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Les dernières expertises de l’Inserm sur la santé mentale orientent tendancieusement les politiques de santé et de formation professionnelles

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S.I.U.E.E.R.P.P.

mercredi 04 janvier 2006

Les dernières expertises de l’Inserm sur la santé mentale orientent tendancieusement les politiques de santé et de formation professionnelles.

Des “expertises collectives” ont été initiées en 1993 par l’Inserm suite à l’affaire du sang contaminé. La fiabilité de leurs résultats résultait d’une exigence : l’indépendance des chercheurs et la rigueur de leurs méthodes, de même que la mobilisation des savoirs de la communauté scientifique concernée. En a-t-il été ainsi pour les derniers rapports concernant la santé mentale ? Pour des motifs convergents, l’expertise sur le dépistage et la prévention des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent en 2002, puis celle sur l’efficacité comparée des psychothérapies en 2004, et enfin celle sur les troubles des conduites de l’enfant en 2005, ont soulevé une inquiétude croissante, bien au-delà des professionnels concernés.

I. Partialité de la méthode
Habituellement, l’Inserm s’assure de l’indépendance des experts, mais est-ce le cas, lorsque ces derniers sont tous partisans du même modèle médical d’évaluation ? L’origine organique neurologique de la souffrance psychique a été tenue pour établie, alors que cette hypothèse est constamment contredite depuis plus d’un siècle, y compris par les derniers Prix Nobel de neurosciences. Il en découle un mode d’évaluation médicale et des solutions psycho-rééducatives et pharmacologiques. Une expertise garantit son impartialité en tenant compte des principales méthodologies traitant une question. Cela aurait pu être le cas, en dépit de l’appartenance des experts à un seul courant. Mais la littérature psychanalytique a été passée sous silence. Lorsque l’expertise y a fait allusion, la définition du référentiel psychanalytique est caricaturale et sa confusion avec des techniques psycho dynamiques hétérogènes, sinon hétéroclites, révèle un manque de rigueur étonnant. Les psychanalystes ont été écartés des enquêtes, au prétexte que leur méthodologie ne correspondait pas à celle des experts. Les psychiatres d’exercice privés qui, à plus de 80%, pratiquent des psychothérapies psychanalytiques n’ont pas davantage été consultés. Non seulement ces rapports ont été rédigés par les experts d’un seul courant, qui est loin d’être le plus représentatif en France, mais ils l’ont de plus été sur la base d’un choix de travaux effectués en grande partie dans des pays anglo-saxons, et souvent sans données épidémiologiques fiables. Les experts ont ignoré le problème des populations étudiées. Ils n’ont pas tenu compte de l’hétérogénéité de leurs composants et de la spécificité de leurs rationalités procédurales. Ces travaux s'inscrivent dans la logique d'évaluation du DSM IV, alors même que les rédacteurs de ces classifications psychiatriques réunis en 2002 à Londres ont eux-mêmes suspendu jusqu’en 2010 la publication d’une nouvelle version, faute d’un accord minimal sur les critères scientifiques.
La réponse des expertises s’est avérée pré-inscrite dans la manière de traiter les questions, sans garanties d’évaluation suffisantes. Les expertises ont accompli ce que la composition de ses membres et sa méthode laissaient prévoir : cherchant à faire passer un postulat idéologique pour un énoncé scientifique, elles veulent installer dans l’opinion et au sein des instances de décision un point de vue selon lequel la réduction de l’être humain à une entité biologique s’avère une donnée scientifique. Il s’en est suivi que seules les pratiques comportementales et pharmacologiques ont été considérées comme efficaces. Avec cette méthodologie tronquée, la singularité du sujet dans sa relation à sa famille et à son milieu socioculturel a été ignorée. L’éventail complexe et diversifié des méthodes de soutien, d’écoute, et de psychothérapie a été passé sous silence, alors même que les publications dans ce domaine abondent.

