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Orientation et propositions.

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François-Xavier Fenérol

dimanche 11 janvier 2004

1.4. Mythe fondateur et restauration de l’institutionnel
Aujourd’hui des équipes de professionnels se trouvent en difficulté dans leurs relations avec leur Association autour d’une problématique de fidélité quant à une volonté envisagée comme fondatrice et de l’identification comme fondateurs de ceux qui l’ont énoncée. Rodent alors les fantasmes d’assassinat ou de prédation meurtrière.

On fera l’hypothèse d’un fantasme de clonage, c’est-à-dire de la production de cet autre-soi-de soi identique et régénérateur, fantasme qui semble avoir peu ou prou animé ces créations souvent réalisées par des professionnels pour leur propre usage et pour leur propre compte, à partir d’une position critique qu’ils tenaient à l’égard de leur Institution première (Université, Hôpital). Ce qui est vérifié, de manière souvent éprouvante, c’est que la position de fondateur est structurellement impossible à tenir en tant que telle de son vivant, et que de son renoncement, par tous, dépend, pour tous, un travail de réflexion critique qui fait des pratiques engagées une œuvre commune.

En reprenant l’étude de la fondation comme mythe marqué par la rupture, fondatrice, du meurtre et de l’inceste comme signifiant l’impossible du rapport entre le créateur et sa créature (P. Legendre), et celle de la tradition de l’hospitalité témoignant du principe d’incomplétude comme condition première du respect de l’altérité, on pourra aborder ainsi les enjeux d’une restauration de la dimension institutionnelle dans les pratiques d’aide.

1.5. Laïcité : consentement délibéré à l’énigme du sens
L’histoire de la construction de la laïcité, et de l’achèvement apparent de son projet de privatisation du religieux, conduit à retrouver la nécessité anthropologique d’un Tiers garant du lien social (M. Gauchet).
En effet on ne peut séparer la montée des différents types d’intégrisme religieux ou politique de l’extension du libéralisme et de ses effets de dissolution du lien social. Une approche laïque de l’existence ne peut que s’enferrer dans la négation du religieux, car elle est aussi une confrontation à l’interrogation primordiale du sens. Pour cette raison une éthique laïque ne peut que se référer à ce qui fonde l’humainement vivable, et, sans qu’on puisse en déduire une forme d’organisation sociale unique, définir ainsi ce qui détermine le champ du socialement possible : celui d’une œuvre de procréation d’humanité qui ne se réduise pas à des techniques de reproduction, ou, pire, à la réitération du même.

La question religieuse sera abordée par la fonction du Tiers absolu (Pierre Legendre), c’est-à-dire d’une fiction mythique qui fait foi pour répondre à l’interrogation de l’origine, une fois posé que celle-ci se perd réellement dans la nuit des temps. Du mode de réponse dépend pour le sujet sa capacité à soutenir la douleur de son existence, de son rapport divisé à l’autre et à lui-même, de le souffrir et de se souffrir, dans un lien qui constitue une séparation.

Les religions se proposent comme réponse à l’interrogation sur le sens de l’humanité : de son existence et de sa présence au monde, et sur la manière dont elle doit se réaliser socialement. On étudiera les trois monothéismes, leur mode de réponse à la question de l’origine et les rapports que cela détermine entre eux (D. Sibony). Le fanatisme sera alors envisagé comme dérive passionnelle (mortifère) d’une origine posée dans le réel qui ne se soutient que de la jouissance mortelle d’un lien qui tient absolument, absolument certain. De même pourra-t-on poser le problème du terrorisme (donc de la maltraitance) dans le registre suicidaire, c’est-à-dire dans le renoncement agressif à une assomption altérée de l’existence.

Une éthique laïque se caractériserait alors par un rapport spécifique à la question de l’origine en la maintenant ouverte, et par là aux religions, en les prenant en compte sur le mode de la diversité et en affirmant le respect de la pluralité des croyances, au nom du maintien de cette ouverture.



1.6. Social, psychiatrique, et judiciaire : nouvelle figure de l’institution totale ou garantie ultime du sujet en péril ?

