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Mon voyage à travers la formation à la Supervision d’équipes des travailleurs sociaux

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Ana-Maria Palacios-Laferrière

dimanche 16 décembre 2007

Mon voyage à travers la formation à la Supervision d’équipes des travailleurs sociaux.

«Puisque les voyages forment la jeunesse »

3e promotion de la formation à la supervision d’équipes de travailleurs sociaux

2006-2007

Institut européen Psychanalyse et Travail Social, Montpellier.

Ecrire est un acte militant, un acte subversif.

« Ecrire est entièrement politique. »

« Celui qui écrit est celui qui cherche à dégager le gage. A désengager le langage. A rompre le dialogue. A désubordonner la domestication. A s’extraire de la fratrie et de la patrie. A délier toute religion. »

Les ombres errantes , Pascal Quignard

Je dédie ce travail, cette tentative à dire ce qui m’anime…

à Joseph ROUZEL, formateur et directeur de l’Institut européen psychanalyse et travail social - PSYCHASOC,

à Véronique,

à mes collègues de formation,

à mes collègues qui avec moi fondent et refondent chaque jour l’institution qui est la notre,

à mes enfants.

Antonio Machado ( 1875-1939)
Caminante
Todo pasa y todo queda,
pero lo nuestro es pasar,
pasar haciendo caminos,
caminos sobre el mar.
..
Nunca perseguí la gloria,
ni dejar en la memoria
de los hombres mi canción;
yo amo los mundos sutiles,
ingrávidos y gentiles,
como pompas de jabón.
.
Me gusta verlos pintarse
de sol y grana, volar
bajo el cielo azul, temblar
súbitamente y quebrarse...
.
Nunca perseguí la gloria.
.
Caminante, son tus huellas
el camino y nada más;
caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
.
Al andar se hace camino
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
.
Caminante no hay camino
sino estelas en la mar...
.

Tout passe et tout demeure

Mais notre affaire est de passer

De passer en traçant des chemins

Voyageur, le chemin

C’est les traces de tes pas

C’est tout; voyageur,

il n’y a pas de chemin,

En marchant on fait le chemin

Et en regardant derrière nous

Tu vois le sentier que jamais

On pourra de nouveau fouler

Voyageur! Il n’y a pas de chemins

Rien que des sillages sur la mer…

« Mon voyage à travers la formation à la supervision d’équipes des travailleurs sociaux. »

Plan

I Introduction 5

Des raisons et des réticences pour vouloir faire la traversée 9

Résistances 10

L’embarquement 11

Le bateau de la supervision 11

II Les réunions de synthèse. 12

III Travail de recherche théorique. 15

IV Conclusion 20

V Autres citations 22

VI Bibliographie. 23

VII Annexes 25

I Introduction

Je suis venue à la formation intitulée « Supervision d’équipes de travailleurs sociaux » plutôt en tant que « cliente » aux séances de supervision. Je me plaçais du côté de ceux qui ont besoin et veulent faire de la supervision, de ceux qui ont besoin et veulent échanger sur leurs pratiques professionnelles, je me situais plutôt du côté des démunis, du côté de ceux qui ne savent pas, de ceux qui sont impuissants des savoirs, je me sentais de l’autre côté du « manche ». Or, je savais bien que les objectifs de ce stage, je cite le catalogue PSYCHASOC, « vise la formation de professionnels, issus du terrain, à la fonction de superviseur et régulateur d’équipe dans le champ social et médico-social, à partir du repérage de la psychanalyse. »

C’est quoi se former à la fonction de superviseur ? Le superviseur serait-il un être de savoir, un être de connaissances, un être de certitudes ? Je suis mal à l’aise d’être là, à l’endroit de cette formation, je suis dans le déni par rapport au véritable objectif de la formation. Ceci je le comprendrai, en partie, lors de la deuxième semaine de formation, quand la question de ma légitimité viendra faire irruption une fois de plus dans ma vie. Cette deuxième « révélation » viendra me toucher d’autant plus qu’elle concerne « mon moi » le plus secret, le plus intime, le plus ancien, le plus personnel. Le petit enfant naturel, donc illégitime que je fus, car non reconnu par l’institution du mariage, vient questionner ma légitimité de grand enfant naturel d’un pays, un pays dont je ne suis pas née, un pays dont j’exerce mes fonctions de travailleur social, ce pays où je suis, comme le dit si joliment Louis Aragon dans l’Affiche Rouge , « un Français de préférence », pays dont je ne fais qu’essayer de traduire « sa langue de naissance », qui n‘est pas la mienne, pour la faire mienne aussi.

Par ailleurs, mon très petit bagage pour naviguer autour des repérages de la psychanalyse m’intimide, me met dans un sentiment où je m’interroge sur le droit, sur ma prétention à prétendre, à aspirer à une telle fonction.

Une première révélation, assez peu flatteuse pour mon ego, avait déjà eu lieu lors de la première semaine de formation. Celle-ci concernait ma place dans l’institution, et plus particulièrement dans les réunions dites de synthèses, lieu hautement investi et sacralisé par la professionnelle que je suis et que je représente, car ce lieu semble incarner, auprès de moi et de l’institution où je travaille en tant que psychologue, le noyau de notre pratique médico-sociale. Cet espace de parole, d’écoute, de travail d’équipe, où le rôle principal est tenu par la personne accompagnée, reflèterait et représenterait au mieux la place que nous laissons et le regard que nous portons aux personnes en situation de handicap… Lieu où à force de vouloir que la parole de la personne accompagnée soit prise en compte, à force de vouloir prendre leur défense, à force de vouloir me faire leur avocat, à force de me mettre à leur place, je leur prends de la place. Je leur prends leur place.

Daniel SIBONY 1 écrit : « aider l’autre est aider l’autre à pouvoir répondre, à pouvoir être responsable, c’est-à-dire « à vivre un rapport à l’être qui lui permette de « répondre », donc d’entendre ses appels d’être », et il ajoute,

« quant à la pratique militante, elle consiste pour certains à vouloir presque devenir autre, à passer du côté de l’autre, de l’opprimé qui a la bonne identité et qui ainsi les aide à combattre ce qu’ils rejettent de la leur ».

Travail faisant, un bonheur ne vient pas seul……

Dans un entre-deux, une collègue de la formation m’interpelle pour me lancer la phrase, le mot qui fera énigme , le mot qui m’a fait et me fait question, parce qu’il me touche là où j’ai mal, là où j’attends peut-être une réponse ou une confirmation.

Entre interrogation et affirmation, elle me dit « Toi, tu aimes bien baratiner, non ? » .

J’essaie d’aller chercher au fond de moi la réponse juste, la réponse vraie, mais au fond de moi, je ne sais pas si je baratine ou pas… « J’essaie, je cherche, je voudrais ne pas le faire » fut ma seule réponse.

