ses propres choix dans le respect de ses valeurs.

Jean Pierre Le Duff

45, rue Blaise Pascal, 56000 Vannes (F)

jp.leduff@gmail.com

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7.Guillebaud J.C. (2003) « le goût de l’avenir » éd. Seuil

8.Jullien F. (2006) « Du mal / Du négatif » points-essais, éd. Seuil

9.Le Duff J.P. (1996) « De la loi à la clinique, l’AEMO comme support d’accès à la subjectivité », revue de l’AFSEA, 1 Paris Expression scientifique française, pp40-50.

10.Le Duff J.P.(2001)  « Quand la demande d’aide est vécue comme une atteinte au sentiment de compétence des familles »-« les adolescentes en question » Espace social n°14 revue du Carrefour National de l’AEMO (action éducative en milieu ouvert), Paris

11.Le Duff J.P.(2004) « souffrances familiales, souffrances sociales » sous la direction de Jean Lavoué, pp 77-89 « AEMO une pratique de réseau », pp 109-140 « la pratique de réseaux éducatifs comme ressource structurante » éd. L’Harmattan, Paris

12.Le Duff J.P.(2005)  « La pratique de réseau secondaire comme voie d’accès à la complexité de la structure familiale » Thérapie familiale Vol26 n°2, pp175-195, Genève

13.Le Duff J.P.(2008) « le travail avec les parents en soutien à l’autorité parentale partagée » revue de la sauvegarde 56 n°45, pp14…Lorient (bibliothèque Sauvegarde 56)

14.Le Duff J.P.(2008) « l’autorité parentale partagée, résultante d’un processus structurant » ITES@actualités n°19 janvier-mars, n°20 avril-juin, Brest

15.Le Duff J.P.(2009) « l’autorité, un absolu du couple parental » Psychasoc (institut européen psychanalyse et travail social) Montpellier

16.Le Duff J.P.(2011)  «Un toubab chez les Bambaras de Mopti » « Lorsque l’interculturel se fait support de formation en devenant charnière entre deux cartes du monde » Psychasoc (institut européen psychanalyse et travail social), Montpellier

17.Levy Strauss C. (1967) « les structures élémentaires de la parenté » éd. Mouton, Paris

18.Neuburger R. (2003) « L’autre demande » psychanalyse et thérapie familiale, éd. O. Jacob, Paris

19.Neuburger R. (2005) « les familles qui ont la tête à l’envers » revivre après un traumatisme familial, éd. O.Jacob, Paris

20.Mandelbrot B. (1995) « Les objets fractals », éd.Flammarion, Paris

21.Merleau-Ponty M. (1945) « Phénoménologie de la perception », éd. Gallimard, Paris

22.Morin E. (1990) « introduction à la pensée complexe » éd. Seuil, Paris

23.Morin E. (1997) « La Méthode  T1 ; la nature de la nature », éd.Seuil, Paris

24.Piaget J. (1987) « le structuralisme » (Que sais-je? 1311), éd.PUF, Paris

25. Seve L. (1984) « structuralisme et dialectique » éd. Sociales, Paris

26. Seve L. (2005) « Emergence, complexité et dialectique » éd. O. Jacob, Paris

25.Safouan M. (1973) « qu’est-ce que le structuralisme ? » -vol.4-« de la structure en psychanalyse-contribution à une théorie du manque » éd. Seuil, Paris

26.Todorov T. (1968) « qu’est-ce que le structuralisme ? » -vol.2  «structuralisme- poétique » éd. Seuil, Paris

27.Todorov T. (2006) « l’esprit des lumières », éd.R. Laffont, Paris

27.Wahl F. (1968) « Qu’est-ce que le structuralisme ?» -vol.5-« le structuralisme : philosophie » éd. Seuil, Paris

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