Nombre d’établissements ou de services sociaux sont amenés à envisager leur pratique sur le mode d’une collaboration assez étroite avec les instances judiciaires et les services afférents, et les services psychiatriques.
Certes cette question n’est pas nouvelle. On sait comment le judiciaire a construit son champ de pertinence en faisant appel à ce qui allait devenir la psychiatrie (à l’époque des aliénistes) pour déterminer selon les critères de la science les limites du raisonnable et de la folie. On connaît aussi la dimension “policière”, au sens du maintien de la paix dans la cité, de l’internement psychiatrique. Mais on se souvient encore comment l’option socialisatrice et le postulat d’éducation ont animé la critique interne et externe des établissements de type carcéral ou asilaire, et fondé l’existence d’établissements et de services spécialisés en “réadaptation, rééducation, réinsertion,” etc. C'est-à-dire comment ces établissements se sont construits en opposition et en alternative aux premiers, considérés alors comme archaïques et voués à disparaître.

Aujourd’hui, il semblerait que le mouvement s’inverse, et c’est du lieu de ce que l’on pourrait appeler le “social spécialisé” que se manifeste une demande à l’égard de la Psychiatrie et de la Justice pour qu’elles prennent en charge de manière spécifique certains éléments qui s’avéreraient en fin de compte rebelles à tout projet de socialisation. Ces éléments, enfants ou adultes, se caractériseraient par des capacités insupportables de violence, et représenteraient une menace excessive dans la vie quotidienne.
Et l’on voit alors émerger des réflexions qui tendent à réhabiliter les lieux d’enfermement, quitte à les réaménager dans leur forme, et sans que la question de ce qui a pu conduire ces personnes à manifester un tel comportement ne soit posée autrement que dans la sphère privée : soit sous la forme d’un déterminisme psycho-familial, d’une hérédité psychique, soit sous celle d’un déterminisme socio-culturel, d’une hérédité ethnique, bref selon les termes techno-scientifiques actuels du racialisme.
Or l’on connaît parfaitement le mécanisme infernal d’une assignation à faire symptôme : l’enfermement inéluctable du sujet dans un procès de réification. Ne peut-on pas envisager alors que ce qui se présente comme moment dramatique d’une impasse sans fond, soit le point d’aboutissement d’une réclusion désavouée comme telle, et dont le sujet ne peut tenter de sortir qu’en la rendant manifeste ? Réclusion d’une modèle nouveau, se présentant non pas selon la technique de la mise à l’écart dans un lieu soigneusement délimité, mais selon la technologie de l’insertion continue dans une filière sans contours manifestes, et qui se caractérise non pas par le fait d’avoir été exclu de quelque part, mais par celui de n’être inséré nulle part. Filière constituée non pas à coup de procès dramatiques comme sur la scène judiciaire, mais à coup d’une infinité de micro-décisions qui ne permettent pas au sujet d’accéder aux espaces sociaux incarnant la valeur sociale, mais l’orientent vers ce qui se révèle des espaces sans valeur.

Un travail clinique, au cas par cas, soucieux de prendre en compte les particularités d’un sujet irréductible alors à tout autre, ne peut pas faire l’économie d’une analyse des discours, des rets de discours, dans lesquels ce sujet s’est trouvé pris, le mode de confrontation qui a été le sien avec les vicissitudes de l’existence, les choix, y compris inconscients, qu’il a opérés. Pour cela ce travail ne peut faire l’économie d’inscrire cette pratique au regard des normes sociales du moment, des lois et règles qui ordonnent le quotidien, mais en les situant dans leur historicité. C’est pourquoi il ne peut le faire dans un mouvement de pure soumission à l’ordre établi, mais au contraire dans l’exercice d’une pleine souveraineté citoyenne, d’un devoir critique au regard d’exigences éthiques qu’aucune “lettre” ne saurait satisfaire, aucune pratique incarner , sans qu’il n’y ait à redire. Si idéal il y a, ce peut-être alors l’assomption d’une “subjectivité réflexive délibérante” (C. Castoriadis) qui inscrit chacun sous l’égide de la responsabilité, c’est-à-dire d’avoir à répondre de ses actes, y compris quand ils ont été reconstitués comme tels dans l’après-coup, après avoir été “agirs” à l’insu du sujet.