Je ne sais pas si ce fut ma réponse, ou la question posée, ou le doute sur ma qualité de baratineuse, ou les associations que j’ai fait sur le mot, ou tout cela ensemble, qui a provoqué en moi une sorte de tristesse.

Et si c’était la réponse à cette question que j’étais venue chercher à travers cette formation ?

Cette question qui interroge mon éthique me touche et fait essence en moi car elle semble à la frontière entre ma vérité du sujet et mon désir d’éthique.

C’est quoi, l’éthique ? Dans L’Ethique dans le travail social, de Joseph ROUZEL , il la définit comme un « engagement personnel », comme une « responsabilité assumée ». Pour l’auteur, l’éthique serait « le chemin par lequel chacun construit le sens de ses actes et les assume », et il ajoute, « l’éthique balise la voie du désir et de l’engagement ».

Le dispositif de la supervision ou instance clinique utiliserait le même chemin que celui de la cure analytique.

C’est le chemin qui peut permettre de passer du baratin à l’éthique, de passer de ce baratin - qu’est tout de même langage, des « formes substitutives de la jouissance », de ces mots qu’on enfile comme des perles pour dire la perte, pour dire notre manque, notre incomplétude- à la responsabilité des actes posés.

Le but de la cure analytique consisterait en partie à nous apprendre, à nous révéler comment nous sommes assujettis au langage, comme nous sommes des esclaves du langage. Nous parlons pour entourer, pour broder ce qui se présente comme un manque, comme un vide. La parole sert à nous faire vivre, à nous faire naître, à nous faire exister. Par la parole, on se sépare, par la parole on produit du « manque à « être »

La parole servirait à dire « un bout de désir qui n’arrête pas de nous agiter, de ce désir qui nous fait courir après un objet perdu ». Parler sert à dire des bribes de ce qui nous anime, de ce qui nous fait avoir envie de nous lever le matin, de ce qui nous donne l’envie de vivre.

Or, la parole est confuse et obscure, les mots ont des sens différents, des sens qui s’échappent, qui nous échappent et qui leur échappent.

Or, c’est essentiellement par la parole que nous rentrons en lien avec les autres. Le transfert est à la base de toute relation humaine. Pour comprendre quelque chose du transfert, il faut passer par un travail d’analyse. « Parler de ce qui nous arrive dans le transfert déplace le transfert et renvoie les positions de chacun. » Dit Joseph ROUZEL dans son texte sur la supervision 2 , parler de ce que nous arrive dans le transfert permet à chacun de retrouver un peu sa mise, un peu ses désirs, permet à chacun une séparation, un espace, un point d’air ou chacun peut mieux trouver sa place.

Ma monographie va essayer de prendre le chemin de la cure, le chemin du travail analytique.

Je vais partir du baratin, de ce signifiant qu’on définit comme obscur, comme confus. Je vais partir de mon baratin à l’état brut, à l’état pur, je vais le triturer, je vais le malaxer, je vais le filer, je vais le tricoter, je vais l’analyser, je vais le décortiquer pour aller voir si je peux découvrir un bout de moi, si je peux comprendre quelque chose de ma relation de moi à moi, de moi aux autres.

Partir du baratin me plaît, cela va peut-être, me permettre d’illustrer abondamment mon récit sans avoir à lire et à relire mon document pour le limer de toute différence ou de toute aspérité, sans le souci de me dire que je parle trop ou mal, sans le souci de m’interdire, sans le souci de m’autocensurer, il va me permettre d‘être moi, quelqu’un qui privilégie plus le fond que la forme, quelqu’un qui est plus de chair que d’os, plus matière que structure.

.Je prends conseil auprès de notre formateur Joseph ROUZEL. Sa première phrase me rassure, « c’est une bonne avancée » me dit-il.

Je prends conseil auprès des lectures diverses, des auteurs reconnus dans la question, des amis, des collègues de formation. Je me sens soutenue, encouragée pour aller de mon chemin, avec mes failles, mes manques et mes excès.

Avec une tendance à marquer le trait, à maquiller, à embellir, à décorer les faits et les ressentis. Avec une méthode qui laisse à désirer, avec une tendance à perdre et à changer de fil, à tisser mes contours plutôt que celui de l’autre, j‘y vais, je me lance avec ma subjectivité, je serai moi le long de ce récit, avec mon baratin, avec mon désir, comme me l’ont suggéré mes amis de la formation.

Joseph ROUZEL me rappelle la structure de la monographie, il me parle de sa mise en forme, il me suggère un canevas pour celle-ci, je l’interprète comme une invitation à organiser mon baratin, pour qu’il puisse franchir la barrière de « jouissance-toute », au traitement de la jouissance, pour qu’il puisse passer du baratin à baratter, pour qu’il puisse passer de la crème au beurre, passer de cette matière qui déborde à la structure qui contient, qui limite, passer de quelque chose qui coule à flots à quelque chose qui a une bordure.

Je vais essayer d’aller voir comment je peux articuler le baratin à la question d’éthique et ceci plus particulièrement à l’intérieur du travail social, auprès de ces personnes singulières que nous accompagnons au quotidien et auprès de nos collègues.

Je vais essayer d’aller voir, comment mon récit va franchir la barrière de la jouissance, comment ces mots et ces idées que je vais essayer d’enfiler un par un, dans une cohérence, la mienne, va subir la perte, la castration et ainsi faire apparaître un déplacement. La mise à distance nécessaire pour comprendre un peu plus de ce qui nous anime, un peu plus de ce qui se joue dans la relation à l’autre.

.Je vais essayer d’aller voir, comment peut-on sortir de nous-mêmes pour nous rapprocher de ses personnes que nous accompagnons, comment pouvons-nous, nous déplacer de nos positions habituelles, de nos certitudes. Comment pouvons nous flirter avec le transfert, « s’empéguer » dans le transfert, comme dit Joseph ROUZEL , pour aller créer « du trois »

Je vais essayer d’aller voir comment la question de la jouissance et du transfert est présente, lors de ces réunions dites de synthèse, lieu où nous essayons de mettre en lumière, de mettre en question des morceaux du passé et du présent pour aider cette personne singulière à penser et à s’inscrire dans un avenir en relative conformité : Avec ses moyens (et les nôtres), avec ses souhaits (et non pas les nôtres), avec ses rêves et ses besoins. Pour que l’accompagnement proposé soit une aide à être, une aide à trouver de sens et non pas à faire pour faire, pour que l’accompagnement soit une aide à se découvrir et à mieux choisir sa vie, pour que l’accompagnement soit un aide à accepter et à reconnaître sa singularité, pour que l’accompagnement puisse proposer à la personne, un soutien, une enveloppe, un maintien qui fera résistance à la normalisation sauvage, au formatage, à la mise en boite.

Passer du baratin à l’éthique est peut-être aussi pouvoir faire la part de ce qui nous revient de notre désir et du désir de l’autre.

Des raisons et des réticences pour vouloir faire la traversée .