II. L’expertise sur l’efficacité comparée des psychothérapies cherche à orienter les formations universitaires.
L’Inserm a-t-elle véritablement comparé les rééducations comportementales, les techniques psychothérapiques et la psychanalyse, ou bien a-t-elle ignoré les critères et les méthodes qui ne correspondaient pas à un choix pré-établi ? Les thérapies comportementalo-cognitivistes sont des techniques de conditionnement, comme l’indique elle-même l’Association Française de Thérapies Comportementales et Cognitives (AFTCC) . Ce ne sont donc pas des psychothérapies. La rééducation relève du conditionnement neuronal, comme pour n’importe quel apprentissage automatisé, et elle est sans rapport avec le conflit psychique. Un deuil, par exemple, n’est pas davantage une « erreur d’apprentissage » qu’une phobie. On ne peut mettre sur le même plan des méthodes de rééducation et un travail psychique permettant la libération des vécus traumatiques générant des symptômes. La méthode psychanalytique ne se compare ni à des conditionnements nerveux ou comportementaux, ni à l’administration de médicaments. Pourtant, l’expertise a prétendu démontrer la supériorité des thérapies cognitivo comportementalistes sur la psychanalyse et les psychothérapies relationnelles, alors que ces approches procèdent de logiques trop dissemblables pour pouvoir être comparées.
Cette partialité a amené le Ministre de la Santé à retirer du site du Ministère ce rapport, qui continue pourtant de générer une idéologie partisane prédisposant l’opinion à une réorientation des formations universitaires et de la santé mentale, au nom de l’efficacité et d’un moindre coût. En effet, les thérapies comportementalo-cognitivistes s’octroient la réputation d’être plus rapides et moins chères. Promettre la guérison d’une phobie en quelques séances manque de sérieux pour n’importe quel clinicien . Ce résultat ne saurait être atteint, sauf si une telle thérapie comportementale est accompagnée de la prise de médicaments, qui endorment l’angoisse et occultent les problèmes. Le comportementalisme et le médicament sont d’ailleurs conseillés conjointement par les expertises de l’Inserm. De même, l’impression et la diffusion des prospectus des thérapies comportementalo-cognitivistes sont généralement assurées par des laboratoires pharmaceutiques. Si l’on considère que l’efficacité comportementale est liée à la prise de psychotropes, elle est en réalité plus longue et beaucoup plus coûteuse pour la société et la sécurité sociale. Elle amène à prescrire des tests et des médicaments dans des proportions extraordinaires et croissantes, sans effet sensible sur les problèmes. L’énorme quantité de psychotropes distribués sans discernement à toutes les catégories et à tous les âges de la population pose désormais un problème supplémentaire et engendre sa propre souffrance psychique . Les médicaments ont certes permis des progrès importants, en particulier par rapport aux hospitalisations. Mais ils ne traitent pas la cause de la souffrance, ils la masquent et la font donc durer. Cette souffrance s’est de plus accrue, dans la mesure où les spécialistes compétents se sont raréfiés, et que leur formation a été réduite à la biologie sous la pression des mêmes lobbies. En quelques décennies, les murs de l’asile se sont seulement déplacés, et ont été remplacés par une toxicomanie légale financièrement coûteuse pour la société et néfaste pour le lien social et éducatif.

III. L’expertise sur les troubles des conduites de l’enfant cherche à orienter la politique de santé vers la répression et la médicamentation.
Cette expertise a pris la suite des théories médicales déterministes de la fin du 19eme siècle sur le criminel né . La génétique , les risques familiaux, la grossesse de la mère sont appelés en renfort, sans compter les considérations sur « l’élevage occidental » et la proposition de faire des recherches sur les modèles animaux. Les troubles concernés requièrent des traitements psychologiques et sociaux. On ne saurait prétendre à ce jour à une causalité biologique qu’à la condition idéologique de vouloir « naturaliser » les troubles des conduites comme les problèmes sociaux pour mieux méconnaître ce qu’ils doivent à la culture et à l’histoire d’un sujet. Dans les suites de l’expertise de 2003, le rapport affirme sans enquête épidémiologique qu’un enfant sur 8 souffre de trouble mental et que 5 à 9% des jeunes de 15 ans seraient atteints de « troubles des conduites » . Cette notion vague de « troubles des conduites » réduit des critères psychosociaux, insuffisamment affinés, à une définition et une solution médicales. La délinquance, le crime, la désinsertion constituent des problèmes de société. Le rapport postule au contraire une détermination psychomédicale du crime, au demeurant confuse, qu’il faudrait dépister précocement chez des sujets réduits à la dimension de malades . Ces corrections idéologiques surmédicalisent une souffrance psychique générée ou amplifiée par des difficultés sociales et socio-familiales. Ainsi le dépistage précoce des troubles du comportement prétend à une valeur prédictive de la criminalité, et d’une « médicalisation de la déviance ». Comme l’indique l’expertise : « le dépistage, la prévention et la prise en charge médicale du trouble des conduites reste insuffisant en France en regard … du coût pour la société, de l’instabilité professionnelle, de la délinquance, de la criminalité… » Sans même attendre les résultats d’une enquête complémentaire, au moins épidémiologique, qui se serait imposée, l’expertise conseille un dépistage dès 36 mois, des thérapies comportementales et en « deuxième intention » les médicaments qui existent déjà (Ritaline, neuroleptiques thymorégulateurs). Comme les résultats du comportementalisme sont aléatoires, les experts promettent ainsi à la France une situation semblable à celle des USA, où 5 millions d’enfants prennent de la Ritaline.

