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Pour les préventions des comportements violents

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Jean-Jacques GERARD

vendredi 31 mars 2023

Pour les préventions des comportements violents

 Jean-Jacques GERARD Psycho-victimologue clinicien

   

"Victime de la détresse d'un autre"

N'y aurait-il pas dans ce qui suit matière à penser sur ce chemin des préventions des comportements violents ?

Trente-sept ans se sont écoulés depuis la mort de François. Outre le livre «de chair et de sens» écrit avec mon ami Bertrand Bergier (édit. L’Harmattan. 2004) et le documentaire «Envie de rien» en 2011 avec Sonia Médina (YouTube) j’ai écrit quatre textes (De 2015 à 2021) qui se ressemblent et se complètent. Mes écrits témoignent d’épreuves aux limites de mon humanité et d’un chemin à travers mes empreintes, celles des souffrances enfouies d’un enfant en plein désarroi, blessé au plus profond de ses chairs, de son être.... François hier, moi avant. Mais au fait et le petit Patrick qu’en a-t-il été pour lui quand nous apprenons que dès ses 18 ans il devint auteur de viol et de meurtre ?

J’ai voulu partager cela avec vous afin que vous entendiez mieux encore les vulnérabilités et les détresses. Que vous pensiez avec moi ces deux concepts : « circonstances éclairantes. » Ou encore : « non responsabilité circonstancielle ». Quand il s’agit de donner une place à ce qui prend à contrepied les morales ambiantes jusqu’au pénal ! Sans confusion aucune entre comprendre et excuser. Ou encore : comprendre et condamner.

Ma vision d’aujourd’hui convoque l’institution judiciaire trompeuse, déléguant à la psychiatrie la tâche de porter les mots responsabilité et irresponsabilité comme une morale sacrée. Cette psychiatrie se pensant anoblie par une reconnaissance d’expert prend à bras le corps la «patate chaude». Mon point de vue est autre ; il peut-être un prérequis pour avancer sur le terrain des préventions ; en ce sens il vaut que l’on s’y attarde. L’humain n’est pas en capacité de répondre de ses actes quand ils sont commis sous l’autorité de ce qui en nous est plus fort que nous : «Je ne sais pas ce qui m’a pris ça a été plus fort que moi !!!».

Les textes que je rassemble aujourd’hui sont une invitation à voyager aux sources des troubles et des perturbations ; non pour y rester, mais pour vous en affranchir jusqu’à en ressentir les déclinaisons dans vos modes de fonctionnement.

J-J G

« Une seule feuille ne jaunit pas sans le silencieux assentiment de l'arbre entier » Khalil Gibran.

Je suis parti vivre dans le haut atlas occidental (de juin 1999 à septembre 2007) pour répondre à mon besoin de vivre ailleurs et autrement, besoin d'un refuge ressourçant. Besoin de découvrir d'autres personnes, d'autres cultures, d'autres espaces, besoin de répondre à l'appel de ces montagnes. Besoin de panser mes blessures et de repenser mon histoire.

Besoin de mieux me ressaisir dans mes mémoires de la fin tragique de la vie de mon fils François (Il avait 9 ans et demi quand il est mort à Valence le 5 février 1984) et des 6 années judiciaires qui ont suivis 1984/1990). Besoin de repenser à l'arrestation de celui qui l'avait violé et tué (Mai 1984).

Et cette rencontre clandestine que nous avions eu, suite à cette bavure du judiciaire qui prit la forme d’une remise en liberté conditionnelle de cet « auteur présumé » (Novembre 1989) et au battage médiatique qui avait accompagné cette folie ; et enfin, à son procès à Valence (Mars 1990).

Besoin de revisiter mon enfance blessée et mon adolescence paumée, de mieux comprendre mon cheminement avec l'éducation spécialisée et mon parcours de psychothérapeute. De me confronter aux traumatismes du survivant en faisant face à ma vie sans sel.... et, peut-être de tenter de sortir de cette torpeur et fascination des violences vécues. Besoin de sortir de cet isolement...Devrais-je être réduit au statut du «Pauvre père» par des semblables enfermés dans d'autres errances ? Non !

Il fallait me déprendre de cette dualité victime/agresseur en retrouvant la source de mes peurs, de mes croyances; et par là d'accéder à une compréhension inédite de mes besoins.

Besoin de repenser les lieux d'enfermement commandés par la punition et la réclusion; là où le bannissement est la règle et la vengeance la loi implicite; là où l'identité réduite aux actes fabrique «le monstre», là où l'abolition de la peine de mort devient une hypocrisie collective au lieu d'un socle civilisateur.

Besoin de penser ces putains de moralités quand le mot pardon ne peut être pensé sans son pendant: l'impardonnable. Je prendrais tout cela à bras le corps, non pour en jouir, mais pour en sentir toutes les odeurs et...les lâchers.

Je disais que comprendre ne signifiait ni excuser ni condamner; que la souffrance psychique affective et sexuelle devait être reconnue. Je disais que le mot responsabilité dans son usage courant ignorait les constats cliniques.