Des résistances à l’embarquement

Comment et pourquoi je me suis retrouvée dans une formation de Supervision d’équipes de travailleurs sociaux, que cherchais-je si je ne cherchais pas une maîtrise, un savoir, un pouvoir.

Sur le plan personnel, mon but est celui de ne pas mourir, ne pas mourir au désir, désir de la rencontre, désir des autres.

Partir à la rencontre des autres, pour se faire peur, douter, pour se poser des questions, pour s’éveiller, se réveiller, s’émouvoir, se sentir vivre.

J’aime rencontrer les autres, j’aime lire leurs livres, leurs poèmes, écouter leurs musiques. Leurs vies font échos dans la mienne. Ils me permettent de les découvrir et de me découvrir, de les connaître et de me connaître un peu plus, chaque fois différente, sans jamais me saisir ou les saisir, sans jamais les atteindre ou m’atteindre.

Sur le plan professionnel, l’habit de la psychologue m’a été souvent trop grand, trop encombrant de par la responsabilité qu’il porte, par les attentes fantasmatiques qu’il induit sur une soi-disant vérité sur l’autre qui viendrait le résumer, le mettre en boite, le captiver, l’emprisonner.

Soucieuse de vérité, d’honnêteté, d’intégrité j’essaie de pas tromper les autres, ne pas leur mentir, de dire la vérité au fur et à mesure qu’elle se révèle, mais ma vérité et la leur changent tout le temps, elles sont impossibles à figer, elles semblent insaisissables, ils paraissent se jouer de nous continuellement.

Où est-elle la vérité? La mienne, la vôtre ? Celle qu’on voudrait donner, celle qui peut obséder jusqu’à la honte, chaque fois qu’on se retourne, chaque fois qu’on change de trottoir, d’avis, de ton et de tempérament. Cette vérité qui se défile, se faufile, me trompe, et vous trompe.

Aujourd’hui, là, tout de suite, je suis ça. Je suis mon récit, récit que je voudrais mettre en vers pour mieux l’assumer, car comme dit le poète Pablo NERUDA : « La poésie n’est ni vérité, ni mensonge, elle est.

» « La poésie n‘a aucune raison d‘être surréaliste ou subréaliste, mais elle peut être antiréaliste . Et cela, en pleine raison, ou en pleine déraison, c’est-à-dire en pleine poésie. »

Être, c’est pour moi, comme pour vous sûrement, toute la question.

Dire, même si notre discours n’est pas capable de nous cerner, de nous réduire, de nous expliquer.

Chaque fois que nous nous disons, nous disons un petit bout de nous, à un moment précis, nous découvrons et nous faisons découvrir ses petits bouts que nous fabriquons avec l’aide des autres, de ces autres que nous aimons ou qui nous font peur.

Je m’assume comme une psychologue sans vérité, sans certitudes, sans savoir. J’ai des positions, je prends position, je me positionne selon l’endroit, selon la place où je suis. J’ai aussi des croyances et des espérances qui se déplacent comme mes positions, comme moi, au gré du temps, de la vie et des rencontres.

Parfois je me déplace peu ou mal, je me raidis, je m’insensibilise. Mes journées et mes pensées sont tranquilles et plates, elles coulent des jours inchangés ou tout est prévisible, contrôlé.

Ces journées où rien ne nous touche, où nous ne touchons personne, où rien ne bouge ressemblent à la mort.

Résistances.

Je suis bloquée entre la peur, l’envie, la norme et le raisonnable, mais avec une conviction profonde qu’une formation comme celle qui est proposée, dans le cadre que celle-ci est proposée, ce formateur et ces supports , change une vie !

Pourquoi demander une formation à plus de 50 ans ? …..Pourquoi la demander quand il n’y a pas de demande institutionnelle, quand celle-ci va coûter et me coûter de l’argent, quand avec celle-ci, je vais déranger mes proches, famille et collègues, perturbant leur train-train habituel, obligeant les uns et les autres -le temps de mon absence, le temps de ma parenthèse, le temps de ma sortie du cadre - à se mettre aussi dans une autre organisation. Pourquoi, en voulant me déplacer, j’oblige ceux qui n’ont rien demandé à se déplacer aussi ?

Pourquoi demander une formation quand il n’y a pas en vue la moindre perspective « révolutionnaire » au niveau de mon statut, ni de ma fiche de poste ni de mon temps de travail, ni de mon salaire ? Pourquoi donc, s’il n’y a pas d’enjeu majeur ou s’il n’y a pas d’enjeu du tout, au niveau de la place symbolique que j’occupe actuellement dans cette institution ?

Pourquoi vouloir sortir de cette institution où je trouve valorisation, reconnaissance et protection, même si c’est pour un temps limité ?

Pourquoi aller prendre des risques dans un ailleurs et avec des gens que je connais peu ou pas ? Des gens qui m’intimideraient de par leurs statuts et de par leurs regards.

Pourquoi prendre le risque de me sentir réévaluée dans mes compétences, dans mon savoir-faire et dans mon savoir être, et peut-être risquer d’être perçue comme une mauvaise professionnelle ou plus grave encore, d’être perçue comme une mauvaise personne ? Pourquoi vouloir « se faire rentrer dedans », pourquoi vouloir se déstructurer ou se structurer autrement ? Pourquoi vouloir penser la vie autrement ?

Il me semble que pour vouloir entreprendre une démarche comme celle ci, il faut avoir envie de changement brutal, de révolution interne et externe.

J’ai entrepris cette formation avec une motivation sans faille, euphorique et confiante, je voulais me déstructurer, m’émouvoir, me mouvoir. Je me sentais en confiance par rapport au formateur Monsieur Joseph ROUZEL.Sous sa responsabilité, il y a quelques années, j’avais participé à un autre stage sur l’éthique dans le travail social. Ce stage m’avait apporté beaucoup, il m’avait fait avancer, progresser dans mes idées, dans mes réflexions, dans la manière de voir la vie, dans la manière de voir et de regarder les autres.

L’embarquement

A mon arrivée sur la formation

Je me sens en rupture professionnelle, en désamour professionnel, en « non-transfert » professionnel

Plus rien ne se passe, plus rien ne me surprend, les jours passent et se ressemblent

Je suis en train de perdre la croyance, l’énergie, le moteur

J’ai le sentiment que plus rien ne me touche et que je ne touche plus personne

Je ne sens plus mes tripes, je suis comme insensible

Ma pratique devient chronique, robotisée

Je me sens « chrono-figée »

Tout est devenu trop stable, trop contrôlé, trop maîtrisé, trop plat, trop plombé par les certitudes, je commence à faire partie des groupes « ça va de soi »

Je suis en conduite automatique

Je me sens comme vidée de mes émotions, de mes pensées, de la vie.

