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Parente alitée * « Ne pas déranger » ?

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Bernard Montaclair

lundi 29 mars 2004

Le film de Louis Malle « Le souffle au cœur », comme la pièce de Cocteau, « Les Parents terribles », tous deux rediffusés récemment sur Arte, avaient beaucoup dérangé à leur époque. Preuve que le problème des relations parents-enfants n’est pas un phénomène récent.

La parentalité défaillante, la famille en souffrance, la société en désarroi, sont de tous les temps. Les medias nous en abreuvent actuellement. Les enseignants, les pouvoirs publics, les élus, s’empressent au chevet de la malade. La parentalité est aussitôt mise en question.**

Certes, les parents sont terribles. Ils sont obsédés par l’argent, la réussite sociale. Au cœur des problèmes, les problèmes de cœur qui affectent des familles décomposées et recomposées ; le chômage, et le découvert bancaire. En attente de restauration, narcissique ou gastronomique, de nourrissement par des « biens » immobiliers ou de consommation, les malheureux parents repoussent à l’arrière plan de leurs préoccupations le monde des enfants, surtout s’ils ont « mal ».

Leur défaillance rend problématique une présence attentive aux besoins de ces derniers, à leurs questionnements, à leurs souffrances. Elle renvoie les enfants à l’illusion de la toute puissance

Alors les parents se reposent sur les enseignants pour assurer l’autorité qu’ils ne peuvent exercer eux-mêmes. Et lorsque des problèmes surviennent, retard, mauvaises notes, ils s’adressent à eux, parfois au psychologue, comme à un garagiste quand la voiture est en panne.…..

Les parents en panne attendent de l’Ecole qu’elle les gratifie à travers leur progéniture, qu’elle ait l’autorité qu’ils ne savent plus détenir, et qu’ils corrigent leurs enfants en même temps que leurs cahiers.

De son côté, le pouvoir politique, devant les problèmes d’insécurité et d’incivilité, appelle l’Ecole à plus de fermeté. Il appelle les parents à leurs devoirs. Il envisage même de les punir de leurs fautes.

Mais l’Ecole, elle aussi, est en panne. Une commission de spécialistes a même été priée de venir à son chevet.

Qui peut donc soigner qui ? Quel traitement appliquer à qui ?

Encore faut-il qu’un diagnostic ait pu être réalisé.

Des commissions, des enquêtes, des sondages, des annonces médiatiques ?

Qui peut la soutenir. Quel clinicien ?

Va-t-on, devant l’ampleur du stress, faire appel à une « cellule de soutien psychologique » ?

L’AGSAS, avec sa longue expérience du soutien au soutien devrait en ce cas être sollicitée.

Les éducateurs attendent des parents, les enfants attendent des adultes, les parents attendent des enseignants…

Les gouvernements attendent, et n’entendent pas toujours les colères de la rue.

Cercle vicieux des attentes non-dites, à base d’angoisse non verbalisée…C’est probablement dans les failles, les interstices et inter-dits, et pour tout dire les non-dits entre ces différentes instances que réside la maladie.

N’y a-t-il pas à la base une série de méprises ?

Première confusion, sur le sens même de l’éducation.

Le terme, faut-il le rappeler, signifie « conduire vers », il connote une marche, une démarche.

Paradoxalement, l’éducation nationale est composée d’ enseignants . Elle délivre pourtant un diplôme bac plus trois d’ « éducateur spécialisé », mais à notre connaissance, peu d’éducateurs font partie du personnel de l’éducation nationale. On avait bien recruté des « aides - éducateurs » Mais qui étaient-ils chargés d’aider ? Et à quelles tâches ? Les éducateurs spécialisés diplômés d’Etat travaillent dans des établissements ou services privés conventionnées où l’on place à grands frais les exclus du système. Ce n’est pas la pédagogie qui est spécialisée, mais la clientèle qui est spéciale. Pour les enfants qui sont dans le système, pas de place pour l’éducation.

L’Education Nationale est centrée sur l’enseignement. Comme si elle était restée « l’Instruction publique ». Ne parlons pas de psycho-pédagogie, ni du manque de psychologues, de médecins scolaires.