Je disais que le législateur ne considérait pas les circonstances et les déterminants des actes terribles; que les circonstances devaient être éclairantes et non atténuantes; que le pouvoir était au corps médical, à ces mandarins de cabinets qui sont pour beaucoup dans le déni des vérités psychologiques et que le corps judiciaire suit leurs préconisations: la morale punitive/condamnante était sauve! Pas la justice! Pas la clinique! Car rendre justice c'est d'abord rendre compte de la vérité, de la justesse des histoires, des faits, des hommes, et des circonstances qui leur sont liées.

Rendre justice ce n'est pas bannir un « monstre », c'est se pencher sur des personnes et des actes avec cette conscience que chaque humain porte en lui les couleurs de tous les autres.

Rendre justice c'est comprendre qu'un homme aux prises avec les blessures parfois très précoces de son histoire, associées aux morales ambiantes, peut refouler les émotions qui gouverneront ses pensées et ses actes, qu'il le veuille ou non ne sont pas soumis à notre discernement. Ainsi l’Homme pourra se pourrir la vie et celle de quelques autres, passant parfois par le suicide, le viol, le meurtre....dans tous les cas il vivra une vie à l’ombre de lui-même.

Rendre justice c'est comprendre que ces mécanismes de protection et de survivance sont l'anti libre-arbitre et que notre conscience réduite à la morale n'y peut rien.

Rendre justice c'est accepter de nuancer nos réflexions sur la responsabilité en considérer les circonstances qui entourent les actes. Rendre justice c'est aussi considérer que le plus fort que soi peut être en soi; et par là considérer l'humain dans sa globalité en relation avec son environnement.

Dans ce chemin-là, nous y trouvons des Hommes comme vous et moi qui peuvent être en incapacité de répondre de leurs actes du fait de circonstances qui contiennent les déterminismes d'une histoire personnelle et culturelle.

La culpabilité reconnue d'une personne auteur d'actes juridiquement répréhensibles peut être associée à une non responsabilité pour autant que l’on considère au plus près l’ensemble des circonstances. Cette vision non dualiste aura un jour ses déclinaisons. Nous penserons alors autrement l'accompagnement des plus vulnérables et la formation des acteurs du social.

Quand l'esprit de punition et de réclusion aura laissé la place à ce regard qui voit celui qui a soif en celui qui boit, qui voit dans le meurtre et/ou le viol l'expression de troubles, de perturbations de la relation; qui voit dans ce qui se met en scène des souffrances humaines parfois non nommables du seul fait qu'elles se sont ancrées avant que la parole advienne : par exemple quand un bébé objet d'excitation et/ou de jouissance se fait tripoter par tous les bouts, par tous les trous...!! Je pense à cet adolescent que j’ai jadis accompagné mis sur les genoux de son grand père qui le sodomisait….Il ne peut pas rester assis plus de 30 secondes et est dans une provocation permanente envers les adultes.

La question de la reconnaissance des souffrances psychique et du sujet qui les éprouve est fondamentale.

Cela je l’ai appelé les circonstances éclairantes (Ne pas confondre avec atténuantes ( qui s’inscrit dans une logique de la peine).Cette reconnaissance devient possible quand nous ne craignons pas de partager jusqu’aux horreurs dont ils furent victimes.

Cette reconnaissance nous conduit à penser autrement les violences aux personnes : Nous nous décalons alors des logiques punitives pour entrer de pleins pieds dans des considérations autres. Cela en effet bouleverse nos préjugés dualistes (victimes-bourreau) au bénéfice d'une conscience humanisante.

Il ne s'agit pas de répression pas plus de laxisme; mais de reconnaitre comme déterminant des actes commis ; des modes de fonctionnement au prise avec des troubles, des perturbations psychoaffective et sexuelles comme réalité non plus contingente, mais essentielle et d'en tenir compte dans l’élaboration des sentences.

Hors les sentences et l'emprisonnement tel que conçus aujourd'hui nous révèlent que nous sommes fixés à une morale punitive; "talionique", laquelle faute de répondre en conscience de nos vulnérabilités devient un levier des récidives.

La haine et la vengeance sont normalisées sous le couvert d'une loi du talion quelque peu masquée.

Dans le psychiatrique le « plus fort que soi » en soi n’est pas considéré. C’est par là aussi que des valeurs humaines fondamentales sont mises au panier et l'injustice est consacrée.

Je considère que l’abolition de la peine de mort doit être assortie d'une volonté politique réelle de prévention des violences par une approche clinique des comportements violents, associée à une éthique de civilisation.

Robert Badinter ne s'y était pas trompé quand il m'écrivait: «J'ai fait ma part, à vous la suite, je vous y encourage».

C'est dans cette ouverture à l'espérance, à la rédemption, qu'une reconstruction devient possible. Alors les institutions du judiciaire seront sortis de leurs confusions en énonçant les vérités du vivant et, par-là, honoreront l'épitaphe inscrite sur la tombe de mon fils:

«C'est ainsi que François est mort, il fut victime de la détresse d'un autre»

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