Je veux vivre, sentir, me sentir, avoir peur, m’enthousiasmer, prendre de la hauteur, décoller des pâquerettes, voler si possible

Je viens à cette formation pour sortir de mon « cocon–carcan »,

Je viens pour prendre le risque de l’inconnu, je viens pour me déstabiliser, « pour fabriquer de l‘entropie », pour rencontrer l’autre, pour désirer ce qu’il désire.

Je suis en rupture avec mon moi professionnel, je ne l’aime plus, je me

sens déçue, frustrée, impuissante.

La machine de la normalisation, de la standardisation est en train de m’avaler, j’ai besoin de nouveau, de créativité, de renaissance.

Mon « bateau-institution » ne me fait plus rêver, il navigue sur des rails.

L’aventure est ailleurs ; je la prends … non sans appréhension ….

..Le bateau de la supervision.

Ma première semaine de formation : j’y vais, je m’éclate, c’est super, je me voile, je me perds, je me découvre, et je me redécouvre, des situations et des choses se relèvent et se révèlent, me révèlent et me relèvent.

L’éclairage est multiple, je passe de la sphère professionnelle à la sociale et personnelle sans cesse. Je me caricature, je me moque de moi-même, je suis dans la relativité. L’effet du groupe me semble porteur et gratifiant.

Même sous l’effet des différentes révélations qui s’étaient manifestées à moi, lors de cette première semaine, et qui, pour certaines d’entre elles, avaient été assez rudes à supporter pour « mon bien portant » ego-professionnel, je me sentais très bien, heureuse avais-je dis, amoureuse des rencontres, amoureuse de la vie, j’allais l’interpréter plus tard.

La révélation qui m’avait marquée le plus était celle concernant ma place dans les réunions de synthèse.

II Les réunions de synthèse :

Sont des réunions pluridisciplinaires faites une fois par an qui concernent la personne admise dans l’ E.S.A.T., où j’exerce la fonction de psychologue, et les professionnels qui participent au suivi ou à l’accompagnement de cette personne.

L’objectif de la réunion de synthèse, ciblé depuis quelques années, est que la personne concernée, ainsi que chaque professionnel intervenant auprès de celle-ci et inscrit dans le projet d’accompagnement social ou professionnel demandé ou accepté par l’usager client, puissent rendre compte, par une évaluation le plus objectif possible, du travail jusqu’alors réalisé et de ses résultats.

Sa fonction serait d’abord, de mettre en exergue, de mettre en valeur le travail, le mouvement, le déplacement de la personne vers une plus grande autonomie et le chemin parcouru par celle-ci. Et ensuite de mettre aussi en valeur le travail des professionnels et le bien- fondé de leurs dispositifs qui ont permis ou qui ont participé à ce déplacement.

Cette réunion permet d’analyser et de réviser si besoin, le(s) dispositif(s) existant(s) mis en place et de les réviser aussi et surtout, par rapport aux nouveaux objectifs et aux nouvelles attentes et besoins de la personne accompagnée.

D’autre part, par le biais de cette réunion, nous devons aussi nous prouver et prouver aux instances qui nous reconnaissent et qui nous financent, que la personne a ou qu’elle n’a plus sa place dans l’établissement. Pour ce faire, nous devons prouver qu’un mouvement de progression, ou de désir de progression, existe dans les domaines du savoir-faire, de l’autonomisation et /ou de « savoir et du pouvoir être ».

Ces réunions de synthèse, en transformant leur fond et leur forme, ont pris aux cours des années beaucoup d’importance aussi bien pour les usagers que pour les travailleurs sociaux.

Si celles-ci ont permis aux travailleurs sociaux une plus grande distanciation et une meilleure remise en question, ils ont permis aux travailleurs de notre structure de travail adapté, de mieux connaître et reconnaître leurs droits, de mieux s’affirmer avec moins de crainte de se positionner en dehors du discours éducatif, s’autorisant un peu plus à parler à leur place de sujet.

Du « tribunal », où le travail et les efforts d’une seule personne étaient jugés -la personne en demande d’aide-, nous nous sommes retrouvés tous à rendre compte de notre travail et de sa cohérence. Nous sortions de la toute puissance et de notre statut, de « bien portants » à vie.

Avec la direction précédente, j’avais eu une place très particulière lors des réunions dites « de synthèse ». J’étais une sorte de meneur, d’animatrice qui répartissait la parole et surtout, qui invitait et favorisait la parole de l’usager. Ce lieu, qui réunissait autour de l’usager l’ensemble de ses intervenants, devait, selon ma croyance, lui être destiné et nommé comme le sien.

Il avait fallu du temps pour arriver à cela. J’avais connu les réunions de synthèse sans la personne concernée, car à cette époque, l’implication de celle-ci n’était d’emblée pas évidente pour personne. Nous avions connu aussi les réunions de synthèse où seulement les représentants légaux de la personne étaient présents, pour décider de son avenir.

Avec l’arrivée de la démarche qualité et d’une nouvelle équipe de direction, les choses prendraient un autre départ. Nos postes allaient glisser, pour laisser la place aux nouveaux et aux nouvelles règles imposées dans un souci de rendre compte du travail de chacun, mais aussi de rentabilité, de performances et de cloisonnement.

Dans cette nouvelle organisation, celui qui allait perdre de l’espace serait l’usager. En nous déplaçant par souci d’efficacité, plus près de « l’éthique de la raison que celle du désir », plus près des divises comptables, nous allions mettre un peu moins de forme pour faciliter la parole de la personne pour qui avait lieu cette rencontre, escamotant tout d’un coup une partie de son temps de parole et de son espace.

Il est vrai qu’avec notre ancienne formule, les réunions de synthèse pouvaient durer longtemps, et que nous étions toujours en dehors des cadres et de cadrans. Cependant, la personne avait tout son temps pour s’exprimer. Elle prenait souvent le temps et la parole, le temps et la parole pour parler de ce que la concernait, même si cela ne concernait pas directement le sujet de l’accompagnement.

Dans « Don de soi et partage de soi (page 163), Daniel SIBONY dit que de la fonction de l’analyste symbolise « le don de l’être à qui s’en est trouvé exclu, qui est tombé dans un trou d’être dont il ne trouve pas la sortie.

Au fond, l’analyste répond « pour » l’autre…en silence, et sans formuler la réponse, il « répond » sans avoir la réponse, il aide à ce qu’elle soit. Il garde à l’autre une place qu’aucun des deux ne connaît mais qui existe comme potentiel de déplacement.

Dans cette nouvelle réorganisation, avant la synthèse, les professionnels dont je fais partie devaient rencontrer individuellement la personne concernée pour une première cueillette, pour recueillir et mettre en mots le bilan de l’année écoulée. Avec cette formule nous donnions à la personne le temps qu’elle considérait nécessaire pour s’exprimer en présence et avec l’aide des différents accompagnateurs de la vie sociale et professionnelle. Mais son temps de parole dans ce lieu multidisciplinaire était plus court, plus concis.