Pourtant, la Pédagogie, science de l’éducation, ne saurait être réduite à un catalogue de matières à ingurgiter

Malgré ses nombreuses réussites (qui devraient davantage être interrogées), la pédagogie reste marquée par son héritage du XIXème siècle.

Jules Ferry, après les fondateurs de la première république n’avait pas choisi d’autre pédagogie que celle de l’héritage classique.

- Des contenus diffusés par le maître au nom des priorités du corps social.

- Une procédure d’acquisition fondée sur le remplissage, le bourrage, l’accumulation, la mémorisation. La pédagogie dite « des jésuites » privilégie le « par-cœur », la reproduction des modèles. La poésie est réduite à une récitation. L’entreprise est marquée par l’oralité, dans une démarche de nourrissement.

- Quant à la relation maître-élève, elle est à sens unique. Soumission, absence d’interactivité, de dialogue.

- Pour faciliter le gavage, (tant pis pour l’inappétence, l’allergie ou l’anorexie), un seul recours : la contention. La « discipline » est enseignée sous couvert d’une discipline de modèle militaire.

La disposition frontale avec l’estrade (la chaire, connotation cléricale) renvoie à un face à face de supérieurs à inférieurs (les novices).

Célestin Freinet avait, lui, supprimé l’estrade et s’était installé au milieu de ses élèves. Les uns et les autres étaient côte à côte, face à la tâche. Découverte, émerveillement, recherche en commun, enquête à réaliser pour les correspondants. Les nombreux acquis de « l’Ecole Moderne » devraient être davantage pris en compte dans la formation des maîtres, et dans les commissions chargées des réformes.

Les avatars du remplissage mettent en évidence les « défauts » des élèves, leur manque de bonne volonté, de persévérance. On continue à parler de fautes d’orthographe, alors qu’on pourrait utiliser le terme d’ erreur . On utilise des signaux menaçants, coercitifs. Et le terme de correction est ambigu. Il n’y a pas si longtemps, la distribution de corrections corporelles faisait encore partie de l’appareil pédagogique, avec le bonnet d’âne et le piquet, le cahier épinglé dans le dos.

Ces humiliations, ces culpabilisations, ces harcèlements ont certes disparu. Mais est-ce bien sûr ? Les blessures verbales, les dénigrements, les disqualifications, sont encore, involontairement peut-être, utilisés dans le feu de l’action par des enseignants excédés.

La forme interrogative de beaucoup de séquences pédagogiques repose sur un défi permanent qui n’est pas toujours ludique, et la recherche incessante d’une mise en défaut: « Six fois sept ? bon, et maintenant huit fois sept ? » Cette technique de harcèlement peut être vécu comme l’interrogatoire policier, (la question).

Quoi qu’il en soit, le face à face instaure une situation conflictuelle, une lutte du pot de fer contre le pot de terre. L’un est un coupable en puissance (« tout ce qu’il n’est pas permis d’ignorer », et l’adulte est un justicier.

Cette situation génère un mépris de l’enfant. Méprise, aussi, sur les véritables capacités de l’enfant puisque celui-ci est à priori défini par ses manques.

Je me souviens d’un jeune d’une institution spécialisée dans laquelle j’étais chargé de classe, qui, à douze ans, était encore réfractaire à l’apprentissage de la lecture.

Mais il était un virtuose du magnétophone. Il était capable de faire des montages de bandes magnétiques, copiant, collant, des séquences du reportage destiné aux correspondants, avec une habileté déconcertante… J’ai découvert, grâce à la palette d’activités qui permettait à chacun de réussir dans un domaine, que je m’étais mépris au début, après bien d’autres enseignants, sur cet enfant.

Au départ, nous nous y étions mal pris. Et de la méprise au mépris, le pas est vite franchi. Pas loin de la mal-traitance.

La faute du maître, défaut dans la transmission du message, elle, n’est jamais évoquée, ce qui lui confère une impression de toute puissance et de tout savoir.

Les rituels scholastiques, ont laissé des traces inconscientes chez les parents, les enseignants. Ils ont marqué l’Ecole d’une lutte incessante contre les négativités. Les enfants vivent, sans s’en rendre compte, ces modèles et les répètent.