Cette orientation rend possible une collaboration entre les différentes instances sociales, judiciaires, et psychiatriques, sur le mode d’une articulation critique entre elles, dès lors qu’aucune ne prétend incarner à elle-seule la Loi et la Raison (P. Legendre), mais être porteuse pour les deux autres d’un abord spécifique quant à l’interrogation du bien-fondé de leurs pratiques.
2. questions spécifiques


2.1. Raison et légitimité d’une ambition éducative
On se confronterait aujourd’hui à une nouvelle forme de violence, celle de l’anomie, à travers des comportements qui ne cessent de se répéter sur le mode de l’aléatoire, sans qu’on puisse jamais leur trouver un sens qui tienne, et qui paraissent moins contester la norme qu’échapper au principe de normativité. Ce phénomène se manifeste par une quasi absence de conscience du temps, de l’espace, et de l’autre, ce qui ne permet pas de concevoir l’absence, le vide, ni la frustration. On rencontre ainsi des êtres qui ne connaissent aucune des “manières” ordinairement attendues dans la satisfaction des besoins, et pour lesquels ce qu’on appelle lien familial a semble-t-il peu de consistance ; ceci n’exclut pas des attachements, mais ils ne paraissent en rien organisés, ni envisagés, hors de leur instrumentalisation pour une satisfaction immédiate. Dans les situations les plus extrêmes, l’absence d’émotion affective et de culpabilité laisse à penser qu’ils seraient advenus dans un univers non marqué de la Loi et de la Raison, donc dans l’ignorance de ce qui constitue un monde social, c’est-à-dire humainement vivable.

Face à l’anomie, la violence du Tiers symbolique doit venir faire arrêt et limite à ce qui n’est, sinon, que tyrannie ou terreur. Mais ne fait Tiers (Loi et Raison) qui veut. Une telle hypothèse conduit donc à repréciser les exigences d’une mission éducative et socialisatrice, et les conditions de son exercice, en particulier à propos du statut d’adulte des praticiens et de ce qui constitue une autorité légitime. On abordera la question des droits de l’enfant en termes de droit à l’Enfance, et comme une affaire d’adultes et de citoyens qui jouent là ce qui les institue comme tels dans l’ordre de la génération et du politique. Puis en quoi le maintien des exigences d’une ambition éducative et socialisatrice envers ceux qui paraissent les plus désespérants est la condition du maintien d’une telle ambition pour tous.

2.2. Prévention spécialisée : contre le destin, des inventions fragiles
Dénuée de mandat spécifique et soumise aux aléas de la conjoncture politique, celle-ci se trouve ainsi au plus près de la problématique spécifique de jeunes et d’adultes qui interrogent douloureusement le sens d’une existence livrée principalement à la contingence et la gratuité (P. Bourdieu). En n’ayant rien à offrir qui ne soit construit avec eux, elle ne peut éluder la manière dont certains construisent cette existence en dépit de conditions sociales déplorables, ne sombrent donc pas tous dans la “délinquance” ou la folie, et font ainsi preuve d’une réelle inventivité.
Si l’on ne veut pas donner raison aux discours de ségrégation, discours raciste ou racialiste (quand par exemple la statistique fait loi et raison d’un destin), il convient de comprendre comment des personnes s’inscrivent dans la normativité (sous le sceau de la loi fondatrice) selon des formes et des manières qui ne sont pas celles de “la normalité”, d’une normalité dont ils ne bénéficient pas des conditions sociales de possibilité.

Reste que ces formes et ces manières, construites un par un et au jour le jour, demeurent fragiles, et n’ont que peu de valeur aux yeux mêmes de leurs auteurs. D’où le rôle essentiel des travailleurs sociaux qui détiennent, qu’ils le veuillent ou non, le pouvoir d’authentifier, peu ou prou, une existence singulière.

2.3. Produire : la question de l’utilité sociale
Le Marché ne fait pas Tiers. Aujourd’hui la question du travail pour des personnes socialement vulnérables paraît se résoudre en une seule alternative : soit être livré sans défenses aux aléas insensés du marché (Centre d’aide par le travail), soit sombrer dans l’inanité d’occupations autarciques (Centre d’activité de jour).
Cependant il ne saurait s’agir de consentir à l’inutilité sociale, au statut d’improductif : le refus d’un tel consentement est la condition d’une dignité exercée. Voilà pourquoi il conviendra d’aborder la production de biens comme moyen de reproduction sociale, et d’en tirer les conséquences en termes organisationnels en interrogeant les rapports de production, c’est-à-dire comment on définit, fabrique, et distribue un bien, et comment chacun prend place dans un procès de production.