Ces réunions ne se fabriquaient plus sur mesure pour la personne, ce n’était plus le cadre qui s’adaptait à la personne, mais la personne qui s’adaptait au cadre. Elle n’avait plus le temps de trouver ses mots, le temps d’allonger son discours, le temps de se retrouver dans une parole qui s’adresserait à l’institution toute entière.

Lors de ces réunions de synthèse, je deviens peu à peu mais sûrement leur pense-bête, leur béquille, leur porte-parole, leur avocat.

Cette relation de soutien, de maintien et d’appui dans l’urgence créait un lien particulier entre moi et cet autre, un lien où nous désirs se confondaient, un lien où à force de vouloir que la parole de l’autre soit entendue, je couvrais avec la mienne une partie de la leur.

Dans l’ article 3 « Une évaluation, une démarche éthique » , Jean Michel Courtois nous prévient qu’ « en se préoccupant surtout d’optimiser les actions entreprises, l’expert risque de laisser peu de place à l’expérience et aux savoirs que les personnes ont construits . »

Pour Jean Michel Courtois, « poser la question d’une évaluation possible dans un établissement ou un service de notre secteur, c’est d’abord poser la question de l’éthique. »

Pour lui, « l’évaluation n’est pas qu’une question technique. Elle est aussi idéologique et institutionnelle et elle existe depuis que les institutions sociales et médico-sociales existent. »

Nous serions passés d’une logique de mission à une logique de prestation où « le travailleur social n’est plus perçu comme un généraliste, un accompagnateur, un passeur. Il devient expert d’une prestation où les notions de performance et de rentabilité sont dominantes. » Il ajoute « Adopter une telle attitude comporte le risque de reléguer les personnes auprès desquelles on intervient dans une position d’objet »

« Poser la question d’une évaluation possible dans un établissement ou un service de notre secteur, c’est d’abord poser la question de l’éthique. L’éthique est avant tout une visée, c’est –à- dire qu’elle s’exprime dans une démarche de recherche et de sens. Elle renvoie à la question de l’autre en tant que sujet. Elle ouvre la voie à la promotion d’une conscience sociale et d’une responsabilité partagée entre citoyens.

III Travail de recherche théorique

Baratin

Vérité et éthique

Vérité et psychanalyse

Pensée et langage

Conscience humaine

Ca sert à quoi parler ?

Travail social et éthique

Baratin

Baratte :on trouve dans plusieurs langues romanes de formes voisines et également obscures : ancien Français. Barate: « confusion » ; baratter « tromper » baraterie « tromperie » baratar « agir, se conduire » baratta « dispute »; baratar « faire des affaires » barato « bon marché ». On propose comme etymon : mratos « tromperie » prattein « agir » « combat, tumulte »;

Les représentants de cette famille des mots:

Baratte « agitation », « instrument servant à agiter la crème pour faire le beurre » ; Baratter ; Barattage; Disparate; adj puis subst.:esp disparate « sottise »; altération de desbarate « dérangement »; Baratin. Dictionnaire Etymologique du français de Jacqueline Pinoche. Le Robert. Les usuels .

« Baratin subst.masc. »

Etymologie et histoire.1.(1911 Argot des voleurs « portefeuille vide que la main passe à son complice, au lieu de celui qu »elle a tiré » 2.( 1926 Argot des voleurs « bluff d’homme d’affaires, de galant, de juge d’instruction » http://www.cntl.fr/etymologie.baratin

Baratin . Populaire . Bavardage intarissable, souvent intéressé .

Baratineur,euse . Pop. Un baratineur qui noie les problèmes sous des flots de paroles . « Larousse de la langue française »Lexis. 1979

Emmanuel KANT, rattachait la question de la vérité moins à ce qui existe en dehors de l’expérience qu’à l’ordre humain. Pour KANT la question de la vérité et de la sincérité seraient inséparables.

Vérité et éthique

Pour Jürgen HABERMAS dans Explication du concept d‘activité communicationnelle : La communication est inséparable d’une éthique: chacun admet que ses affirmations sont ouvertes à la réfutation rationnelle, mais il aspire à la vérité de ses propres énoncés, à la justesse des actions proposées, et se soumet enfin à une exigence de sincérité. La personne qui ment, dissimule ou manipule rompt par là- même la communication.

Vérité et langage

LACAN 4 -« Même s’il ne communique rien, le discours représente l’existence de la communication; même s’il nie l’évidence, il affirme que la parole constitue la vérité; même s’il est destiné à tromper, il spécule sur la foi dans le témoignage »

Michel PLON et Henry REY-FLAUD 5 . - « A l’orée de leur histoire, la philosophie et la psychanalyse ont rencontré toutes les deux la question de la vérité. La république de Platon présente le monde où s’agitent les hommes comme un théâtre d’ombres, offert en spectacle à des prisonniers enchaînés dans une caverne, coupés à jamais de la lumière de la vérité, conception que Nietzsche reprend, vingt-cinq siècles plus tard, en avançant que ce n’est que pour « vivre avec quelque repos » que l’homme maintient « la croyance invisible que ce soleil, cette fenêtre, cette table, est une vérité en soi ». Après avoir cru un moment que l’analyse des symptômes et des rêves était susceptible de restituer au sujet la vérité de son histoire durant la cure, Freud dut reconnaître la vanité de cet espoir en constatant »qu’il n’existe dans l’inconscient aucun indice de réalité de telle sorte qu’il est impossible de distinguer l’une de l’autre la vérité de la fiction investie d’affect ». Conclusion qui fit dire à Lacan, tirant son ultime conséquence, » que nous ne rêvons pas seulement quand nous dormons »

Sur le principe que la passion de la vérité à toujours rendu fous ceux qui prétendaient détenir le sens du monde, la philosophie et la psychanalyse ont, chacune dans leur champ, subverti le statut de la vérité en découvrant d’elle un nouveau visage :celui d’une vérité pure et sans contenu, solidaire d’un homme sans qualité référé au « signe privé du sens », évoqué par Hölderlin, en écho anticipé au signifiant primordial, identifié par Lacan, auquel l’analysant à la fin de sa cure est appelé à s’assujettir.

Dans un monde fragmenté en convictions et en certitudes par les intégrismes politiques et religieux, il devient urgent de rétablir les droits d’une vérité vide soumise au primat de la pensée »

Pensée et langage

HEGEL : « on croit ordinairement… que ce qu’il y a de plus haut c’est ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité l’ineffable c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui deviens claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. » 6

La conscience humaine

HEGEL - dans son œuvre Logique. L’idée absolue .( pages 381-383) – examine la nature paradoxale de la conscience humaine, qui voudrait entière et complète, tandis que la plupart des individus ne peuvent généralement aller bien loin sans désaccord.

Cet antagonisme serait le moteur d’une évolution : l’esprit de l’univers croît vers de plus hauts degrés d’éveil et de conscience. Ce processus serait dialectique: On passe d’une étape à une autre en dépassant les contradictions dans le cadre d’un temps historique, productif, où l’antagonisme une fois subsumé conduit à la synthèse d’où émerge une nouvelle vérité.