Les récalcitrants deviennent des « en-trop », des enfants gênants, encombrants, inutiles, n’ayant aucune place, aucune valeur (des vauriens, graines de vauriens, futurs vauriens). Des « vaut pas l’coup ». Et par contre coup, les parents inconséquents de ces enfants décevants sont aussi des « en trop », des gens n’ayant aucune valeur.

Le contexte familial

Devant l’échec du nourrissement intellectuel, on accuse le contexte familial et la démission des parents.

La sociologie? La psychologie ? L’éducation ? L’enseignant peut estimer qu’il n’est pas missionné, ni formé pour cela. « L’éducation, c’est la tâche des parents ». « Ce n’est pas aux enseignants de faire ce travail (éducatif ou social), c’est aux parents ». Dit-on.

Facile à dire.

Et lorsque les parents ne sont pas, pour des raisons diverses, à même de tenir leur rôle ?

Quand les adultes ne sont pas porteurs du projet de grandissement, que faire ?

Les instructions officielles ont instauré des instances de rencontre, de participation, pour faciliter la collaboration entre les parents et les enseignants. (Loi de 1975, décrets de 1991, de Janvier 2002)

Beaucoup d’enseignants ont reçu ces instructions comme une contrainte supplémentaire.

Dans un collège, une parente d’élève s’était préoccupée de l’existence d’une instance « vie de la classe ».Le professeur exposa la semaine suivante qu’ « à la demande des parents de Charlotte », elle était obligée de caser « Vie de classe » dans l’emploi du temps.

Une possibilité ouverte de faire circuler de la parole entre les élèves, et entre les professeurs et les élèves, était ainsi devenue une « matière »mal définie surajoutée au programme….

Il est vrai que dans le domaine des réunions avec les parents, ou dans les groupes de parole avec les enfants, la méthodologie est balbutiante ***.

Il faudrait accepter de passer par ce que la méthode de l’Agsas appelle le premier stade : celui où s’exprime la souffrance, l’agressivité des participants vis à vis des différents partenaires. Comment s’étonner qu’apparaissent des réactions de prestance à ce qui est vécu confusément comme une série de castrations symboliques ?.

.Alors, souvent, on s’arrête à ce stade comme si on renonçait à laisser advenir la phase suivante, celle où on s’interroge sur l’intelligibilité, avant d’ouvrir la troisième phase, celle de la recherche du transformable.

Les enseignants ne sont effectivement pas formés ni accompagnés pour cette démarche.

Les groupes Agsas répondent à ce double besoin.

Mais la difficulté d’instaurer un véritable partenariat avec les parents provient d’un autre malentendu.

La confusion relative au concept de parentalité.

Les parents ne sont pas seulement ceux qui ont donné, biologiquement, le jour, ou se sont investis, par exemple par l’adoption, comme parents d’un enfant.

Le mot parent n’est pas synonyme de géniteur…

Pierre Legendre a rappelé qu’être parent, ce n’était pas « produire de la chair », mais instituer, inscrire l‘enfant dans l’ordre des générations..

La parentalité revêt une fonction contenante, structurante, et celle de transmission d’une culture, en vue d’une inscription dans une lignée, familiale, certes, mais aussi sociale.

Elle est l’affaire de tous les adultes, et les clivages école/société, école/parents sont contre productifs.

L’étymologie nous rappelle que le mot parent est dans le paradigme de la transmission, du système d’alliance, d’appartenance, d’apparentement. La parentalité est apparentée à des termes qui dérivent de la même racine indo-européenne « par » qui a donné pater, part, partition, et parturiente, mais aussi partenaire et parrain.

Elle a deux composantes :

- La fonction contenante qui pourrait s’appeler la « maternalité ».

- La transmission culturelle et d’apprentissage de la Loi, qui serait « paternalité ».

C’est donc à la fois la famille ET l’école qui doivent assurer, ensemble, ces deux rôles.

L’instituteur est, à ce titre, aussi parent que les parents.

La Parentalité est donc institutionalité, fonction instituante basée sur l’égalité des droits et devoirs de citoyens-sujets, en recherche d’une meilleure connaissance du monde physique et psychique, en charge aussi, coopérativement, de la construction du devenir.