2.4. Toxicomanie et prostitution : des pathologies anthropologiques
Bien qu’apparemment saisies totalement dans la sphère marchande, les pratiques de toxicomanie comme de prostitution sont les plus purs démentis des théories libérales qui prêtent à l’individu la capacité de tenir une comptabilité rigoureuse et précise des coûts comparés de ses actes, et de constituer ainsi des choix parfaits, guidés par le meilleur rapport qualité-prix, donc le gain. En effet on ne peut pas comprendre l’attachement à ces pratiques si l’on n’introduit pas la question de la pure perte au cœur de la structure de la subjectivité et de la socialité, c’est-à-dire de la jouissance, et le questionnement radical qu’elles soutiennent quant aux conditions d’existence humaine. En cela elles sont anthropologiques.

La toxicomanie comme la prostitution construisent une identité supposée fiable parce que totalement déterminée par le besoin, et à ce titre sans incertitude, où le rapport entre sujet et objet est l’effet d’une division stable et immuable, et la relation entre l’un et l’autre une complémentarité achevée (D. Sibony). Au fond elles disent le prix d’une identification pleine et entière, le prix de l’évitement, impossible, de l’incomplétude identitaire : la perte de soi en une alternative insensée de l’unique ou du multiple. On peut penser que cela aura quelque incidence sur le mode dont ils vont entrer en matière dans les services sociaux.

2.5. Aux confins de l’humainement vivable : l’aide au jour le jour
La proximité quotidienne et durable de ceux pour lesquels il n’y aurait plus que des soins élémentaires à procurer, ne va pas sans une sensation d’être réduit à un simple instrument. Une lecture anthropologique des pratiques permet de les restaurer dans leur dimension de faits et gestes d’humanité. Elle permet de redécouvrir que la question du fondamental réside au cœur de l’ordinaire.

Plutôt que de condamner les projets à se briser sur les rigueurs de l’exclusion, il convient de prendre en compte que pour certains le Travail Social se trouve être, par défaut, le seul lieu possible de socialité vraie, grâce à la qualité des relations établies et leur inscription dans un avenir fiable. Pour cela il sera nécessaire de montrer comment le discours de lutte contre l’exclusion vient masquer le problème fondamental d’un clivage dans le procès d’humanisation, et comment le consumérisme est appelé à faire office de leurre en étant promu produit de substitution à la socialité.
C’est pourquoi le rôle du praticien ne peut se réduire à l’exercice formel d’une compétence technique, mais se déploie en une implication sur le long terme singulier d’une histoire de vie partagée, dans un savoir-s’y-prendre qui noue trois registres : prendre soin, souffrir la présence, historiographier l’expérience.

2.6. Accompagner le vieillissement jusqu’à son terme
L’amélioration des pratiques de soin et des actions d’aide à domicile a amené les Maisons de Retraite à recevoir des personnes de plus en plus âgées et de moins en moins autonomes. Les personnels se trouvent ainsi confrontés au problème crucial de maintenir une qualité de relations, une sociabilité, entre des personnes qui paraissent en avoir perdu le goût, à l’image du peu d’attention que leur famille leur manifeste trop souvent. Venues pour mourir, ayant apparemment abandonné tout ce qui les faisait exister pour d’autres, donc pour elles-mêmes, comment ces personnes pourraient-elles retrouver de l’intérêt à elles-mêmes si leur existence est réduite à la satisfaction de besoins élémentaires de survie ? Mais aussi ne doit-on pas respecter ces désinvestissements nécessaires pour rendre la vieillesse acceptable ?

Quoiqu’il en soit, quelque chose se passe entre les uns et les autres, parfois à leur insu, et quand vient le moment de la mort, on ne peut accepter qu’elle advienne dans n’importe quelles conditions. Que ce soit quant à la douleur physique ou la douleur psychique de celui ou celle qui va quitter le monde des vivants, il convient alors d’assurer une présence et des soins qui préservent la dignité du mourant, et ainsi la dignité de ceux qui le côtoient. C’est la qualité de ces derniers moments qui aide chacun à opérer le travail de deuil, ce travail qui conduit quelqu’un à passer d’une existence en tant que vivant à une existence en tant que mort. Le consentement à ce passage est ce qui donne sens aux rituels, à recouvrer en les transformant, d’accompagnement des mourants.

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