Ca sert à quoi parler ?

Commentaire du texte : « Les enjeux de la supervision » de Joseph ROUZEL

Si le langage n’est pas là pour exprimer une vérité, que vient-il exprimer ?

La parole sert à communiquer, le langage sert à dire quelque chose de notre désir, à dire quelque chose de ce qui nous anime. C’est notre subjectivité qui produit la parole. Dans la parole, nous emportons l’objet manquant, l’objet qui fait de nous des êtres incomplets, des êtres de désir.

Pour la psychanalyse, le langage servirait à essayer d’attraper des choses qu’on croit perdues et qu’on pense retrouver chez l’autre. Les mots ne sont là que pour essayer de traduire cette perte, inscrite par l’interdit de l’inceste. Nous sommes des êtres divisés par le langage.

Notre parole nous sert à exister, à nous faire naître. Parler produit du manque à être. Plus on parle, plus on manque, plus on se sépare. La parole permet de dire un bout de ce désir qui n’arrête pas de nous agiter, de courir après un objet qu’on croit perdu.

La parole nous sert à entrer en lien avec les autres, à nous mettre en relation, à essayer de communiquer quelque chose de ce que nous sommes.

La parole nous sert à nous séparer, « plus on parle, plus on se divise ».

L’être humain se distinguerait des autres animaux justement pour le fait de la parole. Nous avons besoin de la parole pour rentrer en communication avec notre environnement. La parole, c’est ce qui fait médiation entre notre environnement et nous.

Nous sommes un organisme biologique animal appareillé à l’ordre du langage.

Nous sommes des êtres soumis au langage. C’est dans cet entre deux, entre le biologique et le psychique que la pulsion prendrait sa source.

Nous sommes soumis à un ordre, l’ordre du langage, aux lois du langage. C’est cela qui fait de nous des sujets.

La pulsion est le résultat d’une tension entre ce corps qui tend à se satisfaire et les contraintes inhérentes à la vie en société.

La parole servirait à exprimer cette tension, servirait à évacuer cette tension.

La parole, appareillage entre du vivant et du symbolique, obéirait à des lois. Des lois fondés à partir du principe suivant : celui de la vacuité. Ce dispositif symbolique ne fonctionnerait qu’à partir d’un élément qui est vide.

L’excès de la pulsion va être donc traité par ce que Freud appelle « l’appareil à langage », à condition que celui-ci obéisse à une loi bien précise, qui est celle de reproduire une représentation de la vacuité. Cette représentation du vide se présenterait d’emblée comme une perte, comme un manque.

La mère transmettrait à sa progéniture cette dimension manquante à travers l’interdit de l’inceste. L’interdit de l’inceste serait une question structurelle. Il servirait à représenter ce manque fondamental. Nous sommes tous des êtres troués.

C’est la fonction paternelle qui va aider les mères à tenir cette fonction. C’est celle-ci qui permet de transmettre cet appareil à parler.

C’est à partir de ces morceaux du corps de la mère qu’on croit perdus, à partir de cette perte, que va se produire « l’objet » de la psychanalyse.

Nous rentrerions en lien les uns avec les autres, justement à partir d’une illusion. Dans le lien social, on cherche tous dans l’autre cet objet qui a été construit comme perdu.

Je transfère, je transporte dans le corps d’autrui cet objet dont je me dis que si je pouvais un jour le posséder, enfin ce serait le bien absolu.

Le transfert, c’est l’essence même de la relation humaine, il signe toute relation humaine. Le transfert est une opération qui se joue à trois. Les êtres humains sont toujours liés au nom d’un tiers, notamment ce tiers de base qui s’appelle le langage. C’est dans cet espace tiers qu’on se rejoint, c’est dans cet espace tiers que nous sommes séparés et divisés.

Il y a relation parce que la question de l’objet vient toucher l’un et l’autre. La difficulté liée au transfert est que cet objet-là se présente comme un point aveugle, y compris pour celui qui supporte le transfert.

Comment le professionnel va produire une opération de séparation qui n’est que la reproduction de la castration originelle ?

Il va la produire par une opération de séparation entre l’illusion que l’autre lui attribue - une position de toute puissance - et la fonction qu’il a à tenir.

Comment faire pour ne pas se prendre pour celui qui a l’objet qui manque à l’autre alors que l’autre est venu nous trouver justement à l’endroit où notre manque est convoqué ?

C’est la parole qui va permettre de dé-fusionner cette zone de confusion.

Ce qui peut produire la séparation est de l’ordre du langage. La parole et toutes les modalités de la parole (écritures et représentations) .

Selon Joseph ROUZEL, l‘auteur du texte « La supervision serait un outil indispensable à cet endroit là. La supervision du point de vue de la psychanalyse, est une nécessité logique pour effectuer cette séparation ».

Travail social et éthique

« Parler de ce qui nous arrive dans le transfert, déplace le transfert et renvoie les positions de chacun. Le travailleur social va ailleurs en ce qui concerne ses propres objets de désir et dégage l’espace pour que la personne au service de laquelle on est puisse avoir la place. » ROUZEL Joseph

Une institution médico-sociale doit être « celle de la parole, une parole en mouvement, une parole qui ne vit pas dans sa peur de la profanation, qui n’occulte pas derrière le mépris. » 7

« La santé mentale ne repose pas sur le diagnostique d’un handicap incurable, mais sur la multiplications des ouvertures au possible » 8

« « Ce qu’est nécessaire de mettre en travail en permanence, c’est le désir de soigner, aussi bien individuellement, chez chaque intervenant, que collectivement, dans l’équipe, et au-delà dans tout le système » 9

IV Conclusion

La vérité du sujet, c’est sa subjectivité, subjectivité soumise aux affects, donc trompeuse.

Pour LACAN 11 , FREUD s’en remet à une certaine scansion signifiante pour localiser la vérité; et ce qui justifie cette confiance, c‘est une référence au réel. « C’est par rapport au réel qui fonctionne le plan du fantasme. Le réel supporte le fantasme, le fantasme protège le réel »

Ni l’inconscient, ni les rêves, ni la parole ne seraient porteurs de la V érité. Pour avoir droit aux miettes de cette vérité, il faut faire comme l’orpailleur cherchant l’or, laver les mots jusqu’à extraire quelques poussières précieuses comme le métal.

Aujourd’hui, la question de se placer d’un côté ou de l’autre dans l’exercice de la supervision me semble secondaire car quel que soit le bout, quel que soit la place que nous allons occuper, aussi bien du côté du supervisé que du côté du superviseur, il y a une mise en route de la machine à penser, une mise en route d’un travail de la pensée qui passe par le dire et produit un déplacement.

