mardi 11 octobre 2011
Les portes, franchissement vers de possibles paroles...
« Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors », Rabindranàth Tagore
Ca commence bien… Il semblerait que ce directeur que nous attendons pour le 3 octobre, soit contrarié par le fait que nos portes de bureaux ne soient pas conformes à ses souhaits d’uniformité !
Donc ce matin, un ouvrier installe, à nos portes, un petit encart gris à clips, tous le même !
Un fantôme ce directeur ?
Nous ne l’avons toujours pas croisé, et lui connaît chacune de nos portes… Mystère, sachant que jamais je ne ferme ma porte de bureau afin que chacun vienne comme il le souhaite à ma rencontre, je pense que je l’aurais vu ou bien avais-je encore la tête ailleurs ?
Quelle représentation se fait-il de nous ce directeur, en uniformisant nos portes ?
La porte, symbole du franchissement d’un seuil, passer d’un espace à l’autre… rencontrer la singularité de chaque être qui se trouve de l’autre côté du pas de porte. La porte que l’on ferme pour l’intimité, celle que l’on ouvre pour accueillir… celle qui vous raconte l’ensemble d’un édifice. A Sidi Bou Said, lorsque vous vous promenez dans ce Montmartre tunisien, d’extraordinaires portes saisissent votre regard, puis elles vous invitent à l’imaginaire, quelles merveilles dissimulent-elles ? Merveilleuses elles-mêmes, vous ne songez pas à en passer le seuil. Non, parce que chacune dans sa différence, invite au voyage. Chacune raconte la singularité de la maison et du gynécée…
Ici, dans notre établissement, les portes doivent être strictement identiques ! En aucun cas elles ne doivent dire qui se trouve derrière, un patronyme, une fonction et basta !
Déjà du temps de la direction des études, celle-ci nous avait sommés de faire disparaître les textes que nous affichions sur nos portes… L’un y affichait De Gauléjac, l’autre Benassayag, untel y présentait un poème de Verlaine,… fleurissaient ainsi des noms de gens fréquentables ou non, avec lesquels les étudiants et autres pouvaient venir faire connaissance… Bourdieu, Deligny, Durkheim, Rouzel, Foucault… des pensées. De son injonction, nous en avons fait fi… et les textes fleurirent dix fois plus qu’à l’accoutumée !
Monsieur le directeur a-t-il peur des portes qu’il cherche ainsi à se rassurer ? Qu’il ne s’y trompe pas, l’esthétique (tout le monde pareil) ne règlera pas le fait qu’il doive se coltiner la singularité de chacun et des sujets que nous sommes et non pas ses sujets !
Un directeur qui affiche ses angoisses sur nos portes ? S’il avait frappé aux portes nous l’aurions accueilli, avant qu’il prenne ses fonctions. Nous sommes équipés de la parole (on peut frapper à nos portes) et sommes attentifs aux passages à l’acte (uniformisation de nos portes).
Dans l'équipe, les portes s'ouvrent sur l'espace des possibles rencontres avec ces éducateurs en devenir, d'un pas hésitant au début, ils affirment ensuite la relation pédagogique à partir de leurs doutes, des questions qui les animent, des craintes auxquelles ils tentent d'échapper un instant en cherchant le réconfort de la parole qui viendra soutenir cette déformation. Pour que ce lien pédagogique advienne, il est donc nécessaire que cette porte soit béante, comme ce trou en nous qui fait manque. C'est là que la parole émerge. Parole qui rate, ratage permanent parce que l'homme est imparfait à jouir pleinement et c'est ce qui l'humanise car le langage le fait entrer dans cette humanité fébrile et perpétuellement insatisfaite. Sans cela pas de relations possibles entre nous, pas d' « homminisation ». Alors pour nous rencontrer, ratons-nous!
Mais s'il y a ratage, soyons clairs ici, il ne s'agit aucunement de s'inscrire dans l'évitement mais bien dans la relation.
Il est donc à craindre qu'avec ce directeur « fantôme », qui en notre absence, parcoure les couloirs de l'institution et se trouve contrarié de nos portes multiformes, la rencontre n'ait pas lieu là où nous, nous l'attendons.
