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Note de lecture: Je vous salis ma rue Sylvie Quesemand Zucca

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Florence Plon

jeudi 07 février 2008

Clinique de la désocialisation

Stock 2007 188 P

Voilà un livre fort : fort, et puissant ; on pourrait presque dire violent malgré un ton serein et une écriture paisible. On pense qu’on pourrait le lire d’une traite tant il est passionnant, mais ce n’est pas vrai… On n’en peut supporter l’ingestion qu’à petites doses tant il décrit au plus près une réalité des plus crues qui, si elle nous est familière, mitoyenne, n’en n’est que plus exclue.

Une réflexion humaine, sensible, nuancée pour nous décrire cette clinique de la désocialisation qui a mis au travail de l’écriture Sylvie Quesemand Zucca, psychiatre et psychanalyste, attachée au Samu social de Paris. Le 15 comme on l’appelle....

Au jour le jour, point après point, sujet par sujet, elle fait un état des lieux, nouant et dénouant les registres du médico-social, du psycho-social, de la médecine et de la psychiatrie, acteurs en aval d’un désastre social dont la causalité nous incombe à tous en amont, tant notre monde est hargneux envers les plus faibles quand s’amorce la chute dans les enfers du libéralisme.

Comment atterrit-on dans la rue ? Et qui ? Qu’est-ce que la vie dans la rue ?

C’est malheureusement un risque pour chacun, au moindre faux-pas, divorce, chômage, licenciement, endettement… Le pire est aux aguets, prêt à sauter sur sa proie … Et c’est cela que les passants contemplent avec horreur : un plausible de l’impossible, de l’impensable, une dégradation qui pourrait devenir la leur. Leur regard n’est guère amène, quand il n’est pas indifférent. Il dit la pitié, au mieux la compassion, quand ce n’est pas la haine, d’une société politiquement et hygiéniquement correcte devant ses restes, ses déchets, ses rebuts …

L’indignité c’est l’image de soi qui n’existe plus, portée qu’elle est par la misère de n’être plus regardé, si ce n’est comme un exclu, et de ne pouvoir plus alors se regarder : plus de nom, plus de toit, plus de famille, plus de statut, plus d’intimité, plus de lieu à soi, plus d’échanges….

Le jugement entraîne la honte, qui entraîne à son tour, le jugement.

La perte d’identité est remplacée par le statut de SDF, de sans papiers, d’alcoolique, de drogué, de clodo.

Des errements de jours sans fin mais aussi de nuits, des jours sans fin dans une vie qui n’a plus de sens et qui se résume à « cette asphaltisation », « un état au-delà de la détresse »

Cette clinique de l’indigence, l’auteur nous donne à la percevoir du côté des soignants mais aussi des « usagers » (puisque le terme est à la mode), usagers de la rue, usagés usés par la rue et sa lente déshumanisation.

La clochardisation, c’est l’alcoolisation, la dégradation physique et morale, la désocialisation
avec, en filigrane, ce risque du passage à l’acte, signature de la désespérance.

La « désubjectivation » devient alors leur seul repère. Avec, en prime le combat pour la vie face aux dangers ; car eux aussi ont leur secteur, leurs plates-bandes à défendre, leurs pauvres, leurs étrangers, ceux qui vont encore plus mal, sont encore plus pauvres, encore plus violents, et qu’ils stigmatisent comme cet Autre dangereux par lequel le mal arrive.

Ces déracinés ancrés sur le trottoir, auxquels rien ne fait plus bord, n’ont plus rien à attendre, pas de projet pour la journée et encore moins pour l’avenir.

Et pourtant certains, un peu mieux encadrés ou suivis, s’accrochent à produire, malgré la débâcle, un poème, un texte qui crie encore que le pire n’est pas certain.

« Surtout ne me donnez rien quand je serai mort !

Vous ! Toi qui passes, si vite, pressant le pas : « Il dort ? »

Désormais je suis sourd contre peur et malheur

Et mon sang devient lourd devant mes frères sans cœur.

Seuls les soirs, grands seigneurs, m’invitent

Pour la nuit,

Qu’elle soit clouée d’étoiles ou bordée de nuages,

Ils m’accueillent et cachent mon visage à mon âme... »

Dominique N

Les centres d’hébergements, les hôpitaux tentent de pallier le manque de structures pour les recevoir. Les travailleurs sociaux se cassent les dents sur la sclérose institutionnelle dont les fonctionnements et processus ne s’inscrivent que dans une logique désuète sans invention aucune. Les leitmotivs : « prévention, insertion répression » qui ponctuent leurs actions, obéissent à des schémas obsolètes qu’il faudrait réinventer pour échapper aux formatages inopérants.

L’échec se fait démonstration et s’il n’était suffisant, certains, les plus exclus, disent non à ces phénomènes d’hébergement, forme de « compassion coercitive », seul refuge d’une dernière capacité à dire non, dernier refus encore possible qui signale cependant qu’ils s’inscrivent définitivement dans un « processus de déliaison au monde »

Ne seraient-ils pas les derniers résistants, se demande l’auteur, à leur corps défendant, à ces nouvelles gestions classificatoires qui inondent la psychiatrie et conduisent à traiter l’existence humaine comme une entreprise de management.

Les autres, ceux qui s’inscrivent encore dans les affres de l’aide sociale, s’installent dans une « quête incessante d’un objet qui n’a plus de nom, et trouvent à s’alimenter dans toujours plus de revendications aussi affolées qu’affolantes ». « T’as pas une pièce, t’as pas une clope, t’a pas un sandwich ? » . La déglingue face à la privation, face à la fin des droits de l’homme.

Que faire, hormis se pencher au chevet de ces grands malades de la société, au cas par cas, au un par un, pour leur restituer quelques échanges humanisants. Histoire de ne pas se croire différents…

Car, pour eux, comme pour nous, se pose toujours la même question : « comment en est-on arrivé là »?

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