Dans le travail social, il ne suffit pas d’être sincère pour être compétent. Dans le travail social il faut mettre sans dessus dessous nos baratins, les battre, les agiter jusqu’à en extraire du sens, jusqu’à en extraire un contenu, jusqu’à leur donner des bords, des limites. Aller battre la crème pour la transformer en beurre pour passer du baratin au barattage, pour faire tenir, pour que cela tienne .

« La pensée ne fonde l’être qu’à se nouer dans la parole où toute opération touche à l’essence du langage » 12

Cette mise au travail de la pensée passe par la reconnaissance de la parole et de la place de chacun. Elle vient questionner notre position et notre place dans l’institution, notre engagement auprès des personnes qui nous sont confiées, auprès des politiques sociales et autres qui ne tiendraient pas ou peu compte du sujet, de son désir, de ses choix, en l’objectivant, en le normalisant, en le formatant, en le standardisant à tout prix, au prix de la non révolte sociale, au prix de son impuissance.

« Le sujet est bien là, au nœud de la différence ».. « De notre position de sujet, nous sommes toujours responsables » … .« Il n’y a pas de science de l’homme, parce que l’homme de la science n’existe pas, mais seulement son sujet » ‘Jacques Lacan. Écrit II

Entre galère et plaisance, de fil en fil, de bord en bord, non sans peine, j’arrive au port. Le voyage n’est pas fini, il se prolonge sur d’autres horizons. Derrière moi, je laisse des chemins sans retour, des bouts de moi et des bouts des autres. Pour faire le chemin jusqu’ici, j’ai du lâcher, perdre et abandonner en route des morceaux de matière, lâcher de mon discours, lâcher de mes lectures et bibliographies diverses, j’ai du me recadrer continuellement et m’obliger à tenir - au tout dernier moment acculée par l’approche de la date ultime - un dernier cadre.

Cet écrit, cette monographie, me permet d’honorer le contrat et l’engagement pris, celui de rendre quelque chose, celui d’accepter de perdre quelque chose de moi.

Je suis plus en accord avec moi-même, et ceci ne vient pas du contenu de l’écrit, mais plutôt du fait d’être arrivée à rendre compte de quelque chose, d’être arrivée à mettre des bords, à mettre une bordure à un travail d’analyse et de réflexion. Je suis arrivée à mettre fin, à me mettre fin et à me mettre à faim.

Si le traitement de la jouissance passe par la castration, ma monographie vient signer ma castration.

J’ai dû faire avec mon désir, ce désir qui se veut ignorant du manque, ce désir qui cherche la plénitude, qui cherche l’abondance de la mère généreuse et …de la mère toute puissante.

J’ai voulu que ce récit qui a été le mien, tout au long de ce voyage à travers la formation de supervision d’équipes des travailleurs sociaux, soit un peu l’illustration du travail de la supervision, du travail d’analyse :

- Avec le temps du dire, le temps du « baratin », le temps de la confusion, le temps du transfert, le temps de la jouissance et de son traitement.

-Avec le temps de l’altérité, le temps des limites, le temps de la structuration du récit, le temps pour invoquer, pour convoquer les autres, le temps de la séparation, le temps de la castration.

-Et un troisième temps, le temps que je souhaite, le temps du renouveau, le temps du désir.

Je ramène un nouveau savoir, un savoir éphémère, je me sens plus grande, plus mûre, plus posée, plus structurée. Je suis un peu moins chair et un peu plus os, un peu moins matière et un peu plus structure.

.Les portes et les horizons s’ouvrent, un nouveau vent souffle, c’est un vent dynamisant, c’est un vent qui me donne une impression de plus grande liberté.

V Autres citations

« Il est des vérités qui, comme les poissons des grandes profondeurs, ne peuvent, sans perdre vie, être remontées à la surface de la conscience claire » ( Auteur inconnu )

« Croyez ceux qui cherchent la vérité, doutez de ceux qui la trouvent », André GIDE

« La vérité est une valeur humaine est une qualité du discours, en ce sens qu’un énoncé, s’il est vrai, exprime une concordance à des faits empiriques ou une cohérence du raisonnement: il est vrai que ce qui est est , et cela est vérifiable. »….

« Il faut distinguer la vérité de la vraisemblance qui est une réalité contenant une apparence ou probabilité du vrai. Il faut également distinguer la vérité de la sincérité, qualité morale qui relève de l’intention de ne pas tromper. » 13

« dire que ce qui est n’est pas, ou que ce qui n’est pas est, est faux; et dire que ce qui est, est, et que ce qui n’est pas n’est pas, est vrai » ARISTOTE dans sa Métaphysique.

« La vérité est l’adéquation de l’intellect aux choses. » THOMAS D’AQUIN

.

« La première signification de Vrai et de faux semble avoir son origine dans les récits; et l’on a dit vrai un récit, quand le fait raconté était réellement arrivé; faux, quand le fait raconté n’était arrivé nulle part. Plus tard, les philosophes ont employé le mot pour désigner l’accord d’une idée avec son objet; ainsi, l’on appelle idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même; fausse, celle qui montre une chose autrement qu’elle n’est en réalité.

Les idées ne sont pas autre chose en effet que des récits ou des histoires de la nature dans l’esprit. Et de là on en est venu à désigner de la même façon, par métaphore, des choses inertes; ainsi, quand nous disons de l’or vrai ou de l’or faux, comme si l’or qui nous est présenté racontait quelque chose sur lui-même , ce qui est ou n’est pas en lui » 14

« La vérité, c’est ce qui prouve sa réalité par sa manifestation en nous ou dans le monde » Michel HENRY dans C‘est moi la vérité. Pour une philosophie du christianisme

VI Bibliographie

  1. COURTOIS, Jean-Michel, L’évaluation une démarche éthique

  1. ROUZEL, Joseph, Les enjeux de la supervision dans le travail social, conférence février 2004, Bruxelles

  1. ROUZEL, Joseph, Le déplacement du psychanalyste en institution

  1. SIBONY, Daniel, Don de soi ou partage de soi ? éd. Odile Jacob

  1. LACAN, Jacques, Ecrits I, éd. Points, 1970

  1. LACAN, Jacques, Ecrits II, éd. Points, 1971

  1. LACAN, Jacques, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse , Points, 1973

  1. Langage, article de Wikipedia, L’encyclopédie libre, http://www.wikipedia.org

  1. LACAN, Jacques, le savoir du psychanalyste 1971-1972, http://gaogoa.free.fr/seminaires/

  1. ALLIONE, Claude, La recherche des rythmes disparus, cliniques méditerranéennes, 7/5-2007

  1. BION W. R., Recherche sur les petits groupes , PUF, 1965

  1. ROUZEL, Joseph, Le déplacement du psychanalyste en institution, http://www.psychasoc.com/article.php?ID=8

VII ANNEXES

.« les mots » PABLO NERUDA (1904-1973)

…Tout ce que vous voudrez, oui, Monsieur, mais ce sont les mots qui chantent, les mots qui montent et qui descendent…Je me prosterne devant eux…Je les aime, je m’y colle, je les traque, je les mords, je les dilapide…J’aime tant les mots… Les mots inattendus.. Ceux qui gloutonnement on attend, on guette, jusqu’à ce qu’ils tombent soudain… Termes aimés…Ils brillent comme des pierres de couleurs, ils sautent comme des poissons de platine, ils sont écume, fil, métal, rosée.. Il est des mots que je poursuis..; Ils sont si beaux que je veux les mettre tous dans mon poème…Je les attrape au vol, quand ils bourdonnent, et je les retiens, je les nettoie, je les décortique, je me prépare devant l’assiette, je les sens cristallins, vibrants, éburnéens, végétaux, huileux, comme des fruits, comme des algues, comme des agates, comme des olives…Et alors je les retourne, je les agite, je les bois, je les avale, je les triture, je les mets sur leurs trente et un , je les libère…Je les laisse comme des stalactites dans mon poème , comme des bouts de bois poli, comme du charbon, comme des épaves de naufrage, des présents de la vague….