..

Prise en ce sens, si la fonction parentale de la famille est parfois, pour diverses raisons, insuffisante ou pathogène, la parentalité est prolongée, complétée, corrigée par l’école. Inutile donc d’opposer les parents et l’école, et se renvoyer la balle de la fonction éducative. On vante les mérites de l’école maternelle. A quand la reconnaissance de l’école paternelle où se fait l’apprentissage de la Loi ? Cet apprentissage n’est pas seulement préconisé pour acquérir la civilité. Les règles de la grammaire, les invariants mathématiques et scientifiques relèvent des mêmes démarches de décentration et de représentation du monde, de l’altérité et de soi-même. Comme « l’entraînement à penser », c’est dans la petite section de l’école maternelle, prolongement dans le meilleur des cas des attitudes de la famille, que l’apprentissage commence. C’est là que, parallèlement à la transmission de connaissance, s’amorce un véritable travail social.

Les parents, les enseignants, en quête de conseils, devraient savoir que le mot Conseil veut aussi dire réunion de concertation.

Auprès des enfants maltraités ou en danger, on a recours à une assistante maternelle. A quand l’assistant paternel?

Autre confusion. Le père réel, la mère réelle, l’homme, la femme, les individus en chair et en os, sont différents de l’imago paternel, et de l’imago maternel. On doit pouvoir parler d’ailleurs d’imago parental , représentation inconsciente que chacun a de l’instance qui l’accompagne dans son grandir. Rien n’empêche une mère d’introduire dans ses attitudes éducatives une dose de paternalité, et au père d’être parfois contenant et …maternant. Dans certaines cultures, la rue, les voisins, mais aussi la fratrie et la famille élargie, remplissent ces rôles.

Un mono-parent, relayé par l’Ecole, peut parfaitement assurer les deux fonctions, pourrait-on dire, … conjointement.

Une autre dimension de la parentalité est parfois oubliée: La parentalité est féconde de par la différence.

Un enfant naît, biologiquement, de deux êtres différents. La parentalité défie le mythe de Platon

(la recherche du même). Toute œuvre, création artistique, littéraire, toute recherche scientifique, est une résultante de contradictions, d’oppositions, de différences.

Le mythe de l’homogénéité conduit l’Ecole à neutraliser, sous couvert de neutralité, tout ce qui peut marquer une différence, mixité, classes, niveaux, rythmes, filières, jusqu’aux marques, difficiles à identifier, de l’appartenance religieuse (ou consumériste !). Ceci va à l’encontre des valeurs que la République veut transmettre.

Mais les enseignants ont besoin d’être accompagnés dans l’acceptation, la gestion des différences. Car l’agressivité, naturelle, tourne vite à la violence. Lorsque la parole ne circule pas, quand l’émotion n’est pas dite, le passage à l’acte n’est pas loin. L’exclusion est, comme la guerre, la pire des solutions.

A chaque moment de son évolution (cet objectif de grandissement doit être rappelé sans cesse pour donner sens aux apprentissages), l’enfant doit être en présence d’une parentalité attentive, présentant de multiples facettes, qui ne se réduit pas à la parentée biologique ou adoptive. La défaillance de la parentalité, c’est la défaillance de tous les adultes.

Parente malade, à la fois membre proche de notre famille sociétale, et porteuse de notre devenir à tous, il est temps qu’elle se dote des moyens de se remettre debout.

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* Dans le site Web « Psychanalyse et société », Jean Perin, dans un propos un peu différent du mien, a recours au même jeu de mots facile. J’espère qu’il ne me disputera pas la paternalité de ce titre.

**Valérie LARMIGNAT , « Parentalité en souffrance », in Actualités Sociales Hebdomadaires, N°2045 Mai 1998

*** Anne UTPAT « Droit des usagers. La difficile mise en place des conseils d’établissement. » in ASH N° 2019 Avril 1997

****BOUREGBA « Les troubles de la parentalité » Dunod 2002

Paru dans la revue « JE est un autre » Avril 2004 Association des groupes de soutien au soutien (Balint pour enseignants) Jacques Lévine, 2 Place Gl Koenig 75017 Paris

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