IV. Le Ministre de la santé et les pouvoirs publics doivent prendre en considération le point de vue des associations d’universitaires, de psychanalystes et de professionnels.
Nous attirons l’attention des ministres chargés de la santé et de l’éducation sur la partialité insistante des rapports précités de l’Inserm. La grande majorité des cliniciens et des universitaires concernés contestent et dénoncent leurs présupposés et leurs résultats. Leur communication aux médias participe d’une tentative de recomposition du paysage français de la santé mentale au profit de la pharmacologie et des traitements cognitivo-comportementalistes qui leur servent de couverture. Si leurs conclusions étaient suivies, elles aboutiraient à infléchir gravement l’avenir des politiques de santé et des formations professionnelles, notamment par les consignes de recrutement des enseignants-chercheurs dans les universités, par la définition des profils de poste des psychologues et des psychiatres dans les institutions de soin, et par la formation professionnelle des personnels soignants. Une disqualification des formations, jointe aux recommandations comportementalo-pharmacologiques aboutirait à une croissance de la consommation de médicaments et alourdirait de manière considérable le déficit de la Sécurité Sociale, à l’inverse des progrès annoncés par ces expertises.
L’indépendance d’un organisme de recherche n’oblige pas les pouvoirs publics à cautionner ses évaluations, surtout lorsque leur scientificité est contestée par des sociétés savantes et des associations professionnelles nombreuses et reconnues, dont les travaux ont, eux aussi, valeur d’expertise. Un « principe de précaution » élémentaire voudrait que le ministre de la santé confirme que son ministère, comme celui de son prédécesseur, prenne prendra en compte les critiques suscitées par ces expertises élaborées avec des méthodes et des objectifs problématiques. Il est enfin demandé au Ministre de prendre les mesures nécessaires pour que les organismes de recherches participent à une véritable information scientifique de nos concitoyens, en commençant par ne pas les priver des choix véritables.
La récente loi sur les psychothérapies accorde à la psychanalyse la place qu’elle doit à sa méthode et à ses résultats, vérifiables dans son abondante littérature, établie selon ses propres critères d’évaluation. La psychanalyse oriente les pratiques thérapeutiques d’une large proportion de psychiatres et de psychologues, de même qu’elle inspire de nombreux médecins généralistes ou spécialistes. Elle est présente également dans le domaine de l’éducation, où elle accompagne utilement la scolarité, l’orientation, le dépistage des difficultés. Son apport a profondément modifié le rapport à l’enfance dans notre pays. L’attention du ministre est attirée sur l’intérêt de la méthode psychanalytique, bien au-delà de la santé mentale. En effet, les réseaux de santé doivent faire face à des souffrances psychiques et sociales qui fabriquent ou aggravent les symptômes somatiques et les handicaps physiques au nom desquels les patients viennent consulter. Le soulagement de cette souffrance pourrait dégager le secteur de la santé de coûts en médicaments et en examens complémentaires. Cet aspect financier n’est d’ailleurs pas le plus important, si on le compare au bénéfice subjectif que la population pourrait tirer d’une approche de la santé mentale qui respecte la psychanalyse, perspective de progrès à laquelle les pouvoirs publics seront sûrement sensibles.

Le S.I.U.E.E.R.P.P.
SEMINAIRE INTER-UNIVERSITAIRE EUROPEEN DE RECHERCHE EN PSYCHOPATHOLOGIE ET PSYCHANALYSE

Décembre 2005

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