Tout est dans le mot… une idée entière se modifie parce qu’un mot a change de place ou parce qu’un autre mot s’est assis comme un petit roi dans une phrase qui ne l’attendais pas et lui a obéi… ils ont l’ombre, la transparence, le poids, les plumes, le poil, ils ont tout ce qui s’est ajouté à eux à force de rouler dans la rivière, de changer de patrie, d’être des racines …Ils sont à la fois très anciens et très nouveaux…. Ils vivent dans le cercueil caché et dans la fleur à peine née…Oh! Qu’elle est belle, ma langue, oh! Qu’il est beau ce langage que nous avons hérité des conquistadores à l’œil torve…Ils s’avançaient à grandes enjambées dans les terribles cordillères, dans les Amériques mal léchées, cherchant des pommes de terre, des saucisses, des haricots, du tabac noir, de l’or, du maïs, des œufs sur le plat, avec cet appétit vorace qu’on n’a plus jamais revu sur cette terre….Ils avalaient tout, ces religions, ces pyramides, ces tribus, ces idolâtries pareilles à celles qu’ils apportaient dans leurs fontes immenses… La où ils passaient, ils laissaient la terre dévastée … Mais il tombait des bottes de ces barbares, de leur barbe, de leur heaumes, de leurs fers, comme des cailloux, les mots lumineux qui n’ont jamais cessé ici de scintiller…la langue. Nous avons perdu… Nous avons gagné… ils emportèrent l’or et nous laissèrent l’or… Ils emportèrent tout et nous laissèrent tout…Ils nous laissèrent les mots

Je crois qu’il vaut mieux

S’aimer un peu moins

Qu’on s’aimait nous deux

C’était merveilleux

Ton cœur et le mien

C’était un grand feu

C’était une flamme

Jusqu’au fond de l’âme

Jusqu’au fond des cieux

C’était un programme

Très ambitieux.

Aujourd’hui le drame

Pour toi et pour moi

C’est que notre émoi

C’est que ce mélange

Du diable et de l’ange

De chair et de cœur

Des rires et de larmes,

C’est que ce bonheur

Soit monté si haut

On a eu si chaud

Là-haut dans l’espace

Que le temps qui vient

Qui le temps qui passe

Le tien et le mien,

Ne nous promet plus

A sa table ouverte

d’autres découvertes

Nous sommes tout nus…

On n’est pas déçus

On n’a pas déchu

Nous sommes honnêtes

Ni marionnettes

Ni comédiens

On sait qu’un mensonge

Parfois fait du bien

Mais celui qui plonge

Jamais ne revient

C’est une autre vie

Il faut tout revoir…

On a été fous

On redevient sages

On a pris de l’âge

On s’est beaucoup dit

Très peu contredit

Nos rêves plafonnent

Le pied au plancher

Ils se téléphonent

Sans être branchés

Il faut être artiste

Jusqu’au bout des doigts

Pour sculpter des joies

Quand la chair est triste…

Pourtant je redoute

Donne-moi la main

L’endroit où la route

Part en deux chemins

Que nous allons prendre

Et, chacun le sien

Chacun va reprendre

Chœurs et musiciens…

Car nos vies s’arrachent

Nos corps se défont

Nos cœurs se détachent

Notre rêve fond.

On n’a plus de prise

On ne triche pas

Sur la neige grise

Chacun va son pas

On va décrocher

Au gré du caprice

D’un trop grand bonheur

Qui s’est amoché

Dont la cicatrice

Plus tard dans nos cœurs

Marquera la place

Car le souvenir

Va l’entretenir

Avaler sa trace

Avec en secret

L’immense regret

Que cette aventure

Ce moment parfait

Soit déjà défait

Et que rien ne dure.
SERGE REGGIANI

PAROLES/JEAN DREJAC

L’Affiche rouge

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes

Ni l’orgue ni la prière aux agonisants

Onze ans déjà que cela passe vite onze ans

Vous vous étiez servi simplement de vos armes

La mort n’éblouit pas les yeux des partisans.

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes

Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants

L’affiche qui semblait une tache de sang

Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles,

Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence

Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant

Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants

Avaient écrit sous vos noms « Morts pour la France »

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre

A la fin février pour vos derniers moments

Et c’est alors que l’un de vous dit calmement

Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir adieu les roses

Adieu la vie, adieu la lumière et le vent

Marie-toi, sois heureuse et pense à moi souvent

Toi qui va demeurer dans la beauté des choses

Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline

Que la nature est belle et que le cœur me fend

La justice viendra sur nos pas triomphants

Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline

Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent

Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps

Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant

Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir

Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

Louis Aragon, Le roman inachevé , 1956

1 Dans « Don de soi et partage de soi ? » page 160, 163

2 ROUZEL, Joseph, Les enjeux de la supervision dans le travail social

3 COURTOIS, Michel, « L’évaluation, une démarche éthique » Actualités Sociales Hebdomadaires N° 2522 , du 14/09/2007

5 » Michel PLON et Henry REY-FLAUD. La vérité. Entre psychanalyse et philosophie. Éres

6 Philosophie du langage http ://fr.wikipedia.org/wiki/langage

7 GARATE-MARTINEZ Ignacio « Guérir ou désirer ?, p.56»

8 GARATE-MARTINEZ Ignacio « Guérir ou désirer ? », p. 58

10 Jacques LACAN, p.49, du sujet de la certitude. « Les quatre concepts de la psychanalyse ».

11 Jacques LACAN page 50 du sujet de la certitude « Les quatre concept de la psychanalyse ».

12 LACAN, Jacques, Écrits II.

13 Jean-François REVEL. Histoire de la philosophie occidentale - volume 1 Penseurs Grecs et latins . Wikipédia, l’encyclopédie libre

14 Et Baruch SPINOSA dans le texte tiré des pensées métaphysiques.(1663) 1°partie, chap. VI, Gallimard. La Pléiade

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