Monsieur le directeur, voici la relation que nous vous proposons...
Apprenez donc à faire connaissance avec vos collègues. Qui donc se cachent derrière ces portes? Non pas des grands méchants loups mais des grands méchants fous! Des formateurs suffisamment hors système, en nos temps intemporels (ignorance du devenir et du mourir), mais assez conscients de ce que l'on voudrait nous inculquer, nous inoculer...
Vous allez donc coopérer avec des gens qui sont au travail, suffisamment habités de leurs questions pour s'inscrire dans la dynamique pédagogique. Suffisamment conscients du manque de l' « Autre », pour ne pas s'inscrire dans une relation « pansante » mais plutôt pensante, les formateurs que nous sommes, accompagnent et soutiennent des trajectoires et des constructions identitaires à partir de la singularité de chacun des sujets qui se présentent à cet impossible... « éduquer ».
Les résistants que nous sommes sont attentifs à l'emprunt du mot et à son empreinte. Vous devez être de cette époque, sans nul doute, où le mot commande la posture. Or, il me semble que c'est le contraire c'est la posture qui convoque le mot. Telle la notion de compétence qui ne saurait être nommée que dans l'après-coup. La compétence... du « bas latin competentia, proportion, juste rapport, du latin competere, s'accorder. » (Littré). la compétence ne saurait s'envisager comme à acquérir puisqu'elle n'est que le résultat de l'expérience réfléchie après-coup, elle est à « dévisager ». Qu'est-ce que cette posture éducative, dont je n'avais imaginé l'empreinte, me donne à penser? Tel Bourdieu qui se regardait avoir fait le sociologue , l'éducateur spécialisé a à se regarder à travers la posture éducative qui est advenue, pour dire qui il est. Alors il s'agit d'être en accord. En accord avec ce que la compétence vient animer la construction identitaire toujours à construire et à déconstruire de l'éducateur, en tant que professionnel, elle n'est que la résultante d'une expérience élaborée et pensée dans un « après », la clinique éducative pour le dire autrement.
Texte, en cours d'écriture... écriture en friche pour quelques jours. J'y reviens.
J'ai vu, j'ai serré la main, j'ai échangé des paroles avec le directeur. Présentée par la direction générale à mon nouveau collègue, j'ai entendue dire de moi, que je suis la formatrice la plus proche des étudiants, ne pouvant éviter de préciser au directeur que nous avions elle et moi, quelques différends!
Le directeur a apprécié verbalement le fait que je sois du côté de l'accueil des étudiants...
Alors, monsieur le directeur, sachez que notre équipe est disposée à vous accueillir, vous aussi. Vous accueillir du côté du travail. Drôle d'endroit pour la rencontre me direz-vous, mais c'est c'est en ce lieu que quotidiennement, moi et mes collègues mettons en mouvement ce qui nous anime, la perpétuelle question du sens pédagogique dont nous nous saisissons chacun à partir d'un seul espace... celui de nos singularités. Si je devais nous trouver un lieu commun alors il s'agirait de la clinique. Celle dont je parle un peu plus haut, la possibilité de se mettre de côté et regarder, interroger... Comprendre que rien n'est acquis malgré nos connaissances intellectuelles et que toujours l'autre vous conduit à la mise en question de vos actes réfléchis et bien souvent irréfléchis, parce que manqués comme la parole, ce ratage merveilleux qui fait rencontre.
Alors la porte est ouverte... soyez le bienvenu en cette école de la déformation!
Prenez juste garde à la porte que la direction générale voudrez vous claquer au nez, pour que vous ne rencontriez pas les délégués syndicaux que nous sommes, engagés du côté de l'institution... Elle, qui voudrait que la vie disparaisse de notre école au profit d'un espace hygiénique, munie de son livre rouge (le Dalloz, bien sûr) et ne saisissant rien de l'esprit des lois... Conseillez-lui Montesquieu, que l'on retrouve le chemin des lumières!
Laurence Lutton, cadre pédagogique et éducatrice spécialisée
Pierre Bourdieu, Esquisse pour une auto-analyse , éd. Raisons d'agir, février 2004
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Avant de parler... apprendre à connaître
L.Lutton
samedi 30 juin 2012